Œuvres de Saint François De Sales

 

TOME XXVI. OPUSCULES – VOLUME V

 

 

 

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Cinquième édition pour la concordance: seulement les écrits de saint François de Sales

 

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Opuscules de saint François de Sales. Sixième série : Ascétisme et mystique. 12

A. Opuscules et fragments sans destinataires. 13

I. Fragments d'une concordance sur la Passion. 13

II. Déclaration mystique sur le Cantique des Cantiques. 16

Advertissement l'imprimeur au lecteur 16

Preface. 16

Le Cantique des Cantiques, eglogue de Salomon. 19

I. Premier empeschement la souvenance des playsirs sensibles. 19

II. Second empeschement : la distraction imaginative. 21

III. Troisiesme empeschement : les louanges humaines. 22

IV. Quatriesme empeschement : le travail du cors. 24

V. Cinquiesme empeschement : les respectz humains. 27

VI. L'ame avant surmonté tous les empeschemens, n'a plus besoin de remede mays demeure absorbee et unie en Dieu par une parfaitte devotion. 29

III. Fragments sur les vertus cardinales et morales. 31

Avertissement des Editeurs. 31

[Quelques moyens pour transformer nos œuvres par la charité] 32

Comme l'amour employe les vertus cardinales, et premierement la prudence. 33

Comme la charité employe la justice. 38

De la force. 45

De la temperance ou moderation. 48

IV. Fragments sur la Sainte Vierge. 53

V. Sur le signe de la Croix. 54

VI. De la charité dans les jugements. Dieu seul doit juger. — Mal penser et parler mal du prochain est la marque la plus sûre d'une âme vicieuse. — Le portrait d'Antigone. — Ceux qui jugent témérairement et qui médisent sont des aveugles et des esprits pleins de malice. — Injustice, de vouloir être absous de ses fautes et de condamner les moindres en autrui. — Qui ne regardera son prochain avec pitié gâtera toutes les parties de son âme. — Le temps fera voir si nous sommes meilleurs que ceux que nous jugeons. — Exemples. — Considérons nos propres défauts, et nous ne verrons pas les vices du prochain. 54

VII. Sentiment de saint François de Sales sur la conduite a tenir par les pasteurs de l'eglise. Comment un Supérieur doit sortir de la lecture et de la méditation. — Ne pas négliger le bon exemple. — Quel doit être l'abord de ceux qui commandent. — Leur attitude envers ceux qui les visitent. — Les « malades honteux » et les remèdes pour les grandes maladies de l'âme. — Suivre une multiplicité de conseils est chose dangereuse. 56

VIII. Conseils aux supérieurs. Porter remède aux moindres murmures. — Avec quelle discrétion un Supérieur doit accorder quelques particularités. — Les enfants qui pleurent. — Bien examiner les sujets avant de les recevoir. — Certains esprits trop prompts sont comme la pierre lancée avec la fronde. — Mieux vaudrait pour un Ordre religieux n'avoir que deux Maisons, plutôt que de les multiplier par la prudence humaine. — Les fondements de la vie religieuse. 56

IX. Similitudes. Premier recueil 57

X. Deuxième recueil 59

XI. Troisième recueil 60

XII. Similitudes et Notes sur la Sainte Vierge. 62

De Beata Virgine et de quibusdam similitudinibus. 62

XIII. Recueil de similitudes. 63

XIV. Recueil de similitudes. 77

XV. Autre recueil de similitudes. 78

XVI. Recueil de similitudes et notes pour la rédaction du Traité de l'Amour de Dieu. 79

B. Petits traités et avis a des destinataires particuliers. 83

I. Avis a Mme Rose Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe, sur les devoirs que lui imposent sa profession religieuse et sa charge, Dijon, avril 1604 . Qu'est-ce que la dévotion ? — La vraie Religieuse « doit estre devote » et fervente. — Fuir le péché et tout ce qui peut être une entrave pour l'âme. — La méditation, l'Office divin, les oraisons jaculatoires, la lecture spirituelle. — Conseils pour le coucher et le lever. — Comment on acquiert la « promptitude a bien faire ». — La sainte Communion les premiers dimanches de chaque mois : préparation et action de grâces. — Eviter la mélancolie, et pourquoi. — Douceur, joie, humilité et tranquillité, accompagnées d'une grande confiance en Dieu. — Obligation, pour une Abbesse, de travailler à la perfection de ses Religieuses et de réformer le Monastère. — L'exemple est le meilleur moyen. — Le dortoir doit être fermé aux séculiers. — Livres à lire pendant les repas. — Que faire pour l'Office. — Choisir une Religieuse pour les affaires temporelles. — Le rétablissement de la perfection et de la Règle sera le plus grand service que l'Abbesse pourra rendre à Notre Seigneur ; le désirer et le poursuivre, mais avec patience. 83

II. Méditation pour le commencement de chaque mois avant la Sainte Communion, adressée a la même [Dijon, avril 1604]. Pourquoi sommes-nous en ce monde ? — Tout ce qui est contraire à notre fin dernière doit être rejeté. — Malheur de ceux qui n'y pensent point. — Aveu de notre misère et résolutions. — Un mot de saint Bernard. — La couronne de roses après la couronne d'épines. 86

III. Fragments d'avis sur la manière de méditer, suivis d'une méditation incomplète sur le crucifiement de Notre-Seigneur Jésus-Christ [Dijon, avril 1604] 87

IV. Méditation sur le crucifiement de Notre-Seigneur Jésus-Christ, donnée a la Présidente Brulart le 15 avril 1604. 90

V. Fragment d'un avertissement sur la perfection chrétienne, envoyé a la Présidente Brulart, 3 mai 1604 (Minute inédite). En quoi consiste la perfection. — Reconnaître la volonté de Dieu pour l'accomplir. — Les commandements de Dieu et le devoir d'état ; les tribulations et les maladies ; les « petites traverses et incommodités ». — Erreur de ceux qui se préparent aux grandes épreuves et qui ne savent pas supporter les petites. — Pour les actions de peu d'importance et auxquelles on n'est pas obligé, considérer avec liberté d'esprit ce qui tend davantage à la gloire de Dieu et se résoudre. — Ce qui doit être soumis au guide de notre âme. — Deux moyens pour parvenir à la perfection. 93

VI. En quoi consiste la perfection et comment l'acquérir ; degrés de l'obéissance. Ecrit envoyé a la Baronne de Chantal, [3 mai 1604 ?]. La perfection n'est autre chose que la charité. — Qu'est-ce qui la produit. — La prière, les Sacrements, l'exercice des vertus : moyens pour l'acquérir. — Les trois vertus de Religion, quoique non vouées, rendent parfait. — Les degrés de l'obéissance par rapport à ceux à qui on la rend. — Exemple de Jésus-Christ. — Obéir aux commandements de Dieu et des supérieurs, aux conseils évangéliques suivant sa vocation, aux inspirations de la grâce. — L'obéissance dans les choses agréables, dans les indifférentes et dans les difficiles. 95

VII. Avis a la Baronne de Chantal, Saint-Claude, 26 ou 27 août 1604. Pensées et aspirations pour le lever. — Exercice pour la sainte Messe. — Le congé et la bénédiction du bon Ange. — Oraisons jaculatoires et regard sur « la divine Bonté » , — L'entrée dans les plaies du Sauveur. 97

VIII. Divers avis pour l'oraison, les aridités et les distractions, et sur la manière de se comporter dans les exercices spirituels de la journée envoyés a Mme Rose Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe, le 9 octobre 1604  97

1) Meditation sur l'eslevation de Jesus Christ crucifié. 97

2) Conseils pour la meditation. Quand faut-il « lascher la bride aux affections ». — Un avis de saint François de Sales et de saint Pierre d'Alcantara. — A qui on peut parler pendant la méditation. — Trois remèdes contre les engourdissements d'esprit et les sécheresses. — Pourquoi on se met en la présence de Dieu. — Les courtisans en la chambre du roi et l'âme dans l'oraison. — C'est un grand honneur d'être auprès de Dieu. — Que faire lorsqu'on est distrait. — L'oraison doit toujours se finir en paix et avec la résolution de servir Dieu fidèlement 101

3) Exercice pour le matin. Considérations et aspirations pour le lever. — Exercice de la « Preparation» : en quoi il consiste. — Une partie de celui-ci peut se joindre à la méditation quand elle se fait le matin. — Ce qu'il ne faut pas prévoir pendant l'oraison. 102

4) Avis pour bien entendre la sainte Messe. 103

5) Les retours vers Notre-Seigneur, les oraisons jaculatoires et la pensée de la mort pendant la journée  104

6) Exercice pour le soir. L'examen de conscience. — Le souvenir de la mort 105

7) Avis divers sur les exercices précédents. Vivre sans scrupules et servir Dieu avec amour. — La durée de la méditation, et quand la faire. — Encore la Messe. — C'est une superstition de croire qu'il faille recommencer le Chapelet ou autres prières quand, légitimement, on les a interrompus. — Se mettre toujours en la présence de Dieu avant de prier 105

IX. Petit traité sur la Sainte Communion, rédigé pour Mme Rose Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe, [décembre 1604, ou commencement de 1605]. Une seule chose est nécessaire pour communier : le bon état de l'âme. — Chasser de notre entendement toute curiosité. — Comparaison de la manne. — S'humilier dans les tentations, ou encore les mépriser. — Qu'est-ce que la sainte Communion ? — Pour s'y préparer, oublier les affaires domestiques et les choses matérielles, et se rappeler les bienfaits de Dieu. — Les « affections » ne doivent pas « estre a l'abandon, mais resserrees et couvertes ». — Exemple des Israëlites mangeant l'agneau pascal. — Ardent désir. — Ne pas disputer avec l'ennemi. — Considérations suggérées pour la veille de la Communion. — Un peu de retraite intérieure et récréation plus « devote ». — Retrancher peu à peu les attaches. — Que faire la nuit et le matin au réveil. — Ce que le Saint n'approuve pas. — Comment traiter avec Notre-Seigneur le jour où on l'a reçu. — Préparation et action de grâce ; diverses aspirations. — Comment se servir de l'imagination. — La Sainte Vierge, et l'âme qui communie. — Que personne ne s'approche de la Table sainte par coutume. — L'un des principaux fruits de la Communion : la charité mutuelle. 106

Consideration dont il faut paver l'entendement 107

Comment il faut purger la memoyre. 107

Comment il faut purger la volonté et de quoy il la faut parer 108

Advis particuliers pour reduire en prattique la preparation a la sainte Communion. 108

X. Quelques avis pour combattre la tristesse et l'inquiétude intérieure, adressés a Mme Rose Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe, [mai] 1605. La tristesse et l'inquiétude s'engendrent l'une l'autre, et pourquoi. — L'âme peut chercher à être délivrée d'un mal ou pour l'amour de Dieu ou pour l'amour propre : effets contraires de ces deux amours. — Grand mal de l'inquiétude ; d'où elle vient. — Quand on tombe en quelque imperfection, rasseoir d'abord l'esprit et puis y mettre ordre. — La sentinelle de l'âme. — Notre « edification spirituelle » doit se faire dans une grande paix. — La tristesse peut être bonne ou mauvaise, mais elle est plus souvent mauvaise. — Ses productions. — Marques de la mauvaise tristesse et de la bonne. — D'où vient la différence qui existe entre elles : le Saint-Esprit est « l'unique Consolateur » ; le malin esprit, « un vray desolateur ». — Remèdes contre la mauvaise tristesse : avoir patience ; contrarier ses inclinations ; chanter des cantiques spirituels ; s'employer aux œuvres extérieures ; faire souvent des actes extérieurs de ferveur ; la discipline modérée ; la prière et s'adresser à Dieu avec des mots de confiance ; la sainte Communion ; l'ouverture de cœur. 112

De l'inquietude. 112

De la tristesse. 113

Signes de la mauvaise tristesse. 114

Quelques remedes. 115

XI. Première méthode pour réciter le Chapelet, écrite à Saint-Jean d'Aulps, 14 août 1606. 117

XII. Deux occupations pour la retraite spirituelle [1604-1608]. La sainte enfance de Notre-Seigneur. — Sa Passion. 118

XIII. L'imitation de Notre-Seigneur, [1604-1609 ?] Comment Jésus a-t-il agi pendant sa vie ? — Exciter notre âme par ses exemples ; un seul regard suffit 119

XIV. Deuxième méthode pour réciter le Chapelet, envoyée à Dijon le 29 septembre 1608. 120

XV. Avis a la Baronne de Chantal, Sales, 15-20 avril 1610. Ne pas faire de réflexions sur les choses qui arrivent. — Dans les sécheresses, s'humilier. — Comment reprendre le prochain. — Le voyageur dans un navire et le soin du pilote. 120

XVI. Conseils a un ami, 1609-1610. Le secret pour avoir la paix extérieure et intérieure. 121

XVII. Le saint reçoit les vœux de religion de la Mère de Chantal, renouvelle son vœu de chasteté et fait celui de servir l'ame de la sainte, 22 août 1611. 121

XVIII. Mémorial pour bien faire la confession, adressé au Duc de Bellegarde, le 24 août 1613 (Minute). Faire sa confession devant Jésus crucifié qui, » avec une douceur de misericorde incomparable », nous prépare son pardon. — Il faut s'accuser non seulement du genre de péché, mais de l'espèce, du nombre, des divers degrés du péché. — Entre ces degrés, celui qui multiplie la malice du péché en une seule action doit être déclaré. — Le désir et la résolution de pécher est de fait un péché, ainsi que les mauvaises pensées volontairement entretenues. — Certaines actions comprennent en elles plusieurs espèces de péché : on doit s'en accuser. — Détail des péchés contre les commandements de Dieu. — Examen sur les sept péchés capitaux. — Les péchés contre les commandements de l'Eglise. — Comment discerner le péché mortel du véniel. — Moyens suggérés pour détourner du péché les grands de ce monde. — Prière avant la confession. 122

2e Advis. 122

3e Advis. 123

4e Advis. 123

5e Advis. 123

6e Advis. 123

7e Advis. 124

8e Advis. Du tems que l'on a demeuré en chaque action du peché. 125

Des pechés contre le premier commandement du decalogue. 125

Pechés contre le second commandement 126

Pechés contre le 3. commandement 126

Pechés contre le 4. commandement 126

Pechés contre le 5. commandement 127

Pechés contre le 6. commandement 127

Pechés contre le 7. commandement 128

Peches contre le 8. commandement 128

Pechés contre le 9. commandement 128

Contre le 10. commandement 128

Examen touchant les pechés capitaux. 129

Des pechés qui se commettent contre les commandemens de l'esglise. 131

Moyen de discerner le peché mortel du veniel 131

Moyens pour divertir les grands du peché de la chair 132

Oraison pour dire avant la confession. 133

XIX. Sur la Très Sainte Vierge, a la Mère de Chantal ? [1610-1613?]. Marie a passé par tous les états de vie pour attirer toutes les âmes à son divin Fils. 133

XX. Prière composée pour la Baronne Marie-Aimée de Thorens, février 1615. 134

XXI. Avis a la Mère de Chantal, [1613-1615 ?]. Confiance et abandon. — La Mère de Chantal doit tenir son âme ferme, sans « vouloir voir ce qu'elle fait ou si elle est satisfaitte ». — Bel exemple de simplicité des petits enfants. — De la trop grande activité d'esprit naît l'inquiétude. — Quitter tout ce qui déplaît à Dieu et ne pas « s'embesoigner » de notre avancement spirituel. 135

XXII. Fragments de conseils a la même, [1613-1616]. Les petites vertus. — Tout faire pour Dieu. — Garder la paix et reposer dans le sein de la Providence. 136

XXIII. Avis a la même, sur la simplicité, l'abandon et l'amour du prochain, 31 mars 1616. Comment marcher en esprit de simplicité. — Ne pas faire des retours sur soi-même. — Exemple des petits enfants. — Les « amantes spirituelles » se « purifient et ornent » pour plaire à l'Epoux céleste. — Leur préparation n'est pas longue ni empressée, mais fidèle et amoureuse. — Avis de saint François d'Assise. — Imiter le Sauveur sur la croix. — Les inquiétudes de notre cœur et l'avancement dans la perfection. — Rien ne peut ébranler celui qui se remet au bon plaisir de Dieu. — Regarder le prochain dans la poitrine du Sauveur. — La présence ne peut rien ajouter « a un amour que Dieu a fait, soustient et maintient ». — Vivre et mourir comme il plaira au « cœur souverain » de Notre-Seigneur. — Arrêter l'inconstance de l'esprit humain par la force des anciennes résolutions. 137

XXIV. Fragments de conseils a la même, [1615-1616]. Excellence du sommeil amoureux entre les bras du Sauveur. — La Mère de Chantal doit demeurer en la remise de tout elle-même à Notre-Seigneur et coopérer à sa grâce. — Que faire à l'oraison. — Délaisser sa vie et ses affaires au bon plaisir de Dieu. 139

XXV. Derniers avis a la même, Annecy, 6 juin 1616. Simplicité de l'amour, remise de soi-même en Dieu. — Tout recevoir de sa main et ne vouloir que lui. 139

XXVI. Questions de la Mère de Chantal a saint François de Sales, et réponses de celui-ci, fin mai et août-novembre 1616. Renouveler chaque année l'abandon de soi-même entre les mains de Dieu. — Les paroles et pensées qu'il faut retrancher. — Petit examen conseillé. — Oublier tout. — Que la Mère de Chantal demeure ferme en l'oraison de simplicité et d'abandon ; commandement que le saint Directeur fait à son esprit. — Etre comme de petits enfants. — L'indifférence doit se pratiquer en toutes rencontres. — Que l'obéissance à la Règle domine les « menus attraitz ». — Ce que le Saint « desire bien fort ». — Parler peu de soi-même et pourquoi. — Le Traitté de l'Amour de Dieu est fait surtout pour la Sainte. — L'oraison et la contrition. 141

XXVII. Avis a la Sœur Claude-Agnès de la Roche, Religieuse de la Visitation d'Annecy, [1612-1617]. Tenir son âme en paix, mais avec simplicité et amour. — Un seul désir : plaire à Dieu. — Pour se débarrasser des troubles de la partie inférieure, passer outre, sans les regarder. — Il faut du temps pour parvenir à la paix. — Pourquoi se défaire de la propre volonté. — Dieu veut détacher de toutes choses la destinataire pour la « mieux serrer a sa Bonté ». — Indifférence, confiance, humilité. — Plus on se sent pauvre, plus il faut avoir de grandes prétentions de bien faire. — Essayer d'aimer la correction. — L'égalité du maintien extérieur. — S'abîmer dans son néant devant Notre-Seigneur et la Sainte Vierge. 144

XXVIII. Dédicace d'un exemplaire du Traité de l'Amour de Dieu A M. Humbert Vibert, 13 avril 1617 (Inédit) 146

XXIX. Confidences a la Mère de Chantal, [1610-1618]. Pourquoi le Saint-Esprit nous donne le don d'intelligence. — Faveurs divines accordées à saint François de Sales. 147

XXX. Avis a la Sœur Marie-Adrienne Fichet, Religieuse de la Visitation d'Annecy, 1611-1618 (Inédit) 147

De l'obeyssance. 147

De l'humilité. 148

De la douceur 149

De la simplicité. 149

De la generosité. 150

Du parler 150

Comme il se faut relever quand on est tombee. 152

Comme il faut vivre selon la partie superieure. 153

Comme il faut tous les jours renouveller ses bons propos. 153

De l'amour de Dieu [et du prochain] 154

Des secheresses et sterilités. 155

Des tentations : premierement de la vocation. 155

Des aversions. 156

De la melancolie. 157

De l'office. 157

De l'orayson. 158

XXXI. Avis a une Religieuse de la Visitation sur les vertus qu'elle doit surtout pratiquer, [1612-1618] (Inédit) 160

Prattique de l'humilité. 160

Prattique de la douceur 161

Prattique de la simplicité. 161

Prattique de la modestie. 161

Prattique de la charité fraternelle. 162

Prattique de la mortification. 162

Prattique de la patience. 162

Prattique de l'obeyssance. 163

Prattique de la pauvreté. 163

Prattique de la chasteté. 163

Prattique de la generosité. 163

Prattique de la devotion forte et intime. 164

Prattique de la conformité à la volonté de Dieu. 164

XXXII. Autres avis a une Religieuse de la Visitation, sur l'obeissance et l'examen qui doit suivre l'oraison, [1612-1618] (Inédit) 164

De l'obeyssance. 164

Examen sur l'orayson, qui se doit faire apres icelle, se pourmenant ou faysant son ouvrage  165

XXXIII. Avis a la Sœur Anne-Marie Rosset lors de son départ d'Annecy pour la fondation du Monastère de la Visitation de Bourges, vers le 15 octobre 1618. Etre couverte d'humilité. — Moins on sent de capacité en soi, plus il faut s'appuyer avec confiance sur Notre-Seigneur. — La Mère Rosset doit être « Depenciere » des dons de Dieu. — Vertus qu'elle devra pratiquer envers les âmes appelées à la Visitation. 165

XXXIV. Exercice envoyé a Madame de Villesavin, juillet-août 1619. 166

XXXV. Aux Religieuses de la Visitation d'Annecy 1612-1620] (Fragment). Une leçon de Marie à propos de la fête de la Transfiguration. 168

XXXVI. Avis pour la charge de Supérieure, a la Mère Claude-Agnès de la Roche, juin ou commencement de juillet 1620. Chaque jour, au réveil, dire la parole de saint Bernard : « Qu'es tu venu faire ceans ? » — Ne pas subtiliser, mais avoir une intention droite de tout faire pour Dieu. — Supporter les imparfaites et les aider. — Le maintien extérieur. — Importance de la charge. — La nouvelle Supérieure doit demander à la Sainte Vierge de l'offrir à son divin Fils, et renouveler son âme. — Après cet acte de parfait abandon, Marie la gardera tout le temps de sa vie. 168

XXXVII. Adieux a la Mère Claude-Agnès de la Roche, première Supérieure de la Visitation d'Orléans, vers le 10 juillet 1620. Trois vertus spécialement recommandées. 170

XXXVIII. Lettre d'obédience a la Sœur Paule-Jéronyme de Monthoux, pour être Supérieure au Monastère de la Visitation de Nevers, 27 juillet 1620. 170

XXXIX. Ecrit dans un volume de l'Introduction a la Vie Devote, donné a la sœur Marie-Philiberte Christin, Tourière de la Visitation d'Annecy, 8 mars 1621 (Inédit) 171

XL. Avis a la Mère Paule-Jeronyme de Monthoux, Supérieure de la Visitation de Nevers, décembre 1620-1621 (Inédit). La prise d'habit doit se faire à la grille du chœur. — Vanité et discrétion. — Les mères et les filles s'appellent « Seurs ». — Conduite à tenir à l'égard des malades. — On peut admettre des Novices d'un autre Ordre ; pour les Professes, il faut une dispense de Rome. — N'appeler le médecin que pour la vraie nécessité. — Avis touchant les Pères spirituels. — Raisons qui peuvent dispenser du jeûne. — Demander ce dont on a besoin est plus parfait que de se laisser à « la providence des Superieurs ». — Murmures contre la Supérieure. — Ce que la destinataire doit faire au début de sa charge, soit pour les séculiers, soit pour les Sœurs. — Ne pas s'exempter facilement de l'Office. — Attitude au parloir. — Les prétendantes opiniâtres et négligentes ne doivent pas être reçues. — Confiance aux Pères Jésuites. — Exercer les veuves. — Attirer doucement les Sœurs qui sont dans la peine. — Quelques autres points d'observance. 172

XLI. Fragments d'avis aux Supérieures de la Visitation, [1615-1622]. Grand honneur d'être appelées à la conduite des âmes ; comment faut-il s'en acquitter ? — Les Supérieures doivent suivre les voies de Dieu et non les leurs. — Qualités de l'homme intérieur. — Comment agir avec les inférieures revêches et orgueilleuses. — Suivre l'esprit de douceur et cultiver surtout les âmes. — Souhaits du Saint aux Supérieures. 175

XLII. Avis spirituels a une personne vivant dans le monde, novembre 1619-1622 (Inédit). Les satisfactions de l'amour-propre et l'exercice de l'amour de Dieu. — Craindre la tentation, c'est ouvrir la porte à l'ennemi ; la confiance en Dieu lui fait peur. — Mépriser les tentations et recourir à la prière. — Pourquoi le démon donne quelqu'apparence de vertu à ceux qui le servent. — « Celuy qui nous a donné la fleur du desir nous donnera aussi le fruit de l'accomplissement. » — Le Sauveur est père par sa providence et mère par son amour. — Un effet de la dévotion qui est selon Dieu. — Exemple du bienheureux Amédée de Savoie et de sainte Paule. — L'amour de Dieu ne trouve jamais qu'on fait trop pour lui. 177

XLIII. Autres avis spirituels a une personne vivant dans le monde, novembre 1619-1622, (Inédit). En quoi consiste la simplicité. — Qui ne cherche que Dieu le trouve toujours. — Il faut le chercher par le chemin qu'il nous a marqué. — Ce n'est pas « nostre mal qui nous fait mal », c'est l'amour-propre. — L'homme simple ne se trouble point. — Exercice d'union à la volonté de Dieu pour le matin, et « acte de reunion » à multiplier dans la journée. — Ne faire aucun acte de piété par manière d'acquit. — Mieux vaut n'entendre qu'une Messe, mais avec attention, que plusieurs avec irrévérence. — Conseil de saint François de Sales aux personnes très occupées. — L'égalité d'esprit est l'un des plus beaux ornements de la vie chrétienne. — Tâcher de l'acquérir en demandant le secours du Saint-Esprit et en se tenant en garde contre la langue  178

XLIV. Avis a la Mère Claude-Agnès de la Roche, Supérieure de la Visitation d'Orléans, [juin 1620-1622]. Parler très peu de soi-même. — L'affabilité ne doit pas empêcher l'exercice de l'autorité. — La gravité avec les séculiers. — Ne pas cacher le bien qui se fait à la Visitation. — Rapports avec les Carmélites, les Jésuites et les Minimes. — Ce qu'il faut faire au parloir. — La Vie, Passion et Mort de Notre-Seigneur sont les meilleurs sujets d'oraison. — Certaines âmes sont attirées à une plus grande simplicité. — Marque d'une bonne oraison. — Ce que la Supérieure peut permettre. — Discrétion qu'elle doit observer. — Ne rien faire de plus que la Communauté. — La sainte Communion et la reddition de compte. — La charité. — Regarder Dieu. 181

XLV. Avis spirituels a une Religieuse de la Visitation (Inédit). Marcher dans la vertu sinon toujours avec joie, du moins avec courage. — La statue dans sa niche. — Ne soyons pas des anges, mais de petits poussins. — Nous n'avons pas à craindre le jugement du monde. — Nos misères ne nous doivent pas accabler ni étonner. — Quel est, parmi les pauvres, « le plus advantagé » ? — Parlons à Dieu de nos misères. — Ne pas insulter notre cœur et ne pas trop le presser. — Dieu seul doit y régner. — Le réjouir et le consoler. — La couche de l'Epoux, et l'agneau de l'holocauste. — Recevoir Jésus-Christ : le plus grand moyen d'arriver à la perfection. — Ne pas quitter la sainte Communion pour les distractions et aridités. — Le divin Maître est Roi, soleil, fournaise, baume, trésor, gage de la gloire. — Aspirer à l'éternité qui approche. 183

XLVI. Autres avis spirituels a une Religieuse de la Visitation (Inédit). Trésor de l'abandon total à Dieu. — Bonheur d'une âme petite et humble. — Les emplois dans la maison du Seigneur. — Tout est indifférent au cœur qui ne veut que Dieu. — Dans les choses qui ne sont pas clairement manifestées, interroger nos Supérieurs et suivre leurs avis. — Suavité des inspirations divines ; trouble et inquiétude en celles qui viennent du démon. — L'humilité change en or le plomb de nos infirmités. — « Mesnager les petites rencontres ». — Bienheureuse est l'âme dépouillée de toutes choses. — Ce qui nous empêche de nous jeter à corps perdu entre les bras de la Providence. — Dieu n'est pas comme les hommes. — « Aymer sans mesure l'Amour eternel. ». 185

XLVII. Fragments sur la pauvreté (Inédit). En quoi consiste la parfaite pauvreté intérieure. — Comment regarder les biens de la Communauté. — Accepter avec amour les disettes. — Trois degrés de la pauvreté spirituelle. — La grande et sainte pauvreté. — Quel en est le dernier degré. — Celui qui n'a aucune confiance en soi-même est vraiment fidèle. 186

XLVIII. Fragments sur l'obéissance, (Inédit). L'obéissance religieuse est un holocauste. — Devoir du Supérieur et de l'inférieur. — Qu'est-ce que le propre jugement ? — L'indifférence du parfait obéissant 187

XLIX. Conseils a un religieux pour l'examen de conscience. 188

L. Méditation sur le choix d'un état de vie pour un aspirant a la vie religieuse. Bonté de Dieu qui se contente de nous obliger à garder ses Commandements. — Ce qu'il nous conseille. — Toujours nous aurons à combattre. — Consolations de la vie religieuse et de la « vie commune ». — Examiner ses dispositions et attendre. 188

LI. Autre méditation pour le même aspirant, sur la naissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ. L'arrivée de Marie et Joseph à Bethléem ; ils reçoivent le mépris avec une douceur incomparable. — Le moindre oubli excite notre arrogance. — L' « establerie » pour le Sauveur, et « les superbes edifices » pour les pécheurs. — Tout est pauvre dans cette naissance, et nous ne cherchons qu'à nous satisfaire. 189

LII. Troisième méthode pour réciter le Chapelet 190

LIII. Paraphrase de l'Oraison Dominicale adressée a une de ses filles spirituelles (Inédit) 191

Appendice. 215

A. Dévotes méditations sur tous les mysteres du Saint Sacrifice de la Messe. 215

Petite preface. 215

L'entree du prestre a l'autel (Jesus entre au Jardin) 215

Au commencement de la Messe (Les prieres de Jesus au Jardin) 215

Au Confiteor (Jesus est courbé en terre) 215

Au bayser de l'autel (Jesus est trahi par le bayser de Judas) 215

A l'Epistre(Jesus est mené prisonnier) 215

A l'Introit (Jesus est souffletté) 216

Au Kyrie Eleison (Jesus est renié par Pierre) 216

Au Dominus Vobiscum (Jesus regarde Pierre et le convertit) 216

A l'Epistre (Jesus est mené chez Pilate) 216

Au Munda Cor Meum (Jesus est mené chez Herode) 216

A l'Evangile (Jesus est moqué et ramené devant Pilate) 216

A l'ouverture du Calice (Jesus est despouillé) 216

A l'Offertoire (Jesus est fouetté) 216

Lhors qu'on couvre le Calice (Jesus est couronné) 217

Lhors que le prestre lave ses mains (Pilate lave ses mains) 217

A l'Orate, fratres (Pilate dit aux Juifz : Ecce homo) 218

A la Preface (Jesus est condamné a mort) 218

Au Memento pour les vivans (Jesus porte sa Croix) 218

A l'Action (Sainte Veronique essuye d'un linge la face de Nostre Seigneur) 218

A la benediction des offrandes (Jesus est attaché en croix) 218

A l'eslevation de l'Hostie (Jesus crucifié est eslevé) 218

A l'eslevation du Calice (Le sang de Jesus Christ coule de ses playes) 218

Au Memento pour les Trespasses (Jesus prie pour les hommes) 219

Au Nobis quoque peccatoribus (La conversion du larron) 219

Au Pater (Les sept paroles de Jesus en croix) 219

A la division de l'Hostie (Jesus meurt en croix) 219

Quand le prestre met une particule de l'Hostie au Calice (L'ame de Jesus descend aux enfers) 219

A l'Agnus dei (La conversion de plusieurs a la mort de Nostre Seigneur) 219

A la Communion (Jesus est enseveli) 219

A l'Ablution (Jesus est embaumé) 220

Apres la Communion (La resurrection de Jesus) 220

Au Dominus Vobiscum (Jesus apparoist a ses Disciples) 220

Aux dernieres collectes (Jesus converse avec ses Disciples pendant quarante jours) 220

Au dernier Dominus Vobiscum (Jesus monte au Ciel) 220

A la Benediction (La descente du Saint Esprit) 220

Actions de graces apres avoir ouy la Sainte Messe. 220

B. Prière a la Sainte Vierge, attribuée a saint François de Sales. 220

C. Autre prière a la Sainte Vierge, attribuée au même. 221

Note des editeurs. 221

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Opuscules de saint François de Sales. Sixième série : Ascétisme et mystique [1]

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A. Opuscules et fragments sans destinataires

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I. Fragments d'une concordance sur la Passion

 

1594-1596

 

(INEDIT)

 

CONTINUA EX 4 EVANGELISTIS PASSIONIS DOMINICÆ SERIES

EX TOLETO

 

            Post orationem quæ est Jo. c. XVII, dixit Dominus verba quæ habentur Mat. 26, v. 31 ad 36.

            Venit trans torrentem Cedron. Cedron, id est obscurus [3] locus, quia vallis erat arboribus umbrosa ; ibi erat torrens. Figura hujus rei est 1  Reg. 15.

            Venit inde in prædium, seu villam Gethsemani, id est vallis pinguedinis, seu olei mei ; quo in prædio erat hortus arboribus ornatus et amœnus. Initium perditionis hominis fit in horto ; initium restitutionis in integrum, in horto ; Cirillus, l. 11. c. 31. In horto Adam decipitur a diabolo ; in horto Christus consolatur ab Angelo. Judas autem sciebat locum ; ibi tradit Dominum ubi Dominus præcepta orandi tradiderat.

             Post hæc, in eodem horto factum est quod alii Evangelistæ dicunt. Mat. : Et dixit discipulis suis : Sedete hic, donec vadam illuc et orem. Et assumpto Petro et duobus filiis Zebedæi, cæpit constristari et mæstus esse ; Marc., pavere et tædere. Et ait illis : Tristis est, etc. ; sedete hic et vigilate. Mat. : Sustinete hic et vigilate mecum. Luc. : Et orate, ne intretis in tentationem.  [4]

………………………………………………………..

            Sequitur quod narrat Joannes. Dominus interrogavit : Quem quæritis ? etc. Et Judam, signo dato, rediisse cum cæteris, unde dicitur : Stabat autem Judas, qui tradebat eum, cum ipsis, [etc.].

………………………………………………………..

            Et exinde, quærebatur Pilatus dimittere eum. (Videtur iterum egressus Pilatus ad populum, verba de dimittendo Christo habuisse.) Judei autem clamabant, dicentes, [etc.]

            Pilatus autem adduxit foras Jesum, et sedit pro tribunali, in loco qui dicitur Lithostrotos, hebraice autem Gabbatha. (Gabbatha celsitudo significat ; Lytostrotos, græce, lapidibus stratus, locus judicii .) Erat autem Parasceve Paschæ, hora quasi sexta (id est hora sexta orationis : 1, 3, 6, 9, occasus ; sic dividebatur dies) ;  et dicit Judæis, [etc.] Responderunt pontifices : [5] Non habemus regem nisi Cæsarem . (Ergo Messias venit, Gen. 49  : Non auferetur sceptrum, etc.)

………………………………………………………..

             Mort de Pilate. Josephe, l. 18, Ant. Jud. : Apres vingt ans de sa prevosté (præture), il fut accusé par les Samaritains vers Vitellius, gouverneur de Sirie, quod plurimos hommes injuste condemnasset quasi rebelles Romanis a). Vitellius luy commande d'aller a Rome vers Tibere Cæsar ; mays avant quil arrivat, Tibere mourut. Eusebe, l. 2. c. 7, racconte quil se tua.

            Les gendarmes le prennent au prætoire, le despouillent du pourpre et luy remettent ses habitz ; le menent hors ; bajulans sibi crucem. Id est Is. 9  : Factus est principatus ejus super humerum ejus b). Genes. 22  : Isaac portoit le bois ; Simon Cyreneen la porte, Nostre Seigneur estant trop affligé.

            On le suit, les femmes pleurent ; Conversus ad eas : [6] Filiæ Hierusalem, nolite c), etc. Deux malfaicteurs conduitz avec luy.

            Exivit in eum, qui dicitur Calvariæ locum, hebraice Golgotha. Basil., in c. 5 Is., ait esse traditionem communem ibi sepultum Adam d). Hieron., ad Marcellam.

            La ilz luy donnent a boire du  vin mirrhé, ou avec du fiel, et cum gustasset noluit bibere. (Nimirum videtur ex fatigatione recreandus Dominus.) Psal. 68  : Dederunt in escam meam fel e).

            Ilz le crucifient entre deux larrons. Et cum iniquis reputatus est f).

            Pilate fit mettre le tiltre (il y a de la redite). Ilz prenent ses vestemens, etc., ut scriptum Psal. 21 . Notes que Nostre Seigneur avoit une roube, un manteau, une tunique (apud Euthym., Mat. 27 ), et la tunique, faite par la Vierge .

            Pater, ignosce. Juxta crucem mater g), [etc.] ; il parl'a sa Mere, puys au disciple.

            Ceux qui viennent voir et qui passent, blasphement : Vah, qui destruis, etc. ; salva temetipsum ; si Filius Dei es, etc. Semblablement les pontifes et scribes : Si Christus est electus Dei, rex Israel, descendait de cruce. — Les [7] larrons aussi ; l'un : Si tu es Christ, sauve toy et nous. L'autre respond : Neque tu Deum, etc., et dict : Memento. Hodie mecum h). — Les soldatz : Si tu es roy des Juifz.

………………………………………………………..

            Sola mors restabat, venire formidabat ; Christus, inclinato capite, eam vocat ; antequam inclinasset, accedere verebatur i). (Athan., in Quæstionibus ad Antioch., quæst. 41 .)

             Tenebræ factæ sunt super universum terram, [etc.] ; sepulcra mortuorum aperta sunt, terra mota est j).

            Sainct Chrysostome, in Mat. 27 , dict quil [le soleil] ne pouvoit ni ne vouloit servir a l'injure du Createur ; sainct Ephrem, l. de Passione, dict quil « prit le dueil » de la mort de son Maistre.

            Trois miracles : 1. le 14 de la lune, lune pleyne ; 2. l'ecclipse dura des que Nostre Seigneur fut crucifié jusqu'a none, qui n'a accoustumé de durer que bien peu ; le 3. il fut universel.

             Phlegon, autheur grec : que le 18e de Tibere Cæsar il y eut un'eclipse de soleil, la plus grande que jamais fut veüe, et qu'en ce tems il y eut un si grand tremblement en Asie et en Bithinie, que plusieurs grans ædifices tumberent. Pline, l. 2 , raconte le tremblement de terre au tems de [8] Tibere avoir esté le plus grand qu'on eut ouy ni apperceu, et ruina 12 villes en Asie. Sainct Denis, converty a ce miracle estant en Hæliopoli ; luy mesme, en l'epistre a Policarpe, l'instruisant pour la conversion des Apollophanes.

 

Revu sur les Autographes conservés à la Visitation de Turin et d'Annecy. (Voir ci-dessus, note (25), p. 3.) [9]

 

 

 

CONTINUATION DU RÉCIT DE LA PASSION DE NOTRE-SEIGNEUR

D'APRÈS LES QUATRE EVANGÉLISTES

D'APRES TOLET

 

            Après la prière qui est dans saint Jean, chap. XVII, le Seigneur dit les paroles qui sont en saint Matthieu, chap. XXVI, du verset 31me au 36me. [3]

            Il alla au delà du torrent de Cédron. Cédron, c'est-à-dire lieu obscur, parce qu'il y avait une vallée ombragée par les arbres ; là aussi était un torrent. La figure de cette chose se trouve au livre [II] des Rois, chap. XV.

            Il vint ensuite au jardin ou domaine de Gethsemani, c'est-à-dire la vallée onctueuse, ou de mon huile. Dans ce domaine était un jardin orné d'arbres et agréable. Le commencement de la perte de l'homme eut lieu dans un jardin ; le commencement de sa réhabilitation se fit en entier dans un jardin. Dans un jardin, Adam fut trompé par le démon ; dans un jardin, le Christ fut consolé par un Ange. Judas, lui, connaissait ce lieu ; là, il livre son Maître où le Maître avait livré le précepte de la prière.

            Après cela, dans ce même jardin, il arriva ce que les autres Evangélistes racontent. Matt. : Et il dit à ses disciples : Asseyez-vous ici pendant que je m'éloignerai pour prier. Ayant pris avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à éprouver de la tristesse et de l'angoisse ; Marc : à avoir peur et du dégoût. Et il leur dit : Mon âme est triste, etc. Asseyez-vous ici et veillez. Matt. : Demeurez ici et veillez avec moi. Luc : Et priez, afin de ne pas entrer en tentation. [4]

………………………………………..

            Suit ce que raconte saint Jean. Le Seigneur interrogea : Qui cherchez-vous ? etc. Et Judas, ayant donné un signe, revint avec d'autres, d'où il est dit : Or Judas, qui le trahissait, se tenait debout avec les autres, [etc.]

………………………………………..

            Dès ce moment, Pilate cherchait à le délivrer. (Pilate étant retourné de nouveau vers le peuple, parlait, semble-t-il, de relâcher le Christ.) Mais les Juifs criaient, disant, [etc.]

            Pilate... emmena dehors Jésus, et il s'assit sur son tribunal, au lieu appelé Lithostrotos, et en hébreu Gabbatha. (Gabbatha signifie hauteur ; Lithostrotos, en grec, balcon de pierres, lieu de jugement.) C'était la préparation de la Pâque, environ la sixième heure (c'est-à-dire la sixième heure de la prière : ainsi divisait-on le jour : 1, 3, 6, 9), et il dit aux Juifs, [etc.] Les princes des [5] prêtres répondirent : Nous n'avons de roi que César. (Donc le Messie vient, Gen. XLIX : Le sceptre ne s'éloignera point, etc.)

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            a) d'avoir condamné injustement, comme rebelles aux Romains, beaucoup d'hommes.

            b) portant sa croix. C'est-à-dire, Isaïe, IX : Son empire a été posé sur ses épaules.

            c) Tourné vers elles : Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, etc. [6]

            d) Arriva hors de la ville, au lieu nommé Calvaire, en hébreu Golgotha. Saint Basile dit que c'est une commune tradition qui fait du Calvaire le lieu de sépulture d'Adam.

            e) mais l'ayant goûté, il ne voulut pas boire. (Sans doute, il semble qu'à cause de son épuisement il faut ranimer le Seigneur.) Psaume LXVIII : Dans ma soif, ils m'ont donné du fiel.

            f) Et il fut mis au rang des scélérats.

            g) Père, pardonnez-leur. Sa Mère se tenait debout près de la croix, [etc.]

            h) Toi qui détruis le temple, etc. ; sauve-toi toi-même ; si tu es le Fils de Dieu, etc... Si le Christ est l'élu de Dieu, roi [7] d'Israël, qu'il descende de la croix... Ne crains-tu donc pas Dieu, etc... Souvenez-vous de moi. Aujourd'hui même, tu seras avec moi.

            i) La mort seule s'arrêtait, elle redoutait de venir ; le Christ, ayant incliné la tête, l'appelle ; avant qu'il l'eût inclinée, elle avait honte d'approcher.

            j) Il y eut des ténèbres sur toute la terre, etc. ; les sépulcres des morts s'ouvrirent, la terre trembla. [8]

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II. Déclaration mystique sur le Cantique des Cantiques

 

[1602 - 1604 ]

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Advertissement l'imprimeur au lecteur

 

            Mon cher Lecteur, je sçay bien que pour vous faire estimer ce petit ouvrage que je vous presente, il suffit de sçavoir que son Autheur est le Bien-heureux François de Sales ; un esprit si sainct, si esclairé et si seraphique ne pouvoit parler que tres-dignement et tres-sainctement sur une telle matiere. Et je ne pense pas contrevenir à ses intentions en le publiant ; car, quoy qu'il l'aye tenu long-temps secret, estant un des premiers exercices de sa plume, il est neantmoins bien croyable que si la mort n'eust prevenu le dessein qu'il avoit de donner d'autres piec.es au public, non moins utiles que celles qui paroissent maintenant par tout avec tant de fruict et d'approbation, sa charité incomparable l'auroit porté à vous le presenter luy-mesme, mais sans cloute avec plus d'ornement et de perfection.

            Cependant, le voilà tout tel qu'il est sorty de sa main et qu'il a esté trouvé apres son decez ; lequel en avoit rendu depositaires des personnes lesquelles, soit pour leur consolation particuliere, ou pour quelque autre bonne consideration, n'avoient pas jugé à propos de le publier plus tost. L'on a adjousté le texte latin aux marges, pour luy donner, par le rapport de l'un à l'autre, plus d'esclaircissement.

            Les ames sçavantes et esclairées dans la vie interieure y trouveront, ainsi que je l'espere, de la satisfaction ; mais je vous prie, cher Lecteur, si vous desirez en tirer du profit, de le lire avec un esprit aussi sainct que le requiert la saincteté de son sujet. [10]

 

 

 

VIVE JÉSUS

 

Preface

 

            Il y a deux sortes d'unions de l'ame avec Dieu en ce monde : la premiere par grace, et laquelle se fait dans le Baptesme ou par le moyen de la penitence ; et la seconde par devotion, et celle ci se fait par le moyen des exercices spirituelz. L'une nous rend innocens, et l'autre spirituelz.

            Salomon, pretendant avoir suffisamment enseigne la premiere sorte d'union dans ses autres Livres, n'enseigne que la seconde es Cantiques, ou il presuppose que l'Espouse, qui est l'ame devote, soit des-ja mariee avec le divin Espoux ; et represente les saintz et chastes amours de leur mariage qui se font par l'orayson mentale, qui n'est autre chose que la consideration de Dieu et des choses divines.

            Sous ce nom de consideration sont comprises quatre diverses actions de l'entendement, a sçavoir : la pensee, l'estude, la meditation et la contemplation. Nous pensons es choses, sans fin et intention ; nous les estudions pour estre plus doctes ; nous les meditons pour les aymer, et nous les contemplons pour nous y plaire. Les uns regarderont simplement un pourtrait pour y voir les couleurs et images, sans autre fin ; les autres, pour apprendre l'art et l'imiter ; les autres, pour aymer la personne representee, comme les princes font leurs espouses, que bien souvent ilz ne voyent qu'en image ; les autres, parce qu'ilz ayment des-ja la personne representee, se playsent a regarder son pourtrait. L'une de ces quatre actions est sans fin ; la seconde prouffite a l'entendement ; la troysiesme et quattriesme prouffitent a la volonté, l'une l'enflammant, l'autre la resjouissant. Ces deux dernieres sont supermistiques du Cantique ; mais entre l'une et l'autre on peut justement colloquer la demande, et respondront toutes troys aux vertus theologales.

            La meditation se fonde sur ia foy, considerant ce que nous croyons pour l'aymer ; la demande sur l'esperance, demandant ce que nous esperons pour l'obtenir ; la contemplation [11] sur la charité, contemplant ce que nous aymons pour nous y plaire.

            Neanmoins, le sujet de ce Livre ne comprend pas la demande ni les deux seules considerations affectives, ni mesme la devotion, laquelle n'est ni meditation ni contemplation, mais en est l'effect, n'estant autre chose qu'une vertu generale, contraire a la paresse spirituelle, qui nous rend prompts au service de Dieu. En sorte que la ou est la foy, nous sommes faitz plus prompts a croire par la devotion ; la ou est l'esperance, nous sommes rendus plus prompts a desirer ce que Dieu promet, et par la charité, a aymer ce que Dieu commande ; par la temperance, a nous abstenir ; par la force, a endurer, et ainsy des autres. La devotion, aux promptitudes particulieres que les habitudes donnent, en adjouste une generale et commune engendree par la meditation et contemplation, ainsy que le pelerin est plus dispos par la refection.

            Salomon a pour fin en ce Livre la devotion, mais pour sujet l'orayson mentale prise pour la meditation et contemplation, non pour la pensee, ni pour l'estude, ni pour la demande, ni pour la devotion, ni mesme pour la consolation et le goust que l'on a en l'orayson, lequel ne s'y trouvant pas tous-jours est distingué d'ieelle ; ains arrive souvent que ce goust n'estant pas en l'orayson des bons, se trouve en celle des grans pecheurs. Mays le pelerin estant sain, apres estre repeu, soit avec goust ou sans goust, retourne tous-jours plus promptement a son voyage.

            Que si l'orayson mentale est distinguee du goust spirituel comme la cause de l'effect, elle l'est encor plus de l'allegresse spirituelle qui est engendree de la multitude des goustz. Le courtisan qui a receu de son prince diverses faveurs, acquiert une habitude avec laquelle il le sert non seulement promptement, mais gayement : ainsy, nous devons tous-jours servir Dieu promptement ; nous le servons seulement gayement quand nous recevons plusieurs goustz spirituelz qui reviennent de l'orayson mentale. Le pelerin sera plus disposé au voyage s'il a mangé ; mais s'il a mangé avec goust et appetit, il sera non seulement disposé, ains joyeux et allegre tout ensemble. [12]

            Disons aussi que la possibilité, la facilité, la promptitude et la gayeté sont choses differentes en une action. Resusciter un enfant mort n'est pas en la possibilité de la mere ; le guerir estant extremement malade, est chose possible, mais non pas facile ; mettre le feu a sa playe par ordonnance du medecin est possible et facile, mais non pas avec promptitude, ains avec resistance et frayeur ; rafraischir son appareil se fait facilement, possiblement, promptement, mais non allegrement ; mays apres qu'il est gueri, le recevoir et accueillir entre ses bras, se fait possiblement, facilement, promptement et gayement. Ainsy, le pecheur n'a pas de soy la possibilité a servir Dieu meritoirement : estant en grace, il a la possibilité, avec resistance et sans facilité ; apres avoir continué, il le sert facilement ; apres qu'il est devot, il le sert promptement ; s'il est contemplatif, il le sert allegrement : la grace donnant la possibilité, la charité donnant la facilité, l'orayson mentale la promptitude et devotion, la multitude des goustz la gayeté.

            Au dessus de toutes ces actions sont l'extase et le ravissement ; car lhors qu'en l'orayson, meditant et contemplant, l'homme s'attache tellement a l'object qu'il sort de soy mesme, perd l'usage des sens et demeure absorbé et attiré, cette alienation d'entendement de la part de l'object qui ravit l'ame, s'appelle ravissement, et de la part de la puissance qui demeure absorbee et engloutie s'appelle extase, dernier effect de l'orayson mentale icy bas.

            Bref, l'orayson mentale est le sujet des Cantiques. Mais on a besoin de la connoissance des choses susdites pour la declaration des termes, mesme lhors qu'ilz ne semblent estre que litteraux, bien que ce soit fort rarement et qu'il soit bien difficile de les y connoistre ; ou, au contraire, les mistiques y sont en abondance et tres divers. Comme, par exemple, devotion, goust, allegresse, ravissement, extase et choses semblables, ne s'y treuvent jamais ; mays a chaque pas, sommeil, songe, enyvrement, langueur, defaillance et choses pareilles. Mesme la nature ni les proprietés de Dieu ou de l'ame n'y sont point nommees ; mays, au lieu de tout cela, yeux, cheveux, dens, levres, colz, vestemens, jardins, unguens, et mille choses pareilles qui ont mis confusion [13] es expositions par la liberté que les expositeurs ont eu de les faire joindre un chacun a son sens, et, qui pis est, par la licence insupportable qu'un mesme expositeur a pris, d'entendre en une mesme page une mesme parole en diverses manieres et pour diverses choses.

            Mais nous n'avons rien entrepris sans imitation des meilleurs autheurs et sans apparente convenance entre le terme signifiant et le signifié ; et ayant donné une fois une signification a un terme, nous ne l'avons despuis jamais changé. Les baysers signifieront tous-jours les consolations spirituelles ; les embrassemens, les unions avec Dieu ; les douceurs des viandes, les goustz spirituelz ; les langueurs et defaillances, les gayetés et allegresses ; les sommeilz et enyvremens, les ravissemens et extases. En l'Espouse, quand il se traitte de vertu exterieure, le col signifiera la force pour executer ; quand on traitte de vertu interieure, il signifiera la partie irascible, et jamais ne changera de signification. En l'Espoux, le chef signifiera la charité. Le theatre de Hierusalem sera tous-jours l'Eglise militante ; l'Espoux sera tous-jours Dieu increé ou incarné ; l'Espouse, l'ame ; le chœur des dames, les conversations mondaines.

            En fin, l'orayson mentale est le sujet mistique du Cantique. Mais quelles choses en veut dire Salomon, ou plustost le Saint Esprit ? Il nous veut monstrer par combien de degrés une ame, estant en l'orayson mentale, peut monter a la plus haute consideration de Dieu, et avec quelz remedes elle se peut ayder contre beaucoup d'empeschemens. Dont on peut faire cette division :

            Il y a cinq principaux empeschemens en l'orayson, cinq principaux remedes et cinq degrés d'icelle. Mais la sixiesme scene represente une ame laquelle, ayant surmonté tous ces empeschemens, n'a plus besoin de remedes ; et a chacune des cinq autres scenes, donnant ou mettant un empeschement, un remede et un degré.

            En la premiere, la souvenance des playsirs passés sensitifs est l'empeschement ; le remede est le desir des choses spirituelles et les demander a Dieu ; le premier degré est de considerer Dieu es choses corporelles.

            En la seconde, l'empeschement est la distraction de [14] l'imaginative par les fantosmes et visions sensibles ; le remede est l'attention aux inspirations ; le degré, la consideration de Dieu es choses spirituelles.

            En la troysiesme, l'empeschement est les louanges humaines ; le remede est de gouster les divines ; le degré est la consideration que l'ame fait de Dieu en elle mesme.

            En la quatriesme, l'empeschement est la fatigue du cors et partie sensitive ; le remede sont les colloques et devis spirituels ; le degré est mediter Dieu, non en luy mesme, mais en son Humanité.

            En la cinquiesme, l'empeschement est des respectz humains ; le remede est la solitude ; le degré, la consideration de Dieu en luy mesme, mais comme Dieu. [15]

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Le Cantique des Cantiques, eglogue de Salomon

 

I. Premier empeschement la souvenance des playsirs sensibles

 

            Qui delibere de ne plus offencer Dieu, rencontre plusieurs occasions suggerees par le diable pour pecher ; qui se resoult ne plus vouloir de consolation qu'en Dieu, rencontre le monde qui luy presente nouveaux playsirs temporelz. Ce luy est un grand empeschement pour apprehender les consolations divines de ne se pouvoir separer ni desfaire des anciennes compaignies, conversations et recreations.

            Donques l'Espouse, c'est a dire l'arae des-ja en grace, voulant entendre a la vie spirituelle par les baysers de son divin Espoux, qui sont les consolations spirituelles, a une grande peyne a se desprendre du chœur des dames (conversations anciennes) qui luy offrent des vins et parfums, qui sont les playsirs temporelz. Dont l'ame languissante pour l'absence de son Espoux, desirant s'unir a luy par l'orayson, le chœur des dames la veut conforter avec vins et parfums, luy remettant en memoyre les playsirs passés ; nonobstant lesquelz elle demande : Qu'il me bayse d'un bayser de sa bouche.

 

Remede : Desirs et demande des biens spirituels

 

            Premierement elle considere que les biens et playsirs mondains, aupres des divins ne sont que vanité ; secondement, que Dieu est doux et souhaittable en luy mesme ; troysiesmement, que plusieurs ames saintes ont frayé le chemin, n'ayant trouvé aucun playsir qu'en Dieu ; quatriesmement, elle demande a Dieu qu'il luy oste toutes affections terrestres.

            Et quant au premier, elle dit : Tes amours sont meilleurs que le vin et plus odorans que les parfums ; quant [16] au second : Ton nom est le mesme parfum respandu ; pour le troysiesme : Les jeunes filles t'ont aymé ; et pour le quatriesme : Tire moy apres toy, nous te suivrons et courrons a l'odeur de tes parfums. Et tout incontinent, portee par une grande confiance d'obtenir ce qu'elle demande, comme si des-ja c'estoit fait elle adjouste : Mon Roy m'a menee en ses cabinetz ; nous sauterons de joye et nous res-jouirons en luy et avec luy de la souvenance de tes amours qui sont meilleurs que le vin ; les bons t'ayment et te prisent.

            Les scrupules neanmoins surviennent, par la memoire des pechés passés ; dont elle dit : Je suis noire ; mais l'integrité de sa conscience presente fait qu'elle adjouste : mais je suis belle, o filles de Hierusalem, comme les tabernacles de Cedar et comme les peaux de Salomon. Le foyer du peché en la concupiscence y apporte du deschet, mays sans quil luy puisse estre reproché ni imputé a peché : Ne prenes donq pas garde a ce que je suis brune, car mon Soleil m'a voulu ainsy laisser en ceste guerre : le soleil m'a donné le teint que j'ay, et ne m'est pas advenu par ma faute, mais par celle des premiers enfans de la nature humaine, ma mere. Les filz de ma mere ont combattu contre moy, ce fut par leur peché que je fus mise en necessité de prendre tant de soins et garde a moy mesme comme si j'estois a garder une vigne : ilz m'ont mise a garder les vignes contre les assautz de la concupiscence, et tout cela, helas ! non par ma faute propre et actuelle, mays par celle d'autruy, dont je puis dire : La vigne que j'ay gardee n'estoit pas a moy.

            Et partant, que la confiance revienne en moy, et que je commence a chercher mon Espoux ou il est plus aysement trouvé, par l'orayson. O vous que mon ame ayme, enseignes moy ou vous paisses et ou vous couches a l'ombre du midy, affin que je ne coure ça et la esgarément aux troupeaux de vos compaignons, c'est a dire, apres les creatures. Enseignes moy ou je pourray vous trouver en l'orayson, avec vos lumieres et consolations, sans m'arrester a la creature. [17]

 

Premier degré : Consideration de Dieu es choses corporelles

 

            Vois tu bien ce soleil, o mon espouse, ces estoilles, ces deux, ceste terre, ces rochers ? ce sont autant de voyes et chemins pour me trouver. Elles ne se sont pas faittes elles mesmes ; elles ne sont pas sans quelque principe qui les a faittes et qui est leur fin derniere, qui les conserve, qui les garde. Mais qui est ce principe et ceste fin ? C'est Dieu ; les meres de toutes choses sont les idees qui en sont en moy, en ma puyssance et bonté. Mays les aigneaux, aussi tost que l'huys de la bergerie est ouvert, courent droit a leurs meres ; ainsy l'homme, voyant les creatures, monte petit a petit a Dieu : c'est un moyen de me trouver.

            Si tu n'as pas encores une entiere connoissance, o la plus belle des femmes, parce que tu es encores commençante, sors de la souvenance des playsirs passés, et va suyvant les pas de tes troupeaux ; cherche mes sentiers en toutes les creatures, laisse-toy guider et mener la par ou elles mesmes retournent, et tu trouveras qu'elles iront reposer aux pasturages de leur premier berger : Fais paistre tes chevreaux pres les loges des pasteurs.

            Tu seras conduitte a troys paissans et un Pasteur, a troys creans et un Createur. Toutes les creatures sensibles te meneront la, et les plus nobles encores mieux. Sur tout, la nature humaine, en tes premieres meditations, t'y sera prouffitable ; tu verras les biens surnaturelz qui sont en elle : comme, qu'elle est l'habitation de Dieu, son throsne et quasi son chariot ; dont il luy peut dire : O ma bienaymee, je t'ay fait semblable a ma genisse attelee aux chariotz de Pharaon. Tu y verras les biens naturelz, car elle est aussi belle en elle mesme comme si elle avoit tous les omemens du monde : Tes joües sont belles comme si elles estoyent parees de quelques beaux ornemens ; ton col est beau comme s'il estoit paré de quelque beau carquan. Tu verras ces biens accidentelz, comme quoy tout le monde a esté fait pour ton usage, ornement et service : Nous te ferons des bagues d'or qui seront esmaillees d'argent ; qui sont des bienfaitz si grans, que l'ame les meditant s'enflamme d'amour et est contrainte de s'escrier : [18] Puisque je ne puis autre chose, au moins t'aymeray je, o mon Espoux, et seray moy mesme ta salle royale, laquelle je parfumeray de nard ; c'est a dire, je m'empliray d'amour : Tandis que mon Roy sera en sa salle, mon parfum, qui est composé de nard, embaumera tout ce lieu de la suavité de son odeur ; et de plus, je m'uniray tellement avec luy, que je le porteray comme un bouquet dedans mon sein : Mon Bienaymé est le bouquet de mirrhe que je porteray tous-jours entre mes deux mammelles. Il sera tous-jours mon tres cher bausme et mon plus grand thresor : Mon Bienaymé m'est une grappe de bausme cueillie aux vignes d'Engaddi.

            Ces affections font que l'Espoux ayme l'ame et la loue, disant : O que tu es belle, ma bienaymee ! Voyci que tu es belle ; tes yeux sont comme ceux de la colombe. L'ame de son costé, reconnoissant que toute sa lumiere depend de son Soleil, qui est Dieu, confesse que luy seul est beau par essence : O mon Bienaymé, tu es beau et de bonne grace, et tu embellis tellement nostre essence, quand il te plaist, que mesme nostre lict, qui est nostre cors, en est beau : voyla nostre lict fleurissant. Et mesme ce monde, nostre habitation : Les chevrons de nos maysons sont de cedres et nos solives sont de cypres ; donq, quelle merveille si je suis la fleur du champ et le lys des vallees ? Ce qu'advouant l'Espoux, il monstre que plusieurs ames sont bien de contraire condition par la malice de leurs volontés, car elles sont comme des espines : Comme un lys entre les espines, ainsy est ma bienaymee entre les filles.

            Cheres loüanges que l'ame n'accepte ni ne refuse, mays, esprise de son Espoux, retourne a le considerer es mesmes choses sensibles, non plus en meditant pour l'aymer, mais en contemplant pour se res-jouir, le confessant tres haut entre toutes les choses creées : Comme est un pommier entre les arbres des forestz, ainsy est mon Bienaymé entre les enfans des hommes. Dont, ayant trouvé un bien si eminent au dessus de tout autre, elle s'y repose sans en plus rechercher : Je me suis reposee a l'ombre de celuy que je desirois ; et en ce repos spirituel se fait le goust de la [19] devotion : et son fruict est doux a mon goust, et si doux qu'il engendre des saintes manies et fureurs en mon ame, comme si elle estoit enyvree d'amour ; dont elle s'escrie : Il m'a menee au cellier de son vin, il a desployé sur moy l'estendart de son charitable amour. Mais particulierement avec leur frequente communication, ilz engendrent l'habitude de l'allegresse spirituelle, en laquelle, languissant doucement, elle se sent defaillir et esvanouyr, et pour ce dit elle : Hé, reconfortes moy avec des fleurs, mettes des pommes autour de moy, car c'est d'amour que je languis.

            Quoy plus ? Le ravissement, mistiquement signifié par le sommeil. L'ame, le sentant survenir et ne voulant dormir ailleurs qu'entre les bras de son Espoux, dit : Que sa main gauche soit sous mon chef et que de sa main droitte il m'embrasse estroittement. Lhors Dieu a soin que les choses basses ne nous empeschent cette divine consolation ; dont il dit au chœur des dames : Je vous adjure, o filles de Hierusalem, par les chevres et par les cerfz des chams, que vous n'esveillies ni facies esveiller ma bienaymee jusques a ce qu'elle le veuille. Lhors l'ame commence a esprouver et connoistre qu'il n'y a douceur qui esgale celle qui se trouve en l'orayson mentale.

 

 

II. Second empeschement : la distraction imaginative

 

            Plus un chemin nous est conneu, plus nous le hantons ; plus nous y connoissons de gens, et plus volontier aussi nous y cheminons et plus facilement. Mais aussi, par telz chemins nous arrivons plus tard au giste, parce qu'ayant beaucoup de connoissances, icy nous parlons a l'un, la a l'autre ; icy nous entrons en la boutique de l'un, la nous nous arrestons avec un amy. Pour la consideration de Dieu, nul chemin ne nous est plus battu, conneu et familier que celuy des choses corporelles entre lesquelles nous vivons ; nul n'a en soy plus de facilité, mays aussi, nul n'a plus de distractions. Quand je medite Dieu en l'Ange, qui [20] est une chose invisible et qui ne m'est nullement familiere, il n'engendre en moy que peu de fantosmes et distractions ; mais si je considere Dieu en l'homme, mon imagination descend de l'universel au particulier, et, sous le nom d'homme, me represente Pierre, Paul, ou chacun d'eux, lhors que nous faisons telle ou telle chose. Si bien que tandis qu'en ce chemin qui nous est si familier nous nous arrestons a toutes les boutiques de nostre connoissance, ou nous arrivons tard a nostre but, ou jamais.

            De mesme que la multitude des songes ne laisse dormir paysiblement, mays fait presque veiller en dormant, ainsy l'orayson arrivee au sommeil de l'extase, qui est comme son giste, elle peut estre appellee elle mesme sommeil ; mays quand elle est interrompue de distractions phantastiques, c'est un sommeil plein de songes. Et lhors, nostre Espoux nous parle et vient a nous, mais non pas pour y demeurer et reposer, ains il vient par sautz et eslancemens : C'est la voix de mon Bienaymé, le voyla qui vient aux montaignes, saillant et traversant les collines. Il semble que tantost il vienne et que tantost il fuye : Mon Bienaymé est semblable a un chevreuil et a un faon de cerf ; maintenant il se monstre, maintenant il se cache : Le voyla qui se tient debout derriere nos murs ; et bien qu'il semble qu'il se face voir, regardant par les fenestres, neanmoins la vision n'estant ni bien claire ni bien arrestee, l'on peut dire que les fenestres ont des barreaux et qu'il regarde par les treillis.

 

Remede : Attention a l'inspiration

 

            Or, il ne faut pas s'ennuyer demesurement en ces distractions, car elles sont conjointes a nostre nature, et nous n'en pouvons estre repris si elles ne viennent de nostre faute. Neanmoins, il faut user de remede, qui est de se recueillir souvent et prester l'oreille pour escouter les inspirations : Voyla mon Bienaymé qui m'appelle et me dit : Leve toi, ma bienaymee, ma colombe, ma belle, et t'en viens ; la faysant, outre cela, resouvenir de l'innocence en laquelle elle peut pieusement croire estre arrivee, ne se sentant chargee d'aucun peché mortel. O combien estoit [21] triste l'hyver du peché : car des-ja l'hyver est passé, la pluye s'en est allee. Il se res-jouit de ce que les fleurs de devotion commencent a sortir et pousser : Des-ja les fleurs paroissent en nostre terre ; de ce qu'elle a commencé a retrancher les superfluités vicieuses : le tems d'esmonder et nettoyer les arbres est venu ; de ce qu'ainsy qu'une tourterelle, elle a fait ouÿr sa plainte et son gemissement avec l'orayson : On a ouÿ la voix de la tourterelle en ceste contree ; mays de plus, il se res-jouit de ce que des-ja elle a produit des fleurs de bonnes œuvres et des odeurs de bon exemple : Des-ja le figuier jette son fruict, les vignes sont fleuries et jettent leur bonne odeur. Il l'admoneste, outre ce, de passer plus avant, et, de commençante, qu'elle se face prouffitante, luy redisant : Leve toy, ma bienaymee, ma belle, et t'en viens.

            Et parce qu'es commencemens il semble a l'ame qu'elle soit entre plusieurs difficultés, comme entre des pierres ou des espines (Ma colombe, qui est dans les trous de la pierre et an creux de la muraille), pour cette cause il asseure qu'elle ne laisse pourtant de luy estre bien aggreable : Hé, monstre moy ta face, que le son de ta voix vienne a mes oreilles, car ta voix est douce et ta face tres belle.

            Ce discours est si doux qu'il devroit chasser toutes autres pensees ; toutesfois, si ces pensees reviennent, elle dira comme en songeant : Prenes ces petitz renardeaux qui fouillent et gastent les vignes, car nostre vigne est en fleur ; et se reunissant avec son objet, elle dira : Mon Bienaymé est a moy et moy a luy ; et le priera qu'il revienne a elle tant que le jour dure et jusques a ce que les ombres s'abbaissent : Reviens, mon Bienaymé, et sois semblable a un chevreuil ou a un faon de cerf sur les montaignes de Bether. Et ainsy, elle surmontera ce second empeschement.

 

Second degré

L'ame considere Dieu es choses spirituelles, hors de soy mesme

 

            Cette voye des considerations est moins conneuë, mais aussi moins sujette aux distractions. Au precedent degré il semble qu'on ne trouve pas Dieu, encor qu'on l'ayt trouvé ; [22] mais en celuy ci on reconnoist incontinent qu'on l'a trouvé : La nuict, en mon lict (c'est a dire es cors humains, qui sont les lictz des ames), j'ay cherché Celuy que mon ame ayme, et je ne l'ay point trouvé. Je me leveray, et tourneray la cité de ce monde ; et courant tantost par les cors terrestres, tantost par les celestes, je l'ay cherché, et ne l'y ay point trouvé ; au moins les distractions ont esté si grandes qu'a peyne me semble-il de l'avoir rencontré : Je chercheray par les rues et par les places Celuy que mon ame ayme ; je l'ay cherché, et ne l'ay pas trouvé.

            Mon bonheur a voulu que je me suis souvenu des Anges qui sont comme les sentinelles du monde : Les sentinelles qui gardent la cité m'ont trouvee, et me suis resolue de voir si en eux je trouverois la consideration de Dieu plus fermee : N'aves vous point veu le Bienaymé de mon ame ? Au dessus de la nature angelique j'ay trouvé immediatement la divine : Un peu apres les avoir passees j'ay trouvé Celuy que mon ame ayme, et ce, sans distractions sensibles, si bien qu'il semble que je ne le dois jamais perdre : Je le tiens et je ne le lairray point, jusques a ce que j'entre en la gloire celeste, vraye mayson de la nature humaine ; ma mere est en sa chambre, c'est a dire au siege des Anges qui m'est preparé. Lhors, a cette vision enigmatique succedera une vision claire : Quand je l'introduiray, mais plustost, quand il m'introduira en la mayson de ma mere, et en la chambre de celle qui m'a engendree.

            Sainte consideration de Dieu es choses spirituelles, laquelle, comme de sa nature elle n'engendre point de fantosmes, aussi n'engendre-elle point de songes. La consideration du premier degré est plus interrompue, celle cy plus stable et plus haute, dont elle produit tous ses effectz avec plus d'excellence, a sçavoir, l'amour plus vif et l'allegresse plus spirituelle. A quoy Dieu adjoustant sa grace, defend avec un soin plus particulier qu'on ne l'esveille, disant : Je vous adjure, o filles de Hierusalem, par les chevres et les cerfz des chams, que vous n'esveillies ni ne facies esveiller ma bienaymee jusques a ce qu'elle le veuille. [23]

 

 

III. Troisiesme empeschement : les louanges humaines

 

            L'ame s'acheminant de degré en degré en la sainte orayson, se rend si resplendissante qu'il est impossible qu'elle ne soit admiree, et que le monde mesme la voyant, au milieu du desert empetré de tant de pechés, cheminer droit, ainsy qu'une colomne de parfum odoriferant qui s'esleve vers le ciel, ne s'escrie : Qui est ceste ci qui marche par le desert ainsy qu'un rayon de parfum, de compositions aromatiques de mirrhe et d'encens et de toutes sortes de poudres a embellir ? Or, cest applaudissement est un venin caché et doucereux qui fait bien souvent que les plus saintz et devotz perdent leur justice et leur devotion.

 

Remede : Estre attentif aux loüanges de Dieu

 

            Quicomque entend ses propres louanges, qu'il se tourne vers celles de Dieu ; qu'il persuade a celuy qui le loüe de ne vouloir loüer une chose de si petit merite, mays qu'il esleve les louanges de Dieu de nostre bassesse et petitesse. Que s'il ne peut si tost arrester ses yeux sur la Divinité, qu'au moins il loüe Jesus Christ homme, nostre vray Salomon, et ce principalement en troys choses : la chair, la Croix, la gloire, disant : Voyes combien est digne sa chair, lict de sa Divinité et de son ame, entouree de plus de soixante vaillans soldatz qui la defendent contre quicomque, de nuit, pourroit luy faire peur ; ceste chair, qui n'est inclinee au peché comme la nostre, mais, par l'union hypostatique et par l'empire qu'elle tient sur les Anges, est du tout asseuree et impeccable : Voicy que soixante hommes des plus fortz d'Israël entourent le lict de Salomon, tous tenans des glaives et bien duitz a la guerre, chacun desquelz tient son espee droitte sur sa cuisse pour les craintes de la nuit.

            Quant a la Croix, o qu'elle est sainte ! elle est de bois, mais de bois du Liban, c'est a dire incorruptible : Le Roy Salomon s'est fait une litiere du bois du Liban. La justice [24] et la misericorde sont les deux colomnes qui soustiennent ceste Croix : Il a fait les colomnes d'argent, l'appuy ou reposoir en est d'or, d'autant que tout s'est fait pour conduire les ames a la gloire, l'appuy d'or ; la montee en est de pourpre, car il ne nous conduit a la gloire que par son sang. Et tout cela, pour les ames de l'Eglise ; dont il est dit : orné de charité au milieu pour les filles de Hierusalem. De la s'ensuit, pour ce Seigneur, la couronne de la gloire de sa Resurrection et Ascension, laquelle doit ravir tout le monde a sa louange : Sortes, filles de Sion, et voyes le Roy Salomon avec le diademe duquel sa mere l'a couronné le jour de ses espousailles et le jour de la joye de son cœur.

 

Troysiesme degré

L'ame considere Dieu en elle mesme

 

            Donq, l'ame rejettant ses louanges en celles de Dieu, prend soin de se parer en toutes ses parties pour plaire a Celuy que seul elle estime digne de toutes louanges. Or ses parties mistiques sont : les yeux, c'est a dire les intentions qui la meuvent ; les cheveux, c'est a dire les affections, amour, hayne, desir et autres, qui, comme les cheveux, ne sont ni bonnes ni mauvaises, sinon entant qu'elles sont employees au bien ou au mal ; les dens, c'est a dire les sens qui maschent toutes les viandes qui doivent entrer en l'estomach de l'entendement ; les levres et le parler, c'est a dire les pensees qui, en façon de paroles interieures, produisent des discours insensibles ; les joües sont les deux puissances raysonnables, qui sont l'entendement et la volonté ; le col, la force irascible qui rechasse et repousse les empeschemens ; les mammelles sont les deux actions de la concupiscible : suivre le bien, fuyr le mal. Tout cela doit estre orné et embelli, affin que Dieu ayme l'ame et qu'il puisse dire : Que tu es belle, ma bienaymee, que tu es belle !

            Les intentions doivent estre simples, pures et interieures, sans qu'on puisse dire que l'une soit au dehors et l'autre au dedans, et qu'elles soyent louches et diverses : Tes [25] yeux sont de colombe, sans ce qui est caché au dedans.

            Les affections ne doivent estre esparses, mais serrees et unies comme un troupeau sous la houlette du souverain Pasteur : Tes cheveux sont comme des troupeaux de chevres qui viennent du mont Galaad.

            Les sens doivent estre gardés comme en prison, ainsy que les dens sous les levres, ou comme brebis nouvellement lavees ; et leurs jumeaux, c'est a dire l'apprehensive et l'appetitive, se doivent tenir rangees et reglees : Tes dens sont comme troupeaux de brebis fraischement tondues qui retournent du lavoir, chacune avec deux jumeaux, et pas une d'elles n'est sterile.

            Les pensees doivent estre si bien accommodees que toutes les conceptions soyent teintes au sang du Sauveur, et les paroles et discours pleins de douceur et prouffit pour le prochain : Tes levres sont comme une bande de couleur pourprine et ton parler est bien doux.

            L'entendement et volonté monstreront d'entendre le bien et le vouloir faire ; et, comme en une grenade ouverte, tout y sera descouvert, rien n'y paroistra laid et desaggreable ; et ces deux puissances seront tous-jours humbles et assujetties : Tes joües sont comme une grenade entamee, sans ce qui est caché au dedans.

            L'irascible sera si vaillante contre les tentations qu'on pourra dire : Ton col est comme la tour de David, bastie avec des boulevars ; mille boucliers sont pendus en icelle et toutes sortes d'armes pour les hommes fortz. Et quant a la concupiscible, elle aura son desir du bien et sa fuite du mal si simples qu'on pourra dire : Tes deux mammelles sont comme deux faons de chevres que l'on fait paistre entre les lys.

            En fin l'Espoux qui, des son Ascension, est allé a la montaigne de la mirrhe et a la colline de l'encens, au Ciel, a la dextre du Pere, comme il l'avoit predit (Devant que le jour decline et que les ombres s'abbaissent, j'iray a la montaigne de la mirrhe et a la colline de l'encens), il loüera l'ame, disant : Tu es toute belle, o ma bienaymee, et il n'y a pas une petite tache en toy ; et l'invitera de passer de la Hierusalem militante a la triomphante, disant : [26] Viens du Liban, mon espouse, viens du Liban, viens, et promettra les couronnes et sieges dont furent chassés les demons : Tu seras couronnee du haut du mont Amana, du coupeau de Sanir et d'Hermon, des sieges des lions, des montaignes des leopars.

            Tous ces ornemens sont aggreables a Dieu, mays sur tout la netteté et pureté d'intention, qui doit estre si grande que toutes nos fins se reduisent a une fin, toutes nos intentions a une intention, tous nos desirs a un desir, d'aymer et servir Dieu, en sorte qu'il n'y ayt plus qu'un œil : Vous aves navré mon cœur, ma seur, mon espouse, vous aves navré mon cœur avec un de vos yeux ; et qu'il n'y ayt plus qu'un cheveu, dont il s'ensuit : et de l'un des cheveux de vostre col.

            L'intention estant bien dressee avec le desir, les mammelles de la concupiscence seront bien ordonnees : Que tes mammelles sont belles, ma seur, mon espouse ! tes mammelles sont plus belles que le vin. Les exemples en seront de bonne odeur : L'odeur de tes parfums est par dessus toute composition aromatique ; les pensees et paroles seront tres devotes et douces : Tes levres sont un rayon de miel qui distille, ce qui est dessous ta langue est lait et miel ; les actions seront tres exemplaires : L'odeur de tes vestemens est comme l'odeur de l'encens.

            Disons ainsy : les actions appartenantes a une ame sont interieures ou exterieures ; les exterieures se font par le commandement des interieures. Et quant aux interieures, il faut qu'elles soyent serrees en Dieu sans que le monde les voye ; c'est pourquoy il dit : Un jardin clos est ma seur, mon espouse, elle est un jardin clos et fermé ; elle est une fontayne scellee. Et quant aux exterieures, il faut qu'elles soyent comme un beau paradis : Ce que tu envoyes et metz dehors est comme un paradis auquel on void toutes vertus : de grenade, des fruictz des pommiers, de bausme avec du nard et saffran, sucre et cannelle et toutes sortes de fruictz des arbres du Liban, mirrile et aloës, avec toutes sortes des plus excellens parfums. En somme, l'ame est une fontayne de bonnes œuvres qui saillent jusques au ciel avec impetuosité, pareille [27] a celle des eaux qui viennent du Liban : La fontayne des jardins, le puitz des eaux vives, qui fluent impetueusement du Liban.

            Mays en tout cecy, deux choses sont requises. De la part de Dieu, qu'il chasse la bize des tentations et qu'il envoye le vent du midy de sa grace prevenante, disant : Fuys, Aquilon, et viens, o Midy, souffle en mon jardin, et les odeurs d'iceluy s'espandront ; de la part de l'ame, qu'elle accepte ceste grace et coopere, disant : Que mon Bienaymé vienne en son jardin, et qu'il mange du fruict de ses pommiers.

            Ainsy, apres la mirrhe de penitence, Dieu tirera l'ame, par le moyen des saintz exercices, aux odeurs aromatiques de l'orayson, avec du miel, du lait et du vin de meditation, d'amour et de contemplation, mays contemplation telle, qu'elle produira des goustz, allegresses et extases qui non seulement estancheront la soif, mais enyvreront. Et Nostre Seigneur pourra dire : Voyci que je t'attens ; viens en mon jardin, ma seur, mon espouse ; j'ay cueilli et moissonné ma mirrhe avec mes fleurs et odeurs tres souëfves ; j'ay mangé un rayon de miel avec du miel mesme et ay beu mon vin avec mon lait mangés, mes amis, beuvés, enyvres vous, mes tres chers.

 

 

IV. Quatriesme empeschement : le travail du cors

 

            L'ame qui arrive jusques a ces degrés passés se trouve bien souvent avec le cors las et travaillee ; dont il advient que, si Dieu l'invite a nouvelles considerations et plus hautz degrés, elle est en perplexité. Elle voudroit bien advancer, mais la peyne l'espouvante ; et si l'Espoux l'appelle derechef, elle se leve pour aller a l'orayson, neanmoins avec resistance de la partie sensitive qui la prive du goust et fait qu'a peyne peut elle penser que Dieu soit avec elle, et, comme il advient a ceux qui sont extremement las, elle dort en veillant : Je dors, mays mon cœur veille. [28] Puys, se tournant vers son Espoux qui heurte a son cœur : C'est la voix de mon Bienaymé qui heurte, et l'excite affin de luy ouvrir et commencer de nouveau son orayson : Ouvre moy, ma seur, ma bienaymee, ma colombe, ma toute belle, et, avec un quatriesme degré d'orayson, medite un peu ma Passion : Tu trouveras que j'ay le Chef plein de la celeste rosee de mon sang, et les cheveux sanglans des nocturnes pointures des espines : Car mon chef est plein de rosee et mes cheveux entortillés sont tout trempés des gouttes des nuictz.

            L'ame voudroit bien obeyr, mays la lassitude luy fait desirer un peu de repos ; ce qui luy fait dire : J'ay despouillé ma robbe, comme la revestiray je ? J'ay lavé mes pieds, comment les saliray je ? Tres doux Jesus, nonobstant ceste resistance vous ne laisses pourtant de faire instance pour entrer ; et, comme avec la main d'une plus forte inspiration, il semble qu'il veuille luy mesme, sans cooperation, oster le verrou de la sensualité qui luy fait empeschement, et entrer par le pertuis du cœur : Mon Bienaymé a mis la main par le pertuis. A ceste grande vocation, l'ame s'esmeut (Mon ventre a tremblé de son seul attouchement) et resoult qu'elle doit ouvrir a son Espoux et commencer nouvelle meditation : Je me suis levee pour ouvrir a mon Bienaymé. Mais d'autre part, elle sent si grande douleur de n'avoir ouvert au premier coup, qu'elle renverse le vase de la mirrhe, c'est a dire qu'elle s'emplit toute de penitence, en arrousant jusques au verrou, c'est a dire faysant passer sa douleur jusques a la sensualité : Mes mains ont distillé la mirrhe et mes doigtz sont pleins de vraye mirrhe et de la meilleure.

            Par le moyen de ceste douleur il se fait que, bien que l'ame, au defaut de la partie corporelle et sensitive, ouvre a son Seigneur (J'ay ouvert le verrou de mon huys a mon Bienaymé), neanmoins, a cause de ceste repugnance, elle trouve si peu de goust en l'orayson qu'il luy est advis que Dieu n'est point avec elle : mays il s'estoit destourné et avoit des-ja passé. Dont, se resouvenant avoir esté tant appellee et tant paresseuse, elle se contriste et consomme [29] de douleur : Mon ame s'est toute fondue des que mon Bienaymé a parlé. Elle essaye a trouver goust au premier degré de consideration par le moyen des choses sensibles ; mais le travail ne permet pas qu'elle y en puisse trouver : Je l'ay cherché et ne l'ay point trouvé ; je l'ay appelle, et ne m'a point respondu. Elle passe au second degré, des choses spirituelles et angeliques : Les gardes qui entourent la cité m'ont trouvee ; mais quand elle compare leur promptitude avec sa paresse, elle demeure transpercee de douleur : Ilz m'ont battue et navree. Et, qui est le pis, si elle entre au troysiesme degré, a considerer soy mesme en son ordre vers Dieu, elle opere la mesme resistance ; dont elle se desplaist a soy mesme, et luy est advis que sa face est trop laide en comparaison de celle des Anges, et que, par maniere de dire, ilz luy ostent tout son lustre : Les gardes des murs m'ont osté mon manteau. De façon que, par tout ou elle se trouve, elle rencontre de grandes difficultés, esmeuës par ce quatriesme empeschement des travaux corporelz.

 

Remede : Colloques et devis spirituelz :

 

            L'orayson vocale, ou plustost les devis spirituelz servent de remedes a l'ennuy du travail ; ainsy void on celuy qui par maladie a perdu le goust et appetit, changeant de viande le recouvre, et qu'es Congregations contemplatives on entrejette des colloques spirituelz aux oraysons. L'ame donques, degoustee par le travail de l'orayson, doit s'addresser a des personnes spirituelles et les prier de l'ayder a trouver son Espoux : Je vous adjure, o filles de Hierusalem, que si vous trouves mon Bienaymé, vous luy disies que je languis d'amour pour luy ; et elles, sçachant la necessité, la mettront sur le discours des qualités de l'Espoux : Quel est vostre Bienaymé, o belle entre les femmes, que, pour luy, vous nous aves si fort adjurees ?

            Lhors elle propose Jesus Christ si bien au naturel qu'il n'est pas possible de le mieux representer. Il est Dieu, candeur de la mesme lumiere, mays fait homme pour nous pouvoir racheter au pourpre de son sang : Mon Bienaymé [30] est blanc et rouge ; et, entant qu'homme, il est si singulier qu'on le peut connoistre entre mille : choysi de mille. Parce que la charité, chef des vertus, se peut dire estre d'or en luy, c'est a dire tres pretieuse : son chef est un or tres pur et tres bon ; et les graces et benefices qui, comme cheveux innombrables, en procedent, sont les premiers fruictz des palmes et noires comme corbeaux ; ce sont les effectz de la victoire qu'il eut en l'arbre de la Croix, si dignes d'estre admirés, comme le noir en un cheveu : Sa cheveleure est comme branches de palmes hautes et touffues, noire comme un corbeau. Il est comme une blanche colombe qui a en soy tous les dons du Saint Esprit, representé par les yeux : Ses yeux sont comme des colombes sur les rivages des eaux, que l'on a lavees de laict ; le Saint Esprit, appellé en autre façon riviere, non par mesure, mais avec toute plenitude luy est donné : et resident es pleins cours des eaux. Partant, si tu contemples ses exemples, comme les joues pleines, ouvertes et mises a la veüe de tous, aussi odoriferantes que vases pleins de parfums aromatiques, ilz se font sentir de tous costés : Ses joües sont comme parterres de fleurs aromatiques que les parfumeurs mesmes ont plantés. Sa doctrine semble estre mirrhe pretieuse qui sort comme des lys de ses saintes levres : Ses levres sont des lys qui distillent la mirrhe la plus singuliere. Ses miracles sont telz qu'il semble que de ses mains coulent et tombent abondamment les jacinthes : Ses mains sont anneaux d'or pleins de jacinthes.

            Quoy plus ? soit au dedans, soit au dehors, cest Espoux est admirable : son cœur est d'ivoyre, enrichi de pierres pretieuses ; ses deliberations sont simples, mays prudentes : Son ventre est d'ivoire, semé de saphirs au dehors ; ses executions sont fortes, mays avec discretion : Ses cuisses sont colomnes de marbre fondees sur des bases d'or ; et, pour finir icy, il est tout tres cher, il est tout tres beau : Sa beauté est comme celle du Liban, son port comme d'un cedre.  [31]

 

Quatriesme degré

Consideration de nostre Dieu en luy mesme, mais humanisé

 

            Tandis que l'ame discourt de Dieu en son humanité, les goustz luy reviennent et est contrainte de s'escrier : Helas ! sa gorge est tres souëfve et il est tout a fait a desirer ; tel est mon Bienaymé, et il est mon tres cher, o filles de Hierusalem. Et si les personnes avec qui elle est veulent poursuivre et luy disent : Ou est allé vostre Espoux, o la plus belle entre toutes les femmes ? ou s'est il destourné ? et nous le chercherons avec vous, elle ne veut plus les entretenir ; mays, reconnoissant qu'encores que les travaux luy fissent sembler que son Espoux se fust retiré bien loin, neanmoins il ne s'en estoit pas allé, au contraire, il estoit tous-jours demeuré avec elle comme en son jardin ou comme en un cabinet de parfums ; et, tirant de la plus grande occasion de inerite, elle peut dire qu'il en a cueilli des lys tres odoriferans : Mon Bienaymé est venu en son jardin, au parterre des fleurs aromatiques, pour repaistre aux jardins et y cueillir des lys. Et pour ce, puisqu'elle connoist qu'il a tous-jours esté avec elle et y est encor a present, elle dit : Je suis a mon Bienaymé, et mon Bienaymé est a moy, qui se repaist entre les lys. Elle n'a plus besoin d'autre chose que de s'entretenir avec luy, disant : O Seigneur, quand vous pourray je plaire par ma beauté, douceur, bonne grace, force, innocence, devotion et discretion ? Quand sera ce donq que vous me dires : O ma bienaymee, tu es belle, douce et de bonne grace comme Hierusalem, forte comme une armee bien rangee ? Des-ja, Seigneur, vous m'aves monstré par mille signes que mes œillades vous ont blessé, c'est a dire que mes intentions ne vous sont pas desplaysantes : Destournes vos yeux de moy, car ilz m'ont fait sortir de moy mesme ; que mes cheveux, c'est a dire mes desirs, sont purs et netz : Tes cheveux sont comme un troupeau de chevreaux qui paissent sur le mont de Galaad ; que mes sens, ainsy que troupeaux, ont esté fidellement gardés : Tes dens sont comme troupeaux de brebis qui sortent du lavoir, chacune ayant deux petitz, et nulle d'icelles n'est sterile ; [32] et que mes forces de la partie concupiscible, desirant le bien et fuyant le mal sans dissimulation, comme deux joües bien colorees, vous sont cheres et aggreables : Tes joües sont comme une grenade entamee, sans ce qui est caché au dedans.

            Mais, o Dieu, dit l'ame, des-ja ci devant vous m'aves loüee de presque toutes ces parties ; je desirerois maintenant m'advancer et surpasser en devotion beaucoup d'autres ames devotes, ou qui pensent l'estre, et que vous peussies me dire : Il y a soixante reynes et quatre vingt concubines, et des jeunes filles sans nombre, mays ma colombe est toute seule. Que sçay je ? peut estre desireray je trop ; je voudrois que vous me peussies appeller ma parfaitte. Je voudrois, en ma nature qui est ma mere, avoir quelque rareté et que l'on en dist : Elle est unique a sa mere, elle est choysie a celle qui l'a engendree. Je voudrois que l'on peust encores dire : Voyla celle que les filles ont veuë et ont dit estre tres heureuse ; les reynes et les concubines l'ont loüee de son innocence, estant sortie de la nuict du péché. Qui est celle ci qui marche en devotion, comme fait l'aurore quand elle se leve ; belle comme la lune ; de prudence et bonne eslection, choysie comme le soleil ; et finalement d'invincible force, terrible comme les escadrons d'une armee bien rangee ?

            Mais, outre cela, l'ame adjouste : Ou aves vous esté, mon Seigneur, qu'il m'a semblé que vous m'avies laissee, quand le travail et la fatigue ne me permettoit pas que j'eusse du goust ? — J'ay esté, respond il, en toy mesme qui es mon jardin, et y ay esté avec plus de prouffit pour toy que je n'y eusse esté si, du premier coup, je t'eusse donné des goustz, te donnant occasion de meriter, dont j'ay tiré de mon jardin un plus grand fruict de merite : Je suis descendu au jardin des noyers pour voir les pommiers des vallees, et regarder si la vigne estoit fleurie et si les grenades avoyent germé.

            Que beny soyes vous donques, o Seigneur, respond l'ame, qu'en telle façon, me faisant accroire que vous esties absent, vous m'aves donné occasion de meriter, et m'aves fait faire en peu de tems plus de chemin que les carrosses [33] des princes ; et par ce, puisque je n'ay sceu que vous esties avec moy, je peux dire que mon ame m'a troublee a cause des chariotz d'Aminadab.

 

 

V. Cinquiesme empeschement : les respectz humains

 

            Quand quelqu'un arrive a quelque maniere de vivre rare et non accoustumee, non seulement chacun le loüe, mays il semble que chacun desire de le voir, et on crie apres l'ame : Reviens, reviens, o Sulamite, reviens, reviens, affin que nous te voyons.

            Et ce n'est pas asses que la personne spirituelle extenue ce qui est en soy : Que voyes vous en ceste Sulamite, sinon compaignies d'armees ? car, ce nonobstant, ceux qui la voyent, la louent de ses pieds et façons de marcher, c'est a dire de l'obeyssance avec laquelle ilz voyent que ceste ame garde les commandemens de Dieu : Que tes pas sont beaux en leur chausseure, o fille de prince ! de sa chasteté spirituelle, qui fait reconnoistre que Dieu y coopere : Les jointures de tes cuisses sont comme joyaux mis en œuvre de la main d'un bon ouvrier ; d'une riche pauvreté, qui n'a jamais besoin d'aucune chose : Ton nombril est comme un hanap rond, qui n'a jamais besoin de breuvages ; des jeusnes qui, remplissans le ventre de pain seulement, couronnent l'ame de beaux et riches lys : Ton ventre est comme un monceau de froment environné de lys ; de l'estude des deux Testamens : Tes deux mammelles sont comme deux faons jumeaux d'une chevre ; de la force : Ton col est comme une tour d'ivoyre ; de la prudence : Tes yeux sont comme les piscines d'Hesebon qui sont a la porte de la fille de la multitude ; d'une justice exacte : Ton nez est comme la tour du Liban qui regarde vers Damas ; de la maistrise des affections et conformité a la volonté de Dieu, conneüe par les canaux de la revelation : Ton chef est comme le mont Carmel, et tes tresses [34] comme pourpre royale qui n'est pas encor tiree de la teinture.

            Bref, ceste ame est la butte des langues qui luy disent, la loüant : Que tu es belle, que tu es de bonne grace, tres chere, en delices. Mais elle, croissant tous-jours en charité et faisant fruictz parmy le prochain, elle est comme la palme et la vigne : Ta stature et ton port est comme d'une palme, et tes mammelles sont pleines comme grappes de raysins. Les necessiteux, ou d'esprit ou de cors, disent : Je monteray sur le palmier et prendray de ses fruictz, et tes mammelles seront comme grappes de raysins ; et pour ses bons exemples on luy dit : L'odeur de ta bouche est comme celle des pommes ; pour les bonnes paroles : Helas ! dit on, ta gorge est comme un vin tres bon a boire, digne de mon Espoux, et d'estre savouré de ses levres et de ses dens. Bref, voyla une grande inquietude a l'ame devote.

 

Remede : La solitude

 

            O qu'il est donq bon de se retirer en la solitude ou l'ame peut dire : Moy a mon Bienaymé, et son regard est dessus moy ; viens, mon Bienaymé, sortons aux chams, demeurons au village. Or, les fruictz de la solitude sont quattre.

            Premierement, on se resveille mieux a l'examen de la conscience : Levons nous du matin pour aller aux vignes ; voyons si la vigne est fleurie, si les fleurs porteront du fruict, si les grenades sont fleuries ; secondement, on y fait une plus entiere resignation de la faculté concupiscible et de ses desirs : La, je te donneray mes mammelles ; tiercement, la devotion croist : Les mandragores ont rendu leur odeur ; quatriesmement, on y presente plus humblement a Dieu nos petitz merites passés et presens : J'ay serré pour toy, o mon Bienaymé, au dedans de nos portes, toutes sortes de fruictz, vieux et nouveaux. [35]

 

Cinquiesme degré

La consideration de Dieu en luy mesme, mays comme Dieu

 

            Mays entre les fruictz de la solitude, cestuy ci est eminent, qu'on y peut considerer plus aysement Dieu comme Dieu : ce qui fait user a l'Espouse de ces deux paroles, seul et hors ; c'est a dire, hors de toute creature : Qui te donnera a moy, mon frere, sucçant les mammelles de ma mere, et que je te trouve dehors, tout seul ? Consideration qui fait saintement affoler les hommes, les fait danser devant l'Arche ; d'ou vient que jusques a ce que l'ame soit arrivee a l'affection du mespris de soy mesme, elle a tous-jours quelque honte : c'est pourquoy elle desire la solitude, affin, dit elle, que je le bayse sans que personne nous voye.

            Consideration qui est un arrhe de la jouissance du Ciel, dont il est advis a l'ame qu'elle y soit des-ja, disant : Je te prendray, je te verray face a face. O Dieu, quand nous serons en la vraye mayson et en la vraye chambre de la nature humaine, qui est au Ciel, quand je te meneray en la mayson de ma mere et en la chambre de celle qui m'a engendré, la je verray tout ce qui appartient a mon bonheur comme en un miroüer ; la tu m'enseigneras, et quand tu auras tiré de moy, pour ma felicité, le vin de la vigne et le moust des grenades, la gloire essentielle et accidentelle (et je te donneray d'un breuvage de vin composé, et du moust de mes grenades), et voyla les goustz qui arriveront, voyla les extases, voyla les sommeilz des puyssances ; de façon que l'Espouse sacree demande des oreillers pour dormir : qu'il mette sa main gauche dessous ma teste, et qu'il m'embrasse de sa main droitte. L'Espoux aussi, de son costé, tasche de faire qu'elle ne soit point esveillee : Je vous adjure, filles de Hierusalem, que vous n'esveillies ni facies esveiller ma bienaymee jusques a ce qu'elle le veuille. [36]

 

VI. L'ame avant surmonté tous les empeschemens, n'a plus besoin de remede mays demeure absorbee et unie en Dieu par une parfaitte devotion

 

            En fin, l'ame est parvenue a une si grande perfection de devotion que nul playsir du monde ne l'esmeut, nul fantosme ne la destourne, nulle louange ne l'affoiblit, nul travail ne la fait craindre, nul respect humain ne la retient ; mais, a la veüe de tout le monde, elle caresse librement son Espoux et danse devant l'Arche, ne se souciant pas que la sagesse du monde, apres luy avoir dit : Qui est celle ci qui monte du desert, affluente en delices ? la suive encor pour la reprendre de ce qu'elle se tient appuyee sur son Bienaymé. Au contraire, elle parle tous-jours avec son Espoux du grand signe d'amour qu'il donna la ou il avoit esté le plus offencé, et qu'il resoulut de mourir pour nous apres qu'Adam et Eve luy eurent desobey : Je t'ay esveillee dessous un pommier ; la, ta mere a esté corrompue, la, celle qui t'a engendré a esté violee.

            L'ame ne trouvera plus aucune difficulté aux travaux, car rien n'est difficile a l'amour qu'elle a gravé profondement en son cœur, et mesme es actions exterieures : Metz moy comme un cachet sur ton cœur et comme un sceau sur ton bras ; si bien que l'amour combat la mort : L'amour est fort comme la mort ; l'enfer ne la peut espouvanter : La jalousie est dure comme l'enfer. Les flammes et les feux sont glacés au prix de son amour : Ses lampes sont lampes de flammes et de feux ; la mer ne les sçauroit esteindre : Toutes les eaux ne sçauroyent esteindre la charité, ni tous les fleuves ne la noyeroyent pas. Rien ne luy est comparable : Si un homme vouloit donner toute la substance de sa mayson pour la dilection, il n’en feroit cas nomplus que de rien.

            Quant aux louanges qui luy sont donnees, l'ame ne s'en soucie point, pour ce qu'elle dit dedans soy : Quelles sont ces ames impàrfaittes qui, n'ayans aucun bien propre, [37] veulent s'embellir de parures externes ? Mes petites seurs, c'est a dire les ames imparfaittes, sont celles qui doivent penser a cela, car elles n'ont point de mammelles d'elles mesmes, de propres vertus et merites : Nostre petite seur n'a point de mammelles ; que ferons nous a nostre petite seur au jour qu'il faudra parler a elle ? En elles, on peut suppleer le defaut avec louanges estrangeres, tout ainsy que si on couvroit d'argent un mur crevé et corrompu, et de cedre un huys qui seroit pourry : Si c'est un mur, bastissons dessus des boulevars d'argent ; si c'est un huys, renforçons le d'ais de cedre ; mays, moy bien heureuse, dit l'ame, je me soucie fort peu de plaire aux hommes, mon Espoux m'ayant faitte comme un mur tel et comme une tour telle, que je suis fort playsante et aggreable : Je suis un mur, et mes mammelles comme une tour, dont je suis faitte, trouvant repos et paix devant luy.

            Suyvent les choses sensibles et temporelles, contre lesquelles l'ame parfaitte, en l'orayson mentale a pris une telle habitude que, les tenant pour viles et de petit prix en comparayson de son riche object, elle n'en fait estime que tant qu'elles peuvent modestement servir a la necessité. Au reste, nul soin d'elle mesme ne la peut destourner : peu de chose, dit l'ame, est necessaire a qui veut vivre en la paix de Nostre Seigneur et avec modestie ; mille pieces d'argent ou quelque autre grand prix est chose de trop petite valeur : L'homme qui a la paix en soy a une vigne en laquelle sont des peupliers ; il l'a baillee a des gardes, et on luy rend pour les fruictz d'icelle mille pieces d'argent. Et moy, dit l'ame, je n'ay point affaire de tant de choses : Ma vigne est devant moy autant que mille pacifiques ; au contraire, je veux encor donner deux cens pour aumosne a ces pauvres, qui, avec leurs oraysons, nous gardent nos biens : et deux cens a ceux qui gardent les fruictz d'icelle ; au reste, estant abstraitte de toutes les choses sensibles, je ne veux que pas une d'elles puisse me distraire ou me troubler.

            Et finalement, si nous voulons passer aux playsirs mondains : Je sçay, dit l'ame, que mon Espoux ne veut endurer des compaignons, et qu'avec les consolations qu'il me donne [38] il ne veut pas que je mesle les consolations qu'autres que luy me pourroyent donner ; ains il me commande que, me resveillant, et me resignant du tout a luy avec une claire et ouverte protestation, je renonce a tous autres espoux : Toy qui habites es jardins, tes amys t'escoutent ; fais moy ouÿr ta voix. Et partant, me voyla prompte a luy obeyr. Non plus, le monde ni ses playsirs, non plus aucune chose mortelle ; o Dieu, mon Dieu, vous seul estes mon Bienaymé, vous seul estes tout mon bien, c'est vous seul que je cherche : Fuys, c'est a dire viens, mais accours legerement, mon Bienaymé, et sois semblable a un chevreuil ou a un faon de cerf sur les mons des bonnes senteurs. En laquelle derniere protestation et resignation parfaitte de l'ame en Dieu consiste la fin de l'orayson mentale et le plus haut degré de la spiritualité, qui est cette grande union de l'ame avec Dieu par devotion.

            Et pour conclure, il ne nous reste rien a faire qu'a prier Nostre Seigneur qu'il veuille, par sa misericorde, nous tirer a soy par ces degrés d'orayson mentale, a ce qu'estans des-ja unis avec luy en ce monde par grace, nous le soyons encor par devotion, affin qu'apres nostre mort nous le puissions estre eternellement par gloire ; et en toutes ces saintes unions, qu'il nous bayse, ce divin Espoux, d'un bayser de sa bouche sacree. Amen.

 

 

APPROBATION DES DOCTEURS

 

            Nous soubs-signez, Docteurs en Theologie de la Faculté de Paris, Maison et Societé de Sorbonne, certifions avoir leu et examiné un petit Livre intitulé : Declaration Mystique sur le Cantique des Cantiques, composé par le, Bien-heureux François de Sales, Evesque et Prince de Geneve, dans lequel n'avons rien trouvé qui soit contraire à la Foy Catholique : ains l'avons jugé digne d'estre donné au public, pour la consolation et profit des ames spirituelles et esclairées dans la vie intérieure.

            En foy dequoy nous avons signé à Paris, ce 24. Octobre mil six cent quarante-deux.

 

                        L. BOUGRAIN.                                                                   I. HOBIER. [39]

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III. Fragments sur les vertus cardinales et morales

 

1614

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Avertissement des Editeurs

 

            L'Etude sur les Vertus, que nous allons reproduire, fut imprimée pour la première fois par Blaise, en 1833, à la fin du tome XVI des Œuvres de saint François de Sales, Opuscules inédits. Vivès et Migne l'ont donnée à leur tour : l'un au tome III, p. 7, le second au tome VI, col. 8. Un feuillet conservé à la Visitation du Mans fut inséré par l'abbé de Baudry dans ce même volume, col. 42-44 ; on en trouvera le texte ci-après, pp. 81-83. Plusieurs passages sont cependant restés inédits jusqu'ici ; nous les signalerons sur place.

            Dans la première pensée du saint Auteur, ce travail devait faire partie du Traitté de l'Amour de Dieu ; il suffit, pour s'en convaincre, de comparer le fragment qui figure aux pp. 44-46, avec le chapitre VIII du Livre XI : on verra que ce fragment est un brouillon des pp. 262, 263 de notre tome V. Pour cette raison, les éditeurs donnèrent à l'Appendice du Traitté le passage en question, et un autre qui se voit au même volume, pp. 486, 487. Mais aujourd'hui, après nouvel examen, nous croyons devoir publier en entier ce qui nous est parvenu du Manuscrit sur les Vertus, et répéter pour cela les deux fragments que nous venons de signaler, d'autant plus que le Saint y fait plusieurs allusions. Ainsi, à la p. 54 ci-après, il parle du « second fleuve » ; donc, il avait d'abord parlé du premier. Et plus loin (p. 58) il dit : « Elle » — la dévotion — « nous fait particulierement faire la sainte offrande, donation et dedicace de nous mesme a la divine Majesté, que nous avons ci dessus marquee ; » évidemment, il entend renvoyer au morceau qui se lit au tome V de notre Edition, p. 486, et qui est de nouveau donné ici, p. 44.

            On ne lira pas sans intérêt, peut-être aussi avec une sorte de pieuse indignation, une partie de l'Avertissement que Blaise a mis en tête de ce « Fragment » et que les éditeurs suivants ont reproduit en entier. Il est dû à M. Jules Gossin, vice-président en 1824 du tribunal de première instance de la Seine, ensuite conseiller à la cour royale de Paris, et rentré au barreau depuis la révolution de 1830.

            « En 1824, un magistrat de Paris, » dit-il, « fut obligé de voyager [40] pour cause de santé. Se trouvant à Annecy dans les premiers jours de juillet, il eut l'honneur de présenter ses respects à M. de Thiolaz, alors évêque de cette ville, pour lequel il étoit porteur d'une lettre de recommandation, accompagnée d'aumônes offertes pour faciliter à ce prélat la continuation de la nouvelle église destinée à recevoir les reliques de saint François de Sales et de sainte Chantal.

            Encouragé par l'excellent accueil de M. de Thiolaz, ce magistrat lui exprima le désir de posséder ou une lettre de son illustre et vénérable prédécesseur, ou le moindre fragment d'un de ses écrits. M. l'évêque ne rejeta pas cette prière, mais demanda quelque temps pour la satisfaire, attendu la rareté toujours croissante des écrits originaux tracés de la propre main du Saint. De retour à Paris, le voyageur, impatient de posséder le trésor qu'on lui avoit fait espérer, prit la liberté d'écrire à M. de Thiolaz pour rappeler à sa mémoire une promesse qui avoit rendu son ancien hôte si heureux. Par suite de cette lettre, et le 6 février 1825, arriva à Paris, avec la lettre la plus aimable du prélat, un fragment notable et autographe de saint François de Sales ; il étoit composé de quatorze feuillets in-folio, écrits de chaque côté, avec ces ratures fréquentes qui indiquent la première minute ou le brouillon d'un ouvrage sérieux et profondément médité.

            Le commencement et la fin du cahier manquoient. Suivant M. de Thiolaz, ce précieux fragment, alors récemment découvert dans une vieille malle avec d'autres papiers, devoit être une partie des toutes premières ébauches du célèbre Traité de l'Amour de Dieu. Toutefois, M. l'évêque n'affirmoit rien de positif à cet égard, et se bornoit à de simples conjectures ; il finissoit par prier son correspondant de faire servir, s'il le pouvoit, ce cahier incomplet, à la gloire du Saint, en le distribuant par morceaux à des personnes qui, jalouses de la possession de si précieux écrits, reconnoîtroient sans doute ce présent par quelques dons destinés à l'achèvement de la nouvelle église d'Annecy.

            Le possesseur du fragment ne s'en regardant plus dès lors que comme le dépositaire, ne tarda pas à remplir les vues du donateur.

            Des portions notables de l'autographe enrichirent successivement les séminaires d'Avignon, de Viviers et de Verdun. D'autres satisfirent le pieux empressement de mesdames Dambray, de la Tour du Pin Montauban, de M. de Blanquart de Bailleul, aujourd'hui évêque de Versailles, de M. Bordier, ancien chef de la division des secours et pensions de la liste civile, et de M. Collette de Baudicourt, maître de forges à Marnaval, près St-Dizier (Haute-Marne). D'autres fragments, mais d'une dimension beaucoup moins considérable, furent offerts à quelques amis. Dans l'été de 1825, le magistrat dont il s'agit eut la satisfaction d'envoyer à Annecy le produit de sa collecte. »

            A plus d'un siècle de distance, la plupart des propriétaires des fragments autographes ont changé ; nous les signalerons à mesure que nous les rencontrerons dans les pages qui vont suivre. [41]

            La date de 1614 assignée à cet écrit est certaine. Saint François de Sales voulait y insérer les « Meditations des offrandes, prises des Regles de la Visitation ; » or ces Méditations sont enchâssées dans le Manuscrit des Constitutions daté de juillet-septembre 1613 (voir le tome précédent, notes (1487), (2114), pp. 278, 422) : le présent travail n'est donc pas antérieur. D'autre part, la première rédaction du Traitté de l'Amour de Dieu fut achevée vers la fin de 1614 (voir notre tome IV, Introduction, pp. XI, XII) ; il convient, par conséquent, de ne pas reculer au delà de cette année celle des pages qui nous occupent. Enfin, il y a, aux pp. 60-62 ci-après, un passage touchant les vœux de Religion et la simple Oblation qui rappelle la Præface pour l'instruction des ames devotes donnée au tome précédent, pp. 291-321 ; ce qui persuade que cet écrit sur les Vertus est de la même époque.

            Les références marginales en italiques distinguent celles qui ont été mises par le Saint. [42]

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[Quelques moyens pour transformer nos œuvres par la charité]

 

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 de sorte que mesme ce n'est pas chose resolüe si l'amitié est vertu, bien que je le croye, quand elle est un peu bien formee et que sa communication est honneste.

            Apres tout le discours de la force de la charité pour l'annoblissement des vertus, il faut mettre la methode d'employer la charité a cela, et il faut mettre les Meditations des offrandes, prises des Regles de la Visitation. Puis, dire qu'il faut donques faire cet exercice tous les ans, la protestation tous les moys, l'exercice du matin tous les jours, et parmi la journee plusieurs eslancemens de cœur et plusieurs oraysons jaculatoires, par lesquelles le feu de la charité s'enflamme de plus en plus et brusle comm'en holocauste toutes nos actions a la gloire de Dieu ; et s'accoustumer a faire toutes choses au nom de Dieu, comme est de travailler pour Dieu, saluer pour Dieu, aymer pour Dieu, servir pour Dieu, estant impossible qu'une personne fort affectionnee a Nostre Seigneur ne puisse dire en verité, que comme sa personne est a Dieu, aussi sont toutes ses actions : les pecheurs le disent aussi, mays ilz mentent, ou les affectionnés disent la verité. Ces oraysons jaculatoires peuvent servir a cela : Hé, Seigneur, je suis vostre ; Mon Ami est mien, et moy je suis sienne ; Ma vie c'est Jesus Christ ; O Seigneur, ou que je ne face rien, ou que tout soit a vostre gloire ; et, Gloria Patri et Filio ; Non nobis Domine, non nobis. Cela soit pour les actions frequentes, ordinaires et qui ne peuvent estre preveües, car celles qui peuvent estre preveiies il les faut dedier specialement et purifier l'intention, et si elles durent, renouveller souvent, de peur du change. O que bienheureux sont ceux qui sçavent faire le despouillement de soy mesme duquel nous avons parlé ci dessus ! car par ce moyen ilz n'ont qu'a faire un petit souspir ou un petit regard en Dieu, pour tesmoignage [43] qu'ilz confirment leurs despouillemens et qu'ilz ne veulent rien qu'en Dieu et pour Dieu, et qu'ilz ne s'ayment eux mesmes, ni chose du monde, que pour cela.

 

 

Comme l'amour employe les vertus cardinales, et premierement la prudence

 

             Un fleuve sortoit du lieu de  delices pour arrouser le Paradis terrestre, qui de lâ se divisoit ou separoit en quatre chefs ; Gen. 2 . Or l'homme, sans doute, est le paradis du Paradis mesme, puisque le Paradis terrestre n'estoit fait que pour estre le sejour de l'homme, comme l'homme a esté fait pour estre le sejour de Dieu. En ce second paradis mystique, Dieu a fait sourdre et jaillir le fleuve de la rayson et lumiere naturelle, de laquelle il est dit : La lumiere de vostre visage est marquee sur nous ; et ce fleuve que Dieu fait sourdre pour arrouser tout l'homme en toutes ses facultés et exercices  se divise en quatre chefs, selon les quatre parties ou regions de nostre ame, qui produisent les actions humaines et libres. Car sur l'entendement prattique, la lumiere naturelle respand le 1. fleuve, de la prudence, qui incline nostre entendement a  veritablement discerner le mal qui doit estre evité, d'avec le bien qui doit estre fait ; [le 2. de] la justice, qui regne principalement en la volonté, puis qu'elle n'est autre chose qu'une perpetuelle et constante volonté de rendre a chacun ce qui luy est deü ; le 3. fleuve est celuy de la temperance, qui gouverne l'appetit de convoitise ; le 4. celuy de force, qui gouverne l'appetit irascible.

             Et puis ces quatre fleuves se separent en plusieurs autres, affin que toutes les actions humaines soyent bien addressees par la rayson a l'honnesteté et felicité naturelle. Or, outre cela, Nostre Seigneur voulant favoriser [44] l'homme pieux, affin de rendre le paradis du cœur humain plus aggreable et delicieux, il fait sourdre sur la cime de la partie superieure de nostre ame une fontaine surnaturelle que nous appelions grace, composee de la foy, esperance et charité, qui espanche ses eaux sur toute nostre ame et l'arrouse tout entierement, la rendant gracieuse a merveilles et grandement aymable a sa divine Majesté. Et non seulement cela, mais en vertu de la charité qui la rend active, elle respand sur les puissances de nostr'ame certaines vertus qui sont de mesme espece, ou au moins toutes semblables aux quatre vertus cardinales, et pour cela elles portent leurs noms : sur l'entendement elle pousse une prudence sainte, sur la volonté une justice sacree, sur l'appetit de la convoitise une temperance religieuse, et sur l'appetit irascible une force devote ; si que par ces quatre fleuves toutes les actions humaines sont addressees par la charité a l'honnesteté et felicité surnaturelle, qui consiste en l'union avec Dieu.

            Et d'autant que ces vertus qui fluent de la charité comme de leur source sont superieures aux quatre vertus cardinales, si elles les rencontrent en quelqu'ame elles les reduysent a l'obeissance de la charité, se meslent avec elles et les perfectionnent, comme le vin perfectionne l'eau avec laquelle il se mesle.  Que si elles ne treuvent point de vertus naturelles en l'ame ou la charité les produit, elles suppleent a leur defaut ; y ayant cette difference entre le meslange du vin et de l'eau et celuy des vertus infuses et acquises, que le vin seul est meilleur que l'eau, ou les vertus infuses estans seules, ne sont pas si bonnes comme quand elles sont meslees avec les acquises, la grace ne destruisant point la nature, ains la perfectionnant sans qu'elle perde rien de sa force. La comparayson estant meilleure de l'odeur des roses, sur laquelle les autres odeurs, en l'affinant s'affinent elles mesmes, quoy que plus excellentes qu'elle ; [45] dont on employe ou les roses, ou l'eau rose, ou le jus de rose en presque toutes les eaux odorantes : car ainsy les vertus morales, saintes, perfectionnent les vertus naturelles, et en les perfectionnant s'en affinent elles mesmes et agissent plus excellemment avec icelles que sans icelles. Ainsy la charité treuvant, par exemple, saint Ambroyse si vertueux, elle le rendit soudain extremement parfait ; et treuvant …..

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             Or, la prudence a troys degrés : le premier est l'eubulie, l'habilité de treuver des bons advis et conseilz es affaires ; le 2. synesis, l'habileté de bien juger  sur la diversité des advis, selon les loix , façons et coustumes establies entre les hommes ; le 3. gnome, un'habileté de bien juger, discerner ou choysir selon la rayson, le droit et l'equité  contre les paroles et le sens des loix, par la consideration et connoissance de l'intention et sentiment du legislateur (Ipsæ etiam leges cupiunt, etc.) et pour des motifs extraordinaires, pour lesquelz, si le legislateur les eut præveu, il eut fait un'exception a la loy ; la varieté des occurrences humaines estant si grande que jamais on ne peut prescrire l'ordre convenable pour toutes.

             (Il faut parler de la prudence de la chair et de la prudence de l'esprit, et descrire l'une et lautre, et les degrés de l'une et de lautre. Il faut recourir a la marque*, page 3. de lautre cayer .)

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quelcomque p ………………………………………………………………………………………

portee de diverses passions [emmi lesquelles on ne saurait ni bien] juger, ni bien resoudre. Les advis [d'un] ………, [d'un] avare, d'un voluptueux ont accoustumé [d'être fort] panchans a la faveur de la passion qui domine ; et l'amour, comme estant le poids et contrepoids de l'horologe de nostre ame, il nous fait juger en faveur du bien quil affectionne. Que si c'est l'amour de charité, il nous fait juger en faveur du vray bien ; c'est pourquoy il employe saintement la prudence et la gouverne. (La proposition est notable : l'amour fait juger.) Le peintre Androcides le tesmoigna ayant a peindre les fameux escueilz de Sylle et Caribde ; car il employa tout son art a representer au naturel, apres le vif, les poissons autour de ces bancz, par ce quil en estoit fort friand, et le reste il le peignit fort grossierement. Ainsy, quand nous sommes passionnés, nous employons toute nostr'industrie en faveur de nostre passion, et par ce moyen la prudence est convertie en ruse, finesse et tromperie.

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             Et en fin, la prudence requiert en nous la vivacité et habileté d'esprit, la promptitude a bien remarquer et apprendre, la memoire des choses passees, l'intelligence des presentes, la prouvoyance des futures, le discours pour bien tirer consequence d'une chose a une autre, la curieuse [perception] des circonstances et des choses qui sont autour de nous qui peuvent ou nuire ou favoriser nostre dessein, et la prouvoyance pour se garder des inconveniens et se prevaloir des occasions.

            Or la prudence de la chair porte nostre entendement a bien observer ce quil faut faire pour jouir des biens utiles et delectables a la vie charnelle, et pour eviter les empeschemens contraires a cette jouissance. Et parce que la plupart des hommes estime ces biens la des vrays biens, et que par iceux on est rendu honnorable aux yeux des enfans [47] du monde, on donne aussi le nom de prudens et de vertueux a ceux qui sont prudens selon la chair. Il y a des vices semblables aux vertus, dit saint Augustin ; comme l'affeterie et malice est semblable a la prudence, encor qu'elle soit un vice. Or, les degrés de la prudence de la chair sont : l'astuce, qui n'est autre chose qu'une habileté pour faire, imperceptiblement et par des moyens inconneus ou conneus, reuscir les mauvais desseins (Ne cheminans pas en astuce, dit le saint Apostre, II Cor., IV, apres qu'il avoit dit : Ayant rejette les cachettes de honte, c'est a dire honteuses, parce que l'astuce use de certaines cachettes et secrettes menees, lesquelles estans descouvertes sont honteuses a ceux qui les employent, leur ostent tout credit et authorité) ; le dol ou tromperie, qui est l'effect et execution de l'astuce, [et] s'appelle fraude quand il est commis par voye d'oeuvre ; l'empressement apres les biens mondains et la sollicitude des moyens de vivre a l'advenir.

            Et il ne se peut dire, ma chere Philothee, combien cette prudence de la chair est subtile, combien d'inventions elle a pour se fourrer dans les cœurs des mortelz, combien de pretextes et de moyens. On se moque de la simplicité, et chacun veut estre estimé prudent ; on colore cette ardeur qu'on a de nourrir les commodités de la chair, par mille moyens. Ce serpent se fourre ça et la dans la terre, il se glisse partout ; quand il ne peut mordre, il pique de la queue ; il va en l'eau et en la terre, il va tous-jours en biaysant ; les gens voués a Dieu n'en sont pas exemptz, ni les Israelites au desert. Ces prudences sont maintefois emmi les cœurs religieux, comme Pline dit que vers les Indes, au royaume de Suzerat, il y a une herbe d'odeur pretieuse, qui neanmoins est toute couverte de petitz serpentaux et extremement veneneux ; car vous verres, Philothee, maintes personnes religieuses et devotes qui ont une prudence extremement active et soigneuse pour les proces, pour les honneurs, pour les rangs, pour amasser et, en somme, sous pretexte de certains devoirs imaginaires, de certain zele sophistiqué et de certaine charité artificieuse.

            Or vous connoistres si la prudence est prudence de la chair, en ce qu'elle eschauffe et donne des ardeurs cuysantes [48] et pressantes : ainsy, les serpenteaux qui piquoyent les Israelites es desertz, estoyent des serpens enflammés, c'est a dire desquelz les piqueures donnoyent des inflammations mortelles a ceux qui en estoyent blessés.  Mays la prudence de l'amour sacré est douce, tranquille, et tellement meslee de simplicité qu'il n'y a rien en elle d'empressé ni d'affecté ; et en somme, qui veut guerir de toutes les ardeurs du soin, de la sollicitude immoderee et de la precipitation, il faut regarder l'image du serpent eslevé au desert, c'est a dire Nostre Seigneur, qui n'est pas pecheur, mays qui porte l'image du pecheur, sur la croix, et estre prudent de sa divine prudence.

             L'amour ne tendant qu'en Dieu a une prudence simple, innocente et toute pure, car en toutes ses affaires il met sa confiance en son Sauveur qui le deslivrera ; il ne mesprise pas les moyens humains, mays il ne se confie nullement en iceux. L'amour employe la prudence, mays il la tempere tellement, qu'il ne veut point qu'elle le distraye ni divertisse, parce qu'il ne veut estre prudent que pour mieux aymer, et parce que l'amour divin n'est pas comme l'amour humain. L'amour humain va par tout cherchant des moyens pour obtenir ce qu'il ayme, et parce que les moyens sont divers et que bien souvent il les ignore, il s'empresse et a une sollicitude incroyable : il veut de l'argent pour paroistre, il veut des belles paroles, il veut des belles contenances, il veut des reputations, il craint les corrivaux. Mais l'amour divin sçachant que pour obtenir ce qu'il ayme, le principal moyen est d'aymer, il s'amuse simplement a bien aymer, sçachant que c'est toute sa finesse, avec laquelle il doit gaigner son object : c'est pourquoy il est simple et sage ; comme vous voyes Magdeleyne, [49] laquelle, avec cette unique attention au Sauveur, fait mieux ses besoignes que sainte Marthe avec son empressement. Ainsy Eliezer, qui avoit un bon maistre, ne va point cherchant de ruse ni d'astuces pour estre salarié, se contentant de bien servir ; mais Jacob, qui sert un maistre rusé, il use aussi de finesse et dexterité pour estre recompensé de ses peynes. Ceux qui servent le monde, qui a tout propos cherchent des recompenses, ilz ont besoin d'user de finesses ; mais ceux qui servent Dieu n'ont point de plus grande finesse que la simplicité qui les fait marcher en confiance.

            Il est vray qu'en ce que les philothees sont philanthropes et qu'il faut qu'ilz servent les hommes, ilz ont besoin d'une sainte prudence, mays prudence que l'amour leur suggere admirablement. Voyes la prudence de Nathan, et comme finement il surprend David ; et n'osant pas luy donner le coup du rasoir de la correction, il le luy fait prendre a luy mesme de sa propre main, puis, le poussant, le luy fait entrer bien avant dans la poitrine de son peché, dont il guerit. Voyes la prudence de Joseph a sauver l'Egypte de la famine ; voyes celle d'Abigail a divertir le courroux de David injustement indigné contre Nabal ; et l'admirable prudence de saint Paul en ce sermon fait aux Atheniens, ou, avec tant de sagesse, il prend occasion de l'un de leurs idoles de leur annoncer le vray Dieu. Et en toute occurrence  il se comporta si sagement, quil pouvoit bien dire en verité ce que ses ennemis luy imposoyent par calomnie, qu'estant fin il avoit pris ses auditeurs par ruse et tromperie : Ouy da, dit il a ses chers Corinthiens, estant un fin homme et accord, je vous ay pris par tromperie ; esquelles paroles il a peut estre voulu dire (car saint Thomas, Sa, Lyranus interpretent ces motz comme une calomnie faite par ses ennemis, quil rejette) : Je n'ay voirement rien pris du vostre, mais en cela j'ay usé d'une grande finesse, car ne prenant rien de vous, je vous ay pris par cet artifice. [50]

            Le grand saint Augustin, au livre De Moribus Eccles., c. 15, monstre que les 4 vertus cardinales et toutes vertus ne sont autre chose que l'amour de Dieu qui fait tout en nous. Que si la vertu, dit il, nous conduit a la vie bienheureuse, j'asseureray que la vertu n'est nullement autre chose sinon le souverain amour de Dieu ; car « ce qu'on dit que la vertu est divisee en quatre, on le dit, ce me semble, a rayson des diverses affections qui proviennent de l'amour : dont je ne feray nul doute de definir en cette sorte ces quatre vertus (desquelles comme les noms sont en la bouche d'un chacun, ainsy pleut a Dieu que l'efficace fut es espritz !), de maniere que la temperance soit l'amour qui se donne tout entier a  Dieu ; la force, un amour qui supporte volontier toutes choses pour  Dieu ; la justice, un amour servant a Dieu seul, et pour cela commandant droitement a tout ce qui est sujet a l'homme ; la prudence, un amour qui choysit ce qui luy est profitable pour s'unir avec  Dieu, et rejette ce qui est nuysible. »

            Et certes, Philothee, bien que la prudence soit une vertu qui guide et qui, par consequent, tient  entre les actions des vertus le lieu que la lumiere corporelle [tient] entre les oeuvres artificielles, en sorte que comme ceux qui travaillent sans lumiere sont sujetz a mille fautes, comme ceux qui veulent exercer les vertus sans la sainte discretion font des pechés et des grandes nullités (comme le grand saint Anthoyne declara en la conference quil eut avec ses autres Peres du desert, ainsy que raconte Cassian, qui dit que la prudence selon l'Evangile estoit l'œil et la lampe de tout le cors) ; si est ce neanmoins, Philothee, que nul n'est estimé prudent pour sçavoir ce qu'il faut eviter et choysir, sil n'est diligent a le bien executer. Si que, encor que l'arbre de la prudence ayt ses racines en l'entendement, il a neanmoins ses fleurs et ses fruitz de la volonté, mesme [51] selon les philosophes, qui pour cela tesmoignent que nul ne peut estre prudent sil n'est bon. Et l'on void une quantité de gens extremement sçavans es choses morales et grans discoureurs de la prattique des vertus, qui en verité n'ont nulle sorte de sagesse et prudence, parce quilz parlent et entendent bien en quoy consiste la vertu, mays ilz ne la pratiquent nullement. Certes, Isaie voulant exalter l'admirable prudence de Nostre Seigneur, il ne la colloque pas tant en la connoissance des yeux comm'en celle du goust : Il mangera, dit il, le beurre et le miel, en sorte quil sache repreuver le mal et choysir le bien. En quoy, Philothee, vous voyes quil y a deux prudences, selon deux connoissances : une prudence qui consiste en une science, ou [connaissance] par science, discours et sçavoir ; l'autre, qui est une connoissance par goust, experience et savourement. Et par ce que nous savourons par la volonté et l'amour, saint Augustin a eu rayson de dire que la prudence chrestienne n'estoit autre chose sinon un amour discernant le bien d'avec le mal ; comme sil eut dit, par les paroles du Prophete, que la prudence estoit une manducation amoureuse ou un savourement du beurre et miel spirituel, c'est a dire des suavités divines, par le moyen duquel on sçait rejetter et repreuver le mal et eslire le bien convenable a s'unir a Dieu.

            Cette prudence domine heureusement en l'ame, et assaisonne toutes les vertus d'une sainte discretion et d'une sacree simplicité non pareille, car elle ne s'estend qu'a plaire a Dieu et estre utile au prochain. Ceux qui ont divers amours ont aussi diverses prudences, car il faut une sorte de prudence pour acquerir les honneurs, un'autre pour acquerir les richesses, un'autre pour acquerir les playsirs ; mais l'ame qui ne veut que Dieu n'a besoin que d'une simple et pure prudence, qui, non point par discours, mais par l'experience de la bonté de Dieu, sçait discerner le bien et le mal. Aussi vous voyes les enfans de Dieu si sages, et neanmoins si simples, que c'est merveilles.

            Il ne faut pas grand artifice a ceux qui ont une grande force, ni beaucoup de finesse a ceux qui ont un grand credit. Vous voyes un petit compaignon, lequel voulant obtenir [52] quelque  chose du prince, ou mesme du peuple, il faudra quil deguise ses intentions et quil aille accortement  s'insinuant et prattiquant son affaire ; mays un homme de grand credit va rondement en besoigne, et a mesme quil a de la confiance, il propose simplement sa demande et en reuscit. Ainsy les lievres, les renars et les cerfs, race couarde entre les animaux, ont une prudence si diverse et des ruses en si grand nombre que c'est merveilles ; le lion, au contraire, l'elephant, le thoreau vont droit et sans finesse, et leur prudence consiste en leur vaillance et vertu. Les enfans de Dieu sont comme cela : leur sagesse est toute simple, ronde, franche, car l'amour qui les gouverne ayant reduit toutes choses a son obeissance les fait marcher selon luy ; et, comme dit saint Hierosme, Nostre Seigneur veut que nous soyons prudens non pas  pour l'offensive, mais pour la defense : prudens comme le serpent, pour n'estre point deceuz ; simples comme la colombe, pour ne point tromper personne.

            La prudence amoureuse est humble, obeissante et qui se laisse conduire. Ne t'appuye point sur ta propre prudence, dit le Sage ; et les Anciens ont dit que le plus heureux estoit celuy qui de soy est sage ; lautre apres, celuy qui escoute et croid le sage.

            La prudence amoureuse se confie tout en Dieu, elle le prie ; elle fait fidelement ce qui est requis, par fidelité, mais elle attend l'issue bonne de son Amant ; elle cherche le Royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste luy est adjousté.  Aussi saint Paul desire que les Philippiens soyent simples, c'est a dire ronds, francz et sinceres, comme sont les vrays enfans de Dieu, et loüe les Macedoniens dequoy leur profonde et tres haute pauvreté avoit abondé es richesses de leur simplicité, c'est a dire de leur confiance en Dieu, qui leur ostoit toute apprehension [53] de s'appauvrir trop en donnant leurs moyens, eux estans des-ja asses pauvres. Aussi Nostre Seigneur veut que nous soyons comme petitz enfans : or, les petitz enfans n'ont point de plus grande finesse que de se tenir entre les bras de leur mere, en quoy ilz establissent toute leur richesse.

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il tesmoigne un'extreme sagesse. La simplicité est contraire aux artifices, duplicités, compositions de divers genres.

            En somme, ou la prudence est amour, ou elle depend de l'amour et est servente de l'amour qui la fait marcher devant la trouppe de toutes les vertus ; comme nostre Seigneur, qui estoit assis sur le propitiatoire, c'est a dire sa majestueuse presence, faysoit marcher la colomne de nuee et de feu devant le peuple d'Israel comm'une guide, ainsy que nous voyons les grans faire porter les flambeaux devant a (sic) eux a leurs pages, pour servir de guide a leurs pas et de ceux qui les suivent, et le phanal aux navires.

 

Comme la charité employe la justice

 

            Le second fleuve qui procede de la charité, c'est la justice, laquelle, comme dit saint Augustin, n'est autre chose qu' « un amour servant a Dieu seul, et pour cela dominant droittement a tout ce qui est sujet a l'homme. »  Ou il faut noter quil parle de la justice legale ou dominante, qui est es Princes et Roys, lesquelz doivent servir a Dieu seul, et pour le service de Dieu, « dominant droittement » sur les peuples par des loix equitables, par la distribution raysonnable et bien proportionnee des estatz et offices, par l'administration de la correction et vangeance des [54] fautes et crimes qui se commettent en la republique. Mays au l. 19 de la Cité, chap. 21, il declare plus amplement que c'est que la justice, disant que c'est une « vertu qui rend a chacun son droit, » c'est a dire ce qui luy appartient et luy est deu : si que, parlant chrestiennement et joignant les deux passages de saint Augustin en une seule intention, nous pouvons dire que la justice n'est autre chose que l'amour de Dieu entant que par iceluy nous avons une constante et perpetuelle volonté de rendre a chascun ce qui luy appartient. Et certes, saint Augustin, au livre De Moribus Ecclesiæ, ne separe point la justice de l'amour de Dieu, monstrant au chap. 26, que qui ayme Dieu luy rend toute sorte de devoir, et qui ayme le prochain n'offence personne, rend a chacun ce qui luy appartient. Car  l'amour est sur toutes choses ; desirant complaire a la chose aymee, luy rend premierement tout devoir, et non seulement tout devoir, mais tout ce dont il se peut aviser devoir ou pouvoir estre aggreable a celuy quil ayme. De sorte que la charité n'est autre chose qu'une justice surabondante, car apres que l'amour a fait rendre a chacun ce quil luy doit, il passe plus outre et donne plus quil ne doit selon la rigueur de la justice ; et fait comme son Maistre, qui ne se contente pas de donner la bonne mesure des recompenses, mais la donne bien comble, bien pressee et sureffluente.

            Or, comme remarque le grand saint Bernard, nous sommes debiteurs  superiori, inferiori, æquali ; mays a Dieu premierement, a qui nous devons  honneur, gloire, louange, action de graces et toute sorte de sousmission et sujettion. Et pour tout ce que nous devons a Dieu,  nous avons un'espece de vertu qui s'appelle religion, par laquelle nous rendons a Dieu  la reverence, hommage et sousmission que nous luy devons comme a nostre souverain Seigneur et premier principe. Et pour acela [55] nous employons premierement deux actes, l'un de l'entendement et lautre de la volonté ; car en l'entendement nous faysons ceste connoissance que le grand saint Augustin demandoit si ardemment : Noverim te, noverim me ; et le grand saint François : Quis es tu, et quid sum ego  ? et sur cette connoissance nous establissons l'acte de la volonté, qui s'appelle reconnoissance, c'est a dire la protestation de l'excellente superiorité infinie de Dieu sur nous et de l'infinie dependence que nous avons de Dieu. Or cette protestation se fait interieurement, par les actes propres de nostre volonté qui se sousmet et fait reconnoissance a la divine Majesté, et par tous les autres actes qui rendent tesmoignage de nostre sousmission ; et exterieurement, par des actes par lesquelz nous declarons cette sousmission. Et de la dependent toutes les parties et especes de la religion qui sont celles ci :

            1. La reverence, qui est un des actes procedans de la religion, et n'est autre chose qu'une certaine vive apprehension et juste crainte de ne se pas bien comporter, et manquer d'honneur et de respect envers Dieu et les choses divines ; et de cett'apprehension procede un soin  particulier de rendre le plus exactement quil se peut toute sorte de tesmoignage de l'estime que nous faysons de la majesté et eminence de Dieu et de nostre vileté et bassesse, et de la disproportion quil y a entre nous et Dieu. Et cette sainte affection se respand generalement en toutes les œuvres de religion, et est contraire a la negligence et peu d'estime  des choses divines, et au manquement d'attention de la veneration que nous devons apporter de la grandeur de l'excellence que nous servons et honnorons. Car c'est elle qui fit prendre le soin a saint Abel de prendre le meilleur de ses trouppeaux pour offrir a Dieu, comme la nonchallance contraire fit  que Cain choysit le moindre ; [56] c'est elle qui fit  tumber en terre Daniel et les autres Prophetes a moytié mors devant la majesté de Dieu ; c'est elle qui fait qu'emmi les tressaillement et plus grandes consolations nous tremblons et craignons d'estre devant une si grande majesté ; c'est elle qui fait que les Seraphins mesme voylent leurs yeux et leurs pieds, comm'indignes de regarder Dieu et de s'arrester pres de luy ; c'est elle qui fait dire a David : Te decet hymnus silentium in Syon, car la grand'estime de la perfection divine fait qu'on n'ose pas en parler, crainte d'en parler peu convenablement. C'est cette crainte chaste et sainte qui persevere  es siecles des siecles ; car si bien les saintz ne craignent pas d'offencer Dieu, car ilz sont asseurés de vivre a jamais en sa bienveuillance, si est ce que l'inestimable estime quilz font de l'excellence divine fait qu'ilz reverent sa divine Majesté, et ont un'aggreable et amoureuse apprehension de sa grandeur, qui les tient en une continuell'attention soigneuse et leur donne un soin perpetuellement  attentif a bien exalter la divine Bonté : qui est la crainte dont il est dit que « les puissances tremblent » devant sa Majesté, c'est a dire, elles ont un soin de l'honnorer et l'estiment avec tant d'admiration et de vive attention comme si elles craignoyent de mesprendre ; car, autant que sa bonté les asseure que jamais ilz ne manqueront, sa majesté les provoque a l'attention et au soin et reverence. [57]

             Or cette reverence interieure nous fait prosterner extérieurement, demeurer sur les genoux, faire des  abbaissemens de cors, tenir les yeux en terre, les mains jointes, porter les voyles sur nos yeux, vestir le sac et le cilice ; elle nous empesche de toucher les choses sacrees qu'avec beaucoup de preparation et de protestation de nostr'indignité, elle nous fait confesser nos miseres et la grandeur de Dieu.

            2. La devotion en matiere de religion n'est autre chose qu'une  ardeur et ferveur d'esprit qui nous rend promps a faire tout ce qui regarde le service et lhonneur de Dieu ; vertu toute pareille a la devotion en matiere de charité, dont nous avons parlé au commencement de l'Introduction, car comme l'une est un'excellente charité, l'autre [est] un'excellente affection de religion. Et par ce que ceux qui sont animés de cette tant desirable vertu se dedient et consacrent, donnent et addonnent totalement au service de Dieu et a tout ce qui le regarde, elle nous fait particulierement faire la sainte offrande, donation et dedicace  de nous mesme a la divine Majesté, que nous avons ci dessus marquee , par laquelle nous sommes rendus  voués, dediés, consacrés a Dieu, et comme specialement Religieux, que, au commencement de l'Eglise, on appelloit moynes, c'est a dire uns ou unis, a cause de la speciale union avec Dieu a laquelle ilz se dedioyent, ou de l'unité de leur intention et profession qui n'estoit que du seul service de Dieu ; et, comme parle le grand saint Denys, a rayson de leur vie une et simple, non distraitte ni divisee, ains toute ramassee et recueillie, pour estre toute destinee [58] a la perfection de l'unique amour de Dieu. Et par ce que ceux ci, par l'excellence et ferveur quilz ont en la Religion, se sont devoiiés et dediés a l'unique profession de servir Dieu et vacquer a son amour, on les a nommés specialement Religieux par apres.

            Et passant plus avant, par ce qu'entre ceux qui se dedient a l'unique service de Dieu, les uns le font par des simples oblations  qui se font par maniere de protestation et declaration d'une volonté absolue et resolue, comme font la pluspart des Oblatz de saint Ambroyse , les Dames de la Tour des Miroüers de la Congregation de sainte Françoise a Romme , les vierges de Sainte Ursule , et comme faysoient les hommes et femmes du Tiers Ordre de Saint François, les Peres de la Congregation de l'Oratoire , et plusieurs tressaintes societés que Dieu a grandement benies et illustrees de plusieurs Saintz et Saintes, comme de sainte Catherine de Sienne et de Gennes, de sainte Angele de Foligni, de sainte Elizabeth d'Ongrie, saint Elzear, saint Ives, sainte Françoise (et en nostr'aage, du B. P. Philippe Nerius), sainte Geneviefve. Les autres le font par des vœux  qui sont voirement appreuvés de l'Eglise, mais non pas  pourtant acceptés [ni] appliqués pour mettre la personne qui les fait en l'estat que l'on appelle regulier : telz sont tous les vœux qui se font par les personnes seculieres, voire mesme ecclesiastiques, encor bien que ce seroyent les vœux de pauvreté, chasteté et obeissance, quand ilz sont faitz sans estre acceptés par quelqu'Ordre qui ayt le pouvoir ou l'establissement de rendre ses membres reguliers. Les autres le font par des vœux acceptés par l'Eglise pour establir une personne en l'estat  que nous appelions [59] regulier, soit que telz vœux soyent solemnelz, soit qu'ilz soyent simples, comme ceux des coadjuteurs formés de la Compaignie du nom de Jesus.

            Or est il vray que tous les vœux, autant les simples que les solemnelz, ceux qui se font en la profession  reguliere et ceux qui se font hors d'icelle, obligent egalement devant Dieu, sans qu'il y ait nulle difference ;  en sorte que qui viole les vœux simples il est autant perfide et sacrilege, a rayson du vœu, comme celuy qui viole les vœux solemnelz.  Mais pourtant, ceux qui violent les vœux solemnelz, ou simples, mais de Religion, pechent plus griefvement que les autres, a rayson du scandale qui s'en ensuit, [qui] est plus grand : outre que, par l'establissement du droit, ilz peuvent estre apprehendés et chastiés, ne pouvans ni contracter legitimement ni rien acquerir entre les hommes, tandis quilz sont dans les liens du vœu ; la ou ceux qui ont fait les vœux purement simples ne sont pas rendus inhabiles a contracter et acquerir entre les hommes, quoy que devant Dieu et en conscience ilz soyent  autant perfides en ce faysant que les autres.

            Or, d'autant que ceux qui par vœu se sont obligés aux Religions appreuvees se sont non seulement liés de l'obligation consciencieuse et devant Dieu, mays aussi  d'un'obligation civile, ecclesiastique et devant les hommes, non seulement sous des peynes eternelles, mais aussi temporelles ; non seulement pour estre redevables et obligés en conscience, mays pour estre contraintz en effect a l'observation des vœux : partant on leur a donné specialement le nom de Religieux, et a leurs Congregations le nom de Religions, a cause de  ce lien par lequel, outre le commun lien des Chrestiens, ilz se sont reliés au devoir de la poursuite de la perfection par les trois vœux propres a [60] l'obtenir, et de rechef encor, reliés pour la sousmission aux peynes et astrictions ecclesiastiques en cas de contravention et infraction des vœux.

            Et quant aux autres personnes qui ne sont liees que par les simples oblations (qui est un lien de reverence, respect et verité ; car c'est un'irreverence de ne point observer ce que l'on a protesté, quoy que non voué de faire, devant un si grand Roy et pour son service, bien que ce ne soit pas contre la fidelité, n'y ayant eu aucune promesse), elles ne sont pas appellees Religieuses si absolument, ains seulement devotes et dediees a Dieu. Comm'aussi celles qui par des vœux particuliers et purement simples se sont liees devant Dieu a l'obeissance, pauvreté et chasteté ; car si bien elles ne sont pas moins liees devant Dieu que les Religieux, neanmoins, en la police exterieure de l'Eglise et en ce qui en depend, les Religieux le sont beaucoup davantage.

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            L'orayson, certes, ou la priere n'est autre chose, a proprement parler, qu'une demande faite a Dieu de ce que nous praetendons obtenir de luy. Nous pouvons demander une chose diversement : car nous la pouvons demander  par droit de justice, comm'un debte ; ou par droit d'authorité, comm'un devoir ; ou comm'une grace et faveur, par le seul droit de liberalité, de courtoysie et de bienveuillance. Car je vous prie, Philothee, si je demande en justice l'argent que j'ay preste a mon voysin,  est ce une priere et orayson ? Non certes, ains une demande rigoureuse. Si un seigneur demande son manteau, son chapeau, son espee, ou du vin a son valet, est ce une priere ? Nullement, mais une demande par authorité. Mays je demande a un homme qui ne me doit rien, ni service ni chose quelconque, quil me donne de l'argent, quil me preste son [61] cheval, ou quil me donn'a manger ou a boire, a cett'heure-la je ne puis user d'autre sorte de demande que de celle de la priere ; et si c'est une personne qui soit relevee au dessus de moy en quelque eminente qualité, je ne prie pas seulement, mais adjoustant avec l'humilité la reverence, je supplie.

            Or, Dieu ne nous doit rien, Philothee, a tous tant que nous sommes, pour nostre regard et pour nostre consideration ; car, qu'avons nous pour l'obliger de quoy il ne nous ayt premierement obligés ? Nous ne luy sçaurions jamais rien donner, car si nous luy  presentons quelque chose, l'ayant premierement receue de luy, c'est rendre, non pas donner ; c'est payer, non pas obliger ; nous ne l'obligeons pas, mais nous nous acquitons de la dette. L'isle Halonesus avoit esté aux Atheniens, mais les pirates la leur occuperent ; sur lesquelz Philippe, Roy de Macedoine, l'ayant prise, les Atheniens la luy demanderent, et il  consentit de la leur donner, mais non pas de la rendre ; au contraire, les Atheniens ne la vouloient pas prendre, mais reprendre. Certes, nous ne pouvons rien donner a Nostre Seigneur, a proprement parler, ains seulement rendre ; et il ne peut rien prendre sur nous, oui bien reprendre, puis que nos mains ne luy peuvent rien presenter que nous n'ayons receu des siennes.

            Ce n'est pas, Philothee, que Nostre Seigneur ne se soit constitué debteur envers nous des recompenses immortelles, si nous observons ses commandemens, et quil ne die souvent que non seulement il nous les donnera, mais quil les nous rendra : Mon Pere, dit il a celuy qui priera en son nom, te le rendra ; et l'Apostre, parlant de la coronne de gloire : laquelle, dit il, en ce jour la advenir le juste Juge me rendra. Ouy, en verité, Philothee, nos bonnes œuvres faites en la grace de Dieu meritent recompense, et Nostre Seigneur s'oblige de la rendre, comme toute l'Escriture tesmoigne ; mays ce n'a pas esté par  [62] droit de justice que Nostre Seigneur s'est obligé de nous rendre recompense, ça esté par pure misericorde, selon la grandeur de laquelle il nous a voulu sauver. Or, despuis neanmoins quil s'y est obligé par misericorde, il le fait par justice ; dont il dit quil rendra, par ce que s'estant engagé de parole il est constitué debteur de justice, comme par ce qul ne s'est engagé que par misericorde il est donateur de liberalité : il donne, par ce quil ne s'est pas obligé par justice, ains liberalement et de grace ; il rend pourtant, par ce quil doit, et il doit par ce quil s'est obligé.

            Mays outre cela, il ne nous considere pas en nous mesme, ains en Nostre Seigneur son Filz, sur lequel nous sommes entés comme des greffes sur un noble tige ; et partant, en qualité de membres d'un tel chef, au nom duquel nous demandons toutes choses, il nous rend ce qui luy est deu. Imagines vous, Philothee, le petit Thobie qui demande le payement a Raguel  pour son pere, et voyes comme il est payé favorablement par ce quil ressembloit son pere ; car il en est de mesme : nous demandons au Pere ce quil doit a son Filz, auquel si nous sommes rendus semblables par une sainte charité, mon Dieu que de graces ! Or il doit a son Filz selon mesme toute la rigueur de justice, ainsi que nos sçavans theologiens enseignent, tout ce quil a merité pour nous : or il a merité pour nous que nous puissions meriter, si que le pouvoir que nous avons de meriter est un rejetton du merite de Nostre Seigneur. Il nous a merité la grace et tout ce qui est necessaire pour nous acheminer a la grace, pour cheminer en la grace et pour obtenir, par sa grace, la grace consommee et parfaite, qui est la gloire et vie eternelle. C'est pourquoy, demandons au Pere eternel quelque chose au nom de Nostre Seigneur, nous la demandons par justice et par grace tout ensemble : en justice, entant que c'est au nom de Nostre Seigneur ; en grace, entant que c'est pour nous, qui de nous mesme en sommes grandement indignes. Et bien que  nous ayons [63] promesse expresse d'obtenir tout ce que nous demanderons au nom de Nostre Seigneur, cela neanmoins s'entend sous cette condition, que nous soyons enfans de Dieu et que nous ayons l'esprit d'adoption qui nous donne la hardiesse de crier : Abba Pater, ou convenablement disposés pour le devenir ; dequoy n'estant pas asseurés, nous ne pouvons jamais demander qu'en grace pour nostre regard.

            Mays quant a Nostre Seigneur, estant au Ciel et ayant achevé toutes les œuvres par lesquelles il a merité aux Anges et aux hommes la grace et la gloire, il demande a son Pere toutes les benedictions que nous recevons, par droit de justice, comme les ayant acquises par son sang. C'est pourquoy il est appellé advocat, car les advocatz, a proprement parler, ne font des requisitions qu'en vertu du  droit des parties, et implore la justice et l'equité, non la misericorde ni la grace ; et en cette qualité d'advocat il montre les tiltres et les droitz pour lesquelz les graces luy sont deües, qui ne sont autres choses que ses playes, tiltre pour lequel le Pere eternel est obligé de favoriser tous ceux qui obeissent a son Filz. Or, par ce que ses demandes sont fondees en droit et justice, plusieurs grans personnages (Greg. Naz., Orat. 36 , 53 et 54) ont dit qu'a proprement parler Nostre Seigneur ne prioit plus maintenant quil est au Ciel, selon que luy mesme l'affirme disant : Je ne dis pas que je prieray mon Pere ; mays par ce que neanmoins il demande en qualité d'advocat et que, comme les advocatz, il demande avec un infini respect et une reverence incomparable, plusieurs aussi ont dit quil prioit. En quoy les uns et les autres ont eu rayson : car il demande sans doute a son Pere les benedictions que nous recevons, et sa demande n'est pas priere quant a ce quil demande, car ce quil demande luy est deu par justice ; mais elle ressemble pourtant a la priere, par ce qu'il ne demande [64] pas avec moins de reverence, d'humilité et de sousmission que si ce qu'il demande ne luy estoit pas deu.

            Or, l'orayson consiste donq principalement a demander a Dieu quil nous donne par faveur, grace, liberalité et misericorde ce qui est requis pour nostre salut, et depend principalement de l'esperance, comme la meditation de la foy et la contemplation de l'amour : car la meditation considere ce que nous croyons, pour l'aymer ; la priere demande ce que nous esperons, pour l'obtenir ; et la contemplation regarde ce que nous aymons, pour nous y plaire.

             Mays, outre ces trois parties de l'orayson, il y a la louange de Dieu, en laquelle nous employons une partie des Heures canoniales ; il y a aussi l'action de grace pour les benefices receus, et l'offrande et sousmission de nous mesmes a Dieu : lesquelles parties sont principalement fondees sur la vertu de religion, par laquelle nous sommes portés a rendre a Dieu l'honneur et gloire qui luy est deüe, entant qu'elle luy est deüe ; comme aussi l'adoration accompaigne tous-jours l'orayson, car personne ne prie Dieu qu'il ne l'adore.

            Or, l'adoration est la plus eminente espece d'honneur que l'on puisse rendre a qui que ce soit ; dont saint Augustin a dit que « les hommes sont appellés dignes de service et venerables, mays que si on veut beaucoup adjouster a cela, on les appelle encor adorables. »

            Or, entre toutes les adorations il y en a une qui est hors de toute comparayson ; car l'honneur se donne en contemplation de l'excellente vertu de quelqu'un, et l'adoration se donne non pour la vertu entant qu'elle est excellente, mays pour l'excellence entant qu'elle nous est [incompréhensible] a cause de son infinie grandeur et profondité, et laquelle, comme dit Anastase, Evesque de Theopolis, est l'emphase et sureminence de tout honneur : qui est l'adoration deue a Dieu, et que non seulement les hommes, mays aussi les Anges ont commandement de luy rendre ; et ce n'est autre chose que la plus grande, juste et profonde sousmission [65] et reconnoissance spirituelle que nous puissions faire a la supresme et, pour dire ainsy, incomprehensible sursouveraine Majesté et superiorité de Dieu. Nous prononçons telles ou semblables paroles, du plus profond de nostre esprit, ou si nous ne les prononçons pas, nous en avons le sentiment : Saint, Saint, Saint, le Seigneur Dieu des armées. O Seigneur, vous estes Celuy qui est ; vous estes mon Dieu redoutable, infini, et la grandeur de vostre majesté est trop plus eslevee sur moy, et mon ame le reconnoist. Je prosterne mon neant devant vous, et mon estre s'incline jusques au fin fons de la terre devant l'incomprehensible majesté de vostre Deité et authorité. O si je pouvois m'abbaysser jusques dedans l'abisme du neant duquel vous m'aves tiré, pour mieux faire hommage a vostre infinie authorité et reconnoistre de vostre liberalité l'estre que vous m'aves donné ! O Anges, desquelz les affections sont plus grandes et fortes que les miennes, hé ! secoures mon imbecillité et adores pour moy cette couronne eternelle de la gloire de mon Dieu, de la plus profonde adoration que vous puissies exercer. Helas ! Seigneur, que ne puis je asses connoistre, reconnoistre et reverer vostre grandeur ! O Sauveur de mon ame, qui, en qualité d'homme, a rayson de la dignité infinie de vostre personne, pouves adorer d'une adoration d'infinie estime la tres souveraine Divinité, hé, secoures mon desir, et adores pour moy vostre Pere eternel de cette souveraine adoration que vous seul sçaves, voules et pouves faire. Et puysque vous estes homme, faites luy l'hommage pour tous les hommes, qui n'ont ni asses de cœur ni asses de force pour s'abbaysser si profondement qu'il seroit requis devant une si infinie Essence. O Pere, Filz et Saint Esprit, une seule sainte souveraine Divinité, je vous adore par ce que vous estes souverainement adorable, et encor plus, parce que vous estes si excellemment adorable que vous ne pouves jamais estre suffisamment adoré. Adorons Dieu par ce qu'il doit estre infiniment adoré ; adorons le par ce qu'il ne peut estre suffisamment adoré.

            Telles ou semblables sont les actions interieures et essentielles de l'adoration ; differentes des actions de l'humilité [66] en cela seulement, que nous adorons en reconnoissance de l'eminence et majesté devant laquelle nous nous prosternons en esprit et a laquelle nous nous sousmettons, mays nous nous humilions en reconnoissance de nostre bassesse et vileté. Par l'adoration nous regardons Dieu, par l'humilité nous nous regardons nous mesmes.

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            En fin, dans le Sanctuaire il y avoit quatre Cherubins : deux estoyent tout d'or, qui estoyent sur le propitiatoire, qui s'entreregardoyent et couvroyent, de leurs aysles estendues l'un vers l'autre, tout le propitiatoire ; et ceux cy representoyent l' [ordre] des Anges assistans, qui n'ont [qu'une ] contemplation, et leur reciproque amour ne sert qu'a la louange de Dieu. Les autres deux Cherubins estoyent de boys d'olive doré, et regardoyent devers la porte du Sanctuaire, ayant chacun une de leurs aysles estendue sur l'Arche et le propitiatoire, et l'autre estendue jusques a la paroy du Sanctuaire. Ilz avoyent dix coudees de haut et leurs aysles cinq de longueur, parce que les Anges administrans ou servans ont charge de regarder et garder l'Eglise, et partant ilz ont leurs affections misericordieuses comme d'olive ; et, sans laysser leur contemplation beatifique, laquelle est sur le propitiatoire, ilz estendent leurs secours et exercent promptement leur charité envers les murs de Hierusalem, de l'Eglise, envers la mayson et famille de Dieu. Ilz ont dix coudees de hauteur, pour cooperer avec les hommes aux œuvres des dix commandemens ; et leurs deux aysles sont de mesme, parce qu'a cet effect ilz prient devers le Sanctuaire et inspirent devers les peuples. [67]

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             Et par ce que nos parens sont des appartenances plus proches de nos pere et mere, et que toute la parentee semble estre un seul arbre a diverses branches esquelles toutes un mesme sang, commune mesme seve, joint et sustente, partant la pieté s'estend encor a eux ; comm'aussi, par ce que les alliés et amis de nostre patrie sont comme ses appuys et mainteneurs, nous les cherissons aussi par pieté.

            Or, le devoir de pieté s'estend a tous les offices qui se peuvent legitimement rendre, soit en honneur, soit en service, mais sur tout a sustenter et servir nos pere et mere en leurs necessités : obligation qui passe si avant, que nous ne pouvons pas mesme faire aucun vœu qui nous puisse empescher de rendre ce devoir ; et si nous l'avons fait, il ne nous tient pas liés de ce costé la, ains, nonobstant iceluy, nous pouvons et devons rendre ce devoir  originaire de pieté auquel la nature nous oblige. Et par ainsy, les enfans sortent des Religions, quoy quilz soyent profes, pour secourir leurs peres et meres quand ilz sont, je ne dis pas en extreme, mais en grande necessité,  quand sans sortir ilz ne peuvent leur procurer d'ayde et de soulagement.

            L'observance est une vertu par laquelle nous rendons l'honneur et le service qui est deu a ceux qui  sont ordonnés a nostre gouvernement ou qui sont propres a cela : car, comme nous honnorons et servons avec une speciale affection nos pere, mere et patrie par ce qu'ilz nous representent Dieu en qualité d'autheur, principe et origine de nostre estre, et comme instrumens de sa puissance productrice, aussi honnorons nous ceux qui nous gouvernent par ce quilz representent Dieu en qualité de gouverneur et recteur des hommes et comm'instrumentz de sa providence. En quoy nous donnons les premiers rangs a nos gouverneurs et princes spirituelz ; car  l'authorité et [68] pouvoir quilz ont estant surnaturel et leur gouvernement tendant a une fin surnaturelle,  le devoir de sousmission et service que nous leur avons a cette consideration est surnaturel, religieux et purement pieux.

            En suite de la pieté et de l'observance vient la sainte obeissance : vertu par laquelle nous faysons volontairement ce que nos superieurs et [ceux] qui ont authorité legitime nous ordonnent ou commande (sic) par ce quilz le nous commandent, c'est a dire par ce que nous devons le faire. Car un œuvre que nous n'estions pas obligé de faire avant quil fut commandé, soudain quil est commandé nous sommes obligés de le faire, et d'œuvre simple elle devient debte ou devoir pour nous, le commandement liant et obligeant nostre volonté avec cett'œuvre : et partant, l'obeissance est la vertu par laquelle nous rendons aux superieurs ce que leur authorité nous oblige de faire par leur commandement.

            Or, toute l'authorité a laquelle nous rendons obeissance procede de Dieu, ou par l'ordre special quil a mis en son service et pour nostre conduite au salut eternel, donnant la puissance spirituelle a ses Apostres et a leurs successeurs ; ou par l'ordre naturel, donnant aux peres, meres, mari authorité sur leurs enfans et femmes ; ou par l'ordre civil, aux princes et magistratz sur leurs sujetz : de sorte que la vertu d'obeissance se termine en fin finale a l'authorité divine, bien que sensiblement et selon nostr'apprehension particuliere elle regarde cette varieté de superieurs a l'authorité desquelz Dieu nous a sousmis. Obeissance, vertu admirable, qui nous rend toutes les actions des vertus aggreables, qui establit la justice en paix et donne la victoire en la guerre. C'est pourquoy elle est meilleure que les victimes par ce que les victimes sans obeissance ne sont pas aggreables a Dieu, oui bien l'obeissance sans victimes, et par ce que les victimes ne sont aggreables sinon comm'elles sont commandees. Vertu generale, laquelle ne perd point son unité par la diversité de ceux qui obeissent, [69] ni de ceux auxquelz on obeit, ni des commandemens, car tousjours ell'obeit par ce qu'elle le doit et quil luy est commande par ceux qui ont authorité.

            La gratitude est une vertu par laquelle nous rendons a ceux qui nous ont fait du bien quelque sorte de contrechange, ou par honneurs, ou par services, ou par des autres reciproques bien faitz. Et cette vertu requiert : [1.] que nous estimions et prisions grandement et au plus haut pris le bien fait, et sur tout l'affection avec laquelle le bien facteur le distribue et nous le departit ; 2. que nous le recevions cordialement ; 3. que nous declarions combien il nous aggree et en facions une protestation et reconnoissance ; 4. que nous en conservions et pratiquions la souvenance, faysant volontier mention lhors que l'occasion s'en presente ; 5. que selon les occurrences et nostre pouvoir nous rendions bienfait pour bienfait. Je dis selon les occurrences, car l'empressement et precipitation a contrechanger un bienfait tesmoigne un esprit qui se deplait d'estre debiteur a son bienfacteur. La debte de gratitude doit estre aggreable, et ne se doit pas payer par ce quil nous deplait de  devoir, mais par ce quil nous plait et aggree de rendre le reciproque. Et deffait, rendre un bien fait avec cett'inquietude, c'est plus tost le payer que le rendre, ou encor, plus tost le rejetter et vouloir effacer que de le vouloir contrechanger. Aussi ay je dit quil failloit rendre bien fait pour bien fait : or, ce n'est pas un bien fait sii ne procede d'un esprit aymant, doux, aggreable, officieux, et sil ne regarde plus l'affection du bienfacteur que le bien fait. C'est pourquoy il faut rendre, sil se peut, plus que l'on n'a pas receu, comme font les chams fertiles qui produisent plus de graines incomparablement qu'on n'en a jetté dedans leur sein : car si vous  ne rendes que le mesme, c'est plustost une restitution de rigueur qu'une gratitude d'affection et d'amour ; et en cela vous ne rendes pas bienfait pour bienfait, car si vous ne rendes que ce que vous aves receu, il [70] n'y a point de bienfait de vostre part. J'ay dit selon son pouvoir ; car, qui ne peut rendre aucun bienfait, quil face tant [plus]  de tesmoignages et de reconnoissance en paroles, quil face force souhaitz pour le bonheur du bienfacteur.

            Il y a une vertu que l'on appelle juste vangeance, a laquelle il appartient de punir les meschans et malfaiteurs, par ce qu'il est raysonnable qu'ilz reçoivent de la peyne pour leurs coulpes et que, par ce moyen, il se face quelque reparation de la faute commise et du tort qui a esté fait au prochain, soit par maniere de dommage qu'on luy a porté, soit par maniere de scandale ou de mauvais exemple. Or, affin que ceste vangeance soit vertu, il faut qu'elle soit juste ; et partant elle n'appartient qu'aux superieurs qui seulz ont le juste pouvoir de chastier, bien que tous ayent le pouvoir de repouser et empescher l'injure. Et faut, outre cela, que telle vengeance se face en telle sorte qu'elle ne passe point a la cruauté par exces, ni a la lascheté par defaut.

            La vertu de verité consiste en une volonté perseverante de ne rien signifier au prochain, soit par paroles, soit par autres signes, que selon la verité de nostre sentiment. Nous pouvons  celer nos sentimens quand il en est tems, mais si nous les voulons exprimer, nous le devons faire fort veritablement et ne point mentir.

             Or, quand nous disons nos sentimens, nous n'entendons pas parler des sentimens involontaires que nous avons quelquefois contre nos prochains, mays de vrays sentimens que nous avons selon nostre volonté superieure. Ainsy, si j'ay quelqu'aversion et repugnance a mon prochain, pourveu que, selon ma volonté et resolution, je sois deliberé de l'aymer, non seulement je dois luy tesmoigner de l'amour, mais je ne dois nullement luy tesmoigner mon aversion, car cette aversion n'est pas'volontaire et si, [71] elle seroit scandaleuse ; et en verité je l'ayme, puisque je l'ayme selon la partie maistresse et regente de mon ame.

            Et parce que cette vertu m'oblige de conformer mes paroles et mes gestes exterieurs a mes sentimens interieurs et a la verité de ce que j'exprime, elle m'oblige aussi a rechercher la verité, mais d'une recherche raysonnable et qui prend sa mesure de l'importance de la chose que je veux exprimer. Car si je veux affirmer une chose de grande consequence, je suis obligé d'avoir un grand soin pour sçavoir la verité ; si c'est une chose indifferente, il n'est pas requis de me mettre en peyne pour m'asseurer de la verité, ains suffit que je die simplement ce que je croy estre veritable d'abord. Si je raconte ce que Virgile dit de Junon, d'Œneas et de Priamus, il suffit que je die selon ce que ma memoire me fournit et que je pense estre vray ; car, qu'importe-il quand je dirois bien une chose pour une autre en chose si frivole ? Mais si je raconte les miracles de Nostre Seigneur ou de Moyse, ou mesme d'autres histoires desquelles la verité importe a l'establissement de nostre foy, je suis obligé d'estre grandement sur mes gardes a ne rien dire qu'en verité. Si je raconte comme un seigneur ou une dame estoit (sic) vestus en telles occasions, pourveu que je die selon ce quil m'en semble il suffit ; mays si je raconte leurs actions, par lesquelles on peut discerner silz ont esté vertueux ou non, je dois estre plus discret et parler avec plus d'asseurance de la verité : car  le mensonge n'a jamais aucun juste usage, c'est tous-jours un abus, pour utile qu'en soit la consequence ; et n'en est pas de mesme comme de l'hellebore, car bien que nos cors puissent estre gueris par le tourment des medicamens, les espritz le doivent voirement estre par le tourment de la tristesse et repentance, mais non jamais par la coulpe. Or, puisque les signes sont ordonnés pour exprimer les choses, nous nous devons cela les uns aux autres, de ne nous point decevoir par iceux, les employant a signifier le mensonge et ce qui n'est point.

            S'ensuit la douce affabilité, qui donne une aggreable [72] bienseance a nos conversations serieuses, affin que d'un costé nous ne soyons ni trop blandissans, amadoüans et flateurs, ni de l'autre trop aspres, austeres, rebarbatifs, durs, desdaigneux et fascheux ; mais qu'avec une condescendance bien assaisonnee, nous traittions, en paroles, actions et contenances, suavement et amiablement avec le prochain.

             La suave amitié est une vertu differente de l'affabilité, car elle se prend a un chacun, pour inconneu quil soit ; mays l'amitié ne se fait qu'avec privauté et familiarité, car c'est une reciproque et manifeste affection par laquelle nous nous souhaitons et procurons du bien les uns aux autres, selon les regles de la rayson et de l'honnesteté : dont j'ay parlé ailleurs, en l'Introduction et au livre de l'Amour du prochain .

            Apres, vient la liberalité, qui nous donne la juste estime et. affection des richesses, ne permettant pas qu'on les prise plus quil ne faut, et par consequent nous porte a les despenser et employer volontier et librement quand il est convenable, affin que d'un costé nous ne soyons pas avares, soyt a ramasser et acquerir trop ardemment les biens de ce monde, soit a les retenir trop chichement, et que d'autre part nous ne soyons pas prodigues, donnant a gens indignes, comme sont les flateurs, bouffons, joüeurs, ni pour choses frivoles et vaines. On ne sçauroit dire lequel de ces deux vices est plus dangereux. Certes, l'avarice ne proffite a personne, non pas mesme a l'avare, auquel le bien quil a luy defaut et est autant inutile comme celuy quil n'a point. C'est un vray vilain vice que celuy-la, et qui monstre une grande bassesse de courage : c'est pourquoy la prodigalité et profusion des richesses seroit plus aymable, si elle n'engendroit. ordinairement l'avarice ; car il arrive souvent que ceux qui se playsent trop a donner aux uns, affin d'assovir leur inclination en cela, ilz  [73] …………………………………………………………………………………....

             Mays sur tout ce qui regarde la justice, il y a une vertu que nous appelions œquité, qui empesche que la justice ne soit pas injuste et que le droit ne se change pas en injure ; c'est cette prudence qui modere les loix inferieures par les superieures, en sorte que une loy cede a l'autre selon que la rayson requiert et que le legislateur mesme le diroit sil voyoit l'estat present des affaires. Il faut rendre a chacun ce qui luy appartient : rendes donc a ce furieux son espee, et il en tuera quelqu'un sur le champ ! Non, Philothee, cela ne se doit pas faire ; car bien quil faille rendre a chacun ce qui est a luy, cela s'entend quand il n'en abuse pas au plus grand dommage du prochain, et l'equité nous enseigne cela. La loy dit : Ne tues point ; mais si le voleur attaque vostre personne et vous le tues pour vostre juste defence, qui vous en peut blasmer ? car la loy de la conservation de nostre propre vie præcede celle de la conservation de la vie du prochain. La loy dit : Chommés les jours de feste, ouyes la sainte Messe ; le fœu cependant se prend a la mayson, ne l'esteindray-je donq pas ? Si faites, car la loy n'a pas entendu de vous obliger en ce cas la ; vous feres bien un autre jour la feste et ouires bien un autre jour la Messe, mays vous ne sçauries eviter ce grand dommage si vous n'y travailles maintenant. Ainsy donq, les loix veulent que par droit on les modere.

 

De la force

 

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            A la force appartient la magnanimité, qui n'est autre chose qu'une vertu qui nous porte et incline aux [actions [74] grandes ] et relevees en chasque matiere et espece de vertu, non pour le regard du bien quil y a en l'action grande de la vertu, mais pour le respect de la seule grandeur de l'action. Car, par exemple, consideres d'un costé un homme qui ayme grandement la chasteté, et d'autre costé un homme magnanime et de grand courage : l'un et lautre, au choix de la chasteté, entreprendront la chasteté virginale comme  le plus haut et relevé degré qui puisse estre en la vertu de chasteté ; mais l'un fait cett'entreprise pour le grand amour quil porte a la chasteté, laquelle plus ell'est grande plus il l'ayme, l'autre fait la mesme entreprise, non pour l'amour de la chasteté qui est en cette grandeur et hauteur de vertu, mays pour l'amour de la grandeur qui est en cette chasteté : si que l'un cherche la perfection de la chasteté en la grandeur de cett'action, et l'autre cherche la grandeur de l'action en la perfection de la chasteté. Or, comme cette vertu recherche la vraye grandeur qui est es actions heroiques des vertus, aussi n'estime elle rien de grand que cela ; c'est pourquoy ell'a ces proprietés, selon Aristote (qui neanmoins, au sujet de cette vertu, tesmoigne asses la foiblesse de la philosophie naturelle en comparayson de l'evangelique) : 1. de ne se plaire que fort sobrement entre les honneurs, pour grans et relevés quilz soyent ; 2. estre egalement [modéré] dans l'adversité et les prosperités ; 3. fuir les menus et inutiles………. et convenables ; 4. secourir …………………………………………………………… la rayson  ……………………………………………………………………………………………………..

…  on recherche de la gloire par des moyens vains, ou pour des choses vaynes ou des personnes vaines. Et en fin, nous evitons la pusillanimité ou decouragement, par lequel [75] nous fuyons les grandes actions, les grans honneurs et les grans offices pour la trop grande apprehension que nous avons de la grandeur, n'estimans pas nos forces asses dignement et selon leur mesure ; car, comme les presomptueux entreprennent indiscrettement outre leur pouvoir, les pusillanimes n'entreprennent pas selon leur pouvoir, ains laissent une partie de leurs forces inutiles, faute de cœur pour les employer.

            De la magnanimité depend la magnificence, qui nous porte non aux actions grandes des vertus, mays aux grans et somptueux ouvrages qui requierent force despence ; car cette vertu nous les fait entreprendre genereusement, destournant d'un costé une certaine sotte affection de despence par laquelle on fait des frais inutiles et outre la bienseance, et d'autre costé une certaine vileté d'esprit par laquelle on n'esgale pas la despence a la dignité et bienseance de l'ouvrage qu'on entreprend.

            Apres, vient la tressainte patience, par laquelle nous moderons les tristesses et fascheries  qui nous arrivent des maux ordinaires en cette miserable vie mortelle : la mort des parens et amis, les bannissemens, les pertes, les maladies, les injures et opprobres, et autres sortes d'afflictions de la vie mortelle ……….. de la vie, parce que les maux de la mort et les craintes  horribles pour la mort doivent estre surmontés par la force, comme il a esté dit. Or, la patience nous fait supporter tranquillement ces afflictions pour l'honnesteté et le bien qu'elle reconnoist estre en l'egalité de l'esprit et la bonn'assiette de l'ame entre ces occasions.

            Or, quand, outre le mal que nous endurons avec moderation,  nous devons l'avoir longuement : c'est a dire, [76] qu'outre le mal nous devons supporter une longue duree du mal, qui est une grandeur en duree et estendile de continuation, nous n'avons pas seulement besoin de patience, mays de longanimité, qui est la vertu par laquelle nous supportons ou une longue attente du bien, ou une longue duree du mal. Et tant la patience que la longanimité sont requises, affin que d'un costé nous evitions l'insensibilité, qui n'est autre chose qu'une certaine stupidité et brutale lourdise par laquelle, comme si nous avions nos sens assoupis, nous ne sentons aucune douleur ni tristesse de maux, et par consequent sommes hors de tout sujet de patience ; et d'autre costé, que nous evitions l'impatience, par laquelle nous ressentons immoderement les afflictions et contradictions.

            En fin, la force produit la perseverance. Je ne dis pas le don de perseverance, car c'est une grace toute divine dont nous avons parlé, en passant, ailleurs ; mays la perseverance qui est une vertu par laquelle nous continuons et poursuivons un bien jusques a la fin,  contre la difficulté et l'ennuy que la longueur et duree d'un affaire ou entreprise peut apporter. Mays quand, outre l'ennuy de la duree et longueur du tems, nous avons encor des autres obstacles et resistances exterieures qui s'opposent a la poursuite et continuation de nos exercices en la vertu et du dessein que nous avons fait pour le bien, lhors nous avons besoin de la constance. Deux choses nous lassent en un chemin : la longueur et esgalité, car, comme dit Aristote, on se plait plus en un chemin ou il y a par fois des [inégalités] et varietés, qu'en un chemin tous-jours uni et sans diversité, et les pierres, les ronces, les fossés, les fanges et autres difficultés. Ainsy, au chemin de la vertu, deux choses nous lassent : la duree et continuation de mesm'exercice, et contre cet ennuy nous avons la vertu de perseverance ; et les autres difficultés et resistances, comme sont les oppositions des hommes, nostre foiblesse, les murmurations, les remonstrances de ceux qui sont de contraire opinion, [77] et toutes autres telles [choses] contre lesquelles la constance nous arme : en sorte que nous ne sommes ni opiniastres et aheurtés pour continuer et vouloir poursuivre chose quelconque contre rayson ; ni inconstans et legers pour nous laisser vaincre a la duree et longueur du tems requis a nostre entreprise ; ni molz, tendres ou delicatz de courage pour nous laisser surmonter aux autres difficultés.

            Or, entre toutes les actions de force, il n'y en a point de comparable a celle de nos Martyrs chrestiens : gens invincibles et invariables entre les plus divers et espouvantables tourmens qu'il est possible d'imaginer, qui ont combattu contre les tyrans pour confirmer les plus excellentes vertus de toutes, entant que Nostre Seigneur les a enseignees, et combattu par la seule volontaire souffrance, qui les rend tant plus vaillans en toute façon. Car, comm'ont remarqué nos anciens Peres, celuy qui souffre courageusement, il combat le mal present ; celuy qui attaque ou resiste, combat le mal a venir ou evitable. Le martir estant le plus foible, fait l'office du plus fort, car il garde la vertu pour laquelle il combat et demeure vainqueur. La souffrance n'est aydee d'autre chose que de la vive force de la rayson ; mais l'attaque est. portee par la cholere, par l'esmotion et impetuosité sensitive. Et aussi, le martir est parfaitement conforme a Nostre Seigneur, qui tesmoigna sa charité non attaquant ses ennemis et les mesprisant, mays souffrant la mort, joint que celuy qui meurt en se defendant, comme font nos Chevaliers de Saint Jean de Hierusalem contre le Turc  …………………………………………………………………………………………..

            La force sert de boucle a la crainte pour la moderer, la temperance modere les joyes, la prudence les douleurs et la justice les desirs.

De la temperance ou moderation

 

            La temperance est ordinairement nommee en l'Escriture Sainte, modestie, sobrieté, honnesteté. Or, comme [78] dit saint Augustin, « c'est l'amour qui se donne tout a Dieu, » et c'est le 4. fleuve  qui se respand sur nostre appetit concupiscible. La complaisance que nous prenons es choses sensibles par le moyen de nos cinq sens corporelz attire puissamment nostr'ame aux objetz de ces cinq sens, lesquelz estant bas, corporelz et caduques, rendent aussi nostr'ame telle, quand elle est passionnee de leur delectation et jouissance. Et lhors, elle ne peut bonnement se relever a l'objet intelligible et s'attacher si fermement par amour a Dieu ; car sa force et puissance amoureuse, ou aymante, ou affective, s'escoulant et dissipant par les sens aux choses sensuelles, elle est d'autant plus foible et alangourie pour les choses superieures et spirituelles. C'est pourquoy saint Augustin a dit que la temperance n'est autre chose que « l'amour qui se donne tout a Dieu, » c'est a dire l'amour qui ramasse toute sa vigueur pour aymer Dieu et, pour la ramasser toute, il la divertit des objetz sensuelz esquelz elle se pourroit espancher et dissiper.

            Mays parce qu'entre tous les sens il y en a deux qui sont plus grossiers, brutaux et impetueux en leurs actes, et qui par consequent dissipent et divertissent plus furieusement et desbordent la force affective de nostre ame, c'est a sçavoir l'attouchement et le goust (qui, comme dit Aristote, n'est presque qu'un certain attouchement par lequel nous nous appliquons immediatement aux objectz les plus grossiers), partant la temperance modere les playsirs et voluptés de ces deux sens principalement, bien qu'elle regie aussi les autres playsirs, soit interieurs ou exterieurs, entant que par iceux la force affective pourroit estre mise en desordre et dissipee contre la juste rayson. Or j'ay dit qu'elle les modere, parce que nostre nature, composee de cors et d'ame, ayant besoin des playsirs sensibles, soit pour la conservation particuliere de chasque personne, soit pour [79] la conservation de l'espece et race humaine, ce seroit egalement dementir la rayson et violer ses loix, de vouloir estre sensuel en s'appliquant demesurement aux voluptés des sens. Ainsy y a-il deux vices contraires a la temperance.

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            Mays l'autre, qui s'appelle intemperance, est le grand vice du monde, par lequel on desire les playsirs sensuelz outre mesure et sans discretion ; et c'est le vice qui attira le deluge, qui fit perdre les quatre cités et les fit fondre et en somme c'est le vice le plus infame et vilain, comme dit Aristote, qui nous rend pareilz aux bestes brutes, assoupit l'usage de la rayson et, comme dit Hippocrate, le plus vehement de tous ces playsirs sensuelz n'est autre chose qu'une epilepsie passagere. Et Aristote dit que tout animal est triste apres iceluy, hormis le coq ; mais l'homme plus que tous les animaux, comme ayant en iceluy perdu la rayson. Vice brutal, qui rend comme furieux et phrenetique l'homme avant qu'il le commette, epileptique en le commettant, triste et melancholique apres l'avoir commis. Mays si l'intemperance passe jusques au dela de la nature, ce n'est plus un vice, « c'est un monstre de vice, » dit Tertulien ; ce n'est plus un vice humain, dit Aristote, il est brutal et forcenerie.

            Or, d'autant que les playsirs du goust et des autres sens sont donnés a nostre nature pour servir a la conservation de chasque particulier, la regie d'en bien user c'est, comme dit saint Augustin, d'en prendre autant que la necessité de la vie humaine et des offices d'icelle le requiert. C'est a dire, qu'il faut premierement prendre ce qui est requis pour maintenir la vie : Ayant la nourriture, dit l'Apostre, et dequoy nous couvrir, nous en sommes contens. Mays non seulement il faut prendre ce qui est pour la necessité, ains aussi ce qui est pour la bienseance, selon la varieté des offices et occurrences de cette vie : c'est pourquoy on jeusne quelquefois, et quelquefois on fait des [80] festins ; on s'habille mieux une fois qu'autre ; et Dieu mesme donne quelquefois du pain seul a Helie, quelque-fois il luy envoye de la chair ; quelquefois il donne du pain et du poisson, d'autres fois il donne du miel et de la manne. La temperance sçait discerner le quand et le comment  ……………………………………………………………………………

            Mays si l'on prætend de chastier, corriger et moderer cet appetit en sorte qu'on puisse avec une grande liberté d'esprit vaquer a Dieu, et en somme ramasser et recueillir toutes les forces de son amour pour les employer en la dilection du souverain Bien, alhors on retranche tout a fait a l'appetit charnel toutes les actions auxquelles il tend, et on le reduit a la parfaite et absolue chasteté, que l'on appelle cælibat parce que, selon saint Hierosme, que (sic) c'est quasi une celeste beatitude d'estre hors du commerce de la chair pour estre plus attentif a celuy  de l'esprit ; conformement a ce que dit le grand Apostre, I. Cor. 7. vers. 32 et 33, [34, 35] : Celuy qui n'est point marié a souci des choses du Seigneur, comm'il plaira au Seigneur ; mais qui est marié a souci des choses de ce monde, comm'il plaira a sa femme, et est divisé. La femme qui n'est point mariee et la vierge a soin des choses qui sont du Seigneur, affin qu'elle soit sainte de cors et d'esprit ; mais celle qui est mariee a soin des choses du monde, comm'elle plaira au mary. Or je vous dis ceci pour vostre utilité, non point pour vous enlacer, mais tendant a ce qui est bienseant et propre a vous joindre au Seigneur sans aucune distraction .

            Notes, Philothee, que le grand saint Augustin a tiré de ce lieu la deffinition de la temperance, quand il a dit que c'estoit  « un amour qui se donne tout entier a Dieu ; » car l'Apostre monstre clairement que le principal but du cœlibat et la virginité est de se joindre et unir plus entierement [81] a Dieu ; qu'en comparayson de la personne qui s'abstient parfaitement, la personne mariee est divisee en ses affections,  partageant son soin en deux partz, bien qu'inegales ; car tous-jours en faut il quelque partie pour aggreer au mari, et c'est autant de  moins en ce qui se pouvoit donner a Dieu, c'est tous-jours une distraction et un retranchement de l'entiere et absolue attention que l'on eut donnee a Dieu. Mays, Philothee, cela ne s'entend pas en sorte que les personnes mariees ne puissent pas estre tout entierement a Dieu aussi bien que les continens et vierges : car  [combien de mariés] y a-il eu en l'Eglise, d'une tres eminente sainteté, [plus grande même que celle de] beaucoup de vierges et continens ?

            Aussi l'Apostre ajoute : Or, je dis ceci four vostre [utilité, non point pour vous enlacer] ………………… [bien que le cœur] de la personne mariee ayt ramassé tout son amour pour Dieu, rapportant parfaitement a Dieu l'amour mesme et les actions de son mariage, si est ce que, au moins, le cors est un peu divisé, distrait et alteré par les passions et sentimens necessaires a l'estat nuptial, avec quelque sorte de messeance. C'est pourquoy, quant a la substance et essentielle perfection de l'amour celeste, les mariés en peuvent avoir tout autant, et voire plus que les vierges et parfaitz ; mais quant a la bienseance, dignité et honnesteté exterieure, les continens et les vierges les devancent tous-jours. C'est ce que veut dire l'Apostre, selon que saint Augustin mesme l'a remarqué au livre Du bien de la viduité, quand il dit quil exhorte a ce qui est honeste et bienseant ; car il ne veut pas dire que le saint mariage ne soit honneste et bienseant, mais il advertit que l'estat de continence et vierginité est plus seant et plus honneste, au moins de l'honnesteté exterieure.

            Mon Dieu, Philothee, que la chasteté est belle, qui range [82]  l'appetit brutal de nostre concupiscence a la pureté des Anges et Espritz caslestes, desquelz comme la pureté est plus pure, aussi la nostre est plus vaillante, car ilz l'ont sans vertu, par nature, et nous la conquerons entre mille hazars, par une continuelle guerre que nous faysons a nos ennemis et, ce qui est plus considerable, a nos amis : aux sens, a l'imagination et a toute cette trouppe de sentimens rebelles et mutins que nostre chair fournit a nostr'ennemi. Mays par ce que nostr'aage a produit mille et mille cerveaux frivoles,  badins et voluptueux, qui ont mesprisé cett'angelique vertu, Philothee, je diray encor seulement ce mot. La chasteté n'est pas une vertu oysivete (sic) et qui consiste en la cessation des actions. Ah ! non, c'est une vertu hardie, genereuse, active, ains qui  fait une continuelle guerre contre le plus fascheux ennemi qu'on ayt, duquel elle reprime voirement les actions, mais non pas  …………………………………………………………………………..

ains, comme  la santé d'un homme gueri est plus forte bien souvent que celle d'un autre qui ne fut onques malade, ainsy la chasteté d'un homme penitent est quelquefois  plus estimable que celle d'un vierge. Qui ne præferera la chasteté de Magdeleyne convertie a celle de plusieurs vierges qui ne furent jamais diverties ?

             Mais la sainte pudicité est comm'une sentinelle qui, descouvrant quelques actions, contenances ou paroles contraires a la chasteté et a [la] pureté, donne l'alarme au cœur, qui, comme pour armer les frontieres, envoye de la chaleur et du sang au visage. Vertu marque de naturel honneste, qui ne peut pas mesmement souffrir les signes de la deshonnesteté ni en soy ni es autres. [83]

            Or, la premiere resolution de  resister aux passions sensuelles , s'appelle continence simple, selon les scholastiques et Aristote ; et lhors que cette resolution, se fortifiant par l'exercice, devient parfaite, elle s'appelle temperance et chasteté : car la continence est semblable a celuy qui a pris charge de domter un cheval ; la temperance et chasteté, a celuy qui l'a des-ja façonné et domté. La continence est comme la fleur qui nous donne promesse du fruit, et comm'un'aube qui nous annonce le jour. (Ceci doit estre mis au commencement du chapitre De la temperance, puisque la continence n'est qu'un commencement de temperance.)

            A la temperance est attachee la mansuetude, qui manie et modere l'ire et la cholere pour la retenir dans les bornes de la rayson ; car l'ire estant bien conduite est bonne, et la mansuetude a cette charge, qui neanmoins n'en use que fort rarement et seulement autant quil faut pour faire roydir le courage es occasions ou il faut vaincre, surmonter et chastier. Or, parce qu'ell'est si dangereuse et que c'est un ingredient si perilleux pour la vertu, il en faut user tres rarement, et lhors seulement qu'on a des-ja acquis une grande maistrise sur ses passions ; autrement, en lieu d'en user ell'abusera de nous et nous præcipitera. Nostre Seigneur, en St Marc, 3 , regarda les Scribes et Pharisiens avec indignation et cholere, mais l'effect ne fut autre chose que de guerir ce pauvre perclus, malgré leur obstination : ainsy nostre cholere ne se doit estendre qu'a vaincre les difficultés qui s'opposent aux bonnes œuvres, affin que nous les facions nonobstant les contradictions.

            La clemence est proprement es superieurs, pour moderer la  punition quilz doivent faire des criminelz, affin que autant que la justice le permet, on n'use pas de  toute la rigueur, ains on addoucisse la peyne ; car, comme Dieu  punit tous-jours moins que nous ne meritons et [84] recompense tous-jours plus que nous ne meritons, aussi la clemence punit non selon la  rigueur et severité, mais avec douceur, moderation et temperament :  en sorte neanmoins qu'evitans la cruauté, ilz ne tumbent pas en la lascheté et  exces de douceur. Et tous-jours faut il prendre garde au bien publiq, selon lequel c'est quelquefois une grande clemence d'user de rigueur et severité,  quand le chastiment des meschans est requis pour tenir les autres en bride et les gens de bien en asseurance : dont saint Thomas dit que la severité n'est pas contraire a la clemence, ains est une vertu qui sert a la rayson quand il n'est pas convenable d'user de clemence.

             La pudeur ou juste honte est une passion vertueuse par laquelle on craint  et apprehende le deshonneur pour quelque chose ou action vilaine ; et quand le deshonneur est arrivé, la pudeur se change en confusion. C'est une passion grandement utile pour garder l'ame de mal faire, comm'au contraire l'effronterie et impudence est un grand acheminement a toute sorte de meschanceté.

            L'honnesteté est une certaine  vertueuse affection que nous avons de rejetter tout ce qui est contraire a la beauté, proportion, bienseance et ornement de nostre conversation et de toutes les actions qui en dependent, tant interieures qu'exterieures. Et parce que l'exercice des voluptés charnelles est le plus laid, desreglé, messeant, vil, vilain et deshonneste, l'honnesteté nous  retient plus fort pour ce regard ; et puis encor, comme en suite, ell'a soin de  repouser tout ce qui est difforme et desordonné [85] au commerce des playsirs sensuelz, affin que rien ne s'y passe contre la bienseance.

            La sainte humilité, qui est la plus petite et neanmoins la plus necessaire de toutes les vertus, n'est autre chose qu'une volontaire profession et reconnoissance de nostre vileté et abjection en ce qui, en nous, [est] de nous mesme. Je ne dis pas une connoissance, mais une reconnoissance et profession cordiale et volontaire ; parce que plusieurs connoissent quilz ne sont rien, qui ne le veulent pas reconnoistre, advouer, ny professer. Et je dis que nous reconnoissons et faisons cette profession de nostre neant en ce qui est de nous mesme, parce qu'en ce qui est en nous de Dieu nous ne laissons pas, pour l'humilité, d'avoir un extreme courage et une sainte hauteur d'esprit, l'humilité n'estant nullement contraire a la magnanimité ; car l'humilité fait une juste estime de  ce qui est de nous en nous, comme la magnanimité de ce qui est de Dieu en nous. C'est pourquoy le grand Apostre, qui ne s'estime pas digne d'estre appelle apostre en considerant ses defautz, veut estre estimé de tout homme comme serviteur, officier de Dieu et dispensateur de ses misteres. Or, cette vertu a esté inconneue a la plus part des philosophes ; et je dis a la plus part, parce que Platon a semblé la reconnoistre mesme envers Dieu, L. 4. De legibus. (Vide Javellum, Tractatu 4. Epitomes Philosophiæ Plat., c. I.)

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             [La vertu d'humilité] est d'autant plus chere aux Chrestiens, auxquelz ell'est necessaire affin quilz n'entreprennent rien d'eux mesme comme d'eux mesme, ains quilz veuillent dependre de Dieu. La charité  donne la juste estime a Dieu, et l'humilité a nous mesme : et comme ceux qui ont esté longuement parmi la splendeur ne voyent [86] goutte  en l'ombre ou en quelque lumiere un peu obscure, ainsy ceux qui se sont addonnés grandement a l'estime de Dieu ne s'estiment rien eux mesme ; comm'au contraire, ceux qui ont demeuré longuement, en tenebres, venans a la clarté du soleil n'en peuvent presque soustenir la grandeur, laquelle leur est dautant plus esclattante, ainsy ceux qui ont demeuré en la connoissance de leur neant admirent bien davantage la majesté de Dieu. Et comme par l'humilité nous n'osons rien entreprendre sur nos forces, aussi par la magnanimité nous entreprenons tout sur la faveur divine : c'est pourquoy l'humilité nous rend vrayement magnanimes, comme l'orgueil donne une faulse magnanimité. Et comme l'humilité nous ravale en nous mesme devant Dieu,  elle nous fait aussi humilier devant le prochain, car elle nous fait regarder qui nous sommes selon nous, et quel est le prochain selon Dieu. En fin, l'humilité nous fait glorifier Dieu et vilipender nous mesme ; mays l'orgueil nous fait estimer nostre  excellence ou comme plus grande qu'elle n'est, ou comme plus nostre qu'elle n'est, et partant est contraire a l'humilité comm'a l'opposite.

            La vileté de cœur non seulement nous ravale jusques a nostre neant, mais nous y laisse, sans nous vouloir permettre [de voir] ce qui est de Dieu en nous ; l'humilité nous ravale en ce qui est de nous, mais c'est pour nous faire plus estimer ce qui est de Dieu en nous. La vileté nous demet et nous laisse sans cœur, sans mouvement, et, pour nous faire fuir l'estime de nostre propre excellence, ne veut pas que nous considerons (sic) l'excellence de Dieu en nous. En somme, a mesure que nous descendons par l'abjection et mespris de nous mesme et vraye estime de nostre neant, nous remontons par l'estime de Dieu et de ses dons ; et c'est cette sainte vertu qui  supprime la fause estime de nous mesme produite par l'amour propre, affin que nous [87] estimions plus les graces de Dieu, tant en luy, qu'au prochain, qu'en nous mesme.

            Mais par ce que la sainte humilité est une vertu qui nous regarde principalement, nous pratiquons l'humilité seulement  en nous mesme et sur nous mesme ; car, quant aux autres, nous la prattiquons envers eux et non en eux ni sur eux : c'est pourquoy nous ne regardons pas en eux ce quilz sont d'eux mesme, mais ce quilz sont en Dieu, et partant nous les estimons grandement, et non pas nous. Car en fin, le mespris que nous faysons de nous mesme en l'humilité tend a nous faire plus hautement  estimer Dieu et le prochain en Dieu, et nous aussi en Dieu, mais pour la mesme rayson pour laquelle la charité nous commande d'aymer Dieu et le prochain. Et quant a nous, il ny a pas besoin de commandement, pour la mesme [raison qu'] il n'y a pas besoin de commander nostre estime, ni d'y appliquer la vertu.

            Il y a encor une vertu qui range nostre esprit en l'estude et appetit de connoistre les choses, affin que nous ne desirions sçavoir que ce qui est convenable, comm'il est convenable et autant quil est convenable, et pour la fin convenable, en sorte que nous evitions d'un costé, la curiosité qui nous porte au desir [de] sçavoir ce qui  ne nous appartient pas, ou d'autre façon quil n'appartient, ou plus qui' n'appartient, ou pour  autre intention quil n'appartient, et d'autre part, la negligence qui, par une contraire extremité, nous destourne d'apprendre ce qui nous est necesre et convenable. Certes, comme il y a une temperance pour le  goust corporel, aussi en faut il une pour le goust de l'esprit : dont le grand Apostre a dit, Ro., 12 , quil ne failloit pas plus sçavoir quil  estoit requis de sçavoir, mais sçavoir a sobrieté on selon sobrieté ; comme [88] sil vouloit dire quil [y] a une sobrieté pour l'esprit comm'il y en a une pour le cors.

            Celle ci est suivie de la modestie, qui modere nostre maintien, nos mouvemens, gestes et actions exterieures, et les reduit a la vraye bienseance, selon la varieté des personnes, des lieux, des tems et des affaires ; a la charge, dit le grand saint Ambroyse, l. I. Off., c. 18 , qu'il ny ait rien d'affecté, car tout ce qui est fardé desplait ; et sil y a quelque defaut en la nature, il le faut corriger par le soin, en sorte que l'on voye l'amendement, mais pur et sans artifice. (De ceci il y a un chapitre en l'Introduction : De la conversation.) Et par ce que cette bienseance a une beauté particuliere, qui de soymesme est aymable, la vertu qui nous affectionne a procurer cette beauté est aussi particuliere ; bien qu'outre cela plusieurs dignes respectz nous obligent a cette modestie, et sur tout l'amitié, affabilité et edification du prochain. Et c'est cette vertu que le saint Apostre desire es Evesques, quand il dit  que l'Evesque doit estre orné (I. Tim., 3. v. 2.), ainsy que saint Theodoret, Evesque de Cyr, (et communement les Docteurs, apres saint Thomas, in ejus locum) l'interprete ; par ce que le principal ornement, parement et embellissement de la personne depend de l'honnesteté et bonne grace, et bienseance de son maintien et mouvement.

            Il y a aussi un'autre modestie, qui modere et ordonne la bienseance es habitz, pareures, logis, meubles, table, serviteurs et autres telles choses exterieures. Aucuns l'appellent mal a propos parcimonie, d'autres l'appellent mieux frugalité, d'autres honneste suffisance ; mays en somme, c'est une certaine moderation qui reduit tout nostr'exterieur a la rayson, suffisance et bienseance. Et outre cela, le grand saint Thomas adjouste la simplicité, qui non seulement modere ces choses, mais contient nostre soin, affili quil ne s'espanche pas trop en ces choses exterieures. [89]

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IV. Fragments sur la Sainte Vierge

 

            C'est une verité, que qui ne se sauvera pas par Marie perira, comme tout ce qui estoit hors de l'arche de Noë fut a perdition ; non que Marie soit cause absolue de la redemption, car c'est Jesus, son adorable Filz, mais elle est le moyen duquel ce Redempteur s'est voulu servir en prenant d'elle son humanité. Elle a esté, de toute eternité, preveuë, regardee et preclestinee pour estre Mere de Jesus ; et, comme telle, ell'a esté plus aymee elle seule que tous les hommes et tous les anges ensemble.

 

            Marie veut dire Mere unissante, d'autant que c'est par cette Mere et dans son sein que le Verbe s'est uni hypostatiquement a la nature humaine pour nostre salut. Par Marie le Verbe s'est fait chair, et nous pouvons dire : O Jesus, soyes moy Jesus, c'est a dire soyes moy Sauveur ; et nous pouvons aussi dire : O Marie, soyes moy Marie, c'est a dire : Soyes nous Mere et nous unisses a Jesus vostre Filz, affin qu'il soit nostre Espoux et que nous soyons ses espouses.

 

            Dans le Ciel, toutes les vierges suivront l'Aigneau ; mais en terre, quelz admirables vierges sont Marie et Joseph, que l'Aigneau suit luy mesme !

 

            Si la femme de l'Evangile crioit dans les places publiques ou Jesus passoit : Beni soit le ventre qui vous a porté et les mammelles qui vous ont allaité, devons nous pas donner des benedictions perpetuelles au sacré cœur de Marie qui a tant aymé Jesus ? O Vierge glorieuse, vous aves receu le Verbe en vostre cœur avant que de le recevoir [90] en vostre sein, et vous estes plus heureuse de l'avoir aymé souverainement et sans intermission que de l'avoir porté corporellement en vostre sein et entre vos bras ; et c'est ce que Nostre Seigneur nous vouloit signifier quand il a dit : Mays plustost bienheureux sont ceux qui font la volonté de mon Pere qui est aux Cieux, c'est a dire qui n'ont qu'un mesme esprit et qu'un mesme cœur avec Dieu. Marie n'avoit qu'un mesme cœur et qu'un mesme esprit avec le Pere eternel et son mesme Filz unique Jesus, le seul object de ses eternelles complaisances.

 

            Ah ! l'immaculee et incomparable Vierge Mere de Dieu ne fit jamais la douillette ni la rencherie pour converser avec sainte Magdeleyne, et cela parce que Marie estoit non seulement parfaitte vierge, mays parfaittement humble. Dans cet esprit elle receut saint Paul et saint Denys Areopagite qui proteste qu'ayant veu Marie, s'il n'eust esté bien affermi dans la foy, il auroit pris Marie pour une divinité.

 

            O Mere de vie, que faysies vous en ce triste Calvaire qui estoit un lieu d'agonie et de mort ? L'amour severe du Pere eternel s'appliquoit a vostre ame, affin que par la douleur mortelle que vostre cœur endura, vous fussies la premiere martyre de l'Eglise naissante et la Reyne souveraine de tous les Martyrs.

 

            Le Pere eternel a tant aymé le monde qu'il luy a donné son propre Filz, ce Filz s'est livré luy mesme a la mort ; et nous pouvons dire que Marie, Mere de ce Dieu mourant, a tellement aymé le salut du monde qu'elle a volontairement offert, son Filz a la mort et elle mesme en son Filz. Le Filz est mort par la force de sa passion amoureuse pour les ames, et Marie par sa dilection compatissante.

 

            Helas, o Vierge sainte, les larmes de vostre divin Enfant dans la cresche n'estoyent que des douces rosees, mais celles de sa sainte Passion sont des torrens et des mers d'amertume. Vostre cœur douloureux et amoureux offroit les unes et les autres au Pere eternel, sçachant bien que [91] c'estoyent les larmes d'un Dieu qui devoyent produire des joyes eternelles aux enfans de salut.

            ….. Elle estoit pasmee sans pasmer ; car si l'extremité de la douleur l'affoiblissoit, la force de l'amour la soustenoit, et ne voyant les horreurs de la mort de son Filz que dans les beautés de son amour, son ame sainte eut d'esgaux mouvemens d'amour et de douleur. Les uns et les autres estoyent insoustenables a la nature, et Marie fust esgalement morte d'amour et de douleur au pied de la croix de son Filz mort, si la grace de ce mesme Filz ne l'eust soustenue.

 

            La sacree Vierge, eslevee a la dextre de son Filz, [est] la Generale des armees de Dieu, la Gouvernante du royaume de l'Eglise, la Mere de toutes les saintes familles, le Refuge de tous les coeurs. Qu'apres son Filz nous luy disions : O Sainte Vierge, les yeux de tous les croyans sont fixés sur vostre majesté ; nous attendons le secours de vos graces, et si vous ouvres vos mains liberales, nous serons tous remplis de benedictions. O sainte et genereuse Gouvernante, que commandes vous dans vostre estat de gloire que ce que vous aves commandé en vostre estat de grace : Faites ce que mon Filz vous dira.

 

            Le divin Espoux a pris playsir de mettre des pendans aux oreilles de cette Espouse : c'est la clameur des pauvres et des necessiteux.

 

            Consacres vos devotions du samedy a la Mere de Dieu ; medites quelques pointz de sa vie et de ses vertus.

 

Revu sur un ancien Ms. de l'Année Sainte de la Visitation, conservé au

Monastère d'Annecy. [92]

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V. Sur le signe de la Croix

 

            Quand vous vous signeres, faut que vostre esprit se represente d'embrasser Jesus Christ crucifié comme un bouclier contre tous ennemis, comme l'arbre de vie, comme la colomne d'asseurance.

            Imagines vous quelquefois que vostre cœur est un jardin et que, vous signant, vous y mettes l'arbre pretieux de la Croix ; ou bien qu'il est comme une forteresse, en laquelle vous plantes cest estendart ; ou qu'il est comme un cabinet, lequel vous fermes avec cette clef ; ou qu'il est comme une lettre, laquelle vous scelles de ce sceau, affin qu'elle ne soit exposee a la veüe des ennemis, suyvant le desir de l'Espouse qui dit : Mettes moy comme un cachet, ou comme un estendard sur vostre cœur. Et de la tires ce propos, de ne rendre jamais la forteresse qu'a Celuy a qui est ledit estendart, ni n'ouvrir jamais le cachet qu'a Celuy a qui est la clef.

 

 

VI. De la charité dans les jugements. Dieu seul doit juger. — Mal penser et parler mal du prochain est la marque la plus sûre d'une âme vicieuse. — Le portrait d'Antigone. — Ceux qui jugent témérairement et qui médisent sont des aveugles et des esprits pleins de malice. — Injustice, de vouloir être absous de ses fautes et de condamner les moindres en autrui. — Qui ne regardera son prochain avec pitié gâtera toutes les parties de son âme. — Le temps fera voir si nous sommes meilleurs que ceux que nous jugeons. — Exemples. — Considérons nos propres défauts, et nous ne verrons pas les vices du prochain.

 

            Ne jugeons personne avant le tems ; cela appartient a [93] Dieu seul de juger ; il voit le mouvement du cœur humain et l'homme ne voit qu'en la face. Mais lhors que la probabilité de quelque action est si forte et qu'elle conclud avec tant de necessité que la rayson ne se peut desdire de la convaincre, il la faut renvoyer a la surprise, a la promptitude, a la tentation ou, en toute extremité, s'en desfaire et se l'oster de l'esprit et n'en point parler ; car

 

                                               Toute verité qui n'est point charitable

                                               Vient d'une charité qui n'est pas veritable.

 

            Si les hommes vouloyent, ilz gousteroyent en ce monde les felicités des Espritz celestes et n'auroyent point besoin, dit un ancien, de chercher d'autre paradis que celuy qui se rencontre en la societé civile, laquelle, par la vertu de charitable union, ne feroit qu'une seule mayson de celles qui sont separees en ce monde. Je vous asseure qu'il n'y a signe plus asseuré d'une ame vicieuse que l'inclination a mal penser et a mal parler de son prochain.

            Si tost qu'on vist le pourtrait d'Antigone, qu'Apelles avoit tiré obliquement et de sorte que l'incommodité de son œil perdu estoit couvert par un trait de pinceau, il fut importuné de tout le monde qui luy demandoit pourquoy il ne l'avoit pas peint comme il estoit : Ou est l'autre œil ? luy disoit on. Mais vous, mes amis, repartit il, ou est le vostre ? Qu'ay je affaire de produire un defaut en ma peinture, si je le puis couvrir sans offenser personne ? Voyes vous, ceux qui jugent mal et qui mesdisent de leur prochain, ce sont des sangsues qui ne savent que tirer le mauvais sang et laisser le plus pur dans le cors. Gens aveugles, qui crient contre la cruauté d'Abraham et qui, voyant l'espee nue, n'apperçoivent point l'Ange de Dieu qui le benit et luy dit que son sacrifice est aggreable au Seigneur des armees. Espritz malicieux qui attaquent tout le monde, cœurs remplis de ces mauvaises qualités qui se mettent entre la veuë spirituelle et l'object, et qui pensent avoir rayson de croire que tout le monde est aussi corrompu que leurs pensees sont noires. Quelle injustice de [94] demander d'estre absous de toutes les fautes que l'on fait, et vouloir condamner les plus petites des autres ! Je n'ay encores veu personne qui se soit mal treuvé de dire du bien de son prochain. Telle qu'est la chaleur interne, tel est le sang en nostre cors ; et en nostre ame, telle est sa beauté, que son amour vers son prochain. Qui ne regardera pas son prochain saintement, charitablement et avec pitié, ou avec le respect qu'il luy doit comme chrestien, par ce commencement il gastera toutes les parties de son ame : de la il deviendra superbe, insolent, envieux, barbare, et ne retiendra plus aucun trait de l'image de Dieu.

            Considerons-nous, et nous ne serons point tentés, dit le saint Apostre. S'il nous semble que nous sommes meilleurs que ceux desquelz nous parlons, il y a asses de tems pour leur ceder la place, ilz rempliront peut estre nostre siege dans les Cieux ; ilz se releveront de nostre cheute, et nous enseveliront sous leurs vielles ruines, car Dieu est puissant pour leur donner la main quand ilz sont tombés. Combien de voleurs y a-il dans les forestz qui serviroyent mieux Dieu que moy, s'ilz en avoyent receu autant de graces ? Combien de miserables seroyent plus spirituelz que je ne suis, si Nostre Seigneur leur avoit donné le loysir d'estudier et le moyen de le connoistre ? Regardons les differences qui se sont treuvees entre saint Pierre et Salomon : l'un fut meschant, l'autre le plus sage de son tems ; le mauvais se fit sage, et le sage devint insensé. Judas eut des commencemens de sainteté plus accomplis que ceux qu'on se pourroit figurer en la personne qu'aujourd'huy nous estimons la plus parfaitte ; saint Paul en eut de pires et fut plus cruel persecuteur de l'Eglise de Jesus Christ que le plus eschauffé tyran de ce siede ne l'est a nos pauvres freres qui sont parmy les infideles : celuy qui estoit Apostre et l'un des plus cheris de Dieu, se rendit le plus malheureux du monde ; et celuy qui ne valoit rien devint le meilleur et le plus ardent defenseur de l'Evangile.

            Heureux celuy qui vit tous-jours en crainte et qui, estant occupé en la consideration de ses propres defautz, n'ouvre point les yeux pour regarder les vices des autres. Les animaux d'Ezechiel se portoyent devant leurs yeux et [95] ne marchoyent qu'en devant : ainsy les gens de bien ne considerent que leurs imperfections, et les meschans ne vont que derriere eux pour suivre a la piste les actions d'autruy. Et remarques cecy, que ceux que vous voyes si facilement treuver a redire aux moindres fautes du prochain, d'ordinaire ces gens la en entretiennent des grandes. En verité, c'est une experience reconneue, que la pluspart de ces personnes ne voyent que des festus a leurs yeux, parce qu'ilz estiment que la veuë de leur frere est aveuglee de poutre.

 

 

VII. Sentiment de saint François de Sales sur la conduite a tenir par les pasteurs de l'eglise. Comment un Supérieur doit sortir de la lecture et de la méditation. — Ne pas négliger le bon exemple. — Quel doit être l'abord de ceux qui commandent. — Leur attitude envers ceux qui les visitent. — Les « malades honteux » et les remèdes pour les grandes maladies de l'âme. — Suivre une multiplicité de conseils est chose dangereuse.

 

            Un Superieur ne [devroit] sortir de la lecture des saintes Lettres, ni de la meditation, que comme un capitaine sort du camp, pour voir en passant l'armee ennemie, affin de reconnoistre ce qu'on y fait, pour en tirer du prouffit.

             [Il devroit] ressembler aux pasteurs, qui paissent les aigneaux, encores qu'ilz ne leur donnent ni laict ni laine. [Il] ne devroit jamais negliger le moindre exemple pour edifier le prochain, parce que tout ainsy qu'il n'y a si petit ruysseau qui ne meine a la mer, il n'y a trait qui ne [96] conduise l'aine en ce grand Ocean des merveilles de la bonté de Dieu.

            L'abord des personnes qui commandent doit estre comme l'entree de la boutique d'un chirurgien, ou l'on ne fait que relever la moustache, anneler les cheveux et faire la barbe. Ilz doivent s'accommoder avec ceux qui les viennent visiter, comme saint Jean, lequel n'ordonnoit aux soldatz qui le venoyent treuver au desert sinon de garder les commandemens de Dieu. Et comme en une chambre particuliere l'on panse les malades honteux, l'on met le feu et le fer a des playes, l'on tire le tronçon d'une espee du ventre ou la basle du cors, en cette façon le Superieur, apres avoir reconneu la disposition de ceux avec lesquelz il traitte, doit entrer plus avant, et leur tirer de l'ame des vielles habitudes, et par la representation des horribles conditions du peché, apporter le fer et le feu d'enfer ou les legeres saignees ne servent de rien. Et en effect, il y a des meschans dont les exces pour estre passés en coustume treuvent que le repentir est un crime, l'amendement lascheté et l'innocence une honte et une pure niayserie.

            On ne se doit point tant embrouiller la teste d'advis ni en multiplicité de conseilz ; les livres sont plus croyables et moins interessés que ceux en qui nous avons confiance, et il faut prendre garde que les autres se trompans ne nous abusent aussi, et ne sortent d'avec nous comme la guespe, apres avoir laissé son aiguillon. [97]

 

 

VIII. Conseils aux supérieurs. Porter remède aux moindres murmures. — Avec quelle discrétion un Supérieur doit accorder quelques particularités. — Les enfants qui pleurent. — Bien examiner les sujets avant de les recevoir. — Certains esprits trop prompts sont comme la pierre lancée avec la fronde. — Mieux vaudrait pour un Ordre religieux n'avoir que deux Maisons, plutôt que de les multiplier par la prudence humaine. — Les fondements de la vie religieuse.

 

            Il disoit qu'on devoit en Religion remedier aux plus petitz murmures ; car, comme les grans orages se forment de vapeurs invisibles, les grans troubles viennent de causes fort legeres.

            Qu'un Superieur ne doit jamais accorder aucune particularité a un Religieux, si ce n'est avec cette mesme discretion de saint Ignace, et que s'il arrive de leur faire quelque grace, cela ne doit arriver que quand ilz sont dans l'acces de leurs esmotions, comme un peu d'eau dans l'ardeur de la fievre ; mais apres, leur faire connoistre que cela nuit a la santé. Aux mutineries des peuples, on leur permet quelque chose semblable a ce qu'on tire des cabinetz pour appaiser les enfans qui pleurent ; aussi tost qu'ilz ont cessé de pleurer, on le leur oste, et s'ilz recommencent a crier pour le ravoir, au lieu de confitures on prend une petite verge.

            Rien ne perd tant les Ordres que le peu de soin qu'on [98] apporte a examiner les espritz de ceux qui se jettent au cloistre. On dit : Il est docte, de bonne mayson, etc., mais l'on oublie qu'il ne se sousmettra qu'avec difficulté a la discipline. On devroit leur representer plus de rigueur qu'il n'y en a, et ne leur figurer point si avantageusement tant de consolations spirituelles ; car tout ainsy que la pierre, encores que vous la jetties en haut, retombera en bas de son propre mouvement, aussi plus une ame que Dieu veut a son service sera repoussee, d'autant plus elle s'inclinera a ce que Nostre Seigneur voudra d'elle.

            Ceux qui prennent ce parti par un despit d'avoir un courage haut avec une basse fortune, apportent plus de desordre parmi les cloistres que de bon ordre en eux. Et lhors que d'autres s'y rendent par un mouvement de promptitude que leur met en l'esprit quelque tendre et peu judicieuse imagination, ilz font ni plus ni moins que la pierre au partir de la fronde, qui demeure arrestee quand l'effect de la machine commence a manquer ; car, a nommer cela par son nom, ce sont des pensees lourdes et grossieres, qui s'efforcent en vain de monter vers le Ciel ; ou bien des espritz semblables aux cabanes qui sont sur le rivage d'un fleuve, que la premiere pluye emporte.

            Il vaudroit mieux n'avoir que deux Maysons en tout l'Ordre, que de les estendre avec des voyes de prudence humaine ; car tost ou tard les fondemens qui sont sur le sable et ne seront pas en la pierre de Jesus Christ, feront tomber tout l'edifice.

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            Voules vous que je vous die ce qu'il m'en semble, Madame ? L'humilité, la simplicité de cœur et d'affection, et la sousmission d'esprit sont les solides fondemens de la vie religieuse. J'aymerois mieux que les cloistres fussent remplis de tous les vices que du peché d'orgueil et de vanité ; parce que, avec les autres offences, on peut se repentir et obtenir pardon ; mais l'ame superbe a dans soy les principes de tous vices, et ne fait jamais penitence, s'estimant en bon estat et mesprisant tous les advis qu'on luy donne. On ne sçauroit rien faire d'un esprit vain et plein de l'estime de soy mesme ; il n'est bon ni a soy ni aux autres. [99]

 

 

IX. Similitudes. Premier recueil

 

1594-1598

 

(INÉDIT)

 

            Pic, oyseau, fait des trouz dans les arbres pour y habiter ; si on y met des coins, il les fait sortir par la vertu d'une certaine herbe. Democrite et Theophraste ; [Matthioli, édition de Desmoulins, Epitre, p. 3  ; Theophr., Hist. Plant., l. IX, c. VIII.]

Ætiopis, herbe, a vertu d'ouvrir toutes choses closes . [100] Es mons d'Italie, une certaine herbe deferre les chevaux. [Matthioli, ibid.]

            Ictericz, id est qui ont la jaunisse, portans sous leurs piedz nudz la grande chelidoine, guerissent. [Matthioli, Comment. sur Dioscoride, l. II, c. CLXXVI.]  Pedes, affectus, quibus applicanda medicina, ut oculus, id est intellectus, curetur.

            Les cors mors touchés du scordium ne pourrissent jamais . (Ex Mitridate et Galeno) ; [Matthioli, Epitre, p. 4.] —  Cur non tactum corpus Eucharistia ad incorruptionem servetur ?

            Schites treuvent autour de Bætia l'herbe scitica, douce au goust ; la tenant en bouche, on ne sent ni faim ni soif. [Matthioli, Epitre, p. 4.] L'herbe apellee par les Scithes hippice, fait le mesme effect es chevaux ; dont lesdits Schites passent 12 jours sans manger. [Plin., l. XXV, c. XLIV.]

             Coriacesia  et callitia fait glacer l'eau. Pithagoras ; [Matthioli, Epitre, p. 4.]

            Le suc de minais  cuit en eau guerit soudainement la morsure  des serpens si on les en fomente ; et ceux qui [101] touchent ce mesme suc espandu par l'herbe, ou qui en sont arrousés, meurent sans aucun remede. (Idem.)

            Aproxis et naphta s'allume de loin au feu. (Idem ; Plin., l. XXIV, c. XVII, al. CI.)

            Achemendon, en Tardistili, region d'Indie, plante sans feuilles, de couleur d'electrum ; la racine reduitte en trocisques et beüe de jour avec du vin, fait dire aux malfaiteurs, estans tourmentés, tout ce quilz ont fait. Democrite ; [Plin., ibid., c. XVII, al. CII.]

            Le bois engraissé d'huile s'allume incontinent, sil est touché de l'herbe ariadnis cueillie le soleil estant au signe du lion. [Ibid.]

            En Elephantine, region d'Etiopie, croist l'herbe ophiusa, livide, horrible a voir ; beüe, fait quil semble avoir devant les yeux menaces des serpens et choses espouvantables, dont ceux qui en ont beu se tuent eux mesmes ; dont anciennement on contraignoit les sacrileges d'en boire. Le seul  vin de palme resiste a ce venin. [Mattinoli, Epitre, p. 4.]

            Potamantis, pres le fleuve Inde : beue, fait devenir insensé par la representation de choses miraculeuses . [Ibid.]

            Theangelis, au Liban de Sirie : qui en boit, prædit les choses futures. [Ibid.]

            Asciomenes,  arroüsee de vin, retire en soi ses feuilles . [Plin., l. XXIV, c. XVII, al. CII.]

            Appian Alexandrin escrit  que les Parthes, mis en fuitte par Marc Anthoine, pressés de la faim, ont trouvé une certaine herbe que, qui en mange, oublie tout et [102] n'entend qu'a tirer tous-jours des pierres de terre  ; et meurent ainsi en la peine . [Mattinoli, Epitre, p. 4.]

            Le scorpion ne pique qui porte la racine de polemonia, ou la piqueure ne fait aucun mal. [Plin., l. XXV, c. X, al. LXXII.]

            En Judee, l'herbe appelé (sic) du lieu, baaras (Josephe, lib. De bello Judaico, [l. VII, c. VI, 3],) semble estre la lunaire. Qui la touche, meurt ; dont on attache a icelle un chien qui, l'arrachant, en meurt, apres quoi elle ne nuit point. Mise sur les endiablés, ilz sont soudainement delivrés . [Mattinoli, Epitre, p. 4.]

            Achemenides jettee en l'armee des ennemis les fait trembler et fuir . Pline, [l. XXVI, c. IV, al. IX ; Matthioli, ibid.]

            Lote d'Egipte : ses fleurs et sa tige sur le soir se plongent en l'eau jusques a la minuit, le tout s'en allant au fons sans qu'on la puisse attaindre de la main ; puis, peu a peu, se redresse et retourne, les fleurs s'epanoüissent et les testes s'ouvrent et se treuvent bien  loin de l'eau. [Plin., l. XIII, c. XVII, al. XXXII.]

            Aconit est tous-jours un grand poison ; beu neanmoins, il guerit la morsure du scorpion, ces deux venins s'entretuans l'un l'autre et laissant en vie l'homme que l'un d'eux, prins a part, tueroit. Telle est sa nature, quil tue la personne qui n'a dedans soi chose qui la puisse tuer . [Plin., l. XXVII, c. II.]

            Napellus et anthora ou anthithora, laquelle anthithora [103] s'apelle autrement napel moysi ; il croit avec l'autre napellus et est son grand contrepoison. [Mattinoli, trad. Desmoulins, l. IV, c. LXXIII.]

             Accipiter, avium quas cæperit nunquam cor edit. Aristot., De Hist. animalium, [l. IX, c. XI, 2.]

            De Ætna, monte Siciliæ : in eo antrum in cujus circuitu maxima copia florum omni anni tempore ; maximum autem esse spatium violis conspersum, quæ regionem proximam suave olentia replent. Unde venatores cum canes, ab odore devicti fuerint, leporum vestigia insequi nequeunt. Aristot., De admir. aud.

            Venin de la tarantole, ainsy nommee pour Tarante, ville de la Poüille, fait que les piqués chantent, rient, pleurent, veillent, dorment ; divers et innombrables effectz procedent de la diversité du venin de ces animaux, ou de la diversité de la temperature de ceux qui en sont piqués. Vivent dedans les blez, es trouz de la terre, et piquent les moysonneurs silz sont a jambes nues. C'est merveille que la force de ce venin s'adoucit par la musique, car je puis testifier pour l'avoir veu, dit Mathioli, [Trad. Desmoulins, l. II, c. LVII,] qu'aussi tost quilz oyent les instrumentz ilz perdent leur mal, et sautent et dansent comme silz estoyent sains ; si les sonneurs d'instrumentz cessent, ilz tumbent en terre et reprennent leur mal, sinon quilz ayent des-ja tant sauté que le venin soit sorti par sueurs ; si que on loüe des menestriers qui, les uns apres les autres, sonnent jusques a ce quilz soyent gueris. Neanmoins cependant, on leur donne de la theriaque et mithidrat et autres contrepoysons. C'est un'espence (sic) de phalanges et airagnees.

            La Sardaigne est sans serpens, mais en lieu d'icelles (sic) ell'a un'espece d'aragne nommé solifuga, parce [104] qu'elle fuit le jour, qui fait mourir ceux qui s'assisent dessus. [Mattinoli, trad. Desmoulins, L. II, c. LVII.]

            L'aconit a tout son venin en la racine, sans que les feuilles ni fruit face aucun mal. [Ibid., l. IV, c. LXXIII.]

            Quand le chamæleon s'enfle, il change de couleur ; c'est de crainte et d'apprehension, disent les autres. Dæmocrite dit que sa langue arrachee, luy vivant, fait gaigner les proces a qui la porte sur soy ; cela s'entend de la langue des advocatz, qui sont des vrais chamæleons. [Ibid., l. V, c. CX.]

            Corail, arbre, pierre ; ou il est, la foudre ne tumbe. [Ibid., c. XCVII.]

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin.

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X. Deuxième recueil

 

1594-1598

 

(INÉDIT)

 

            Celuy ne sera offencé de l'ophtalmie qui portera avec soy la racine de la parelle sauvage. [Mattinoli, l. II, c. CVIII.]

            Les Schites ont treuvé un' herbe naissant a l'entour de Bætia, nommee schitica, fort douce au gouster, qui est grandement estimee parce qu'en la tenant a la bouche on ne sent ni faim ni soif. L'herbe aussi nommee des Schites hippice, a mesm' effect es chevaux ; et dit on que les Schites, avec ces herbes, peuvent durer sans boire ne manger douze jours.

            On a donné tant d'honneur a l'herbe vetonica, que la maison ou elle sera plantee est contregardee de tout mal. [Mattinoli, Epitre, p. 4.)

            Adamantis, ainsy nommé (sic) parce qu'elle ne peut estre brisee non plus que le diamant ; presentee aux lions, les fait tumber renversés a gueule ouverte. [Ibid.]

            Les bestes deviennent estourdies et endormies si elles [105] sont touchees de l'herbe therionarca qui croit en Capadoce et Misie. [Plin., l. XXIV, c. XVII, al. CII.]

            Le solarium furieux, selon Dioscoride, represente plusieurs imaginations plaisantes, si on boit une drachme de la racine avec du vin. [Mattinoli, l. IV, c. LXIX ; Plin., l. XXI, c. XXXI, al. CV.]

            Es Bactres, a l'entour de Boristenes, croit gelotophilis qui, beue avec vin et mirre, fait sembler que l'on voye plusieurs choses, et ne cesse l'on de rire si on ne boit des pignons avec du vin de palme, poivre et miel. [Plin., l. XXIV, c. XVII, al. CII ; Mattinoli, Epitre, p. 4.]

            Une branche de la troisiesme espece de ramnhu, mis aux portes et fenestres, chasse tous venefices, selon Dioscoride . [Matthioli, ibid.]

            J'ay une racine trouvee par Francesco Calceolario, Veronnois  ; ayant trempé en vin une nuit, qui en boit ne peut manger, pour faim quil aÿe, sil n'hume une cueilleree de vinaigre. [Matthioli, l. IV, c. LXIX.]

            En l'Inde occidentale, une racine produit des feuilles de sureau de la grosseur de la cuisse d'un homme ; le suc, beu, fait incontinent mourir ; le reste, mis en farine, fait de tres bon pain et nourrissant. [Matthioli, Epitre, p. 10.]

            Herbe des batteleurs . [Ibid., pp. 10 et 11.]

            L'aymant tire de sa propre vertu le fer a soy, hormis celuy qui est rouillé ; pourveu aussi que la pierre ne soit point frottee d'aux, ou quil ny ayt point de diamant aupres. [Matthioli, l. V, c. CV.]

            La pierre theamedes, qui croit es montaignes d'Etiopie non pas loin de la montagne de l'Aymant, a la vertu du tout contraire, car si on luy approche du fer, incontinent elle le rejette et chasse. Partant, ceux qui avec semelles de fer cheminent par la montaigne d'Aymant, ilz ne peuvent [106] mouvoir les piedz, et par le mont Theamedes ilz ne se peuvent soutenir et ne font que trepigner. Mais si quelqu'un pensoit que ce fut fable, je l'asseure que j'ay un (sic) piece d'aymant lequel d'une partie tire le fer et de l'autre le rejette. [Ibid., p. 747.]

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin.

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XI. Troisième recueil

 

(INÉDIT)

 

            Abarmon, multis ovis fœcundus piscis, non ejicit ova nisi confricet ventrem ad arenam contactu asperam, in illa pullos educat et complet. (Albertus Magnus, De animalibus, [l. XXIV, c. VI, 1].)

            Abeston, lapis coloris ferrei, arabicus, semel accensus non extinguitur ; habet naturam lanuginis quæ dicitur pluma salamandræ, cum humido modico unctuoso pingui et inseparabili ab ipso, et illud fovet ignem. (Alb., [De mineralibus, l. II, tr. II, c. I].)

            Abides, animal marinum, cujus conversatio et cibus in aquis ; postea mutatur ejus figura et efficitur terrestre ; et tunc, cum figura et natura, mutat nomen et dicitur astoiz . (Alb., [De animalibus, l. XXIV, tr. I].) [107]

            Absinthium servat pannos a tineis et chartas a corruptione. (Alb., [De vegetab., l. VI, tr. II, c. II.)

            Acabo, animal arabicum, fugit ab eo qui defert radicem colochintidis. (Alb., [De animalibus, l. XXII, tr. II, c. I].)

            Acanes, animal magnitudine cervi, cujus fel est in auriculis. (Alb., [ibid.].)

            Acanthis, avis ad instar passeris, nidificat in spinis, quas si equus asinusve tangat dorso eorum insidens mordet acriter, et hinnitum equorum imitans, irridet. (Alb., [ibid., l. XXIII, tr. I].)

            Hædera siccat arbores quibus agnascitur, quia sugit earum nutrimentum. (Alb., [De vegetab., l. VI, tr. VI, c. XVIII].)

            Accipitres et omnes aves rapaces habent pennas, pedes et anhelitum venenosum, maxime cum balneati fuerint, et pennas rostro composuerint. Hipocritæ. (Alb.)

            Accipiter avium quas cæperit nunquam cor edit. (Aristot., De animalibus, l. IX, c. XI].)

            Accipitres modo venandi differunt : alii columbam humi insidentem, nunquam autem volantem ; alii volantem, nunquam humi insidentem ; alii nec humi nec volantem, sed arboribus et locis altis insidentem rapiunt. (Aristoteles, [ibid., c. XXXVI].) [108]

            Accipiter prædam videns nec appetens, nimis pinguis esse cognoscetur. (Alb., [l. XXIII, c. XXII].)

            Accipiter si sanguinem avium sæpe bibat, fit fortior et audacior. (Alb., [ibid.].)

            Adamas nec igne nec ferro mollescit, sed sanguine hirci, maxime si hircus ante biberat vinum ; penetrat ferrum et omnes gemmas, præter calibet. Magneti superpositus non permittit trahere ferrum. [Alb., De mineralibus, l. II, tr. II, c. I ; Plin., l. XX, c. I.]

            Caprimulgus, avis magna, sugit lac caprarum, quarum sequitur exsiccatio lactis vel earum excœcatio. (Alb. ; [Plin., l. X, c. XL, al. LVI].)

            Alauda, gallinago et coturnix nunquam in arbore, sed humi consident. Accipitrem ita timent, ut in sinum hominis fugiant et sinat se capi. (Alb., [De animalibus, l. XXIII, tr. I ; Plin., l. X, c. XXIII, al. XXXIII].)

            Alces est animal figura, colore et quantitate muli ; labrum superius habens ita protensum, ut nisi retrograde incedat herbam capere non possit. [Alb., ibid., l. XXII, tr. II, c. I ; Plin., l. VIII, c. XV, al. XVI.]

            Alforas, piscis ex putredine luti generatur. In luto sine aqua procreatur ad modum vermiculi, aqua descendente [109] concrescit in piscem. Et dicunt nautæ : si consumatur putrefactus usque ad caput et oculos, adveniente aqua iterum vivit et diu vivit ; alioquin parum. [Alb., ibid., l. XXIV, tr. I.]

            Aloes, cujus originem nemo novit, invenitur in magno flumine Bacalonis (sic), et retibus, ut corallus, expiscatur. [Alb., De vegetab., l. VI, tr. I, c. II.]

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin.

 

 

 

            L'abarmon, poisson très fécond en œufs, ne rejette ses œufs qu'après s'être frotté le ventre sur un sable âpre au toucher ; c'est sur ce sable qu'il nourrit ses petits et les élève complètement.

            L'abeston, pierre couleur de fer, provenant d'Arabie, une fois allumé ne s'éteint plus. Il a la nature du duvet que l'on appelle plume de salamandre, avec une légère humidité onctueuse et grasse, et c'est cela qui nourrit le feu.

            L'abidès, bête marine, qui vit et se nourrit dans les eaux ; ensuite il change de forme et de nature, reçoit un autre nom et est appelé astoim. [107]

            L'absinthe protège les étoffes coatre les teignes et les papiers contre la moisissure.

            L'acabo, animal d'Arabie, s'enfuit devant celui qui porte une racine de coloquinte.

            L'acanès, animal de la taille d'un cerf, et dont le fiel est dans les oreilles.

            L'achantis, oiseau qui ressemble au passereau, fait son nid dans les épines, et si un cheval ou un âne s'en approche, il se pose sur leur dos, et, imitant le hennissement des chevaux, se moque d'eux.

            Le lierre dessèche les arbres sur lesquels il pousse parce qu'il en suce la nourriture.

            Les éperviers et tous les oiseaux de proie ont les ailes, les pieds et l'haleine venimeux, surtout quand ils se sont baignés et qu'ils ont lissé leurs plumes avec leur bec. Les hypocrites.

            L'épervier ne mange jamais le cœur des oiseaux qu'il a pris.

            Les éperviers ne chassent pas tous de la même manière : les uns prennent la colombe quand elle est posée à terre, mais jamais quand elle vole ; les autres, quand elle vole, et jamais quand elle pose à terre ; les autres, ni quand elle est posée à terre, ni quand elle vole, mais quand elle se pose sur les arbres ou sur les lieux élevés. [108]

            Quand l'épervier voit la proie et ne désire pas s'en emparer, c'est signe qu'il est trop gras.

            Si l'épervier boit souvent le sang des oiseaux, il devient plus fort et plus audacieux.

            Le diamant ne s'amollit ni par le feu ni par le fer, mais par le sang de bouc, surtout si le bouc a bu auparavant du vin. Il pénètre le fer et toutes les pierres précieuses, à l'exception de l'acier. [Le diamant] placé sur l'aimant, ne lui permet pas d'attirer le fer.

            Le caprimulge (engoulevent), gros oiseau qui suce le lait des chèvres, d'où suit pour elles le dessèchement du lait, ou bien leur cécité.

            L'alouette, la poule, la caille ne se tiennent jamais sur un arbre, mais à terre. [L'alouette] craint tant l'épervier qu'elle fuit entre les bras de l'homme et se laisse prendre.

            L'alce (élan) est un animal qui a la forme, la couleur et la grandeur d'un mulet ; il a la lèvre supérieure si avancée qu'il ne peut paître l'herbe qu'en marchant à reculons.

            L'alforas est un poisson qui s'engendre de la pourriture de la vase. Dans la vase sans eau il se forme à la manière d'un vers ; à l'eau descendante il se développe en poisson. Et disent les nautonniers : s'il est anéanti par la putréfaction jusqu'à la tête et aux yeux, l'eau revenant il vit de nouveau et vit longtemps ; autrement peu. [109]

            L'aloès, dont personne ne sait l'origine, se trouve dans le grand fleuve de Babylone, et on le pêche avec des filets comme le corail.

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XII. Similitudes et Notes sur la Sainte Vierge

 

[1602-1604 ]

 

(INÉDIT)

 

De Beata Virgine et de quibusdam similitudinibus

 

            L. 4. des Propos de tab., q. 2 : Peintre Androcides peint Scilla, mais sur tout les poissons, employant plus d'affection que d'artifice.

            Au traitté des Regles de santé : la cime des palmiers, appellee la cervelle, est douce, mais fait mal a la teste.

            L'ache et le cumin : l'un croit mieux estant foulé et l'autre planté avec maudissons. (L. 7. q. 2.) [110]

            Pommiers portant beau fruit (l. 5. des Propos, q. 8), parce qu'ilz recreent les 4 sent[iments].

            Figuier acre, figue douce ; rue pres du figuier, douce (q. 9). L. 7, q. 2 : Figues sauvages retiennent les franches sur le figuier.

            Le cœur faut, et pasment les asnes et chevaux quand ilz portent des figues et pommes.

            Miel au fons, vin au milieu, huile au sommet.

 

            Noe Deum, subverso mundo, non precatur, at Moses pro populo precatur : Parce populo, aut dele me de libro vitæ ; Ex. 32 . Obliviscaris mei, quia ex eo populo Messias.

            Liber generationis. Generationem ejus quis enarrabit ? 53 Isaiæ.

            [Chose] subtile : Viam viri in adolescentula ; Prov. 30 , almah .

            Osculetur me osculo oris sui : meliora sunt libera tua vino, fragrantia unguentis optimis. Oleum effusum nomen tuum : ideo adolescentulæ dilexerunt te nimis. Sunt desideria. Vox dilecti mei, ecce iste venit saliens in montibus, transiliens colles ; similis est dilectus meus capreæ, hinnuloque cervorum ; en ipse stat post parietem nostrum, et cætera. Sed valde accommodanda sunt. (Cant. I.) [111]

            Deut. 29  : Deus cum vellet invitare populum ad recte vivendum, minatur de facturum alioquin omnes maledictiones scriptas in libro hoc, et dicent omnes gentes : Quare hoc fecit Dominus ? et cætera. Sed hic liber benedictionum est.

            Deut. 31 . Dicit Moises levitis : Tollite librum istum, et ponite eum in latere Arcæ fœderis Domini Dei vestri, ut sit ibi contra te in testimonium.

             [Ps.] 39  : In capite libri scriptum est, et cæt., ut facerem voluntatem tuam, et cæt., Paulus Christo aptat.

            Radicavi in populo honorificato, et in parle Dei mei hæreditas illius, et in plenitudine ; Eccli. 24 . Prov. 8 .

             Præfatio : servus Abrahæ, Eliezer, tria habuit gaudia : 1° Quod filiam invenit ; 2° quia pulchram ; 3° quia beneficam. Ecce Rebecca ; contemplabatur eam, et cætera ; Bibe, et cætera.

            Aurora appropinquante : Non dimittam te.

            Custos, quid de nocte ? et cætera ; [Is.,] 21 .

            Paravi lucernam Christo meo.

            Rinoceros.

            Alexandre allant en Asie contre Darius, ne garde que l'esperance ne Perdiccas  avec luy. [112]

            Archelaus a son barbier : « Comment voules vous  que je vous face la barbe ? — Sans dire mot. »

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Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin.

 

 

 

            Noé ne prie pas pour le monde détruit, mais Moïse prie pour le peuple : Pardonne à ton peuple, ou efface-moi du livre de vie... Oublie-moi, parce que de ce peuple sortira le Messie.

            Livre de la génération. Sa génération, qui la racontera ?

            ... La trace de l'homme dans la jeune fille (almah).

            Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche : tes mamelles sont meilleures que le vin, plus odoriférantes que les parfums les plus fins. Ton nom est une huile répandue : c'est pourquoi les jeunes filles t'ont passionnément aimé. Ce sont les désirs. Voix de mon bien aimé, voici qu'il vient bondissant sur les montagnes, franchissant les collines ; mon bien aimé est semblable à la gazelle et au faon des biches ; voici qu'il se tient debout derrière notre mur, etc. Mais il faut beaucoup accommoder ces paroles. [111]

            Comme Dieu voulait inviter son peuple à vivre vertueusement, il le menace, si ce peuple n'obéit pas, de toutes les malédictions écrites dans ce livre, et toutes les nations diront : Pourquoi le Seigneur a-t-il fait ces choses ? etc. Mais ce livre-ci est le livre des bénédictions.

            Moïse dit aux lévites : Prenez ce livre, et placez-le à côté de l'Arche de l'alliance dit Seigneur votre Dieu, afin qu'il soit là en témoignage contre toi.

            En tête du livre, il est écrit, etc., afin que je fisse ta volonté ; Paul applique [ces paroles] au Christ.

            J'ai pris racine dans le peuple que Dieu honore, et dans la part de Dieu, laquelle est son héritage, et dans l'assemblée...

            Préface : Eliezer, serviteur d'Abraham, eut trois joies : 1. Quand il rencontra la jeune fille ; 2. parce qu'elle était belle ; 3. parce qu'elle était bonne. Voici Rébecca ; il la contemplait, etc. ; Bois, etc.

            L'aurore approchant : Je ne te laisserai pas partir.

            Sentinelle, où en est la nuit ?

            J'ai préparé une lampe à mon Christ. [112]

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XIII. Recueil de similitudes

 

[1600-1604 ]

 

(INÉDIT)

 

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            Apelles n'employoit jamais en ses tableaux que quatre couleurs ; ni le prædicateur, peintre chrestien, ne doit employer que l'Evangile contenu es 4 Evangelistes. [Plin., Hist. nat., l. XXXV, c. VII, al. XXXII.]

            Il fit un Alexandre le Grand et un'image de victoire et un dieu de guerre lié et garrotté, et un Alexandre le Grand assis en un char triumphal. Ces deux tableaux [113] furent mis par Auguste au plus apparent lieu de sa place ; mais l'Empereur Claudius fit effacer la face d'Alexandre en tous deux, et y supposa celle de l'Empereur Auguste peinte au vif. [Ibid., c. X, al. XXXV.]  Unus ex vobis diabolus est mutatione animi, dum quæ Deus pinxit expunguntur et aliena supponuntur. Sic hæretici corpori Scripturæ supponunt sensum malum.

            Il fit un cheval a l'envy d'autres peintres qui vouloit (sic) emporter le prix sur luy, et se doutant que la faveur de ses parties ne luy fit perdre le prix, il ayma mieux suivre le jugement des bestes. Et ayant monstre les chevaux de ses parties aux chevaux naturelz, ilz n'en tindrent compte ; mais leur ayant monstré le sien, ilz commencerent a hennir contre : qui servit par apres de regie aux espreuves de peintures. [Ibid., c. X, al. XXXVI.]  Bestiæ reddunt gloriam Deo, et inanimata, et Gentes quæ legem non habent, quæ legis sunt faciunt.

            Protogenes, Rhodien, fit un Dalylus , un chien aupres de luy, avec un si grand soin quil ne mangeoit, pendant ce tems, que lupins detrampés, de peur que le goust des viandes ne luy changeast ou chargeast le sens. Le chien fut presque miraculeusement fait, car ayant peint ce chien exquisement et du tout a sa fantasie (ce qui luy arrivoit peu souvent), il ne pouvoit rencontrer a bien exprimer l'escume qu'un chien jette apres quil a couru. Ayant donq souvent osté les couleurs quil avoit assisses avec un'esponge, voyant quil ne luy succedoit pas, il jetta l'esponge contre le lieu du tableau qui luy desplaisoit ; et icelle estant pleyne des couleurs qu'ell'avoyt prinses et ostees du tableau, elle les rendit en ce lieu la, et se treuverent [114] assisses si a propos que l'escume fut faitte comm'il desiroit.  Heu ! quam sæpe Deus nostros conatus ad bonum dirigit, nobis aliud cogitantibus ! Sic... velut sp... et recte illis cecidi …………………………………………………

passionum  ………………………………………………………………………………………

            Nealces en usa de mesme pour l'escume d'un cheval quil avoit peint, avec un garçon qui le retenoit a le flatter.

            Le Roy Demetrius pouvant aysément prendre Rhodes du costé ou estoit la mayson de Protogenes, defendit le feu de ce costé la, de peur de brusler ledit tableau du chien, et pour espargner cette piece, il perdit l'occasion de prendre Rhodes [Ibid.]  Heu ! propter talem picturam pepercit Demetrius urbi : cur non Deus propter justos, propter Virginem, propter Eucharistiam, propter Filium et imaginem suam ?

            Protogenes, audit siege de Rhodes, estoit en un petit jardin aux fauxbourgs, et ne laissa jamais de travailler. Le Roy fit asseoir un guet a l'entour de son logis affin qu'on ne luy fit desplaisir, et prenoit playsir a le venir voir travailler durant qu'on livroit les assaux. Neanmoins, il ne se pouvoit faire quil n'eut presque tous-jours l'espee a la gorge pendant quil travailloit ; et luy, pour monstrer qu'il ne s'en soucioit gueres, fit lhors un satyre admirable qui jouoit du flageolet et l'apella anapauomenos, c'est a dire s'esgayant.  Ibant gaudentes a conspectu concilii. Omne gaudium existimate, fratres, cum in varias tentationes, etc. Exultate ei cum tremore. [115]

            Il fit un tableau ou il y avoit des religieuses de Bacchus  et des petitz satyres qui leur rampoyent et gravissoyent contre. [Ibid., c. X, al. XXXVI, 40.] Dames de caremprenant courent fortune des satyres, id est de perdre leur reputation et leur chasteté.  Satyrus salax et pruriens ; item, mordax et maledicus.

            Pireicus, comme semble a Pline, vouloit assoupir son bruit, et [ne peignait qu'en petit] volume et petites choses, comme boutiques [de barbiers, de cordonniers,] petitz asnes [char]gés d'herbes, et semblables [menus fatras ; dont enfin on l'appela] paintre de bass'estoffe ; [et néanmoins, à cause de son art, ces choses ] menues se vendoyent plus que plusieurs grandes des autres . — Les moindres besoignes faittes en charité et selon l'art de vraye devotion, comme sont les mortifications des petites passions, les bas services et offices, les petites œuvres, valent plus que les plus grandes faittes laschement et sans devotion.  Charitas est mensura hominis, quæ est Angeli, id est hominis et Angeli, Apoc. 21  ; arundo aurea sunt opera parva et nullius ex se momenti, ut arundo, et tamen, quia aurea sunt, mensura caritatis.

            Vide c. illud 10 [al. XXXVII], l. 35  circa finem, de rationibus [116] propter quas pictores antiqui muros non pingebant, nam multum juvant ad interpretationem loci illius Concilii Laodiceni, quem citant hæretici contra usum imaginum.

            Arellius, peintre fort renommé un peu avant le regne d'Auguste a Romme, est oit sujet aux femmes, et toutes les deesses quil faysoit estoyent faittes a patron des femmes a qui il faysoit la court.  Hæretici Virginem Divosque pingunt ut mulieres suas et ministres, et zelotipiam Dei ut suam, justitiam Dei ut suam, misericordiam Dei ut suam, potentiam Dei ut suam : unde ex Joanne Baptista, mollem faciunt ministrum et mollibus vestitum ; ex Virgine, puellam de trivio.

            C. XI [al. XXXVIII] : Lepidus estant triomvir, fut invité par les magistratz de Romme en une mayson de playsance tout environné de boys ; les oyseaux ne le laisserent dormir de toute la nuit, de quoy se pleignant le lendemain, ilz firent peindre un grand parchemin en forme de dragon, et ce fantosme mis a l'endroit du lieu ou il dormoit fit taire tous les oyseaux.  Umbra peccati obmutescere facit Angelos piosque.

            Nealces voulant representer le rencontre de l'armee des Ægiptiens et de celle des Perses, tous (sic) deux navales, sur [le fleuve] du Nil, et ne pouvant contrefaire l'eau du [Nil pour ce qu'elle est semblable à] la marine, il peignit [un asne beuvant à bort de riviere et un crocodile qui le guettoit .] [L. XXXV, c. XI, al. XL.] [117] …………………………………………………….

            L. 22. c. 21 [al. XXIX], et l. 2. c. 41 : Heliotropium se contourne, feuilles et fleurs, avec le soleil, mesme en tems couvert, et la nuit il serre sa fleur bleüe. (Dioscoride dit qu'ell'est blanche en l'absence du soleil. [L. IV, c. CLXXXV].) Addition : Quasi toutes fleurs jaunes suivent le soleil, mais non les feuilles qu'en celle ci.  Perfectus amor omnia omnino convertit ad Christum, et folia, id est minima et naturalia.

            Il y a en l'isle de Cypre, les Marses, les Psylliens et les Ophyogenes qui font fuir les serpens et guerissent ceux qui en sont mordus a leur toucher seulement la playe ; item, ceux de l'isle Tentyris, qui est au Nil, ont si grande proprieté contre les crocodyles, qu'a oüir seulement leur voix, les crocodiles s'enfuyent. Ceux qui ont le cors ainsy medicinal et privilegié, par leur seule presence allegent ceux qui sont mordus des animaux qui leur sont contraires.  Si tetigero fimbriam. Quis me tetigit ?

            [Plin.,] l. XXVIII. c. III [al. VI] : Ceux qui ont autrefois esté morduz des chiens enragés ou des serpens, encor quilz soyent gueris rengregent les playes de ceux qui en sont malades a s'approcher seulement d'eux.  Quam facilis est casus eorum qui cum peccatoribus versantur ! Nemo habitare debet cum iis cum quibus semel peccavit, nisi cauté, nam plagæ etiam obductæ reviviscere et recrudescere faciunt vulnera.

            Un serpent acharné est malaisé a oster et arracher si ce n'est de la main gauche,  Peccator peccato addictus, maxime carnali, vix nisi flagellis abigitur. (Ibid.)

            Il ne faut jamais desesperer de la vie d'un malade pendant qu'on se peut mirer en la prunelle de ses yeux. [118]

             Dum quis clares habet oculos et nitidos, id est judicium, bene est ; at judicio corrupto, ut in hæreticis, actum est.

            En l'isle de Syros, une pierre mise par quartiers nage sur l'eau ; brisee, va a fons. L. 36, [c. XXVI, al. XVI].

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            Napellus et anthora ou anthithora, l'un pres de l'autre, contrepoison. [Mattinoli, Comment. sur Dioscoride, l. IV, c. LXXIII .]

            Les dauphins n'ont nulles oreilles, et neanmoins ont l'ouÿe delicate et se playsent a la musique ; ni aucun nez, et sentent parfaittement. L. XI, c. 37 [al. L].

            Le grand duc, en latin bubo, et le hibou cournu sont seulz entre les oyseaux qui ont les oreilles cornues. Les monteures et bestes a selle parlent par les oreilles et monstrent ce qu'elles pensent. (Ibid.)

            Tous animaux ont le cœur au milieu de la poitrine, l'homme sous le tetim (sic) gauche. [L. XI, c. LXIX.] Les seulz poissons, entre tous animaux, ont la pointe du cœur contre la bouche. Le cœur s'estressit contre bas, et la palme aussi.  Justus ut palma florebit.

            Le cœur est la premiere partie qui se forme et qui vit, les yeux la derniere ; et ceux ci meurent les premiers, le cœur le dernier. On diroit que c'est un animal a part, sautelant et se remuant ; ceste seule partie n'est jamais malade, car la premiere offence la fait mourir. [Ibid.]

            Tous animaux qui ont le cœur dur sont estimés brutaux. Le petit cœur est hardi ; le grand ou gros, timide.

            Le jour que Cæsar fut fait dictateur et quil chargea la robbe de pourpre, il fit deux sacrifices, en tous lesquelz ne se treuva nul cœur es bestes quil sacrifia.  Cæsar, [119] eversor reipublicæ a cædendo diabolus quos sacrificat in die suæ dictaturæ, id est dictando eis mala, excordat. L. XI, c. 37. [al. LXXI].

            Bœufz seulz se paissent a reculons ; l. 8. [c. LXX].

            Echeneis  arreste le navire, fait retarder l'issue d'un proces, fait porter l'enfant a terme ; salé, attire l'or tumbé dans un puy, pour profont (sic) qu'il soit. L. 9. c. 25 .

            Chastagnes ou herissons de mer  ont la bouche au milieu du cors, tournee contre terre. Prevoyent la tempeste, car par leur rondeur estans aysés a tournebouler ça et la, ilz se chargent de pierres pour s'appeusantir ; les mariniers les voyans aynsi, ont soudain recours a l'ancre. [L. LIX, c. LI, al. XXXI.]

            Es Indes, arbre retirant au terebentim porte des amandes tres douce[s]. [Theophraste, Hist. Plant., l. IV, c. IV.]

            Au royaume de Turquestan , une plante, raphanus, attire les chevaux par son odeur, et neanmoins les fait mourir ; Alexandre le Grand passant par la, perdit presque toute sa cavalerie. [L. XII, c. VIII, al. XVIII.]

            Si ta vigne est maigre, metz au pied, en sa racine, la cendre de ses sermens (sic).  Caput, radix hominis ; serment, la fin. Plinius, l. 17, c. 9. [al. VI], et c. 28. [al. XLVII]. Pour garder que les raysins ne tumbent, jette de (sic) cendres sur la racine ; si ell'est sterile, mesle de fort vinaigre avec cendres et en enduis les racines.

            Les palmiers d'estre pinsés et mordus, se nourrissent es eaux salees et cendrees. [Idem.]  Mortificatio conservat opera et producit. [120]

            Amandiers doux deviennent amers si une chevre les leche tant soit peu ; les amers deviennent doux si on les perce au fons avec une teriere pour en faire sortir le suc.

            Les aspicz s'enflent le col voulant jetter leur venin, et ni a remede a leur morsure que de coupper le membre ou chair mordue. Il a la veüe courte. (Pl., l. 8. c. [35, al.] 23 ; Diosc., l. 6, c. 5.) La plaÿe est petite comme si ell'estoit faitte de la pointe d'un'eguille, sans enfleure ; les patiens se sentent incontinent les yeux offusqués et couvers, diverses douleurs par tout le cors, legeres et non sans quelque playsir.

            Le ptias jette son venin en crachant ; remede, de boire quantité de vinaigre. Le ptias fait devenir sourd. [Mattinoli, l. VI, c. LIV.]

            Le basilic (lat. regulus, de la longueur d'un empan) fait mourir a la seule veüe et aleyne (sic), non seulement les hommes, mais les serpens. Leur (sic) trouz et cavernes se connoissent a leur puanteur, ou les belettes entrent, les faysant mourir par leur haleyne, et meurent elles mesmes. Il va droit, la teste levee despuis la moytié du cors ; il a une tache blanche sur sa [tête], comme un diademe.

            Le serpent se despouille premierement la teste, puis le reste, et non en un'heure mais en 24 : ainsy nous devons  scindere primo corda, et non vestimenta. Matthioli, [l. VI, c. LIV ;] Pline, Aristote, [De animal., l. VIII, c. XVII.]

            Ichneumon, dit rat d Inde, animal ægiptien, se veautre plusieurs fois en la fange et autant de fois se seche au soleil, et, ainsy armé de limon, assault l'aspic et, sans estr'offensé de luy, le prend a la gorge. L. 8. c. 24, [al. XXXVI], Plin.

            Le crocodile, saoul de poisson du Nil, s'endort sur le gravier, et le roytelet, oyseau, pour prendre sa curee, vient sauteler a l'entour de sa gueule, la nettoyant et pique tant avec le bec pour la luy faire ouvrir, ce quil fait ; et ce petit oyseau luy cure les dens et le gosier, a quoy il s'endort a gueule bee, et lhors le rat d'Inde se lance dans le [121] gosier et ventre du crocodile commun trait, luy ronge les boyaux et le fait mourir.

            Les daulphins faysans la guerre au crocodile, connoissans que la peau de son ventre est mince et tendre, font semblant d'avoir peur de luy et se fondent en l'eau, et se relevent contre son ventre et avec leurs arrestes trenchantes le luy fendent et le tuent. [L. VIII, c. XXV, al. XXXVIII.]           Les Tentirites, petites gens d'un'isle voisine au Nil, tuent admirablement les crocodiles, nageans contre eux et montans a cheval dessus, et les poussent a terre prisonniers et les vainquent ; aussi les crocodiles fuyent l'odeur des Tentirites comme les serpens celle des Psilliens. Le crocodile est furieux contre ceux qui le craignent et qui le fuyent, et jamais ne fait teste quand on le poursuit. Pl., l. 8. c. 25 [al. XXXVIII].

            Le serpent ceraste a quatre petites cornes qui se remuent, avec lesquelles il amuse les oyseaux pour les attrapper, cachant tout le reste de son cors ; c. 23 [al. XXXV].

            C. 22 [al. XXXIV] : « Lupi Mœrin videre priores  » ; loup cervier, pour faim quil aye, sil tourne la teste, il oublie sa viande et s'en va pour en chercher d'autre.

            Tigresses : bell'histoire ; l. 8. c. 18 [al. XXV].

            Chameaux passeront 4 jours sans boire, mais s'en revanchent treuvans l'eau, laquelle ilz ne boivent quilz ne l'aÿe (sic) troublee, ne la treuvans bonne autrement (aucuns estiment que c'est pour ne voir leur difformité en icelle).  Optime congruunt hæreticis de Scriptura non bibentibus, nisi sensum turbaverint, ut gustui suo aptent miscendo terrena sacris, vel ne suam videant turpitudinem. Pl. l. 8. c. 18 [al. XXVI], non dicit inclusa.

            Mantichore indien, animal a trois rancz de dens ; a le visage et oreilles d'un homme, les yeux verdz, son pelage rouge, le cors de lion, la queue de scorpion, sa voix comme [122] le son d'une fleuste et trompette mise ensemble et meslee ; friant de chair humaine. Lib. 8. c. 21 [al. XXX].

            Elles [les hyènes] contrefont le parler des hommes ; c. 30 [al. XLIV]. Ibid., c. 30 [al. XLIV]. Le vulgaire estime les hienes avoir deux natures, et qu'elles servent deux ans de masle et deux ans de femelle tour par tour et conçoivent sans masle ; mais Aristote dit le contraire, [De animal, generat., l. III, c. VI.] On en dit choses admirables : elles contrefont le langage des bergers, et ayant appris le nom de quelqu'un, elles l'apellent pour le faire sortir de la grange et le devorer ; elles vont chercher les cors humains dans les sepulchres ; les chiens marchans sur son (sic) ombre, ne peuvent japper. On les treuve en Afrique ; c. 30 [al. XLIV].

            Chameleon : sa langue arrachee, luy vivant, portee sur soy, fait gaigner les proces ; Democrite, Mathioli, [l. V, c. CX] ; l. 2. c. 60.

            Un jour juge l'autre et le dernier les juge tous ; folie des hommes de conter les jours, au lieu de les peser. Pline, l. 7, c. 40 [al. XLI].

            Publius Cornelius Rufinus  songeant quil perdoit la veüe, la perdit de fait. Jason Phæreus, abandonné des medecins pour un aposteme quil avoit en la poitrine, par desespoir se donna un coup de cousteau pour se tuer, mais il treuva par ce moyen la guerison ; l. 7. c. 50 [al. LI].

            Les dragons et elephans font la guerre en trois façons : 1. Le dragon est si grand quil entortille l'elephant, et fait tumber l'elephant qui en tumbant le tue. 2. Le dragon espie l'elephant quand il fait son viandis, et se lance sur luy de dessus un arbre ; l'elephant tasche de s'accoster d'un arbre pour se froter contre iceluy et escacher le dragon, mais le dragon entortille les deux jambes de l'elephant pour le garder de se remuer, et se fourrant dans son muffle luy empeche l'haleyne et le luy ronge. 3. Silz se treuvent en chemin, ilz viennent droit debout l'un contre l'autre et s'entrefont la guerre aux yeux, de maniere qu'on a treuvé des elephans aveugles, devenus thysiques et secz de fain [123] (sic) et par le poison du dragon. 4. Le sang de l'elephant est froid et les dragons desirans se rafraichir en sont frians ; dont, aux chaleurs, le dragon se chache (sic) dans l'eau, espians que l'elephant vienne boire, et lhors se jettent (sic) a leur muffle et l'entortille, puis les mordant a l'oreille ou l'elephant ne peut porter la muffle, tire tout le sang de l'elephant, lequel tumbant mort, tue le dragon yvre de son sang. [L. VIII, c. XII.]

            La lionnesse est extremement luxurieuse et se laisse couvrir au liepart (sic), ce que le lion sent longtems apres et la chastie ; mais pour oster ce sentiment, elle se lave. On estime qu'elle ne porte qu'une seule fois en sa vie, par ce que ses fans, en sortant, luy esgratignent le ventre. Aristote dit, [De animal., l. VI, c. XXXI,] qu'elle porte cinq fois, et la premiere litee cinq, puis en diminuant jusques a rien ; ilz nayssent en piece de chair.

            Les lions ont l'aleyne et le hasle du cors fort puant ; ilz ne mangent guere, et si on les saoule, ilz ne mangent que de trois jours l'un ; ordinairement, de deux jours l'un. Toutefois, ce qu'ilz peuvent avaler sans mascher ilz l'avalent, et se sentans l'estomac empesché ilz le retirent avec la patte, de peur de se treuver alaschiz sil falloit fuir. [L. VIII, c. XVII, al. XVIII.] Ilz ayment naturellement les gens vieux, qui ne peuvent chasser ni leur faire la guerre, comme dit Polybius  qui fit le voyage d'Afrique avec Scipion ; et dit qu'en ce voyage les lions y estoyent si espés qu'on n'osoit sortir des villes, et qu'on pendoit et crucifioit des lions pour faire peur aux autres. Le lion ne fait rien a ceux qui se couchent et humilient, et ne s'addresse jamais aux petitz enfans, sil n'est bien pressé de faim. Pline dit quil a veu une esclave Getulienne qui luy racontoit qu'ell'avoit eschappé la fureur de plusieurs lions par douces paroles, leur remonstrant qu'ell'estoit pauvre fille, esclave, bannie, malade, indigne de servir de proye a leur generosité ; elle estoit en la Guinee. [L. VIII, c. XVI, al. XIX.]

            Le lion donne signe de ce quil pense par la queüe, comme [124] les chevaux par les aureilles. Quand il entre en cholere, il bat la terre d'icelle, et passant plus avant, il s'en bat les flanez. [Ibid.]  De duplici ira Dei, qua percutit corpus, qua percutit animas quas in latere suo portat. — De toutes les blesseures quil fait, le sang en sort noir, soit avec les dens, soit avec les griffes.  Omnes actiones a diabolo procedentes nigræ sunt, sive omnes dolores ; at dolores a Christo, rubicundi. — Il regarde fixement les traitz qu'on luy jette, sans en tenir compte, taschant d'espouventer des yeux. [Ibid.] Pendant quil est en lieu ou on le voit a descouvert, il fait sa retraitte tout bellement, monstrant de mespriser les chiens et le veneur ; estant couvert de bois, il fuit excellemment. Estant blessé, il regarde tous-jours celuy qui l'a blessé et en veut tous-jours a luy, non a autre, quel grand nombre de gens quil y aie ; si on luy lance un coup sans blesser, il ne blesse point, ains foulent (sic) des pieds.

            La lionnesse combattant pour ses petitz a tous-jours les yeux en terre, de peur de s'estonner des espieux ; [ibid., c. XVI al. XIX.]  Nos ad Cælum respicere debemus.

            Il n'est frauduleux ni soupçonneux et ne regarde jamais personne de travers ; aussi ne prent il pas playsir qu'on l'y regarde. Il pleure et mord la terre en mourant. Il craint et tremble au bruit d'un charion (sic) sur tout vuide ; a la veüe d'un coq et a son chant encor plus, et sur tout a la veüe du feu. [Ibid.]  ………………………………………………………………………………

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            Pl. l. VII, c. 16 [al. XV] : Zoroastes a esté seul entre les hommes qui aïe ris (sic) le jour mesme quil nasquit. Addition : ce fut le premier Roy de Bactriane qui mena la guerre a Ninus, dit Nembrod en la Sainte Escriture. Addition [125] au c. 42 du livr'onziesme : aucuns pensent que ce soit Loth ou Abraham, mais la plus part tient que ce fut le premier Roy de Bactriane.

            Les elephans, par leur haleyne seule, font sortir les serpens de leurs trouz, et celle des cerfz les brusle ; c. 53 [al. CXVII], l. XI, Pline.  Sic vox Christi torquet demones et extrahit peccata.

            Entre les oyseaux de proye, les uns ne se jetteront jamais sur un oyseau sil n'est en terre, les autres les espient seulement quand ilz volent le long des arbres, d'autres quand ilz sont branchez, et d'autres qui les prennent en l'air, a force d'aisles. Les pigeons, connoissans le naturel de l'oyseau qui les poursuit, quelquefois se jettent en terre, quelquefois volent par dessous, et font tous-jours le contraire du naturel de l'oyseau de proye. Excellent exemple pour combattre les tentations et diables. Pl., l. X, c. 8 [al. IX].

            Soldi, ville au cap d'Anthioche, appellee Seleucie , au dessus de laquelle le mont Casius (il y en a un autre de mesme nom qui confronte l'Arabie), si haut qu'a deux heures apres minuit, d'un costé on voit le soleil levant, de l'autre la plaine nuit ; c. [XVIII, al.] 22. l. 5.  Mons Thabor, mons pœnitentiæ.

            Coucu est un'espece d'espervier ; change de figure en certain tems de l'an ; il a la teste d'un pigeon, et la couleur de son pennage, avec les ongles d'un espervier. Si l'espervier le rencontre, il le bat tant quil le defait. Il change de voix par fois ; il pond au nid d'autruy et principalement en celuy des ramiers, pour eviter la fureur de ceux qui voudroyent abolir sa race, car tous les oyseaux luy font la guerre, estant asses poltron et timide. Les parons qui le couvent et au nid desquelz il esclost ne tiennent conte de leurs petitz en comparayson du petit coucu qui, estant [126] plus goulu que les autres, mange leur viande et se rend gras et poly ; dont le paron se mire en luy, se baignans de voir un si bel oyseau quil pensent (sic) avoir produit, jusques a luy permettre de manger et se paistre de leurs petitz propres devant leurs yeux. Et pour recompense, quand le petit coucu se sent asses fort pour s'en voler, il se jette sur les parons qui l'ont eslevé et les mange. (L. X, c. IX [al. XI].)  Elegans descriptio hipocritæ, cujus opera, cum sint diaboli, reponuntur cum bonis, et ea fovet Ecclesia videnturque illi speciosa et datur illis merces debita veris operibus, et cætera omnia absumit Ecclesiamque lacerat. A fructibus eorum cognoscetis eos. Faciem habet columbæ, cæterum accipiter ; est unguibus aduncis, sed ignavus.

            La lanterne de mer, nommee en latin lucerna (aucuns disent que c'est le rouget), se tient ordinairement sur l'eau, et la nuit estant clere et calme, elle tire une langue luysante comme feu ; l. IX. c. 27 [al. XLIII].  Egregia descriptio concionatoris, qui supereminet fluctibus maris et, lux, in tenebris lucet.

            Les poissons qui portent les perles sont quasi faitz a mode d'huistres. Leur sayson de concevoir estant venue, elles s'ouvrent pour recevoir la rosee qui leur sert de semence genitale, et le fruit qu'elles rendent sont perles grosses ou petites, selon la quantité de la rosee. Si la rosee est pure, elles sont cleres ; si le tems estoit trouble, elles le sont, participans plus de l'air que de la mer ; elles s'engrossissent et nourrissent si elles peuvent recevoir a suffisance de la rosee. Quand il tonne et esclaire, les mere-perles se tiennent serrees et les perles se fondent faute de nourriture, ou bien elles engendrent une certaine forme de [127] perle pleine de vent comme une vescie : ce sont avortons de perles ; elles rougissent au soleil, et par viellesse.

            La pierre tracienne mouïllee d'eau et approchee du feu, s'allume soudain et ne se peut estaindre que par l'huile. [Matthioli, l. V, c. CIV.]

            C'est chose asseuree que les chiens en Ægipte lappent et boivent au Nil tous-jours en courant, de peur de servir de proÿe aux crocodiles.  Pl. l. 8. c. 40 [al. LXI].  Et nos, si sapimus, aquas delitiarum mundi cursim bibamus, nam in earum flumine habitat crocodilus, demon, peccatum.

            Au voyage qu'Alexandre le Grand fit es Indes, le Roy de l'Albanie d'Asie luy donna un chien de grandeur prodigieuse, auquel Alexandre prenant plaisir, luy fit lascher d'ours, sanglers, dains, mais ce chien n'en tenant compte demeuroit couché sans se bouger. Le Roy, marri de la poltronnerie de [ce] grand cors, commanda qu'on le tuast. Le Roy d'Albanie, adverti de cela, luy en renvoya un autre, l'advertissant qu'il ne failloit espreuver ce chien contre petites bestes ; Alexandre luy fit bailler un lion, lequel fut incontinent mis en pieces par ce chien, puis un elephant, de mesme.  Heu, quam indignum Christianos, tam magnos viros, velle cum hominibus contendere ! Contendant et vindictam exerceant cum dæmone, magna illa bestia et leone circumeunte. (Plin., ubi supra.)

            Les saumes ayment fort leurs asnons, mais la crainte de l'eau surpasse cet amour ; car pour aller vers leurs petitz elles ne craindront point de passer par le feu, mais si seulement il y a un petit ruisseau entre deux, elles ont si grand peur de le passer que mesmes elles ni osent mettre le pied. Aussi ne passeront elles jamais un pont ou on peut voir la riviere parmi les ais, et pour alterees qu'elles soyent, si on leur change d'abbreuvoir elles ne boiront sinon par contrainte et [a] coups de bastons. Il leur faut grand place [128] pour se coucher et ne se couchent qu'au large, car il leur vient mille fantasies et songes en dormant, de sorte qu'elles ruent deça et dela, et si elles rencontroyent quelque chose dure, cela les feroyt clocher. (Pl. l. 8. c. 43 [al. LXVIII].  Aqua, afflictio hujus mundi : Intraverunt aquæ usqne ad animant meam ; ignis, inferni. Pro filiis, parentes, asinis pejores aut similes, ignem inferni subeunt et afflictiones hujus mundi subire volunt ; pauci pro filiis educandis, ad paupertatem venire volunt ; pro filiis ditandis, in infernum descendunt. Nolunt bibere hæretici aquas quibus non sunt assueti, etsi, mordente conscientia, sint sitibundi. Dormierunt somnum suum, etc. Divites nunquam quiescunt nisi habeant magna spatia terrarum, qui per somnia et ludicras cogitationes et desideria, modo huc, modo illuc, volvuntur.

            Muletz et chevaux se chassent l'un l'autre et ne se peuvent accorder. Idem, l. 8, c. 44 [al. LXIX].  Hæretici, muli, nunquam cum iis concordant qui facti sunt ut jumentum apud Deum, id est Catholicis ; et hæretici sunt steriles, ultra non proficiunt.

            Guenons et marmotz sont tristes et mornes au deiïaut de la lune ; au renouvellement, sautent et dancent.  Adulatores prospera fortuna rident, adversa mærent. Id., l. 8. c. 54 [al. LXXX].

            Singesses portent leurs petitz ça et la par mignardise et les faire voir, [si] que par le tracas elles les tuent. (Idem, [129] ibidem.)  Superbi sua opera adeo venditant, ut ea perdant.

            Les lievres, es hautes montaignes, sont blancz l'hiver pendant que la neige y est, et, dit on, quilz vivent de neige ; et reprennent leur premier pelage, la neige estant fondue. Pl., l. 8. c. 55, [al. LXXXI].  Qui inter virgines degit pariter albus fit castitate ; exeat ad mundum, amittit priorem albedinem.

            Le lion tremble a la presence du coq, et beaucoup plus sil l'entend chanter.  Dæmon, leo rugiens, timet pastorum præsentiam, longe magis si prædicent. Pierre Messie dit  quil craint plus les coqs blancz que les autres.

 O Prælati, si sint innocentes et cantent.

            Les petitz pouletz ne craignent ni l'elephant, ni le beuf, ni le cheval, mais a la seule velie de l'ombre du milan volant, ilz fuit (sic) sous les æles de leur mere, et les aigneaux, du loup.

            Le loup ayant touché a la scille devient perclus. [Preface de Mattinoli, traduction de Du Pinet, p. 12.]  Sic dæmon cura tetigit Christum, qui vere Scilla in terra posita est et miræ virtutis.

            Les chiens, tant quilz sont couvertz de l'ombre d'une hiene, ne peuvent abbayer ni mordre, ou abbayer contre celuy qui porte la langue d'une hiene. [Plin., l. VIII, c. XXX, al. XLIV, et l. XXVIII, c. VIII, al. XXVII.]

            L'herbe polipode mise sur les cancres leur fait en peu d'heure despouïller l'escorce qui les couvre. [Preface de Matthioli, trad. Desmoulins, p. 15.]

            Les cicoignes mettent des feuilles de plane en leurs nidz [130] pour en chasser les chauvesauris, leurs ennemies mortelles. Les arondelles y mettent l'ache pour les garder de teignes et autre vermine [ibid.], et l'esclaire pour rendre la veüe a leurs petitz. [Plin., l. XXV, c. L.]

            Les serpens recouvrent la veüe se frottant contre le fenouïl, [L. VIII, c. XXVII, al. XLI.] Le lion ayant mangé un singe, guerit incontinent de sa fievre. [Ibid., c. XV, al. XIX.] Les cerfz et chevres sauvages se guerissent de leurs playes par le dictam, en Candie [l. XXV, c. LIII], et rejettent les fleches dont elles sont frappees. Les ours ayant mangé la mandragore, mangent des formies pour se guerir. [Plin., l. VIII, c. XXVII, al. XLI.]

            L'elephant ayant mangé le camæleon, se guerit mangeant les feuilles de l'olivier sauvage. L'homme ayant mangé le monde et son inconstante vanité, se guerit par la grace, mais sauvage, a cause quil faut qu'elle l'induise a pœnitence.

            Le saphir et l'escarboucle guerissent du mal des yeux au seul toucher ; l'ematiste garde d'enyvrer ; le jaspe estanche le sang ; le topase amortit l'ardeur de luxure, et l'herbe agnus castus, si on couche dessus.  Dilexi mandata tua super aurum et topazion, quia ipsa etiam mandata, et divitem faciunt et castum. Qui vult animam habere castam, incubet super agnum castum, id est super meditatione vitæ et mortis Christi.

            On chasse les formies avec les aisles d'une chauvesauris et le cœur d'une puput. [Pref. de Mattinoli, trad. Du Pinet, p. 15.]

            Les serpes fuyent l'odeur d'un viel cuir bruslé, et les papillons le parfum d'un foye de bouq. [Plin. l. XXVIII, c. VIII, al. XLII et XLVI.]

            La torpille amortit le bras qui la touche, mesme avec une longue perche. [L. XXXII, c. I, al. II]

            Le serpent catablepa fait mourir tous ceux qui le regardent, [131] voire a la distance de mille pas. [L. VIII, c. XXI, al. XXXII.]

            Si on mesle des plumes d'aigle avec les autres, elles seront bien tost consumees et gastees.

            Les cordes de luth se rompent toutes toutes eu les touchant, si on en touche a mesme tems une seule faitte de boyeau de loup ; et de mesme les tambours de peau de mouthon, si on en bat entre eux un fait de peau de loup.  Omnes articuli fidei dissolvuntur si unicus error interseratur unicave hæresis ; articuli autem fidei ex intestinis Agni, hæresis ex intestinis lupi.

            Si on frotte les narines d'un toreau d'huile rosat, il tumbe soudain en tournoyement de teste.

            Figues sauvages pendues aux figuiers cultivés empeschent leurs fruitz de tomber avant qu'ilz soyent meurs. [Aristot., Hist. animal., l. V, c. XXXII, et De animal. generat., l. I, c. I.]

            Le persil, plus il est foulé aux piedz, plus il croit. (Mathioli, [Pref., trad. Du Pinet, p. 13].) Plutarque en dit autant du cumin , duquel Mathioli, page 432, dit que les hipocrites, pour paroistre plus macerés, usent du cumin en leurs viandes et s'en parfument souvent. Mathiol. et Dioscoride, l. 3. ch. 60 : Il fait devenir pasles ceux qui en boivent ou qui s'en frottent.  Cyminum ou cuminum diligenter decimant hipocritæ Scribæ et Pharisei ; Mathæi, 23, v. 23. Decimant etiam anethum , cujus virtus est somnum concitare et digestionem juvare ; quare antiqui coronas sibi ex anetho faciebant in conviviis, ut ait Mathiol., [l. III, c. LVIII,] fol. 431. Et mentham quæ, ex Galeno, [Simpl. med., l. VI.] et Mathiolo, [l. III, c. XXXV,] licet contradicente Plinio, [l. XX, c. XIV, al. [132] LIII,] luxuriam provocat. Ergo Pharisei, cum mentha, quæ luxuriam ciet, et cum anetho, quæ ad gulam et somnum provocat, cyminum conjungunt, ut exterminent facies suas et videantur continentes et jejunantes.

            Pouletz tués et pendus a un figuier en deviennent plus tendres et meilleurs. [Pref. de Matthioli, trad. Du Pinet, p. 12.]

            Une broche d'airain mise dans une chair la garde longuement de se corrompre. [Ibid.]

            Cors tués par le foudre deviennent secz et ne pourrissent jamais ; dont le poete qui dit Phaeton frappé de foudre pourrit en certaine vallee, a esté reprins. [Ibid.]

            Martia, enceinte, frappee du foudre. [Ibid.]

            Menthe dans le lait l'empesche de cailler. [Matthiol., l. III, c. XXXV.]

            Murenes frappees d'une ferule meurent soudain.

            Scorpions approchans l'herbe delphinium ou lychnis sauvage, ou la racine du premier aconit, sont tellement amortis quilz semblent plus mortz que vifz, et touchant a l'helebore blanc sont incontinent remis en force. [Pref. de Matthioli, trad. Du Pinet, p. 12.]

            Les mains frottees de la cotule puante, abeilles et guespes ne piquent jamais. [Ibid.]

            Roseau et feugere tellement ennemies, que si on tient au soc de la charrue un roseau attaché, toute la feugere qui sera en la terre labouree meurt ; au contraire, les roseaux et asperges s'entr'ayment fort. [Ibid.]

            Les martes, fouines, belettes ne touchent aux poules frottees du jus de rue, ni le renard a celles qui ont mangé du poulmon de renard. [Ibid.]

            La vipere rencontrant une branche de fau (fagi), elle s'arreste et demeure estonnee ; aussi fait elle si on la touche tant soit peu d'un roseau. [Ibid.]

            L'elephant en furie s'adoucit au seul regard du belier. [133]

             Heu ! videntes Agnum Dei, quare non mansuescimus ?

            Il ni a toreau si furieux qui ne s'appaise estant attaché a un figuier.  Christo confixus sum cruci ; et quis ibi non securetur ?

            L'aymant frotté de l'ail ne tire le fert si, par apres, il n'est lavé de sanc de bouc.  Allium, superbia Adami, impedit attractionem magnetis, id est Dei ; sed cum Deus lotus est in sanguine Christi, tunc iterum attrahit.

            L'ambre attire les pailles et festus, mais il ne le fait sil est frotté d'huile. Mathioli, sur le c. 93, dit que c'est si les pailles sont frottees d'huile, et dit que ce qu'on dit quil n'attire pas l'hissope est faux.  Anima comedit et attrahit vilia quæque et stipulis quæ vertuntur ante faciem venti ; sed id non facit si linita sit gratia et charitate, tunc enim cessant rerum inutilium desideria.

            Les chevaux morduz du loup sont plus vistes ; mais silz marchent sur les pas du loup, les jambes s'engourdissent et ammortissent. [Pref. de Matthioli, trad. Du Pinet, p. 12.]  Si nos dæmon momordit tentatione, alacriores reddit (priusquam enim humiliarer, ego deliqui) ; sed si vestigia ejus sequamur, id est gloriemur et induremur in peccatis, tunc obstupescunt affectus. Si mundus affligit nos, meliores efficimur ; si vestigia ejus sequamur et affectuum pedes cum eo componamus, languidi efficimur.

            La chair des moutonz morduz du loup est meilleure, [134] mais la laine engendre des poux au drap qui en est fait, [Ibid.]

            Le baume, selon Pline, l. XII. chap. XXV [al. LIV], croit en la seule Judee, et est la liqueur la plus odorante de toutes. Il retire a la vigne : on le plante par chappons et prouvins ; on l'accoustre comme la vigne qui se soustient d'elle mesme sans eschalas ; on le taille comme la vigne ; ses feuilles ressemblent a celles de la rüe et sont tous-jours vertes. Il recite que au sac de Hierusalem, les Juifz se voulans perdre, voulurent aussi ruiner les jardins de baume qui n'estoyent que deux, mais bien grans ; au contraire, les Romains les defendirent et se donna une bataille.

            Pour tirer du baume, il le faut inciser avec du verre ou avec une pierre ou une lancette d'os, car le fer luy porteroit præjudice. Estant l'arbre incisé au (sic) grans jours de l'esté, le baume sort goute a goute et tumbe sur de la laine qu'on met au pied de l'arbre, puis on l'espraint dans des cornes. Estant frais, il est blanc et espais comm'huille demi prins ; petit a petit il devient rouge, dur et transparent.

            Justin, historien, l. 36, [§ 3,] dit quil croit aupres de Hiericho, en une vallee ceinte de montaignes ; Strabon en dit de mesme, l. 16 de sa Geographie, [ch. II et IV,] mais il adjouste quil croit encor en la region des Sabæans ; Pausanias, en ses Bœotiques , dit quil croit encor en Arabie et que les viperes se nourrissent de sa tresoüaifve liqueur. Mathioli, [l. I, c. XVIII] : Mais comme s'est il fait que la Judee est privee du baume, laquelle seule jadis le portoit en plus grande abondance ? Il respond que les Rois ægiptiens l'ont transporté ; mais Dioscoride et Galien  tesmoignent qu'en mesme tems il y avoit du baume en Ægipte et en Judëe. (La rayson donc est que, par le mahumetisme, cette region a perdu ses faveurs.)

            Theophraste, en l'Histoire des plantes, [l. IX, c., VI,] dit que l'arbre est grand comme un grenadier et que ses feulles ressemblent a la rüe, et tant luy que Dioscoride, [135] qu'on l'incise avec le fer. Pline, ibidem, [l. XII, c. XXV, al. LIV] : La vraye espreuve du baume est quil face prendre le lait et ne tache point le drap.

            Pline, parlant du cinamome, l. XII, c. XIX [al. XLII], dit quil croit en Ethiopie parmi les buissons, quoy qu'en la plaine, et n'a nulle odeur estant verd ; il est, au plus, de deux coudees. On dit quil croit en Arabie, et qu'Alexandre, singlant en la haute mer, descouvrit premierement l'Arabie a son odeur. [Ibid.] Il y a un oyseau (Plin., X, c. XXXIII, [al. L], nommé cinamologue, qui fait son nid de branches de cinamome ; en Arabie, les chasseurs l'abbattent avec des fleches pour s'en prævaloir.

            Mirrhe (Plin., l. XII, c. XV, [al. XXXIV,]) est un arbrisseau de cinq coudees, le tronc espineux et tors ; aucuns disent qu'elle croist au mesme bois que l'encens, l'un parmi l'autre. Les arbres, avant qu'estre taillés, jettent le stacte et prætieuse mirrhe, puis on les taille deux fois l'an et sort l'autre mirrhe seconde, comme ceux de l'encens.  Sicut cinamomum siccum et inter spinas, et balsamum et mirrham, odorem Dei, quia posteriores arbores dant odorem incisæ ; contritio : Scindile corda.

            Oyseaux seleucides viennent au secours des habitans [sur] le mont Casius ou le long d'iceluy, contre les sauterelles, et tient on que Juppiter les leur envoye a leur (sic) prieres, a cause du grand desgast que les sauterelles leur font. [Plin., l. X, c. XXXIX, al. XXVII.] On ne sçait d'ou ilz viennent ni ou ilz vont, on ne les voit jamais sinon quand le pais en a afaire.  Religiosi veniunt, tempore opportuno, contra hæreticos in subsidium habitantium in monte Sion et in circuitu Hierusalem. Plin., l. X. c. XX [al. XLIII].

            Rossignolz admirables en leur chans (sic) ; estans si petitz quilz chantent si bien. Ilz chantent en parfaitte melodie [136] quinze jours seulement et au feuiller des arbres ; l'un ne chante comme l'autre, et a l'envi a qui fera mieux, et quelquefois, sur la contention, ilz meurent en chantant, la vie leur manquant avec la voix. Les petitz aprennent des grans. Ilz chantent les quinze jours et quinze nuitz durans. Ilz muent et changent de pennages ; ilz se retirent en hiver,  Pro virginibus cantantibus canticum novum, quod nemo scit nisi qui accipit, car chasque rossignol a son chant particulier. Semper laus in ore ; moriuntur cantando, ut Christus, Stephanus, plerique. Plin., l. X, c. 29.

            Racine de polemonia portee, empesche qu'on n'est piqué des scorpions, ou si on est piqué, la piqueure ne nuit ; Dioscoride. [Mattinoli, l. IV, c. VIII, et Epitre, trad. de Desmoulins, p. 5.]

            On a donné tant d'honneur a l'herbe vetonica, que la mayson en laquelle elle sera plantee sera contregardee de tout malheur. [Plin., l. XXV, c. VIII, al. XLVI.]

            En Judee croit une racine appellee du lieu, baaras, ainsy qu'escrit Josep., l. De bel. Jud., [l. VII, c. VI, 3,] ressemblant en couleur a une flambe de feu, et est sur le soir comme une lueur faysant eclairs. Elle fuit ceux qui l'approchent ; qui la touche, il faut quil meure, si il ne la porte pendante en la main. On fouit donq la terre a l'entour et y attachent un chien, lequel voulant suivre son maistre, il l'arrache et meurt incontinent, comme au lieu de celuy qui la devoit arracher ; apres cela, on la prend sans peril. Mise sur les vexés des espris malins elle les delivre sur le champ.

            J'ay une racine, dit Mathioli, treuvee par Francesco Calceolario, Veronnois, laquelle ayant trempé une nuit dans du vin, qui boit du vin ne peut nullement manger, pour fain (sic) quil aÿe, jusques a ce quil aye beu une cueïlleree de vinaigre.

            Es Indes [occidentales, une racine de la grosseur de [137] la cuisse, le suc de laquelle estant beu, fait mourir tout soudain ; du reste, on en fait de tres bon pain et nourrissant. Mathioli, [Trad. Du Pinet, Epitre, p. 10.]  In persecutione, inimici duo sunt : succus, et hoc peccatum est. Si læteris de peccato, illud bibis et moreris ; si de pœna tua, tunc vivis ; unde : Facientes prævaricationes odivi ; Si reddidi retribuentibus mihi mala ; et hoc est perfectum odium.

            L'herbe achemenides jettee en l'armee des ennemis les fait trembler et fuir ; Pline, [l. XXVI, c. IV, al. IX.] Idem, raconte que les Rois de Perse donnoyent a leurs ambassadeurs l'herbe latace, affin que par tout ilz eussent abondance de toutes choses. [Ibid.]

            Les fleurs et testes du lote d'Egipte, sur le soir se plongent en l'eau jusques a la minuit et va au fond ; puis, peu a peu, il s'en retourne et se redresse et sort hors ; au soleil levant ses fleurs espanouissent, et les testes s'ouvrent et se treuvent loin de l'eau. [Plin., l. XIII, c. XVIII, al. XXXII ;] Mathioli, [l. IV, c. CIX, trad. Desmoulins, Epitre, p. 5.]  Resurrectio Christi media nocte, qui post cænam in mare demersus fuit.

            La cigue qui tue estant avalee, mise sur les yeux en guerit les inflammations ; Mathioli, [l. VI, c. XI, Epitre, p. 5.]  Peccata per prædicationem representata.

            Les asnes, mules, chevaux, meurent mangeans le nerium ; beu en vin, il guerit la morseure des serpens. Mathioli, [Epitre, p. 5.]

            Le pavot mangé cause un sommeil perpetuel, mais il appayse les maladies de grandes douleurs. Mathioli, [Epitre, p. 5.]

            Cantharides mangees, tuent ; guerissent neanmoins les mordus des chiens enragés. Math., [Epitre, p. 6.] [138]

            La vipere appliquee esteint son venin propre et tous les autres.

            Mithridates, Roy de Pont, inventeur du mithridat, avoit tellement renforcé son cors par icelluy que, s'efforçant de s'empoisonner pour eviter la servitude des Romains, il ne sceut onques. Pline raconte quil sçavoit 22 langues. [Hist. nat., l. VII, c. XXIV.]

            La ferule nourrit et engraisse les asnes et tue les boeufz et chevaux ; elle ne nuit a l'homme estant mangee quand elle commence a pousser ses feuilles. Math., [l. III, c. LXXV.]

            Feuilles et fleurs du rosage sont poyson a la muletaille, chiens, asnes et bestes a 4 piedz ; et aux hommes servent de contrepoison contre les scorpions. (Math.) Cigue, venim aux hommes et bestes a 4 piedz ; viande des estorneaux. [Matthioli, Comment. Dioscor., l. VI, proœmium.]      Cocombres s'alongent pour descendre dans l'eau qui leur sera voysine et remontent pour s'esloigner de l'huile.

            Nul arbre portant huile ou resine ne peut estre enté. Huile, ennemi de toute plante qu'on seme, car en estans ointes, elles meurent et sechent.

            La peau de la hiene, du crocodile, de l'hippopotame et du veau marin garde de gresle et de foudre ; le figuier et le laurier n'en sont jamais frappés.

            Pl., l. X, c. XXXVI [al. LII] : On tient que les pigeons ont ressentiment de gloire et quilz se pavonnent en l'air et font des esplanades ça et la, se mirans en la varieté de leur pennage ; mais cela est cause que les tierceletz et faucons les attrapent, car s'ilz volloyent leur droit vol, il (sic) ne les attraperoyent jamais, car ilz ont l'aysle plus royde que les oyseaux de proye ; mais les ennemis les espient quand ilz s'amusent a leur gloire, pour les surprendre et attraper.  Heu, superbi !

            La cresserelle est bonne aupres des pigeons, car elle espouvente, par un certain naturel qu'ell'a, tous animaux de proye, qui craignent son regard et son cri.  Humilitas [139] debet adesse cuilibet virtuti, nam eam timent dæmones. Ubi sup. , c. 37 [al. LII].

            Ibidem : Au tems du siege de Modena, Decimus Brutus, qui estoit dedans, faysoit sçavoir de toutes ses nouvelles au camp des consulz par le moyen des pigeons, leur attachant des billetz aux piedz : de quoy donq servoit a Antonius de tenir Brutus soigneusement enfermé, puisqu'il avoit ses postes en l'air ?  Pro oratione, quam in hoc ergastulo ad Deum et Sanctos fundimus, nam Spiritus Sanctus eam innotescere facit Sanctis, interpellat pro nobis gemitibus innenarrabilibus, vel Angeli. Sic etiam Paulus inclusus et vinctus erat, non tamen Mot Dei.

            Martinetz, appellés apodes, jamais n'ont repos qu'en leurs nidz, car ou ilz se pendent, ou ilz se couchent. Ilz n'ont nul usage des piedz, et pour prendre vol ilz ne se longent jamais qu'en lieux eminentz ou le vent les puisse saysir. Pl. c. 39 [al. LV], l. X.

            « De sorte que l'histoire d'Arion, dit Pline, est aysee a croire . Arion, excellent jouëur de cytre, estant sur mer, les mariniers delibererent de le jetter en mer. Il les pria de luy donner loysir de jouer encor un coup de sa cytre, ce qu'ilz firent ; et tout incontinent, des daulfins vindrent, et fut receu par l'un d'iceux qui le porta au cap de Tenaro, » qui est en la contree de Misistrat en Lacedemone. Pl., l. 9, c. 8.  Si ante mortem possemus cythara orationis et contritionis uti, salvaremur ; veruni non interdum conceditur.

            En Languedoc , au ressort de Nismes, il y a un'aiguemorte [140] nommee Laterra. En une sayson de l'annee, les muges, poissons, se jettent en grande abondance en ladite eau ou fosse, par un'estroitte emboucheure qu'il y a de la mer en icelle. Les pescheurs tendent leurs filetz en ladite morte, et par ce que les muges s'eschapperoyent par l'emboucheure, ilz crient aux daulfins : Simon, simon ! Les daufins accourent et gardent l'emboucheure ; si que les muges qui ne sont prins au (sic) filetz et qui les veulent eschapper sont tués par les daulfins, qui par apres les mangent ; et le jour suivant les pescheurs, pour les recompenser, leur donne (sic) du pain trempé en vin.  Heu me ! quid faciet anima quæ se in aquas mortuas voluptatum injicit ? Vel a mundo, vel a dæmone capiet. Ibidem, [c. VIII, al. IX.]

            En Chipre, es forneaux et forges de bronze qui y sont communes, on y voit au milieu d'iceux un'espece de grosses mouches a 4 piedz qui volent parmi le feu et sont appellees pirates ou piraustes ; si elles sortent du feu un peu loin, elles meurent. Pl., l. XI. c. 36 [al. XLII] ; le traducteur dit que c'est fable .  O anima in charitate vivit ; sine charitate nihil est. Homo, musca quadrupés : et quare ?

            Pl., l. XI. c. 6 [al. V-VI] : Mouches a miel enduisent leurs ruches du commosis et y meslent du jus des herbes les plus ameres qu'elles puissent rencontrer, affin de desgouster les menues bestioles qui s'y voudroyent affriander, et bastissent de mesme les entrees. La munition delaquelle elles vivent est faitte de la rosee du printems et des gommes des feüilles ; elle se treuve au fons des rayons, et amere.  Dum mei faciunt, amaris vescuntur ; sic in pænitentibus consolatio. [Lib.] XI. c. 7. ibidem.

            Abeilles ne font point de mal au fruit quel quil soit. Aristoteles, [141] de Hist., l. 4. c. 22 :  Colligunt apes ex floribus, sine ullo fructu detrimento, et ne se poseront jamais sur une fleur morte ; tant s'en faut qu'elles ayment les cors mors ; c. 8.  Charitas ex omnibus actionibus mel elicit, nullam autem offendit. Flos mortuus virtus est moralis, charitate destituta ; huic non insidet Spiritus Sanctus.

            Pl. l. XIII, c. 4 [al. VI-VIII] : Les palmiers croissent insignement en Judee ; en Italie, ilz sont steriles ; en Espagne, ilz portent fruit, mais non point a maturité. Ilz ayment les terres sablonneuses, neanmoins moüillees et trempees, si que ilz se playsent pres les fleuves. En Levant, il y en a de rons et fort grans, environnés de cercles faitz de leur escorce, de la grosseur du poulce, mis a mode de degrés asses pres l'un de l'autre ; et cela sert de robbe a l'arbre et de degré a ceux qui veulent y monter. Ilz ne jettent leurs branches qu'a la cime ; ilz jettent leur fruit (sic) attachés a des petitz sions sortans des branches a mode d'une grappe, tenant en partie du raysin. Leurs feuilles sont a mode d'espee ; on en fait des cordages et liayson de vignes, et des chappeaux et lottes a la piemontoyse. Il y a masle et femelle ; notoirement le masle produit sa fleur en son sarment ; la femelle ne jette point de fleur, ains le fruit comme le bourguespine. L'un et l'autre produit premierement la chair de la datte, puis le noyau dedans, qui sert comme de graine a la datte ; on le void par ce que les jeunes dattes n'ont encor nul noyau. Les palmiers femelles, ce dit on, croissent a leur juste grandeur, mais demeurent steriles si elles n'ont le masle au pres, par le regard duquel, ou par son exalation, ou par la poudre qui en sort, elles conçoivent et sont rendues fertiles ; aussi on void les femelles s'incliner doucement et replier leurs branches du costé des masles, comme leur faisant la court, la ou le masle demeure ferme, accresté et roide ; si on le coupe, les femelles deviennent steriles. Ilz ayment un terroir nitreux et salé, et les Assyriens [142] sement du sel, non sur les racines, mais un peu loin tout autour. Il y a des dattes que les Grecz appellent caryotes (Kάρυον veut dire pesanteur de teste, hinc carous), excellentes a manger, et font un vin singulier qui donne : fort a la teste. L'armee d'Alexandre le Grand fut extremement endommagee de ce que ses soldatz ne se pouvoyent souler de ce bon fruit qui les estouffoyt par apres.

            Dioscoride, l. I. c. 125 : Les dattes font douleur de teste et enivrent, si on en mange trop.

            Mathioli, ibidem, [c. CXXV] : Le palmier est un arbre haut, il gette grand nombre de fleurs dependantes de certains petitz poilz en mode d'une grappe, de figure semblable a celles du saffran, mais beaucoup moindres et blanches. Elles sont, avant que de sortir, encloses en une grande couverture nommé (sic) palma elaté, laquelle s'ouvrant, elles sortent et s'espanoüissent, d'ou viennent les dattes rougeastres. Laditte couverture, palma elaté, croit du tronc mesme, entre les premieres branches, longue de deux empans.

             Palma victoriæ signum, ex Apocal. 7 , quia nimirum compressa erigitur. Item, justitiæ, Deut. 25 , a. et victoriæ in causa : ad litteram, ait Lyranus, dabatur palma in manu, ut ostenderetur eum victorem in causa. (Vide ibi.) Item : Justus ut palma florebit, [Ps.] 91 , c., quem locum Tertullianus intellexit de phœnice ave, quia palma grece φοῖνιξ ut et avis, l. De resurr. carnis, [c. XIII]. (Tu ex iis quæ dicuntur hic, multis modis illustrabis.) Item, insigniter locum Cant. : Comæ ejus sicut elatæ palmarum ; Cant. 5  et 7  ; Statura tua, etc., et : Ascendant ad palmam, nam justus ramos in superiori parte [143] extendit, semper viret, flores ejus non apparent nisi conscidatur ejus cortex et saccus tribulationibus. Comæ sponsæ sicut elatæ, et cætera, quia elatæ palmarum contegunt flores ; ipsis apertis, apparent albi : sic capilli sponsæ discreti, apparet eximia pulchritudo vultus, quæ videtur fasciculus florum tamtaque apparet albedo, ut nigrescere videatur coma sicut corvus. — Qui nimis accepit de fructu palmæ et Victoriæ spiritalis et vinum, id est lætitiam immoderatam, caput ejus gravate inani gloria et inebriatur superbia. Considera multa de ascensu in palmam.

 

            Herisson ne sort guere de sa taniere le jour ; la nuit va aux vignes et sous les arbres, fait tumber les raysins avec sa patte et se veautre et monte pour les piquer, comme les pommes tumbees par le vent, et les rapporte. Se fait tout d'espines devant les chiens. Mathioli, [Comment. Dioscorid., l. II, c. II.]

            Dioscoride : Scorpion broyé et mis sur sa playe la guerit. [Ibid., c. XI, et l. VI, c. XLIV.]

            Mathioli, [ibid.] : L'huile [de scorpion] guerit toute (sic) poyson qui n'est corrosive.

             Torpille endort la main qui la touche et les piedz, soit mediatement ou immediatement ; elle se fourre dans le limon et arreste les poissons, les engourdissans, et les mange. [Ibid., c. XV.]  …………………………………………………………………………………………………..

            On dit que gardant les cors des mouches a miel mortes (noyëes, les couvrant et eschauffant de cendres chaudes, l. XI, c. XXXVI) dans la mayson tout le long de l'hiver et les remettant au soleil au printems, les tenans couvertes [144] de cendres de figuier, elles resusciteront et seront bonnes comm'au paravant. Pl. l. XI. c. XX [al. XXII],  Homines, muscæ mortuæ tempore baccanalis universi aquis voluptatis, si soli verbi Dei exponantur ut calefiant, et cinere conspergantur, reviviscunt.

            Virgile dit quil faut tuer un toreau et le laisser la ; il engendrera des mouches a miel, comme les chevaux mors engendrent les guespes et frelons, et les asnes les escharaveaux et foüillemerdes . Ibidem, [c. XX, al. XXIII.]  Christus occisus in cruce ; apes, id est contemplativos, generavit, qui mellificium exercent, ut leo Samsonis, etc. Alii mortui non generant nisi frelones, id est luctuosos, tristes.

            Les guespes ayment la chair ; les mouches a miel, au contraire, ne se posent jamais sur un cors mort.  Hæc est differentia mundanorum et spiritualium ; c. 21 [al. XXIV].

            Petites guespes surnommees ichneumons : elles chassent aux araignes phalanges et, les ayant tuees, elles en enduisent leurs nids et couvent ce liniment dont elles produisent leur generation ; [cap.] 21 [al. XXIV].  Concipiunt dolorem et pariunt iniquitatem.

            Frelons et guespes, bastars des mouches a miel, leur font la guerre ; ilz font la cire, mais non pas le miel ; 24 et 19.  Hæretici, infesti Catholicis, faciunt ore ceram, id est promunt corticem litteræ ; nam et cera continet mel, mel autem minime. Aucuns pensent qu'elles meurent au [145] premier coup d'eguillon qu'elles donnent ; autres, que non, sinon qu'elles les fichent si profond qu'elles ne les puissent retirer sans y laisser le boyau, mais que, par apres, elles sont du tout inutiles, comme les bourdons.  Nota pro iracundis et iis qui vindictam exercent ; c. 18 [al. XIX].

            Les araignes ne travaillent point quand il fait beau tems, mais quand il est trouble ;  apes contra (c. 24 [al. XXVIII].) Mali piscantur tempore malo.

            Les araignes phalanges font leurs petitz en leurs tesnieres et les couvent en grande quantité, mais quand ilz commencent a germer ilz mangent leur mere et leur pere qui aussi s'ayde a les couver ; et les scorpions terrestres de mesmes. [L. XI, c. XXIV, al. XXIX.]

            Les cygales vivent de rosee. Ce seul animal, entre tous ceux qui ont vie, n'a point de bouche ni de cul ; en lieu de bouche elles ont une pointe en l'estomac, faitte a mode d'une langue avec la [quelle elles lèchent] la rosee. Elles chantent neanmoins infiniment  …………………………

…………… tuyaux.  Sanctus Franciscus fratres appellabat in toto corde meo.

            Figuiers sauvages produit (sic) des mouchons qui, ni treuvant a manger, se jettent sur les figues privees et ouvrent les souspiraux d'icelles, et par ce moyen, le soleil et vent chaud qui fait meurir le blé entre dedans ; joint aussi que ces mouchons succent le lait qui tenoyt lesdittes figues en enfance, et les font meurir par ce moyen. Et les sages laboureurs mettent des figuiers sauvages, d'ou le vent vient contre les figuiers privés. Les figuiers plantés et exposés a la bise et en lieu (sic) maigres n'ont besoin de cet ayde, car ilz dessechent asses d'eux mesmes et crevassent. [146] (XIX c. [al. XXI], lib. XV.)  Mali prosunt bonis : In tribulations dilatasti mihi ; sed si nos ipsos dijudicaremus, non utique judicaremur.

            Si l'elephant rencontre un homme qui va simplement son chemin par la forest, il se monstre doux et benin a luy ; sil sent la piste et frais d'un homme avant que de le voir, il tremblera, de peur d'estre surprins ; s'arreste, regarde ça et la, et ne marche point sur icelle, mais la jette a l'autre suivant, et l'autre a l'autre, et tous font ainsy et se mettent en combat. L. 8. c. 4 [al. V],  Pudicitia. Elephans beuvans huile, font tumber les traitz et fléchés qui tiennent a leur peau ; l. 8. c. X.

            L. XXXV. c. IX [al. XXXV] : Polignotus, Thasien, fit un tableau qui fut despuis mis en la galerie de Pompee, ou il y avoit un homme si proprement peint sur un'eschelle, qu'on n'eut sceu dire sil monte ou sil descend.  Non progredi, retrogredi est.

            Zeuxis, Heraclien, estant devenu riche par son art, donnoit ses peintures pour neant, ayant cette presomption qu'on ne [les] eüt sceu asses payer. Ibid., [c. IX, al. XXXVI].

 Deus dat gratiam quam nemo recte emat. Sed si pictor, data pictura aliqua, aliam pro prima voluisset vendere, nullam operi sua minuisse gloriam ; sic Deus cum gloriam pro gratia.

            Zeuxis : Il fit une luitte ou il print grand playsir, et mit dessous « qu'elle seroit plus tost enviee que contrefaite. »

 Ad luctam Christi cum dæmone, potius laudatam quam irnitatam.

            Zeuxis voulant faire un tableau pour ceux de Girgenti, [147] qui en avoyent voüé un au temple de Juno en [Calabre], il voulut voir toutes les filles de Girgenti nües et en choisit cinq pour amasser toutes les marques de beauté qu'elles avoyent. [Ibid.]  Sic Christus volens... lacere... filiarum vel Eucharistiam omnium antiquorum misteriorum

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Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Harrow (Londres).

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            Nous, Jean d'Aranthon D'Alex, par la grace de Dieu et du Sainct Siege Apostolique Evesque et Prince de Geneve, a tous ceux qui ces presentes verront, salut.

            Sçavoir faisons et attestons, que les seize feulliets  escripts et conteneus dans le present cayer a Nous exhibé par Rd Seigneur Mre Joseph de Sales, seigneur de Richemont, Docteur en saincte Theologie, chanoine de Nostre Esglise cattedrale de Sainct Pierre de Geneve, et ont esté escripts de la main propre et caracthere de nostre incomparable predecesseur Sainct François de Sales, comme ayant esté par Nous dheuement recogneus et parangonné (sic) sur des autres escripts dudit Sainct, treuvés et delaissés dans les Registres du Greffe de Nostre evesché. En foy et tesmoignage de quoy avons signé les presentes, scellés du seel de ladite evesché et contresignés (sic) par le greffier d'icelle.

            Donnés Annessy en Nostre palais episcopal, le dix septierne jour du mois d'avril, mil six cents soixante six.

                                                                                              JEAN, Evesque de Geneve.

                                                                                                                      MORENS.

 

 

XIV. Recueil de similitudes

 

1612-1614

 

(INÉDIT)

 

             Pline, in Præf., [trad. de Du Pinet, p. 2] : Ceux qui prætendoyent aux estatz de Rome promettoyent quelque somme des deniers au peuple, et les remettoyent es mains de quelque homme responsable. Or, du tems de Caton, ceux qui pouvoyent avoir le credit de consigner la somme promise en ses mains, avoyent en cela un prejugé et tesmoignage d'innocence.  Qui in Cælo regnare vult, debet propositum servandi legem habere, et fidem, spem et charitatem promittere ; qui autem propositum hoc fidemque spem ac caritatem suam speciali in Virginem devotione eidem committit, ac se in ejus tutelam deponit, habet quoddam præsagium et testimonium salutis. [149]

            Cicero, ibidem : Ah ! gentil Caton, que tu es heureux d'avoir esté tel que jamais homme n'osa te solliciter a chose deshonneste !  Sic de plerisque virginibus, et maxime de Virgine Maria, quæ scuto pudicitiæ tecta, nunquam oculis impudicis a nemine visa.

            Apion, grammarien que l'empereur Tybere Cesar appelloit cymbale ou tambour du monde et porte nouvelles, estoit si outrecuidé quil disoit quil immortalisoit les lieux ou il composoit quelque livre. [Pref. de Pline, trad. Du Pinet, p. 4.]  Sed merito Patmos, montana Judeæ, mons Sion, carcer Pauli immortalia sunt, in quibus Joannes, Maria, Dominus, Paulus composuerunt. — La pedanterie d'Apion.

             Apelles et Policletus solebant inscribere picturas  : « Apelles faciebat, Policletus faciebat. » Toutefois, Apelles fit troys tableaux auxquelz il mit : « Ille fecit , » monstrant combien il se contentoit de ces trois ouvrages. [Ibid., p. 5.]  Sic Deus initio mundi : Fiat ; et factum est ita, et fecit bestias, etc, ; vidit quod esset bonum, sic enim ait Scriptura cum de cæteris creaturis. At cum de homine : Faciamus hominem ; et tunc : et erant valde bona.

            Les loups garoux en ont aux mortz et fouillent les sepulcres :  [150] sic et maledici, qui maledicunt defunctis, ut hæretici nostri temporis.

             [Plin., Hist. nat., l. II,] chap. 37 : Les lumieres et feux qui viennent sur les navires sont de mauvais præsage quand il ny en a qu'une seule, que les mariniers appellent helene ; et mesme, ce feu solitaire tumbant au fond, il brusle le vaisseau. Mays quand on void deux feux, ilz apportent tout bonheur et presagent bon voyage, et a leur arrivee le feu malheureux qui est seul et s'appelle helene, s'enfuit et s'esvanouit. Quand ilz sont deux ilz s'appellent Castor et Pollux, et se posent quelquefois sur les testes des hommes ou a l'entour. —  Spes sine timore, vel timor sine spe, est solitarium et malignum lumen comburens carinam ; at cum duo, bonum omen et expellunt malignum, id est desperationem, nimirum timorem sine spe, aut presumptionem quæ nihil aliud est quam spes sine timore. Sic zelus sine scientia aut scientia sine zelo. Sic amor Dei sine amore proximi est falsus amor et presumptuosus, et amor proximi sine amore Dei est amor concupiscentiæ et malignus ; adveniente charitate, quæ utrumque habet, evanescunt illi falsi amores.

            Ch. 40, [Plin., ibid.] : La canicule regnante, la mer bouillonne, les vins poussent. Il y a une sorte de chevreul  qui n'a qu'une corne, en Egipte, qui regarde droit cest'estoile apres qu'ell'est levee, et esternue en signe de reverence, et les chiens sont sujetz a devenir [151] enragés.  Heresis, stella canicularis, dum paret in cælo Ecclesiæ, mare, id est populi, tumultuant, vinum doctrinæ subvertitur pessimis interpretationibus ; capreæ Ægiptiacæ (et a cornibus unicornium humilitatem meam), homines addicti carni et lasciviæ, eam libenter adorant ; denique, plerique canes, maxime ex monachis, in rabiem vertuntur.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin.

 

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             Relicta ex præparatis.

            Tentatio luxuriæ similis est aux cirons qui intus et ubique urgent, maxime desiccatis ; nam sudantes et cerosum humorem emittentes vix urgentur. Item, differentia inter Philippum et Alexandrum, ut videre est apud Plutarchum, quod Philippus omnibus ex rebus gloriam, at Alexander non nisi ex magnis captabat. [152]

 

 

 

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            Abandonné après avoir été préparé.

            La tentation de luxure est semblable aux cirons qui s'attaquent au dedans et au dehors, surtout des objets secs. Ceux qui transpirent ou suintent une humeur visqueuse sont à peine attaqués. Item, la différence entre Philippe et Alexandre, comme on peut le voir dans Plutarque : c'est que Philippe tirait gloire de tout ; Alexandre, des grandes actions seulement. [152]

 

 

XV. Autre recueil de similitudes

 

1612-1614

 

(INÉDIT)

 

             Loups dorés de Cilicie fuyent quand le soleil se monstre. (Appian, l. 3.)  Sic heretici, vere lupi, sed aurati propter prætextum Scripturæ, fugiunt Ecclesiam amictam sole, vel solem in Ecclesia, Concilia amicta Spiritu Sancto.

            Laurier enrage (aupres d'Heraclee), apud Plin., l. 16, c. 44 [al. LXXIX] ; si on en mettoit une branche dans un navire, tous les passagers s'entrequerelloyent (sic) sans cesse.  Superbia, meum et tuum, hæresis, præsumptio, inter homines rixas, odia, dissidia pariunt. Mais le laurier naturel ordinaire est signe d'asseurance, n'estant touché du foudre.

            Plin., l. 12. c. [XVIII, al. XLI] ; L'Arabie Heureuse est ingrate, rendant graces aux dieux celestes de ce qu'elle recevoit des infernaux.  Sic hommes plerumque agunt gratias diis mortalibus et terrenis de acceptis a celesti ; hinc se creaturas hominum potentum nuncupant, etc., et sepe se Dei gratia regna, episcopatum, etc., quæ Dei ira, vel vitio ipsorum obtinent.

            Ou le soleil bat a plomb il ny a point d'ombre ; ainsy en la Vierge, regardee directement et a plomb par Nostre Seigneur, il ny a nulle ombre de peché :  Quia respexit [153] humilitatem ancillæ suæ, ecce enim ex hoc beatam me dicent omnes. — Le midi des creatures.

            Les dams de la Cilicie ne sortent jamais de la province et ne passent jamais les montz qui la divisent de la Syrie. (Pl., l. 8. c. 58 [al. XXXIII].) Ainsy chacun doit demeurer clans sa vocation.

            Nymphidius vouloit estre creu filz de Caesar, mais sa mine le dementoit, car il ressembloit a l'escrimeur Martian. (Plut. in Galba, [c. IX].) Les ministres voudroyent faire croire quilz sont enfans des Apostres, mais ilz n'en ont pas la mine. Ilz ne prisent pas le jeune, la virginité, la pauvreté, etc. ; ilz ressemblent plus tost au Turc et leurs eglises aux mosquees.

            Pline. Xagua, plante de l'isle Espagnolette, produit un suc blanc a merveilles, qui tache neanmoins les draps d'une noirceur qui ne peut estr'ostee. (Silvester [de Nierio]. E contrario , le savon noir blanchit admirablement.  Mala causa bonus effectus, et e contrario. Scientia inflat ; abjectio ex peccatis, tribulatio lætificat ; prosperitas in pericula projicit et peccati interdum mater, etc.

            Rossignol commençant a chanter, c'est signe quil commence a manger seul. [Ch. Estienne, Mayson rustique, p. 386.]  Heu, sed nos diu comedimus antequam gratias agamus et benedicamus Domino !

            Paon chasse naturellement a la vermine, araignes, mouches ;  e contrario aquila. Interdum, ingeniosissimi (beaux espritz), ut Montagne, rebus ludicris et malis incumbunt ; at ingenia fortia, solida, aliter.

            Une poule qui meyne les poussins, en voyant un'autre qui meyne les paonneaux, elle laisse les siens, de jalousie [154] et desdain.  Sic plerique relinquunt iter virtutum cum vident alios perfectiores ; relinquunt opera vacationis cum vident alios opera pulchriora facere, ut prædicare, etc. At vero, deberent considerare melius esse opera propria ac pullos proprios ducere, quam opera gratiarum gratis datarum et quæ in utilitatem solum aliorum sunt, et pullos alienos habere.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin.

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XVI. Recueil de similitudes et notes pour la rédaction du Traité de l'Amour de Dieu

 

1612-1614

 

(INÉDIT)

 

             Pro Passione Dominica, vide Per., ad c. 22 Genes., disp. 15, fol. 632 ; nimirum, ad locum Reg., 4 ; c. 3, de Rege Moab immolante filium, et cætera.

            Initio lib., de amoris fortitudine, afferendus gladius in porta paradisi ; et vide Per., [lib. VI, p. 710.] Gladius autem portatur a Cherubim, id est scientia.

            Aug., tom. 10, Ser. 46, [P. L.,tom. V, Append., CVI, 8.] [155] Vide de immolatione cordis sub figura Isaac, et applica ad immolationem liberi arbitrii.

            Les Æthiopiens excitent le feu a leur rubis par vinaigre. (Plin., l. 37. c. 7. nu. 20, [al. XXVI].)

             Bernardus  : Uspiam curiosus alta potius quam apta scrutatur.

            Les enfans qui parlent fort tost, marchent tard ; Plin., l. XI. c. 51 [al. CXII],  Loquaculi parum affectus habent.

             [Plin.,] l. XI. c. 53 [al. CXV] : Porceaux mangent les serpens sans s'en sentir ; tous autres animaux en meurent.  Sic peccata porcis sunt cibus, id est fœdis et luxuriosis ; aliis sunt interitus, id est amara ut mors.

            Chattons ne sont ni fruitz ni feuilles, ni fleurs ni fruitz.  Opera mere indifferentia.

            Le sappin meurs (sic) si on luy oste la cime.

             Halietus, aquila marina, quæ pisces capit ; et si piscem majorera quam ferre possit accipiat, potius seipsam cum onere in profundum demergi patitur, quam prædam relinquat. — Fures restituere nolentes, et societates, conversationes et artes malas relinquere nolentes. (Lauretus .)

            O verba Gregorii Nazianzeni miranda ! Apol. 1, [Orat. [156] II, Apologetica, 77 ; P. G., tom. XXXV] : « A juvenili ætate accersitus fui (libet enim aliquid ignotum in vulgus efferre) atque ad Deum, a vulva ipsa projectus, maternaque pollicitatione in munus oblatus. « Paulo post, ait omnia se contempsisse propter Christum : famam, valetudinem, litteras ipsas « a quibus, » ait, « dumtaxat hoc commodi tuli ut eas aspernarer, atque aliquid haberem cui Christum anteferrem. » O qui incumbitis altis, non aptis scientiis, audite.

            Sed et lamiæ nudaverunt mammam, lactaverunt filios suos. Philostratus  ; Politianus, in Miscellaneis ; Cælius Rodigenus , var. Lect., L. 29, c. 5 ; Dion . Lamise sunt monstra aphricana ; facie, oculis, dentibus, pectore summe decoro ; reliquo corpore immani, horrendo, crudeli. Unde ostendunt junioribus pectus a primo pulchrum, attractos autem vorant et, ut dixit Horatius :

 

« Ne pransæ lamiæ puerum vivum extrahat alvo. »

 

            Lactare, in Scripturis est blandiri : Cum te lactaverint peccatores, ne acquiescas eis. Meretrices ostendunt pectus, ut lamiæ ad blandiendum junioribus ; at si acquiescunt, eos in ruinam dejiciunt. Catuli lamiarum sunt cincinnatali et comatuli juvenes vanitati fœmineæ addicti. [157]

            Episcopi sunt pictores virtutis, rei præclarissimæ ; videant vero ne rem tam excellentem, vel verbis, vel operibus, male pingant. (Greg. Naz., Apol. 1. pag. 5, 1-13 ; [P. G., tom. XXXV, col. 420].)

            Is., c. 6. v. 5. : Vit pollutus labiis ego sum, et in medio populi labia polluta habentis ego habito. Pro Præfatione : Quomodo de Amore inter populares turbas, nisi veniat unus de Seraphim ?

            Labia et genæ sponsæ purpureæ, c. 4. Cant., v. 3 ; tota locutio fit labiis et genis.

            D. Augustinus, l. 14. De Civit. c. 8, extremo : « Nam Alcibiadem ferunt, » dit il, « si me de hominis nomine memoria non fallit, » etc. — Ubi vides hunc tantum virum non adeo sollicitum de cunctis nominum et circumstanciarum momentis in exemplis, nam neque scribendo libros illos gravissimos operæ prætium duxit quærere num Alcibiades vocaretur cui id quod narrat contigerat.

            Pl., l. VII. c. XII [al. X], affert historiam de duobus miris gemellis, quorum unus Asiaticus, alter Allobrox. Pro amore falso et vero.

            Arbres de Tylos, fleurs admirables en odeur, et fruit detestable en amertume ; [Ibid.], l. XII. c. X [al. XXI].

             Charitas vinculum perfectionis. Ut anima unit [158] membra, sic charitas corpus virtutum ; ad Col. 3 . Vid. Act.

            Philotheia vertitur in philantropiam.

            Pro amore proximi, vide D. August., De vera religione, c. 47, tom. I.

            Charitas supplet omnem virtutum formam. Afferatur exemplum de Christiano se ad omnia respondentem : Christianum. Vide Euseb., citatum initio Cathechismi.

            Minutius Fœlix, comparans Gentiles cum Christianis : « Vos, » ait, « conscios timetis, nos conscientiam. »

            Cor habet motum in se proprium et alia movere facit : sic charitas.

            Insigne exemplum de jumentis seipsas in aquis inspicientibus, et in rabiem venientibus ; quæ tabescunt amore, currentes et circumspicientes hinc inde, quasi imaginem sui debeant habere secum. Remedium, vide Domum rust., fol. 83 .

             Phidias diis quam hominibus exprimendis fœlicior (Calep.  ;) et ego, forsan, communis devotionis hominibus instruendis quam amantissimis. [159]

            Nolle amare Deum quantum possis ex contemptu, accidia, superbia, peccatum est ; L. 2. de Monachis, c. 13, Bel[larmin].

            In Tract, de imperio et regno amoris : cum constitutum sit amorem residere in suprema parte animæ, veluti in supremo totius regni solio, facienda erunt capita quibus ostendamus hunc amorem supremum, uti amoribus inferioribus : scilicet, quomodo charitas utatur amore concupiscentiæ, qui est spes, illique imperet ; quomodo utatur amore desiderii, amore benevolentiæ ; deinde, quomodo utatur timore, gaudio, dolore cæterisque omnibus animæ passionibus ; tum vero, quomodo utatur virtutibus, et sic ubique regnet. (Vide pro ea re Augustinum, apud Azor , fol. 169, dicentem amorem desiderare, timere, sperare, dolere, quia, scilicet, istis omnibus imperat.)

            In quem desiderant Angeli prospicere. Amor qui expletur summo bono, alacrior est ad amorem et non vult cessare, unde et satietas sine fastidio ; desiderium habet et quietem ; desiderat non rem absentem, sed presentem et quam habet, non enim tam expletur quam repletur. Amor desiderans et desiderium amans. [160]

            Ad cap. de amore congenito et intimo, nobis addenda similitudo de eo qui aquas in terra latentes ad puteum faciendum querit : nam tempore calidissimo æstatis, cum terra valde sicca est, paululum ante solis ortum, prostratus humi circumspicit ad orientem planiciem terræ, et ubi videt nebulum et vaporem tenuem, ibi judicat latere fontem quem alioqui non videt. Sic, quamvis in nobis non appareat amor Dei super omnia, videmus enim, si recte inspiciamus, quemdam vaporem, qui etiam tempore siccissimo apparet : quosdam, scilicet, mentis affectus, quasdam inclinationes quæ fontem hujus amoris latentem indicant.

            Quercui pirus nunquam inseri potest, neque oliva ficui ; sic sunt quidam affectus quibus nunquam charitas inseri potest, ut ira, tristitia, vix istis inseras charitatem,

            Le pin, sapin, cypres et autres arbres gommeux et oleeux, ne reçoit (sic) le mariage d'aucun arbre, arbres insociables ; quia succus (la seve) ne se peut mesler, ou parce qu'ell'est trop espesse et parce qu'estant grasse elle ne se peut appliquer.  Sic fabulis poetarum, vix inseras conceptus theologicos ; non enim mendacia poetarum possunt misceri veritatibus theologorum, neque prudentiæ carnis prudentiam spiritus.

            Le fruit provient selon le greffe, mais il tient le goust du tronc [Maison rustique], l. II, p. 193].  Sic opera ex [161] charitate imperata sunt opera amoris, habentia tamen aliquam dignitatem peculiarem ex suo genere.

            Œilletz sauvages jettés devant les scorpions leur ostent la faculté et force de nuire [Maison rustique, p. 133 b] : la parole de Dieu oste la force des tentations.  Incumbe studio Scripturarum, et carnis vitia non timebis. Non student Scripturis, nam Scriptura est affectiva scientia, illi tantum student litteræ, non sensui ; aliud est enim studere intelligentiæ ut intelligas, aliud studere sensui ut sentias. Hoc sentite in vobis, quod et in Christo Jesu. Item, vita Christi et exempla oste la force aux tentations.

             Lilium convallium, grand muguet. [Maison rustique, l. II, p. 134.]

            Flambe, glay (gladiolus). Le souci s'ouvre a la lueur du soleil [Ibid, l. II, p. 234 b] ; les fleurs de flambes, tant blanches que bleues, [se] ferment a la lueur du soleil et s'ouvrent seulement en tems froid et humide. Sa racine est odorante ; elle ressemble a l'arbre triste, en ce que l'arbre triste ne fleurit que la nuit.  Charitas maxime extenditur in tribulatione ; at falsa, inter prospera et consolationes tantum dilatatur. Magnificentia, cum habet radicem charitatis, patescit inter pauperes et secreto ; falsa vult videri.

            Lilium omnes colores suscipit, si ejus radix antequam plantetur in liquore alicujus coloris ; [Ibid., p. 134.] Sic et caritas patiens est, benigna est, cætera. [162]

            A mesure qu'on le plante avant en terre, il fleurit tard ; en plantant 12 doigs, 6, 4, il en viendra les uns tost, les autres tard, si que sa sayson depend de cela. [Ibid., p. 135.]  Sic corda, vel citius, vel tardius florent, quo terræ vel magis, vel minus infixa sunt.

            Sancti Francisci stigmata : amore compiacentiæ incaluit cor ejus ; deinde corpus, unde lenius per dilatationem effectum est ; deinde per compassionem attracta Passio, facile sui impressionem fecit. Amor iste mirificus.

            Ut lupinum et paba non exhaurit, sed stercorat agrum in quo alitur (Plin., l. 18, c. 12 et 14, [al. XXX, XXXVI],) sic eleemosina, misericordia pauperum, actio ob misericordiam non exhaurit patrimonium aut contemplationem, sed stercorat, fertilize.

            Stigmata : per amorem complacentiæ quo sibi tantopere placebant stigmata [Jesu Christi], ut in se attraheret. Ut videmus lorioth (icterum) attrahere morbum ictericorum [Plin., l. XXX, c. XI, al. XXVIII] ; ut videmus morbos communicari per amorem : Quis infirmatur et ego non infirmor ? Oculorum inflammationem contrahimus, maxime inter amantes ; ut ista stigmata, presupposto ferventissimo amore compiacentiæ, partim fuerint naturaliter [163] attracta, partim miraculose inflicta ab amato qui, ut amanti complaceret, vulnera quæ sibi tantopere placebant, inussit.

            L'amour de complaysance provoque a la louange et honneur, par maniere d'admiration et de declaration du sentiment que nous avons : c'est pourquoy, au traitté de l'Orayson, il en faudra faire mention es chapitres de la louange, etc.

            Il faudra faire trois traittés de la prattique de l'amour de Dieu : l'un en l'orayson, l'autre es actions, et le 3. es souffrances, car on prattique l'amour en ces trois occasions.

            Quand le roy des abeilles est mort, elles s'amoncelent autour de luy, et si leur gouverneur ny prend garde, elles meurent-la plustost que de le quitter ; il faut donq quil le leur oste de devant.  O morienti Christo, quare non commorimus ? Christo confixus sum cruci. Elles murmurent et bourdonnent, comme le plaignant. (Mayson rustique, [l. II, c. LXVI,] fol. 182 1.)

            Si elles entrent en sedition, on leur jette un peu de vin cuit ou emmiellé, et par cette douceur elles sont bien tost appaysees.  Heu ! Eucharistiæ Sacramentum quam deberet omnes contentiones expellere !

            Canes, si immittas carnes, ad certamen provocantur ; apes, si immittas mel, ad pacem. Differentia inter bona vera et bona falsa.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin. [164]

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B. Petits traités et avis a des destinataires particuliers

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I. Avis a Mme Rose Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe, sur les devoirs que lui imposent sa profession religieuse et sa charge, Dijon, avril 1604 . Qu'est-ce que la dévotion ? — La vraie Religieuse « doit estre devote » et fervente. — Fuir le péché et tout ce qui peut être une entrave pour l'âme. — La méditation, l'Office divin, les oraisons jaculatoires, la lecture spirituelle. — Conseils pour le coucher et le lever. — Comment on acquiert la « promptitude a bien faire ». — La sainte Communion les premiers dimanches de chaque mois : préparation et action de grâces. — Eviter la mélancolie, et pourquoi. — Douceur, joie, humilité et tranquillité, accompagnées d'une grande confiance en Dieu. — Obligation, pour une Abbesse, de travailler à la perfection de ses Religieuses et de réformer le Monastère. — L'exemple est le meilleur moyen. — Le dortoir doit être fermé aux séculiers. — Livres à lire pendant les repas. — Que faire pour l'Office. — Choisir une Religieuse pour les affaires temporelles. — Le rétablissement de la perfection et de la Règle sera le plus grand service que l'Abbesse pourra rendre à Notre Seigneur ; le désirer et le poursuivre, mais avec patience.

 

            1. Vous aves deux qualités, car vous estes Religieuse et si estes Abbesse. Il faut servir Dieu en l'une et en l'autre, [165] et a cela doivent estre rapportés tous vos desseins, exercices et affections.

            2. Resouvenes vous qu'il n'est rien de si heureux qu'une Religieuse devote, rien de si malheureux qu'une Religieuse sans devotion.

            3. La devotion n'est autre chose que la promptitude, ferveur, affection et mouvement que l'on a au service de Dieu. Et y a difference entr'un homme de bien et homme devot, car cestuy-la est homme de bien qui garde les commandemens de Dieu, encor que ce ne soit pas avec grande promptitude ni ferveur ; mais celuy-la est devot qui non seulement les observe, ains les observe volontier, promptement et de grand courage .

            4. La vraye Religieuse doit estre devote, et procurer d'avoir une grande promptitude et ferveur. Pour ce faire, il faut premierement prendre garde de n'avoir point la conscience chargee d'aucun peché, car le peché est un si pesant fardeau que, qui le porte ne peut cheminer contre mont ; c'est pourquoy il se faut confesser souvent et ne jamais laisser dormir le peché dans nostre sein. Secondement, il faut oster tout ce qui peut embarasser « les piedz » de nostre ame, qui « sont les affections, » lesquelles il faut retirer et desprendre de tout object non seulement mauvais, mais de celuy qui n'est pas bien bon, car un cheval entravé ou piqué ne peut courir.

            5. Outre cela, il faut demander cette promptitude a Nostre Seigneur, et partant il faut s'exercer a la priere et meditation, ne laissant passer aucun jour sans en faire une petite heure durant.

            Et touchant la priere, je vous advertis que, premierement, vous ne devés jamais laisser de dire l'Office ordinaire, qui est commandé de l'Eglise, et plus tost faut laisser toutes autres prieres. Secondement, apres l'Office, il faut preferer la meditation a toutes autres prieres, car elle vous sera plus utile et plus aggreable a Dieu. Troysiesmement, ayes l'usage des oraysons jaculatoires, qui sont des souspirs d'amour que l'on jette devant Dieu pour requerir son ayde et son secours. A quoy vous servira beaucoup de garder en vostre imagination le point de la meditation que [166] vous aurés le plus gousté, pour le remascher le long de la journee, comme l'on fait les tablettes pour le cors. A cela mesme vous servira une croix ou image devote pendue a vostre col, ou chapelet, la maniant et baysant souvent en lhonneur de Celuy qu'elle represente. Et lhors que l'horologe sonne, de dire quelque petit mot de cœur ou de bouche, comme seroit : VIVE JESUS ! ou bien : Voicy l'heure de se resveiller au bien ; Mon heure s'approche, et semblables. Quatriesmement, ne passes aucun jour, sil est possible, sans lire quelque peu dans quelque livre spirituel, mesmes avant la meditation, pour resveiller en vous l'appetit spirituel.

            Prenes par coustume de vous mettre en la presence de Dieu le soir avant vostre repos, le remerciant de ce quil vous a conservé, et faysant l'examen de vostre conscience, ainsy que les livres spirituelz vous l'enseignent. Le matin, faites en de mesme, vous preparant a servir Dieu le long du jour, vous offrant a son amour et luy offrant le vostre. Je suis d'advis que vostre meditation se face le matin, et que le soir precedant vous lisiés le point que vous voudres mediter, dans Grenade , Bellintani  ou quelqu'autre semblable.

            6. Pour acquerir la sainte promptitude a bien faire, ne laissés passer aucun jour sans en prattiquer quelqu'action particuliere a cett'intention ; car l'exercice sert merveilleusement pour se rendre un chemin aysé a toute sorte d'operation.

            7. Ne manques jamais [de]  communier tous [les] pre[miers] Dimanches du moys, outre les bonnes festes, et le so[ir] devant, confessés vous et excites en vous une sainte reverence et joÿe spirituelle de devoir estre si heureuse] que de recevoir vostre doux Sauveur ; et faittes alhors nouvelle resolution de le servir fervemment, laquelle [167] l'ayant receu, il faut confirmer, non pas par vœu, mais par un bon et ferme propos. Le jour de vostre Communion, tenés vous la plus devote que vous pourres, souspirant a Cel[uy] qui sera en vous, et le regardes perpetuellement de l'œil interieur, gisant ou assis dans vostre propre cœur comme dans son trosne, et luy faites venir l'un'apres l'autre vos puissances et sens pour ouïr ses commandemens et luy promettre fidelité. Ceci se doit faire apres la Communion, par une petite meditation de demi heure.

            8. Gardes vous de vous rendre melancolique et importune a ceux qui sont aupres de vous, de peur qu'ilz n'attribuent cela a la devotion et qu'ilz ne la mesprisent. Au contraire, rendes leur le plus que vous pourres de consolation et contentement, affin que cela leur face honnorer et estimer la devotion et la leur face desirer.

            Procurés en vous l'esprit de douceur, joye et humilité, qui sont [vertus] les plus propres a la devotion ; comm'aussi la tranquillité, sans vous empresser ni pour ceci ni pour cela, mais alles vostre chemin de devotion avec un'entiere confiance en la misericorde [de]  Dieu q[ui] vous conduira par la main jusques au pais celeste ; et partant, gardes [vous] des chagrins [et disputes].

 

            Touchant vostre qualité d'Abbesse, c'est a dire Mere du Monastere, elle vous oblige a procurer le bien de tous (sic) vos Religieuses pour la perfection de leur ame, et par consequent a reformer leurs mœurs et toute la Mayson.

            Le moyen de ce faire en ce commencement doit estre doux, gracieux et jo[yeux], sans commencer par reprehensions des choses qui ont esté supportees jusques a present ; ains vous deves vous mesme, sans leur dire mot, monstrer tout le contraire en vostre vie et conversations, vous occupant devant elles en saintz exercices : comme seroit, faysant quelquefois des prieres en l'eglise, ou bien mesme la meditation, disant le Chapelet, faisant lire quelque livre spirituel pendant que vous travailles de l'eguille, et les caressant plus doucement et modestement que jamais. Faittes une speciale amitié avec celles qui se rangeront a la [168] devotion, et ne laisses pourtant de bien caresser les autres pour les gaigner et attirer au mesme chemin.

            Tenes-vous courte avec les conversations mondaines et ne permettes pas, que le moins que vous pourres, qu'elles soyent en vostre chambre particuliere, pour, petit a petit , procurer que le dortoir des Dames en soit entierement exempt ; ce qui seroit bien requis, et vostre exemple en est un grand moyen.

            A la table, procures que l'on lise quelque beau livre spirituel, comme Grenade  La vanité du monde , Gerson , Bellintani  et telz autres ; et mettes en coustume que ce soit tous les jours.

            En l'Office, il faut que vostre contenance devote donne loy a toutes les Religieuses de modestie et reverence ; ce que vous feres aysement si vous vous mettes en la presence de Dieu au commencement de chaque Office. J'estime que d'introduire le Breviaire du Concile de Trente  sera une chose utile et prouffitable.

            Ne faites point trop l'austere pour le commencement ; mais soyes gracieuse a tout le monde, hormis aux personnes bien mondaines, avec lesquelles il faut estre courte et retiree.

            Il sera bon que vous employies quelqu'une de vos Religieuses pour vous ayder en la conduite des choses temporelles, affin que vous ayes tant plus de commodité pour vous addonner au spirituel et aux offices de charité. [169]

            En fin, ne vous empressés point pour ce commencement ; mais faites tout ce que vous feres si gayement et avec tant de douceur, que toutes vos filles ayent occasion de vouloir embrasser la devotion. Petit a petit, et lhors que vous les y verres embarquees, il faudra traitter plus entierement du restablissement de la perfection et de la Regie, qui sera le plus grand service que vous puissies faire a nostre Sauveur : mais tout cela doit proceder non tant de vostre authorité, comme de vostre exemple et douce conduitte.

            Dieu vous appelle a toutes ces saintes besoignes ; escoutes-le et obeysses. N'estimés jamais d'avoir trop de peyne ni de patience a la poursuitte d'un si grand bien. Que vous seres heureuse si, a la fin de vos jours, vous pouves dire comme Nostre Seigneur : J'ay consommé et parfait l'œuvre que vous m'aves mis en main ! Desires le, procures le, penses a cela, pries pour cela ; et Dieu, qui vous a donné la volonté pour desirer, vous donnera les forces pour le bien faire .

 

Revu en partie sur l'Autographe conservé à la Visitation de Dijon.

II. Méditation pour le commencement de chaque mois avant la Sainte Communion, adressée a la même [Dijon, avril 1604]. Pourquoi sommes-nous en ce monde ? — Tout ce qui est contraire à notre fin dernière doit être rejeté. — Malheur de ceux qui n'y pensent point. — Aveu de notre misère et résolutions. — Un mot de saint Bernard. — La couronne de roses après la couronne d'épines.

 

            Mettes vous en la presence de Dieu, pries le qu'il vous inspire.

            Imagines-vous que vous estes une pauvre servante de [170] Nostre Seigneur, et qu'il vous a mis en ce monde comme en sa mayson.

            1. Demandes luy avec humilité pourquoy il vous y a mise, et consideres que ce n'est pas pour aucun besoin qu'il eust de vous, mais affin d'exercer en vous sa liberalité et bonté ; car c'est pour vous donner son Paradis. Et affin que vous le puissies avoir, il vous a donné l'entendement pour le connoistre, la memoire pour vous resouvenir de luy, la volonté et le cœur pour l'aymer et vostre prochain, l'imagination pour le vous representer et ses benefices ; tous vos sens pour le servir, les oreilles pour ouyr ses louanges, la langue pour le loüer, les yeux pour contempler ses merveilles, et ainsy des autres.

            2. Considerés qu'estant creée a cette intention, toutes actions contraires a cela doivent estre extremement evitees, et celles qui ne servent de rien a cela doivent estre mesprisees.

            3. Considerés quel malheur c'est au monde de voir que les hommes pour la pluspart ne pensent point a cela, mais leur est advis qu'ilz sont en ce monde pour bastir des maysons, ageancer des jardins, avoir des vignes, amasser de l'or, et semblables choses transitoires.

            4. Faites une representation de vostre misere, qui a esté si grande quelque tems, que vous aves esté de ce nombre-la. Helas, ce dires vous, que pensois je quand je ne pensois pas en vous ? O Seigneur, dequoy me resouvenois je quand je vous avois oublié ? Qu'aymois je quand je ne vous aymois pas ? N'estois je pas miserable de servir la vanité au lieu de la verité ? Helas, le monde, lequel n'est fait que pour me servir, dominoit et maistrisoit sur mes affections. Je [171] vous renonce, pensees vaynes, souvenances inutiles, amitiés infideles, services perdus et miserables.

            Resolves vous, et faites un ferme propos de cy apres vaquer fidellement a ce que Dieu desire de vous, luy disant : Vous seres cy apres mon unique lumiere pour mon entendement ; vous seres l'object de ma souvenance, qui ne s'occupera plus qu'a se representer la grandeur de vostre bonté si doucement exercee en mon endroit ; vous seres les seules delices de mon cœur et l'unique Bienaymé de mon ame.

 

APPLICATION PARTICULIERE

 

            Ah, Seigneur, j'ay de telles et telles pensees, je m'en abstiendray cy apres ; j'ay trop de memoire des picques et injures, je la perdray doresnavant ; j'ay mon cœur encor attaché a telle et telle chose, qui est inutile ou prejudiciable a vostre service et a la perfection de l'amour que je vous dois : je le retireray et desengageray entierement, moyennant vostre grace, affin que je le puisse tout donner au vostre.

            Pries Dieu fervemment qu'il vous en face la grace, et prattiqués ce jour mesme, en quelque chose, ce qui se pourra touchant ce poinct.

            Repetes souvent la parole de saint Bernard, et a son imitation, excitant vostre cœur, dites souvent : Rose, qu'es tu venue faire en ce monde ? que fays tu ? fays tu ce que ton Maistre t'a donné en charge, et pour quoy il t'a mise en ce monde et te conserve ?

            Nul ne sera couronné de roses, qu'il ne le soit premierement des espines de Nostre Seigneur.

 

            C'est celuy qui desire vostre perfection en Dieu, es entrailles duquel il est

                                                                                              Vostre tres humble serviteur,

                                                                                              FRANÇS, E. de Geneve. [172]

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III. Fragments d'avis sur la manière de méditer, suivis d'une méditation incomplète sur le crucifiement de Notre-Seigneur Jésus-Christ [Dijon, avril 1604]

 

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Quatriesme fruit de la meditation

 

             Apres tout cela il faut faire la demande, suppliant Dieu quil luy playse nous donner la grace de bien le servir et executer fidellement nos bonnes resolutions, l'adjurant par le merite de son Filz, et particulierement par celuy qui reluira au mistere que nous aurons medité, par l'intercession de la Vierge et des benitz Saintz. Il faut demander le mesme pour toute l'Eglise, specialement pour le Pape, les Evesques et nommement pour le nostre, pour le Prince sous lequel nous sommes, pour les pere, mere, parens, amis, bienfacteurs, ennemis.

 

Cinquiesme fruit

 

            Et en fin, s'offrir entierement a Dieu, protestant de vouloir que nous et nos actions soyent a luy et pour luy en pureté d'intention, et luy offrir tous les susnommés, le priant [173] les avoir aggreables pour l'amour de nostre Sauveur, au nom duquel nous luy demanderons la benediction pour nous et pour tous ceux pour lesquelz nous avons prié, dirons le Pater et Ave, puis nous

 

Sixiesme et dernier fruit

 

            Ferons une petite revëue sur nostr'orayson. Et comme ceux qui sortent d'un jardin  cueillent quattr'ou cinq fleurs pour les porter en leur main, les  sentir et regarder le long de la journee, ainsy nous faut il choisir deux ou trois point (sic), ou au moins un de ceux que nous aurons le plus gousté, pour, le long de la journee, le sentir et ressentir coup sur coup selon la diversité des occasions, et s'en aller en paix et tranquillement vacquer aux affaires ausquelles Dieu nous appelle, quelles qu'elles soyent.

            Mais affin que vous m'entendies mieux, je mettray devant vos yeux une Meditation formee et estendile fort au long, avec toutes ses dependances, sur laquelle vous connoistres mieux ce que je me suis essaÿé de vous dire de ce saint exercice ; et neanmoins je ne mettray sinon quelques principales considerations, et de mesme quelques principales affections, et non toutes celles que j'en pourrois tirer, car ce serait trop.

 

MEDITATION MISE EN FORME ET ESTENDUE AU LONG

 

            J'ay choysi un mistere qui est des plus beaux et fertiles, et sur lequel neanmoins je ne diray que fort peu au prix de ce qui s'en pourrait dire. C'est le mistere de l'elevation de Jesus crucifié sur le mont de Calvaire,  et præsuppose que c'est [un vendredi ].

 

            Apres donques que le soir au paravant j'auray pensé ou [174] leu l'histoire, et auray præparé en gros les pointz de la meditation ainsy quilz sont couchés ci bas, le matin estant arrivé et estant prest, prenant de l'eau benite, faysant le signe de la Croix et mis a genoux au lieu de la priere, je commenceray a mediter en cette sorte :

 

La presence de Dieu

 

            Je me representeray et  mettray une vive apprehension en mon esprit que Dieu est veritablement present a toutes choses, mais specialement a mon cœur et a mon  entendement, ou il est comme cœur de mon cœur et l'ame de mon ame. Cela fait, je commenceray a m'humilier et faire l'invocation.

 

Humble invocation

 

            Et donques, diray-je, cette mer de perfections, cet abisme de bonté, non seulement m'environne de tous costés, mais se communique par  une vraye presence et tres entierement a ce cœur desloyal, a cett'ame felonne ! Helas, mon Dieu, mon Seigneur, il me semble que mon cœur, ainsy profondement meslé et uni de toutes pars a vostre divine presence, n'est autre chose qu'un vil et venimeux crapaut qui nage,  se supporte et maintient dans une mer de bausme tres prætieux. Helas, comme peut vivre une si chetifve creature emmi cette infinie Essence et en une si intime presence de  vostre immense bonté ?

            Mais, Seigneur, puisque vous m'i aves receu et que je suis nay, nourri et maintenu dans les entrailles de cette vostre presence, hé, mon bon Dieu, ne me rejettes point de vostre sainte face ; permettes a ce miserable  cœur quil respande ses indignes pensees et ses chetifves affections  dans le sein de vostre misericorde et quil prononce [175] ses afflictions devant vous. Vous m'aves commandé de vous invoquer et promis que vous m'exauceries ; mon Dieu, mon Sauveur, me voyci vostre indigne servante, me soit fait selon vostre parole. Esclaires sur moy vostre face sacree, et tenes mes yeux fichés sur les vostres, affin que je puisse  considerer vos merveilles et vous en louer, benir et adorer.

 

Proposition du misiere

 

            Il me semble que parmi cette grande foule de gens qui accourent de toutes pars de la ville de Hierusalem pour voir crucifier mon Sauveur, je me treuve au mont de Calvaire, en un lieu un petit plus esloigné que les autres, mais aussi plus advantageux et relevé, d'ou je voy plus aysement le triste et cruel spectacle de la crucifixion. Mon Sauveur couronné d'espines estoit desja tout nud couché sur le bois de la croix, et les bourreaux l'avoyent desja serré et cloué pieds et mains  sur iceluy ; et commencent, avec des instrumens propres et destinés a cet effect, a relever petit a petit ce saint Crucifié en l'air, pour ficher et planter la croix au lieu et dans le trou fait a cett'intention.

            Maintenant je voy, ce me semble , en l'air, le haut bout de la croix et le saint escriteau : Jesus de Nazareth, Roy des Juifz. Soudain apres cela, je descouvre la teste  couronnee d'espines, delaquelle les yeux regardent ores au Ciel avec une grande reverence, ores sur l'assistence avec une amoureuse compassion ; et semble qu'avec ses regars, il aille puisser (sic) la misericorde cæleste dans le sein de son Pere, pour en arrouser ceux-la mesme qui le crucifioyent. Sa bouche, toute meurtrie des coups de la nuit, tenant un profond silence, n'est ouverte que pour jetter des souspirs amoureux sur le peuple, en la presence du Pere æternel. Je voy quant et quant son divin estomach, et [176] sous son tetin gauche un perpetuel mouvement de son cœur qui pantele et tremousse d'amour et fait un'inflammation en cet endroit si grande, quil me semble tout vermeil de ce costé-la. Je descouvre l'un' et l'autre main attaché (sic) et les deux pieds aussi, qui, comme quatre ruisseaux d'une mesme source, versent continuellement un sang le plus beau, clair et vermeil qui fut onques au monde.

            Et enfin, voyla la croix qui tumbe dans le creux auquel elle doit estre fichee et donne une secousse au cors qui y est pendu, au moyen de laquelle les playes s'agrandissent et plusieurs goustes de sang s'espluyent esparsement ça et la sur les plus proches, dont la plus part les ostent avec indignation et ne leur semble jamais asses tost quilz s'en puissent laver.

            Voyla ce que je m'imagine de voir, tout conforme a l'histoire.

 

Meditation

 

             Je considere premierement celuy qui est ainsy pendu et eslevé, et voy par l'escriteau, que c'est Jesus de Nazareth, Roy des Juifz. Est ce donques, ce dis-je, ce grand Jesus qui a tant fait de miracles, de sermons et d'actes vertueux tout le tems de sa vie ? Est ce pas la le Filz de Dieu æternel, qui est Maistre du Ciel et de la terre ? et comment donques est-il pendu en croix ? Ne pouvoit-il pas  mourir de mille sortes de mortz plus honnestes, plus doulces et supportables, puis qu'il vouloit mourir ? O quil faut bien dire que cette mort a quelque secrette beauté, puisqu'elle a esté choysie par le Filz de Dieu mesme ! O quelle admiration sera ou peut estre digne de cette merveille ?

            Je considere le maintien du Sauveur, auquel je voy une extreme douceur et debonaireté. Ses yeux ne sont nullement effarouchés par les douleurs, ni  enflammés par les injures. Hé, que cet Aigneau est benin ! Oui me donnera [177] la grace que, parmi les travaux et injures, je puiss'estre de mesme ?

            Je considere ce grand silence en toute cett'eslevation. Ce n'est pas faute d'haleyne, car il en a bien pour souspirer ; ce n'est pas faute de sujet, car il a bien dequoy se plaindre ; ce n'est pas faute d'auditeurs, car il en est environné ; ce n'est pas faute d'estre interrogés (sic), car un chacun crie apres luy, qui ceci, qui cela. Pourquoy donques se taist il, sinon pour tesmoigner sa mansuetude et douceur ? Helas que je suis miserable ! pour peu qu'on me touche, je crie, je me plains, je ne finis jamais mes lamentations, je ne rencontre personne a qui je ne communique mes regretz.

            Je considere ce cœur si plein d'amour a l'endroit de ceux mesme qui le crucifient. O feu admirable et sacré qui enflammés cette poitrine, mon Dieu, que vous estes ardent ! Le vent des tribulations accroist vos flammes, la glace de vos persecuteurs vous eschauffe, et le torrent des persecutions donne force a vos ardeurs. Quand sera ce que mon cœur sera embrasé de ce celeste feu de charité et qque j'aymeray mes ennemis ? Ah, que je suis bien esloigné de cette sainte flamme ! Une goute de l'eau de mesdisance, un seul vent de quelque petite injure estaint soudainement toute mon amitié et la convertit en glace et nege.

 

            Je considere pourquoy mon Sauveur souffre tant de tormens ; dont je treuve plusieurs raysons :

            1. Pour obeir a son Pere ; c'est pourquoy en sa premiere parole il l'apelle Pere. O saint enfant d'obeissance, o obeissance vrayement filiale ! Helas, comme suis-je si presumptueux et temeraire d'apeller Pere celuy auquel je n'ay jamais bien obei, et comm'obeirois-je jusques a la mort, moy qui n'obeis pas seulement jusques a la souffrance d'une petite parole fascheuse ou d'un regard traversé ?

            2. Pour effacer mon peché et mon iniquité. Mon iniquité, donques, est bien grande, puisqu'il faut tant de peyne a l'effacer. O que je suis miserable de m'y tant et si souvent abismé et veautré (sic). O que je suis chetif d'en avoir tant avalé, car je suis bien de ceux-la qui, comme dit [178] la sainte Parole, boivent l'iniquité comme l'eau ! Mais puisqu'il vous a pleu, o ma douce Esperance, souffrir ces peynes et travaux pour me nettoyer de mes iniquités, je veux respirer en vostre bonté. Et considerant mes fautes passees, o Seigneur, je vous supplie, en vertu de ces peynes, de les effacer entierement ; si que, comm'une nüee dissipee  n'empesche plus les rayons du soleil de venir esclairer et eschauffer la terre, ainsy  jamais plus mes pechés ne puiss'empescher la douceur de vostre regard misericordieux sur ma pauvre et langoreus'ame. Et pour le regard des mauvaises habitudes et inclinations qui tormentent mon ame, helas, Seigneur, permettes-moy que je vous die : Lavés, lavés de rechef ce cœur qui, comme vase immonde, retient encor l'odeur de l'infecte liqueur de peché ; lavés encor, Seigneur, et nettoyes tous-jours, jusques a ce quil soit affranchi de ceste senteur si fascheuse.

            3. Pour me retirer de l'enfer. O Dieu, que vos peynes sont bien contraires aux miennes ! Vous patisses pour me sauver, et jusques a present, pourquoy ay-je souffert que pour me perdre ? Helas, si j'ay couru, si j'ay veillé, si j'ay eu aucun soin cuysant, n'a ce pas esté pour la vanité, pour l'ambition, pour la vengeance ?

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Revu sur les Autographes conservés à la Visitation de Milan et en l'église Saint-Thomas, de Venise.

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IV. Méditation sur le crucifiement de Notre-Seigneur Jésus-Christ, donnée a la Présidente Brulart le 15 avril 1604

 

Proposition du mistere

 

            Il me semble que parmi cette grande foule de gens qui accourent de toutes pars de la ville de Hierusalem pour voir crucifier Nostre Seigneur, je me treuve au mont de Calvaire, en un lieu un petit plus esloigné que les autres, separé et relevé, qui me le rend advantageux pour voir et considerer a part moy ce triste et cruel spectacle. La crucifixion est faite ; c'est a dire, la croix estant couchee sulla terre, Nostre Seigneur est estendu sur icelle tout nud et despouillé, et les bourreaux l'ont serré et cloué pieds et mains la dessus. Maintenant donques, des ce lieu la, je m'imagine que je voy relever ce saint Crucifié en l'air, petit a petit, et que la croix est fichee et plantee dans le trou fait a cette intention.

            Voyla le mistere proposé en gros par l'imagination, laquelle a logé en mon cœur un lieu propre pour voir et bien considerer tout ce qui se passe. Les deux parties du mistere [180] sont l'eslevation et le plantement de ce saint arbre. Il reste que je poursuive a considerer les particularités par lesquelles ma volonté puisse estre excitee a produire beaucoup de bonnes saintes affections et resolutions : et cela, c'est la meditation.

 

I. MEDITATION

 

            Je considere ce que Nostre Seigneur souffre en ce mistere, tant exterieurement qu'interieurement. Exterieurement : par cette eslevation son cors est tout entierement supporté sur ses pieds et ses mains cloués, dont advient que les playes s'agrandissent et la douleur se rend immense. Quand la croix tumbe dans le trou preparé auquel elle est fichee, le Sauveur reçoit une secousse effroyable, qui augmente de nouveau les playes et donne comme un coup d'estrapade a tous ses nerfs et tendons ; de tous costés le sang pleut et distille ; l'air et le vent froid saysissent tout ce cors eslevé, penetrant dans les playes, et le font presque transir et pasmer. Ses oreilles n'entendent que blasphesmes, ses yeux ne voyent que la furie de ceux qui le tuent, et en tous ses sens il endure des douleurs insupportables.

            Mays ce n'est rien de cela au prix des douleurs de son cœur, qui, languissant de l'amour des ames, voit une si grande perte de personnes, et sur tout de ceux qui le crucifient.

 

Affections

 

            Ah ! qui sera ce tigre qui ne pleurera voyant cet innocent, ce jeune Roy, le Filz de Dieu, endurer tant de peynes ? Elles sont des-ja bien grandes et capables de tenir a couvert tous les hommes du monde contre l'indignation du Pere eternel. Hé, je vous prie, de grâce, mes amis, releves bellement cette croix, et fiches la si doucement, que ses playes ne s'agrandissent point et que la secousse n'en soit pas si grande. Helas, nul n'est si denaturé que voyant un criminel sur la roue, n'en ayt compassion. Hé donques, mon ame, n'auras tu pas compassion de ton Sauveur qui souffre tant ? Si jamais tu fus touchee de commiseration sur la nudité d'aucun pauvre emmi la rigueur de l'hyver, ne dois tu pas [181] compatir a ce pauvre Roy, qui est exposé tout fin nud sur cet arbre ? Si jamais quelque pauvre ulceré te fit pitié, regarde, je te prie, celuy-la, auquel tu ne verras, de la plante des pieds jusques a la teste, aucun lieu qui ne soit tout gasté de coups. Hé, vois ce cœur affligé de tant de pechés que le peuple commet ; et si ton cœur ne s'afflige avec luy, il faut que tu ne l'ayes pas de chair, mais de pierre, et plus [dur] que le diamant mesme.

 

            De la commiseration ou compassion naist ordinairement le desir de secourir celuy auquel nous compatissons ; partant, a la precedente affection j'adjouste celle-cy :

            O qui me donnera la grace que je puisse en quelque façon donner allegement a mon Sauveur affligé ! Hé, que ne m'est-il loysible de prendre mes habitz plus prætieux pour couvrir vostre nudité ! que n'ay je du bausme excellent pour en oindre vos play es ! que ne suis je pres de vous sulla croix pour soustenir vostre cors en mes bras, affin que la pesanteur ne dechirast pas si fort les playes de vos pieds et de vos mains ! Mais sur tout, que ne puis je empescher les pecheurs de tant offenser vostre cœur, qui ne feroit que se jouer de toutes les peynes de vostre cors, si pour icelles les pecheurs pouvoyent estre amendés ! Que ne suis je quelque excellent et fervent predicateur pour leur annoncer la penitence ! O comme ne dirois je aux iniques : Ne veuilles plus vivre iniquement ; et aux delinquans : Ne relevés plus les cornes de vostre fierté et felonie !

            Mais, o Seigneur, pourquoy m'amuse-je a ces desirs, desquelz je n'ay la force d'en prattiquer un seul ? Comme vous donnerois je mes habitz prætieux, moy qui n'en donnay jamais un vil et usé a vos pauvres ? Sur la croix vous ne me les demandes pas, et je vous les offre ; en vos pauvres vous me les demandes, et je les refuse ! O vaynes et miserables offres qui ne se font qu'en apparence, et en effect ne sont que mocqueries. Comme vous respandrois-je du bausme sur vos playes, puisque je ne respandis jamais un verre d'eau pour vos pauvres ? Comme voudrais je vous supporter en croix, puisque je ne fuis jamais rien tant que les croix ? Et quel predicateur de penitence, moy [182] qui n'en fais point, et qui contribue tous les jours, plus que nul autre, au desplaysir que les pechés vous donnent ?

 

Resolution

 

            O Seigneur, ayes mercy de moy, et je me propose de par ci apres vous estre plus fidelle. Non, ce ne seront plus desirs, ce seront effectz. Je soulageray le pauvre, je feray penitence et cesseray de pecher. J'instruiray les desvoyés, et diray a mon cœur et aux autres : Voules vous estre plus cruelz a l'endroit de vostre Sauveur que ne sont les vautours a l'endroit des colombeaux ? ilz n'en deschirent ni devorent jamais le cœur. Voules vous bien estre si acharnés a l'encontre du beni Colombeau qui niche sur la croix, que de deschirer son cœur avec les dens de vos impietés ? Seigneur, ah, doresnavant je consoleray par effect le pauvre et empescheray le peché.

 

CONSIDERATION

 

            Je considere la maniere avec laquelle Nostre Seigneur souffroit en ce mistere, et cette maniere est double. Exterieurement : avec un grand silence, les yeux doux et benins, qui regardent par fois au Ciel, dans le sein de la misericorde du Pere, quelquefois sur le peuple, auquel il procure la grace de cette misericorde, sa bouche n'estant ouverte en ce mistere que pour jetter des souspirs de douceur et de patience. Il me semble que je voy en sa poitrine l'endroit du cœur qui pantele et tremousse d'amour, et fait une inflammation si grande que tout cet endroit me semble rougissant.

            Il souffre patiemment, volontairement et amoureusement. Mais, helas, miserable que je suis, qui ne sçaurois souffrir un mot sans crier, sans me plaindre, sans faire du bruit au logis ; jamais je ne finis mes lamentations, je les estens et respans par tout.

            Et si quelquefois je tiens contenance, mais mon cœur comme se comporte-il ? il semble qu'il s'enflamme de colere, d'impatience, de vengeance et de douleur. [183]

 

Resolution

 

            Mais doresnavant, o mon ame, je veux que nous soyons patiens, doux et gracieux, et que jamais l'eau de contradiction ne puisse esteindre le feu sacré de la charité que nous devons au prochain.

 

CONSIDERATION

 

            Je considere pourquoy il souffre : pour obeir a son Pere. O obeissance admirable et filiale ! Mais quel effronté suis-je, d'oser appeller Dieu mon Pere, auquel je n'ay jamais porté le respect filial ; et comme obeirois-je jusques a la mort, que je ne le puis pas mesme jusques a la souffrance d'une petite parole fascheuse et d'un regard traversé ? Mais doresnavant, venes, o tribulations et desplaysirs ; que venant de la part du Pere eternel, je vous recevray de bon cœur, et beniray le calice d'obeissance.

            Mon iniquité est donques bien grande : o que je suis miserable de m'y estre si souvent abismé ! O Seigneur, qui me delivrera de ce labyrinthe, si ce n'est vous ? O ja ne vous playse de permettre que j'y retombe plus si lourdement. O peché tres abominable, je ne te verray jamais d'un costé que, plustost que de me souiller en tes ordures, je ne me jettasse en cent mille tourmens.

 

Resolution

 

            Pour me retirer de l'enfer, helas, et pour me delivrer de perdition, que vous souffres ! Et que je souffre pour m'y engager ! Tout ce que j'ay souffert jusques a present n'a esté qu'a ma perte. Ah ! non, vous me voules sauver, Seigneur ; que vostre volonté soit faite. Je suivray vostre dessein et monteray. Non, je ne descendray plus.

 

DIEU SOIT BENY ! [184]

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V. Fragment d'un avertissement sur la perfection chrétienne, envoyé a la Présidente Brulart, 3 mai 1604 (Minute inédite). En quoi consiste la perfection. — Reconnaître la volonté de Dieu pour l'accomplir. — Les commandements de Dieu et le devoir d'état ; les tribulations et les maladies ; les « petites traverses et incommodités ». — Erreur de ceux qui se préparent aux grandes épreuves et qui ne savent pas supporter les petites. — Pour les actions de peu d'importance et auxquelles on n'est pas obligé, considérer avec liberté d'esprit ce qui tend davantage à la gloire de Dieu et se résoudre. — Ce qui doit être soumis au guide de notre âme. — Deux moyens pour parvenir à la perfection.

 

            Chacun est obligé d'aspirer a la perfection de la vie chrestienne, car Nostre Seigneur commande que nous soyons parfaitz, et saint Paul le repete aussi.

            La perfection de la vie chrestienne consiste en la conformité de nostre volonté avec celle de nostre bon Dieu, qui est la souveraine regie et loy de toutes actions. Pour donques acquerir la perfection, nous devons tous-jours considerer et reconnoistre quell'est la volonté de Dieu en tout ce qui nous regarde, affin que nous fuyons ce quil veut que nous evitions, et que nous observions ce quil veut que nous facions.

            Il y a des sujetz esquelz  on ne peut douter quelle est la volonté de nostre bon Dieu, comm'en ce qui despend des [185] commandemens de Dieu et du devoir de nostre vocation. C'est pourquoy nous devons tous-jours regarder a bien observer ce que Dieu commande a tous les chrestiens, et aussi ce que nostre vocation requiert de nous particulierement ; et qui ne fait soigneusement ceci ne peut jamais avoir qu'une devotion trompeuse.

            Il y a encor des autres sujetz dont on ne peut douter que Dieu ne les veuille, comme sont les tribulations, maladies et afflictions. C'est pourquoy il les faut recevoir de bon cœur, et conformer sa volonté a celle de Dieu qui les veut ; et qui peut passer jusques au point de non seulement les supporter patiemment, mais aussi de les vouloir, il peut bien dire quil a acquis une tres grande conformité. Ainsy, les mortz des parens, pertes, maladies, secheresses, distractions, nous donnent sujet de nous perfectionner.

            Mais il faut passer plus avant et bien considerer ceste volonté non seulement es grandes afflictions, mais jusques aux petites traverses et moindres incommodités  que nous sceussions recevoir  en cette miserable vie. En quoy une grande quantité de personnes se trompent, qui ne se preparent que contre les grandes afflictions, et demeurent  sans armes, sans force et sans aucune resistence es petites ; la ou il seroit plus supportable d'estre moins præparé aux grandes, qui ne surviennent que fort peu souvent, et l'estre aux petites, qui sont quotidiennes et se presentent a chasque moment. Je donne un exemple de ce que je dis : Je me prœpareray a supporter patiemment la mort, qui ne me peuvent (sic) arriver qu'une fois, et je ne me præpareray point a supporter les incommodités que je reçoy des humeurs de ceux avec lesquelz je converse, ou les importunités d'esprit que ma charge m'apporte, qui se presentent cent fois le jour : c'est cela qui me rend imparfait.

            Il y [a] des autres actions ausquelles je ne suis point obligé ni par les commandemens generaux de Dieu, ni par le particulier devoir de ma vocation ; et en celles ci il faut [186] estre soigneux de considerer en liberté d'esprit ce qui tend a la plus grande gloire de Dieu, car c'est cela que Dieu veut. J'ay dit, en liberté d'esprit, par ce que cela se doit faire sans empressement ni inquietude, ains par une simple veüe du bien que nostr'action doit apporter : comme de faire un petit voyage de Saint Bernard , de se confesser un tel jour, visiter un tel malade, donner une petite somme, commun escu, pour l'amour de Dieu. Que si elle n'est pas de grande importance, aussi ne faut il pas une grande sollicitude, ains, apres une petite consideration, il se faut resoudre ; et si par apres l'action, la resolution ne semble pas bonne et qu'on se soit trompé, on ne s'en doit nullement affliger ni troubler, ains s'humilier et mocquer de soi mesme.

            Mais si la chose est d'importance, comme de changer de profession, faire des veuz perpetuelz, entreprendre des grans voyages, donner des grandes quantités en aumosne, apres y avoir un peu pensé, il en faut conferer avec les peres spirituelz sous la conduitte des quelz on s'est remis, et passer par leur advis avec simplicité, car Dieu les assistera a vous bien adresser. Et si par leur defaut la resolution n'est pas la meilleure en soy, elle ne laissera pas d'estre la plus utile et meritoire pour vous, car Dieu la rendra fructueuse.

 

            Les grans moyens pour parvenir a la perfection sont de deux sortes.  Le premier et principal, c'est d'avoir la grace interieure de Dieu, et celluy ci se doit obtenir par prieres, oraysons, sacrifices, reception des Sacremens. L'autre, c'est l'exercice, et celluy ci consiste en trois resolutions proportionnees aux vœux de Religion, c'est a dire, obeissance , chasteté et pauvreté.

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Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin. [187]

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VI. En quoi consiste la perfection et comment l'acquérir ; degrés de l'obéissance. Ecrit envoyé a la Baronne de Chantal, [3 mai 1604 ?]. La perfection n'est autre chose que la charité. — Qu'est-ce qui la produit. — La prière, les Sacrements, l'exercice des vertus : moyens pour l'acquérir. — Les trois vertus de Religion, quoique non vouées, rendent parfait. — Les degrés de l'obéissance par rapport à ceux à qui on la rend. — Exemple de Jésus-Christ. — Obéir aux commandements de Dieu et des supérieurs, aux conseils évangéliques suivant sa vocation, aux inspirations de la grâce. — L'obéissance dans les choses agréables, dans les indifférentes et dans les difficiles.

 

            Nostre Dieu nous commande d'estre parfaitz ; mais en quoy consiste la perfection ? C'est chose asseuree qu'elle n'est autre chose que la charité, qui comprend l'amour de Dieu et du prochain. Neanmoins, selon la commune façon d'entendre, on n'appelle pas parfaitz tous ceux qui ont la charité, ains seulement ceux qui l'ont en un degré sublime et eminent ; c'est a dire ceux qui ont un amour de Dieu et du prochain fort excellent.

            Puis donq que nous sommes obligés d'aspirer a la perfection, il est requis de connoistre les moyens propres pour l'acquerir, et tout ensemble les actions qu'elle produit en nous, qui n'est qu'une mesme chose ; car tout ainsy que le grain du froment produit la plante et la plante produit le grain, ainsy les saintz exercices produisent la perfection et la perfection fait naistre les saintz exercices. Puisque la perfection de l'ame consiste en la charité, et la charité est [188] le don principal du Saint Esprit, le premier moyen pour obtenir la perfection, c'est de la demander humblement, instamment et continuellement a Dieu par prieres et meditations ; le deuxiesme, c'est l'usage des Sacremens, car ilz sont les canaux par lesquelz Dieu distille en nous la grace, charité et perfection ; le troisiesme, c'est l'exercice des vertus en general.

            Mais parce que ce troisiesme moyen est si ample, je le reduiray en cette sorte : Les trois vertus des Religieux sont les trois plus signalés instrumens pour acquerir la perfection et les trois plus grans effectz d'icelle. Or, ces trois vertus ou vœux estant gardees, quoy que non vouees, elles rendent l'homme parfait ; il faut donq tascher a les acquerir en tous les degrés qu'elles ont.

 

            EXEMPLE DE L'OBEYSSANCE

 

            L'obeyssance a trois degrés en ce qui concerne les personnes a qui nous rendons obeissance. Le premier degré, c'est d'obeyr aux Superieurs et [à ceux] qui ont du pouvoir sur nous, comme peres, meres, maris, Prelatz : donq le filz doit obeyr a son pere avec la mesme souplesse qu'un Novice d'une Religion fort reglee feroit a son Superieur ; et est une niayserie de s'imaginer qu'on obeyroit bien a un Superieur de la Religion qu'on aurait choisie, si on ne peut obeyr aux Superieurs que Dieu mesme et la nature nous a donnés.

            Le 2. degré, c'est d'obeyr a nos compaignons et a ceux qui nous sont esgaux ; et ce degré se prattique en se rendant doux et facile a la volonté de nos compaignons. Contre ce degré pechent tous les espritz opiniastres, contentieux et sujetz a leurs volontés.

            Le 3. degré, c'est d'obeyr aux inferieurs, s'accommodant aucunement a leurs desirs entant qu'ilz ne sont point mauvais, avec une [douce] condescendance ; et a ce degré est contraire l'authorité imperieuse et desdaigneuse que l'on prend sur les inferieurs. La prattique de ce degré rend nostre cœur doux, humble et gratieux aux commandemens des superieurs, aux volontés des compaignons et aux desirs et prieres des inferieurs. L'exemple de cette obeyssance [189] est en Jesus Christ, qui obeit non seulement a son Pere eternel et a sa sainte Mere, mais aussi a saint Joseph et aux statutz et coustumes de l'Eglise. Nostre Dame obeit a saint Joseph et aux autres. Et cela est ordonné par l'Apostre, qui veut que nous soyons sujetz a un chacun pour l'amour de Dieu.

 

            Cette mesme obedience a troys autres degrés, selon les choses esquelles il faut exercer l'obeyssance. Le 1. est d'obeyr aux commandemens de Dieu et des superieurs ; et ce degré d'obeyssance est necessaire a un chacun, car qui ne l'observe peche mortellement, quand il s'agit de quelque chose d'importance. Et a ce degré est formellement contraire la des-obeyssance.

            Le 2. degré, c'est d'obeyr aux conseilz, chacun selon sa vocation : comme de demeurer vefve quand on l'est ; de rechercher celuy qui nous a offencés, par caresses et courtoysies ; d'ayder ceux qui en ont quelque besoin, encores qu'ilz ne soyent pas en grande necessité. Et a ce degré est grandement contraire la tepidité et froideur.

            Le 3. degré, c'est d'obeyr aux inspirations et mouvemens interieurs que l'on reconnoist tendre a la plus grande gloire de Dieu, et ce, apres les avoir examinés ou fait examiner. Et a ce degré est contraire l'inadvertance et mespris de nostre interieur. La prattique de ce troisiesme degré fait qu'en tout et par tout nous nous conformons a Dieu et a sa sainte volonté. L'exemple en est en Nostre Seigneur qui fit toute sa vie tout ce qui visoit plus a la gloire de son Pere eternel, de la glorieuse Vierge Marie, sa Mere, et de tous les Saintz.

 

            L'obedience a encores troys autres degrés, prins de la facilité ou difficulté que nous avons en l'obeyssance. Le 1. est lhors qu'on nous commande quelque chose aggreable, comme seroit de ne point travailler les festes, de chanter en musique, ou quelque autre chose semblable, laquelle de soy mesme nous est aggreable ; et en cela il n'y a pas grande vertu en obeyssant, mais il y a bien du grand vice en des-obeyssant. [190]

            Le 2. c'est quand on nous commande des choses indifferentes, c'est a dire choses qui de soy mesme ne sont ni aggreables ni desaggreables, comme seroit de se promener, de porter tel ou tel habit ; et lhors la vertu de l'obeyssance est grande, et le vice aussi de la des-obeyssance bien grand.

            Le 3. est quand on nous ordonne de faire des choses aspres et difficiles, comme de pardonner aux ennemis, souffrir patiemment les afflictions, ou faire quelque autre chose qui soit fort contraire a nostre inclination ; et lhors le merite est extremement grand en obeyssant, et le peché moins grand en des-obeyssant.

            La prattique de ces trois degrés fait que nous obeyssons entierement, soit en choses grandes, soit en choses petites. L'exemple en est en Nostre Seigneur, qui en tout a voulu que le vouloir de son Pere se fist, mesme en la Passion.

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VII. Avis a la Baronne de Chantal, Saint-Claude, 26 ou 27 août 1604. Pensées et aspirations pour le lever. — Exercice pour la sainte Messe. — Le congé et la bénédiction du bon Ange. — Oraisons jaculatoires et regard sur « la divine Bonté » , — L'entrée dans les plaies du Sauveur.

 

             Mettes ordre qu'aussi tost que seres esveillee, vostre ame se jette du tout en Dieu par quelque sainte pensee, telle que celle-cy : Comme le sommeil est l'image de la mort, aussi le resveil est l'image de la resurrection. Je croy que mon Redempteur est vivant et qu'en ce dernier jour je resusciteray. O Seigneur, que ce soit, s'il vous plaist, [191] a la vie eternelle : cette esperance repose dans mon sein. Hé, de grace, donnes vostre dextre a l'ouvrage de vos mains. Vous aves conté mes pas ; mais pardonnes moy mes offenses.

            Voyant le jour, passés de la consideration de la lumiere corporelle a la spirituelle, ou bien de la temporelle a l'eternelle, et dites avec David : O Seigneur, en vostre clarté nous verrons la lumiere.

            Et vous habillant, apres avoir fait le signe de la Croix, dites tacitement : Revestés moy, mon Dieu, du manteau d'innocence et de la robe nuptiale de charité. Cela estant fait, occupés vous quelque tems en la meditation.

            Arrivee que seres a l'eglise pour ouyr Messe, tandis que le prestre preparera le calice et le messel, mettés-vous en la presence de Dieu. Despuis le Confiteor jusques a l'Evangile, produisés des affections de contrition ; de l'Evangile jusques a la Preface, faites la protestation de foy ; apres le Sanctus, considerés le benefice de la Mort et Passion de Nostre Seigneur ; a l'eslevation, adorés tres profondement le divin Sauveur, et offrés le a Dieu son Pere ; apres l'eslevation, remerciés le tres humblement de l'institution de ce saint Sacrement ; quand le prestre dira le Pater, recites le mentalement en toute devotion ; a la Communion, communies vous reellement ou spirituellement ; apres la Communion, contemplés Nostre Seigneur assis dans vostre cœur, et faites venir devant luy, l'un apres l'autre, vos sens et vos puyssances, pour ouyr ses commandemens et pour luy promettre fidelité.

            Quand vous voudres le matin, sortir de vostre chambre, [192] demandés humblement congé et benediction a vostre bon Ange ; le long du jour, faites a force oraysons jaculatoires. Quand l'horloge sonnera, eslevés vostre cœur en disant : Dieu soit beni, l'eternité s'approche. Pendant les affayres, regardés souvent la divine Bonté ; ayés provision de quelques parolles enflammees qui, de tems en tems, servent de refrain a vostre ame. Avant le souper, j'appreuve fort un petit de recollection.

            Entrés chaque jour de la semaine devotement dans l'une des sacrees playes de nostre douloureux et amoureux Sauveur. Le Dimanche, entrés dans celle du costé ; le lundy, dans celle du pied gauche ; le mardy, dans celle du pied droit ; le mercredy, dans celle de la main gauche ; le jeudy, dans celle de la main droite ; le vendredy, dans les cicatrices de son adorable chef ; le samedy, retournés entrer dans son sacré costé, affin que par iceluy vous commencies et finissies vostre semaine.  [193]

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VIII. Divers avis pour l'oraison, les aridités et les distractions, et sur la manière de se comporter dans les exercices spirituels de la journée envoyés a Mme Rose Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe, le 9 octobre 1604

 

1) Meditation sur l'eslevation de Jesus Christ crucifié

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Pour se mettre en la presence de Dieu

 

            Je vous voy, o mon Dieu, des yeux de mon esprit, comme une mer de perfections et un abisme de bonté qui non seulement m'environne de tous costés, mais qui habite et qui reside tres entierement et par une vraye presence dans le fons de mon miserable cœur ; et il n'y a partie en moy qui ne soit totalement soustenue et animee de vostre sainte Divinité.

 

Pour l'invocation

 

            Helas, comment peut vivre cette miserable et si chetifye creature en une si profonde presence de vostre Bonté ? Il me semble, o mon Dieu, que mon cœur ainsy meslé, uni [194] et nageant en vostre infinie Essence, n'est autre chose qu'un vil et venimeux crapaud qui flotte, se supporte, maintient et vit dans une mer de bausme praetieux.

            Mais, Seigneur, puisque vous m'aves receu, eslevé et maintenu dans les entrailles de vostre sainte presence, hé, mon bon Dieu, ne me rejettes point de devant vostre sainte face, permettes a ce cœur miserable qu'il respande ses indignes pensees et chetifves affections dans le sein de vostre misericorde, et qu'il prononce ses afflictions devant vous . Vous me l'aves commandé, o mon Dieu ; me voyci vostre indigne servante, qu'il me soit fait selon vostre parole. Esclaires sur moy vostre face sacree, affin que je considere vos merveilles pour vous louer, adorer et benir a jamais.

 

Proposition du mistere

 

            Je m'imagine et il me semble que parmi cette grande foule de gens qui accourent de toutes pars pour voir crucifier le Sauveur, je me treuve sur le mont de Calvaire, en un lieu un peu plus esloigné que les autres, separé et relevé, et par consequent plus advantageux pour voir et considerer a part moy ce triste et cruel spectacle. Je m'imagine de plus, que le crucifiement est des-ja fait, c'est a dire, la croix estendüe sur la terre ; que Nostre Seigneur, despouillé, tout fin nud, a esté attaché par les bourreaux sur icelle, cloüé et serré pieds et mains. Maintenant, donques, m'estant logé par imagination en ce lieu que j'ay dit, je m'imagine [195] outre cela que je voy relever ce saint Crucifié tout vivant en l'air, et que la croix est fichee et plantee en terre dans le creux qui a esté fait a cette fin.

            Voyla le mistere proposé en gros, lequel a deux parties : l'eslevation de la croix, et le plantement d'icelle. Il reste que je poursuyve a considerer les particularités qui peuvent esmouvoir ma volonté aux saintes affections et resolutions : et cela est la meditation.

 

MEDITATION

 

            Je considere que le doux Sauveur souffre tant exterieurement qu'interieurement. En l'exterieur, a mesure qu'on l'esleve, son cors s'incline, pese et se supporte tout entierement sur ses pieds et ses mains cloués, dont les playes s'agrandissent et la douleur se rend immense. Quand la croix tumbe dans le trou preparé, le Sauveur en reçoit une secousse et comme un coup d'estrapade qui augmente de nouveau ses playes et ses douleurs ; ce qui fait pleuvoir et distiller le sang de tous costés. Estant eslevé en l'air et le vent froid saysissant ce cors tout ulceré et deschiré des coups de la nuit, le fait presque transir et pasmer.

            Pour l'interieur, ce cœur tout languissant d'amour se fend de detresse a la veüe d'une si grande perte de gens, et sur tout de ceux qui le crucifient ; et il me semble qu'il die : Helas, tant d'aines pour la vie desquelles je veux mourir dessus ce bois, se perdront elles æternellement ?

 

Affections

 

            Hé, qui sera ce tigre qui ne fondra en larmes sur ce jeune Roy, le plus doux de tous les hommes, vray Filz de Dieu, et qui est si mal traitté ? Helas, nul n'est si denaturé qui voyant un criminel sur la roue, pour criminel qu'il soit, n'en ayt compassion : hé donques, mon ame, mourras tu point de compassion de voir ton Sauveur qui souffre tant ? Voy ce cœur tant affligé pour les pechés du monde ; et si ton cœur ne s'afflige avec luy, faut il pas qu'il soit plus dur qu'un diamant ?

            O qui me fera la grace que je puisse en quelque façon soulager mon Sauveur en cette affliction ? Hé, que ne m'est [196] il permis de le couvrir de quelque habit praetieux, de respandre sur ses playes quelque bausme excellent et supporter entre mes bras la pesanteur de ce cors ! Et vous qui releves cette croix, alles y tout bellement, je vous supplie, et ne la rejettes pas si rudement dans le creux, affin que la secousse ne soit pas si grande pour ce pauvre Patient. Helas, ses playes sont des-ja bien grandes et capables de tenir a couvert les pechés du monde contre l'indignation du Pere æternel ! O Dieu, que ne suis je quelque excellent et fructueux praedicateur, pour au moins empescher que ce divin cœur ne fust tant offensé par tant d'iniquités ! O comme je dirois : Ne veuilles plus vivre iniquement, et ne releves plus les cornes de vos meschancetés pour les ficher dedans ce cœur des-ja tant affligé !

            Mais, o mon Dieu, pourquoy m'amusé-je a ces desirs, moy qui n'ay presque pas la force d'en prattiquer un seul ? Vous ne me demandes pas sur la croix mes vestemens, et je vous les offre ; vous me les demandes en vos pauvres qui sont vos membres, et je vous les refuse. Je n'en donnay jamais un seul, pour vil et usé qu'il fust ; et comment vous donnerois-je les prætieux ? Comment respandrois-je du bausme sur vos playes, puisque j'ay bien de la peyne a respandre un verre d'eau pour vos pauvres ? Hé, quel prædicateur de penitence, moy qui n'en ay point encor fait, et qui contribue tous les jours plus qu'aucun autre aux desplaysirs que vous donnent les pechés ! O vains et miserables desirs, o offres inutiles, puisqu'elles ne sont qu'en apparence, et qu'en effect ce ne sont que mocqueries.

 

Resolutions

 

            Ne cesseray je pas en fin de vous estre infidelle, mon Sauveur et mon Dieu ? O non, ce ne seront plus des-ormais d'inutiles desirs, ce seront des effectz ; ce ne seront plus des paroles, ce seront des œuvres. Je me resous de soulager les pauvres, de faire penitence, d'y semondre les autres. Je me diray a moy mesme, et puis aux autres : Serons-nous plus cruelz au Sauveur que les vautours ne le sont aux colombes ? ilz n'en deschirent jamais le cœur. Serons-nous si acharnés contre le saint Colombeau qui niche sur [197] l'arbre de la croix, que de massacrer et deschirer son cœur avec les malheureuses dens de nos impietés ? Ah, Seigneur, ah ! je seray doresnavant impitoyable en la resolution que je fay d'aymer et de secourir les pauvres, qui sont vos membres, et de procurer mon amendement et celuy des autres.

 

            Voyla une consideration bien au long estendue, avec les affections et resolutions ; je passeray maintenant et legerement sur les autres et ne feray que les marquer.

 

            Je considere la maniere avec laquelle le Sauveur souffre en ce mistere. Pour l'exterieur : voyes le grand silence de cette divine bouche, qui n'est ouverte que pour jetter de doux et paysibles souspirs ; ses yeux gratieux et benins regardoyent quelquefois le Ciel avec grande reverence, quelquefois ilz se tournoyent du costé du peuple qu'ilz regardoyent avec beaucoup de compassion ; et il me semble que je voy en sa poitrine, du costé gauche, son cœur qui pantele et tremousse d'amour, avec tant d'inflammation, que tout cet endroit me semble rougir.

            Pour l'interieur, il souffre volontairement, patiemment, amoureusement.

 

 

Affections

 

            O miserable que je suis, qui ne sçaurois souffrir un mot sans replique, qui pour la moindre affliction fais sans cesse des plaintes et les respans aux oreilles de tout le monde. Et si quelquefois je tiens contenance a l'exterieur, que devient mon cœur en l'interieur ? il s'enfle de rancune, il s'enflamme de colere, d'impatience et de vengeance.

 

Resolutions

 

            Et doresnavant, donques, je vous embrasse, o sainte Croix ; je vous jure fidelité, o benite vertu de patience. Jamais, non jamais, mon Sauveur, l'eau de contradiction n'esteindra le feu de la charité que je doy au prochain.

 

            Je considere pourquoy il souffre, et j'en treuve plusieurs [198] raysons. Premierement, c'est pour obeir a Dieu son Pere. O obeissance admirable et vrayement filiale ! O que vous merites bien d'avoir un tel Pere, puisque vous luy rendes une telle obeissance ! Mais ne suis-je pas bien effronté d'appeller ce mesme Dieu mon Pere, luy estant si desobeissant ? Et comment obeirois-je jusques a la mort, puisque je n'obeis pas mesme jusques a la souffrance d'une petite parole fascheuse et d'un regard de travers ? O je veux changer d'humeur, et pour l'amour de mon Sauveur je veux boyre cy apres tous les calices qu'il me presentera.

            2. Il souffre pour effacer mon peché. Mon iniquité est donques bien grande : helas, que je suis miserable de m'y estre si souvent abismé ! O peché tres abominable, je ne te verray jamais d'un costé que je ne me jette incontinent de l'autre, quand il y auroit tous les tourmens du monde a souffrir ; non, je ne veux plus me souiller en tes miserables ordures.

            3. Il souffre pour nous tesmoigner son amour envers nous. O donques, que son amour est grand ! Helas, Seigneur, je ne sçay pas si j'ay aucun amour ; mais si j'en ay, il est si miserable qu'il s'assouvit d'une seule larme, et il croit s'estre bien fait paroistre quand il a jetté quelques souspirs. Hé, bon Dieu, que je desire et que je proteste de vouloir cy apres vous aymer et vous donner tout mon cœur.

 

            Je considere encor la forme particuliere de ce mistere, qui est l'eslevation. Et pourquoy donques eslever mon Sauveur, sinon parce qu'il veut estre l'estendart de mon ame ? O traistre et desloyal soldat que je suis ! Combien de fois ay-je abandonné cette enseigne pour suivre celles du monde. Ah, maintenant, mon Dieu, je vous jure et prometz une nouvelle fidelité.

 

Actions de graces et offrande

 

            Mon Dieu, mon Sauveur, je vous remercie de la grace que vous m'aves faite, m'ayant permis de jetter mes yeux sur vostre divine Majesté en cette mienne meditation, et je vous rens mille actions de graces de toutes les peynes et souffrances que vous aves endurees en tout ce sacré [199] mistere ; et sur tout je vous remercie de l'amour qui vous les a fait souffrir, et de cette tres misericordieuse intention que vous eustes d'appliquer a mon ame en particulier les merites que vous y aves acquis. Hé, mon Dieu, je vous supplie et conjure par toutes ces peynes, ces vertus et merveilles que vous y prattiquastes, de me fortifier en vostre service, d'esteindre en moy mon amour propre et de m'abismer dans le vostre. Faites, o mon Dieu, que vostre sang serve de ciment pour cimenter en mon ame les affections et resolutions que vous m'aves donnees. Hé, Seigneur, que vous soyes tout mien, comme je veux estre doresenavant tout vostre.

            O Pere æternel, je vous offre toutes ces peynes et afflictions de vostre Filz mon Sauveur, ses vertus, ses merites et son sang ; et en vertu de tout cela, et de l'intercession de sa Mere, de toute vostre Cour cœleste, de l'Eglise son Espouse et de tous vos fideles qui combattent icy bas en terre, je vous demande vostre sainte et paternelle benediction pour mon cœur, et vostre speciale assistance pour vostre Eglise, pour les chefz d'icelle, pour les princes chrestiens, pour mes parens, amis et bienfacteurs, pour les desvoyés, pour le soulagement des ames du Purgatoire. Ah, Seigneur, convertisses les pecheurs, fortifies les pœnitens et perfectionnes les justes.

            Pater, Ave.

 

2) Conseils pour la meditation. Quand faut-il « lascher la bride aux affections ». — Un avis de saint François de Sales et de saint Pierre d'Alcantara. — A qui on peut parler pendant la méditation. — Trois remèdes contre les engourdissements d'esprit et les sécheresses. — Pourquoi on se met en la présence de Dieu. — Les courtisans en la chambre du roi et l'âme dans l'oraison. — C'est un grand honneur d'être auprès de Dieu. — Que faire lorsqu'on est distrait. — L'oraison doit toujours se finir en paix et avec la résolution de servir Dieu fidèlement

 

             Je vous advertis premierement, qu'encor qu'il soit [200] bon pour l'ordinaire de tenir cette methode , c'est a dire, d'adjouster les affections aux considerations et les resolutions aux affections, en sorte que la consideration marche la premiere, toutesfois, si apres la proposition du mistere l'affection se treuve asses esmeue, comme il arrive quelquefois, alhors il luy faut lascher la bride et la laisser courir, car c'est signe que le Saint Esprit nous tire de ce coste la ; et puis, la consideration ne se fait que pour esmouvoir l'affection.

            2. Il me semble qu'il est meilleur de faire les affections apres chaque consideration que d'attendre apres toutes les considerations, parce qu'on chemine plus simplement. C'a esté aussi l'opinion du bienheureux Pierre d'Alcantara et l'experience l'enseigne ; ce que je dis, parce que desirant que vous vous servies fort souvent des Prattiques de Bellintani, vous pourries a son imitation vouloir faire autrement, ce qui vous seroit beaucoup plus difficile et moins utile. Je vous donne donq pour regie generale de ne retenir jamais les affections en vostre meditation ; mais de les laisser sortir tous-jours quand elles se presentent, jusques a la fin du tems prefigé a la meditation, qu'il faut venir aux resolutions, action de graces, priere et offrande.

            3. Encor qu'il soit bon de reserver l'action de graces, la priere et l'offrande pour la fin de la Meditation, si est ce que ce sont trois affections qui se peuvent aussi faire avec les autres parmi les considerations, et se presentant, il leur faut aussi librement faire place sans les retenir.

            4. Parmi les affections et resolutions, il est bon de parler non seulement a Nostre Seigneur, aux Anges et aux personnes representees aux misteres ; mais a soy mesme, a son cœur, aux pecheurs, voire mesme aux creatures insensibles, comme l'on void que David fait en ses Psalmes et saint François en ses oraysons. Mais il faut que le tout se face tous-jours en la presence de Dieu, c'est a dire, en vertu de l'attention que nous nous sommes procuree au fin commencement de la meditation. [201]

            5. Encor que vous ayes preparé plusieurs considerations, toutesfois si une suffit pour vous entretenir pendant vostre demy heure, ne passes pas plus avant ; et si vous ne treuves pas en l'une d'icelles dequoy eschauffer vos affections, faites les suivantes l'une apres l'autre, jusques a ce que vous ayes treuvé la veine des affections.

            6. S'il vous arrive, comme il vous arrivera souventesfois indubitablement, de n'avoir aucun goust aux considerations, uses de l'un de ces trois remedes. Le premier, c'est d'ouvrir la porte aux paroles, vous lamentant de vous mesme a Nostre Seigneur, confessant vostre indignité, le priant qu'il vous soit en ayde, baysant le Crucifix, si vous l'aves devant vous, et disant mesme de bouche au Sauveur : Si ne vous lairray-je pas ; je me tiendray icy aupres de vous, et n'en partiray point que je n'aye eu vostre benediction. Quelquefois il sera bon de vous resouvenir de la Chananee, laquelle estant rejettee par Nostre Seigneur qui l'appella chienne, le prit au mot luy disant : Ouy vrayement, je le veux bien ; mais les chiens mangent au moins quelques miettes de la table de leurs maistres. Ainsy, reconnoissant par la tristesse et engourdissement de vostre esprit que vous estes fort miserable, serves vous de cette occasion et, pleine de confiance, escries vous devant Dieu : Ouy, Seigneur, je suis miserable ; mais pour qui la misericorde est-elle, sinon pour les miserables ? Et par ce moyen, vous passeres de la meditation que vous avies preparee a la meditation de vostre propre misere, de laquelle vous tireres des affections d'humilité, de confiance, et telles semblables qui vous seront tres utiles.

            Le second remede sera de prendre un livre en main, et le lire avec attention jusques a ce que vostre esprit soit resveillé.

            Le troysiesme, c'est de picquer vostre esprit par quelque contenance de devotion : comme se prosterner en terre, estendant les bras en croix, tenant les mains jointes et eslevees au ciel. Que si apres tout cela vous demeures encor en secheresse et sans consolation, mesme en telle sorte que vous ne puissies proferer aucune parole ni interieurement ni exterieurement, ne laisses pas pour cela de [202] vous tenir en une contenance devote, sans vous inquieter ni troubler, vous resouvenant qu'il y a deux fins principales pour lesquelles on se met en la presence de Dieu et en orayson : l'une est pour exciter son affection en l'amour de Dieu, et lhors que nostre affection n'y est point vivement excitee nous disons que nostre ame est en secheresse ; l'autre est de rendre hommage a Dieu, protestant qu'il est nostre souverain Createur et Seigneur : et cette fin est extremement noble, parce qu'il y a moins de nostre interest. Que si, venant a l'orayson, nous ne pouvons pas faire le premier, il se faut contenter du second, qui est tous-jours beaucoup, encor que nous ne puissions parler a Dieu et qu'il semble qu'il ne nous parle point.  Combien y a-il de courtisans qui vont cent fois l'annee en la chambre du Roy et en sa presence, non pour luy parler ni pour l'ouyr, mais simplement pour estre veus de luy et tesmoigner par cette assiduité qu'ilz sont ses serviteurs. Ainsy devons-nous venir a l'orayson comme a la chambre de nostre Roy, pour luy parler et l'ouyr en ses inspirations et mouvemens interieurs ; ce qui arrivant, ce nous est un playsir tres delicieux. Mais si, ne pouvant luy parler ni l'ouyr, nous demeurons la en devotieuse contenance, il aggreera nostre patience et favorisera nostre assiduité, et sans doute qu'une autre fois il nous prendra par la main, s'entretiendra avec nous et nous fera voir toutes les allees du saint jardin de l'orayson. Mais quand il ne le feroit jamais, contentons-nous que ce nous est un honneur trop plus grand d'estre aupres de luy et a sa veue.

 

POUR LES DISTRACTIONS

 

            Quand vous seres distraitte, ce vous sera un grand soulagement de vous imaginer la devotion et ferveur des Anges et des Saintz, a l'orayson desquelz vous joindres la vostre, quoy qu'indigne. Il sera bon mesmement de vous imaginer que vous estes en la compaignie de plusieurs personnes devotes avec qui vous voules faire orayson ; et mesme, si vous en connoisses, vous pourres vous les imaginer en l'acte de ferveur et de priere. [203]

            Tous les remedes contre la secheresse sont bons contre les distractions.

            Au demeurant, quoy qu'il arrive, il ne faut jamais se laisser surprendre a la tristesse et inquietude ; mays, soit que nostre orayson ayt esté douce et savoureuse, ou qu'elle ayt esté seche et sans goust, il faut s'en retirer tous-jours en paix, avec intention de servir Dieu tous-jours fidellement tout le reste de la journee.

 

 

3) Exercice pour le matin. Considérations et aspirations pour le lever. — Exercice de la « Preparation» : en quoi il consiste. — Une partie de celui-ci peut se joindre à la méditation quand elle se fait le matin. — Ce qu'il ne faut pas prévoir pendant l'oraison.

 

             Faites qu'a vostre resveil vostre ame se jette du tout en Dieu par quelques saintes parolles, telles que sont celles cy : D'autant que le sommeil est l'image de la mort, aussi le resveil est l'image de la resurrection. Resouvenes vous donques de la voix qui retentira tout par tout au dernier jour : O mortz, levés-vous et venés au jugement ; parolles desquelles saint Hierosme faisoit si grand prouffit. Vous pourres adjouster cette orayson jaculatoire avec Job : Je croy que mon Redempteur est vivant et qu'en ce dernier jour je resusciteray. O Seigneur, faites que ce soit a la vie eternelle ; cette esperance repose dans mon sein. Ou bien, vous imaginant quelquefois d'avoir ouy la mesme voix de l'Ange, vous dires avec le mesme Job : En ce jour la, o Seigneur, vous m'appelleres, et je vous respondray ; [204] vous donneres vostre dextre a l'ouvrage de vos mains. Vous aves conté tous mes pas ; mays pardonnes moy mes offenses.

            Autres fois, voyant le jour, vous porteres vos pensees  de la lumiere temporelle a l'eternelle, et dires avec David : O Seigneur, en vostre clairté je verray  la lumiere eternelle. Ou bien, passant de la lumiere interieure a l'exterieure, vous dires : Esclaires mes yeux, affin que je ne m'endorme point a la mort. Ou bien avec saint Paul : La nuit est passee, le jour est arrivé ; sus, non plus des œuvres de tenebres, mais  endossons le harnais de clairté. Ainsy vous pourres faire de saintes considerations, telles que le Saint Esprit vous les suggerera.

            En vous habillant, apres avoir fait le signe de la Croix, dites : Donnes moy, Seigneur, le manteau d'innocence et la robbe nuptiale de charité.

 

            Il est bon de faire, s'il se peut, la meditation le matin, avant que l'esprit soit embarrassé d'autres affaires ; mais a qui ne le pourroit, au moins faut-il faire ce petit exercice qui suit, et lequel, servant pour toute la journee, s'appelle Preparation.

            On remercie Dieu de ce qu'il nous a conservé cette nuit la, et on considere que si Dieu nous donne le jour present, c'est pour l'employer a sa gloire et a nostre salut, et que sa Majesté hait et deteste souverainement le peché, suyvant le dire de David : Au grand matin je m'approcheray de vous, o mon Dieu, et reconnoistray que vous estes un Dieu qui n'ayme point l'iniquité.

            On considere quelles occasions on pourra rencontrer le long de la journee pour servir Dieu, ou au contraire pour l'offenser, et cela chacun selon sa condition, et les affaires que l'on peut avoir ce jour la ; et les ayans reconneues, on [205] fera une ferme resolution d'embrasser la vertu et d'eviter le peché ; en quoy il faut encor qu'un chacun ayt esgard aux imperfections ausquelles il est sujet.

            Apres cela, on offre a Dieu et soy et toutes ses actions, et pour les luy rendre aggreables on prie Jesus Christ son Filz de les vouloir unir a ses merites et a sa Passion.

            En fin on prie Dieu de nous estre propice et de nous fortifier en nos bons desseins ; et a mesme intention on invoque la Vierge et les Saintz pour qui nous avons le plus de devotion, avec tous les autres, et particulierement nostre bon Ange. A quoy on adjouste le Pater, l'Ave, le Credo et la benediction.

 

Advertissement

 

            Si la meditation se fait le matin, on joindra l'action de graces de la conservation de la nuit avec l'action de graces du mistere. Par les considerations, on verra qu'il faut embrasser la vertu et fuir le peché. L'offre de soy mesme se fera avec celuy du mistere, comme aussi la priere.

            Il ne reste que la consideration des dispositions et affaires de la journee, qui ne se doit pas faire parmi la meditation, parce qu'elle regarde trop par le menu nos occupations, nostre mesnage, nos rencontres des personnes avec qui nous avons a traitter, avec leurs conditions : comme si elles sont choleres, despiteuses et semblables, et tout cela nous distrairoit trop. Il faut donques faire ces reflexions a part, apres le Pater noster.

 

4) Avis pour bien entendre la sainte Messe

 

            A la Messe, quand on va dire l'Evangile, leves vous pour tesmoigner que vous estes preste et appareillee pour cheminer en la voye des commandemens de l'Evangile ; et [206] pour vous y exciter, vous pourres dire en vous levant : Jesus Christ a esté fait obeissant jusqu'a la mort, et mesme a la mort de la croix. Et faisant le signe de la Croix sur vostre front, vostre bouche et vostre cœur, vous dires : Dieu soit en mon esprit, en ma bouche et en mon cœur, affin que je reçoive son saint Evangile.

            Au Credo, il faut dire le Credo et protester mentalement de vouloir vivre et mourir dans la foy de l'Eglise.

            Apres le Sanctus, il faut en grande humilité et reverence penser au grand bienfait de la Mort et Passion de nostre Sauveur, le suppliant de la vouloir appliquer au salut de tout le monde, et particulierement au nostre et a celuy des enfans de son Eglise, a la gloire et felicité de tous les Saintz et au soulagement des ames du Purgatoire.

            A l'eslevation du tres saint Sacrement, il faut avec une grande contention de cœur l'adorer, puis, avec le prestre, l'offrir a Dieu le Pere pour la remission de nos pechés et de ceux de tout le monde, et nous offrir nous mesmes avec toute l'Eglise, et nos parens et nos amis.

            Apres l'eslevation, il faut remercier Jesus Christ de sa Passion et de l'institution de ce saint Sacrifice de l'autel.

            Quand le prestre dit le Pater, il le faut dire avec luy, ou vocalement ou mentalement, avec une grande humilité et devotion, tout ainsy que si on l'oyoit dire a Nostre Seigneur et qu'on le dist mot a mot apres luy.

            A la Communion, si on ne la fait pas reellement, il la faut faire spirituellement, s'approchant de Nostre Seigneur par un saint desir d'estre unie a luy et le recevoir en son cœur.

            A la benediction, il faut se representer que Jesus Christ en mesme tems nous donne la sienne.

 

5) Les retours vers Notre-Seigneur, les oraisons jaculatoires et la pensée de la mort pendant la journée

 

            Pendant les affaires de la journee, il faut le plus que l'on peut regarder souvent a Nostre Seigneur Jesus Christ, [207] et se resouvenir du poinct de la meditation que l'on a le plus gousté et ressenti ; comme si la douceur de ses yeux nous a esté aggreable, nous nous les representerons en disant : Ja ne vous playse, mon Sauveur, que je fasse chose qui puisse offencer vos yeux ; et ainsy des autres.  Il est bon aussi d'avoir certaines parolles enflammees qui servent de refrain a nostre ame, comme : Vive mon Dieu  ! VIVE JESUS ! Dieu de mon cœur !

             Quand l'horloge sonne, il est bon de se resouvenir qu'il est autant passé de cette vie mortelle, et se resouvenir de la derniere heure qui sonnera pour nous. On pourra dire, faisant le signe de la Croix sur nostre cœur : Il faut mourir. D'autres fois, nous souvenans que nous nous acheminons a l'eternité, dire : Beni soit Dieu ! Dieu soit loué. Quelquefois, nous repentant des heures inutilement passees : Dieu  me donne la grace de mieux faire ; d'autres fois  simplement : JESUS, MARIA ; Dieu me soit en ayde ; Dieu soit avec nous .

 

6) Exercice pour le soir. L'examen de conscience. — Le souvenir de la mort

 

            Il ne faut jamais oublier l'examen de conscience tel que tous ces petitz livres nous l'enseignent.

            En se despouillant, il est bon de dire avec Job : Je suis [208] sorti nud du ventre de ma mere, nud j'y rentreray ; se resouvenant qu'il faut tout laisser.

            Se couchant, il faut se resouvenir du tombeau ; et comme on se couche pour le repos temporel, il faut avoir memoyre du repos eternel, et dire ce que l'on dira pour nous quand nous serons mortz : Requiem æternam ; et : Sancta Maria, Mater Dei.

            J'appreuve qu'autant qu'il se peut, l'on s'endorme avec une contenance devote, comme les mains croisees sur l'estomach, ou jointes.

 

7) Avis divers sur les exercices précédents. Vivre sans scrupules et servir Dieu avec amour. — La durée de la méditation, et quand la faire. — Encore la Messe. — C'est une superstition de croire qu'il faille recommencer le Chapelet ou autres prières quand, légitimement, on les a interrompus. — Se mettre toujours en la présence de Dieu avant de prier

 

            Apres tout cecy, je vous advise de vivre sans scrupule et servir Dieu plus avec amour qu'avec peur. Partant, s'il arrive que pour quelque honneste sujet vous laissies de faire tous ces exercices, ou l'un d'eux, ne vous mettés point en peyne, mais reprenes-les tout bellement le jour suyvant.

            Je ne veux point que vostre meditation soit de plus que d'une grosse demie heure ou trois quartz d'heure, et quand vous ne la pourres faire le matin ou devant le disner, je ne voudrois pas que ce fust sinon pour le moins quattre bonnes heures apres le disner, c'est a dire, un petit avant le souper. Il ne la faut faire nullement apres le souper, mais seulement quelques prieres vocales, avec l'examen de conscience.

             Pour le regard de la Messe, je n'ay pas voulu  particulariser sur tous les misteres d'icelle, pour vous instruire comme il y faut correspondre  par le menu avec des oraysons et des pensees, d'autant que cela charge tant la me [209] moyre que la volonté n'a pas ses affections  libres. Donques, pour le reste du tems de la Messe auquel je n'ay pas dit ce qu'il failloit faire, ou bien il faut continuer les affections que je vous ay marquees chacune en son ordre : comme, par exemple, celle de la  contrition jusqu'a l'Evangile ; celle de protestation de  foy jusqu'a la Preface, et ainsy des autres. Ou bien il faut dire quelque orayson vocale, comme seroit quelque partie du Chapelet ou des Heures, ou autres telles oraysons. Que  si c'est le Chapelet, vous ne laisseres pas, en le disant, de faire presque tout ce que j'ay marqué ; l'un n'empeschera pas l'autre. Et si vous ne le pouves pas tout dire  en une fois, dites le en deux, et l'Office de Nostre Dame aussi ; dequoy vous ne deves faire nul scrupule, ains il y a de la superstition a croire que pour de legitimes interruptions il faille recommencer, car cela est sans nulle rayson, ni apparence de pieté : nostre  Dieu ne regardant qu'a la devotion avec laquelle on prie, et non pas si c'est a deux fois ou a troys . Au contraire, il semble meilleur de prier souvent, quoy que peu, que de prier beaucoup une seule fois ; et les anciens Peres ont prattiqué cecy.

            Au demeurant, vous ne deves jamais commencer aucune priere sans premierement vous estre mise briefvement en la presence de Dieu. [210]

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IX. Petit traité sur la Sainte Communion, rédigé pour Mme Rose Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe, [décembre 1604, ou commencement de 1605]. Une seule chose est nécessaire pour communier : le bon état de l'âme. — Chasser de notre entendement toute curiosité. — Comparaison de la manne. — S'humilier dans les tentations, ou encore les mépriser. — Qu'est-ce que la sainte Communion ? — Pour s'y préparer, oublier les affaires domestiques et les choses matérielles, et se rappeler les bienfaits de Dieu. — Les « affections » ne doivent pas « estre a l'abandon, mais resserrees et couvertes ». — Exemple des Israëlites mangeant l'agneau pascal. — Ardent désir. — Ne pas disputer avec l'ennemi. — Considérations suggérées pour la veille de la Communion. — Un peu de retraite intérieure et récréation plus « devote ». — Retrancher peu à peu les attaches. — Que faire la nuit et le matin au réveil. — Ce que le Saint n'approuve pas. — Comment traiter avec Notre-Seigneur le jour où on l'a reçu. — Préparation et action de grâce ; diverses aspirations. — Comment se servir de l'imagination. — La Sainte Vierge, et l'âme qui communie. — Que personne ne s'approche de la Table sainte par coutume. — L'un des principaux fruits de la Communion : la charité mutuelle.

 

            Tous les docteurs spirituelz sont d'accord que deux choses sont principalement necessaires avant la Communion, a sçavoir, le bon estat de l'ame et le bon desir. Mais parce que le bon desir est une piece du bon estat, on peut dire qu'une seule chose est requise, a sçavoir, le bon estat de l'ame. Voyons donques en quelle disposition nous devons mettre nostre ame, pour, autant qu'il nous sera possible, dignement communier. Et pour le sujet duquel nous parlons, considerons les facultés principales de l'ame. [211]

            Quant a l'entendement, il le faut espurer d'une chose et le parer d'une autre. Il le faut premierement purger de toute curiosité, en sorte qu'il ne s'enquiere point comme il se peut faire que le propre cors de Nostre Seigneur, avec son sang, son ame et sa Divinité, soit tout entierement en la sainte hostie et en chaque partie d'icelle ; ni comme il se peut faire qu'estant au Ciel, il soit en terre ; ni comme il peut estre vray que n'estant qu'un seul cors, il soit neanmoins en tant de lieux et sur tant d'autelz et en tant de bouches. Non, il faut tenir nostre entendement clos et couvert a telles vaynes et sottes questions et curiosités, car nous n'avons que faire de sçavoir comme ce divin Sacrement se fait : il suffit que nous sçachions qu'il se fait. C'est a Dieu d'avoir le soin de le faire, nous n'avons pas besoin de nous en empescher ; c'est a nous seulement d'avoir le soin de le bien croire et de nous en prevaloir.

            Ce poinct est commun a tous les misteres de la sainte foy et a plusieurs autres choses, comme a la creation du monde, duquel nous ne sçaurions dire comme Dieu fit quand il le crea, ni comme il fit quand il crea nostre ame et la mit dans nostre cors. Qu'est-il donques besoin de sçavoir comme il met son tressaint cors, son sang et son ame en ce Sacrement ? C'est a luy de le faire, c'est a nous de le croire. En figure dequoy la celeste manne tomboit jadis au desert, non de jour, mays de nuit, si que nul ne sçavoit comme elle se faisoit, ni comme elle descendoit ; mais le matin estant venu, on la voyoit toute faite et descendue : ainsy cette surceleste et divine manne de l'Eucharistie se fait en une façon et maniere qui nous est secrette et cachee ; nul ne peut dire comme elle se fait et vient a nous, mais par la lumiere de la foy nous la voyons toute faitte. [212]

            Que si contre cette pureté d'entendement le malin esprit nous donne des tentations, il s'y faut opposer, s'humiliant devant la toute puissance de Dieu, disant, ou de cœur, ou de bouche : O sainte et immense toute puissance de mon Dieu, mon entendement vous adore, trop honnoré de vous reconnoistre et de vous faire l'hommage de son obeissance et sousmission. O que vous estes incomprehensible, et que je suis joyeuse dequoy vous l'estes ! Non, je ne voudrois pas vous pouvoir comprendre, car vous seriés trop petit si une si petite et chetifve capacité vous comprenoit. Puis, se retournant a son propre entendement : Et quoy, petit mouscheron, nourri parmi la pourriture de ma chair, voules vous brusler vos aisles a cest immense feu de la puissance divine, laquelle consumeroit et devoreroit les Seraphins, s'ilz se vouloyent fourrer en telles curiosités ? Non, petit papillon, il vous appartient seulement d'adorer cet abisme, et non pas de le sonder. Et quelquefois on peut repartir au tentateur : O malheureux, ton outrecuydance de vouloir voler trop haut t'a precipité en l'enfer ; je m'empescheray bien de faire un tel sault, moyennant la grace de mon Dieu. Tu trompas ainsy la pauvre Eve, luy voulant apprendre a sçavoir autant que Dieu ; mais tu ne m'attrapperas pas : je veux croire, et ne rien sçavoir.

            Il est aussi bon quelquefois de mespriser ces pointilles et tentations, et n'en tenir conte quelcomque, laisser japper et clabauder ce matin et passer outre en son chemin ; car encor qu'il est enragé, si est ce qu'il ne mord que ceux qui le veulent ; et partant, tenant la volonté constante en la foy, qu'il aboye tant qu'il voudra, nous ne craignons rien.

 

Consideration dont il faut paver l'entendement

 

            Voyla dequoy il faut purger l'entendement. Mais cela ne suffit pas ; car il le faut encor parer et orner d'une autre chose : il le faut tapisser de considerations. Et qu'est ce qu'il faut considerer ? Il ne faut pas considerer comme ce Sacrement se peut faire, car ce seroit nous perdre ; mais il faut bien considerer ce que c'est que ce Sacrement. En figure dequoy les Israelites ne demanderent pas comme la manne se faysoit, mais la voyant toute faitte, ilz demandoyent [213] ce que c'estoit. Qu'est cecy, disoyent-ilz, qu'est cecy ? Considerons donq ce que c'est que ce divin Sacrement, et nous treuverons que c'est le vray cors de Nostre Seigneur, son sang, son ame, sa Divinité. C'est le mistere de la plus intime union que nostre Redempteur pouvoit faire avec nous. C'est la plus entiere communication qu'il pouvoit faire de luy mesme, par laquelle il se joint a nous d'une façon merveilleuse et toute pleine d'amour. En fin ce Sacrement, c'est Jesus Christ luy mesme qui, d'une façon nompareille, vient a nous et nous tire a soy.

 

Comment il faut purger la memoyre

 

            Quant a la memoyre, il la faut aussi purger d'une chose et la parer d'une autre. Il la faut purger de la souvenance des choses caduques et affaires mondaines ; en figure dequoy, la manne ne tomboit qu'au desert et solitude, hors du commerce du monde, et non point es villes et bourgades, et ceux qui mangeoyent l'aigneau paschal retroussoyent leurs robbes, affin que rien ne traisnast et flottast sur la terre. Il faut donques pour un tems oublier les choses materielles et temporelles, quoy que bonnes et utiles, pour se preparer a la sainte Communion, et faire comme le bon Abraham, qui, voulant aller sacrifier son filz, laissa l'asne et les serviteurs au pied de la montagne jusques a ce qu'il eust fait ; car tout de mesme faut il retirer sa memoyre du souvenir des affaires domestiques et temporelles, jusques apres la Communion, toutes choses ayant leur tems.

            Il faut, apres cest oubli volontaire, parer la memoire d'une sainte souvenance de tous les bienfaitz dont Dieu nous a gratifiés : la creation, conservation, redemption et plusieurs autres, mais sur tout de sa sainte Passion, en memoyre de laquelle il a voulu nous laisser le propre cors qui souffrit pour nous, en ce divin Sacrement, n'ayant peu nous en laisser une plus vive et expresse representation. Quand on vous demandera (dit la sainte Parolle traittant de l'observation de l'aigneau paschal) ce que c'est que vous faittes, dites a la posterité que c'est en memoyre de ce que Dieu vous delivra de l'Egipte, vous passant par le milieu de la Mer Rouge. Ainsy, en ce divin Sacrement, nous devons [214] nous reduire en memoire la journee en laquelle Dieu, par son amere Passion, nous delivra de la damnation.

 

Comment il faut purger la volonté et de quoy il la faut parer

 

            Quant a la volonté, il la faut aussi purger d'une chose et la parer d'une autre. Il la faut purger des affections desreglees et desordonnees, mesme des choses bonnes ; c'est pourquoy ceux qui mangeoyent l'aigneau paschal devoyent avoir des souliers en leurs piedz, affin qu'ilz ne touchassent point la terre des piedz ; car « les piedz de l'ame sont ses affections », qui la portent par tout ou elle va, dit saint Augustin, et ses affections ne doivent pas toucher la terre ni estre a l'abandon, mais doivent estre resserrees et couvertes en mangeant le vray Aigneau paschal, qui est le tressaint Sacrement. Ainsy Nostre Seigneur lava les piedz a ses Apostres avant l'institution d'iceluy, pour monstrer que les affections des communians doivent estre fort pures ; et la manne devoit estre cueillie a la fraischeur, avant le lever du soleil,  parce que les chaleurs naturelles, les amours et affections desmesurees des enfans, des parens, amis, biens, commodités empeschent qu'on ne puisse cueillir cette celeste viande. Il y faut venir avec une ame et une volonté fraische, non eschauffee, ni  affectionnee a aucune autre chose qu'a la cueillette de cette manne.

            Mais il faut parer la volonté d'une affection et desir extreme de cette viande celeste, de cette manne secret te ; c'est pourquoy il estoit commandé a ceux qui mangeoyent l'aigneau paschal, de le manger avidement et vistement, et a ceux qui cueilloyent la manne, de se lever fort matin ; et Nostre Seigneur mesme, avant que d'instituer ce saint Sacrement, l'avoit extremement souhaité : J'ay desiré, disoit il, d'un grand desir de manger cette pasque avec vous. [215]

            L'ame estant ainsy disposee en ses trois principales facultés, fait un fruit admirable en la sainte Communion. Mais parce que cette preparation est deduitte en termes generaux, je mettray icy les advertissemens particuliers a la prattique d'icelle.

 

Advis particuliers pour reduire en prattique la preparation a la sainte Communion

 

            1. Si vous n'estes point agitee des tentations de curiosité, vous n'aves que faire de penser a ce que j'en ay dit ; car, en y pensant, vous luy pourries ouvrir la porte pour la faire entrer chez vous ; mais vous devés seulement remercier Dieu de ce qu'il vous donne  la simplicité de la foy, qui est un don tres pretieux et desirable, et prier sa divine Majesté de vous le continuer .

            2. Que si vous estes agitee de cet esprit de curiosité, faittes ce que j'ay dit, mais faittes le briefvement, par forme de simple rejet et detestation, sans vous amuser a disputer et contester avec l'ennemy, lequel doit estre combattu par abomination, non par rayson, selon l'exemple de Nostre Seigneur, qui ne le fit fuir qu'en luy disant : Arriere , Satan, tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu.

            3. Combien que la tentation ne cesseroit point, ne laissés pas de communier ; car si vous laissies pour cela, vous donneries gain de bataille a vostre adversaire. Alles donques vigoureusement et, sans avoir esgard aux tentations, receves le Pain de vie ; et ainsy faisant, vous demeureres victorieuse de vostre ennemy. Qui la quitte la perd.

            4. Pour vaincre la curiosité en ce poinct, vainques la en toutes choses, pour petites qu'elles soyent, ne cherchant  autre science que celle des Saintz, qui est Jesus Christ crucifié et ce qui vous  conduit a luy. [216]

            5. Touchant la consideration, il sera bon que le jour avant la Communion, aux heures de vostre orayson mentale ou recueillement, vous dressies quelque peu vostre esprit a Nostre Seigneur en ce saint Sacrement, et mesme en l'examen de conscience a la fin, et ce par quelque briefve pensee de l'amour du Sauveur en l'endroit de vous ; et mesme vous pourrés user de quelques eslancemens de priere vocale, lesquelz vous repeteres souvent, sur tout despuis Vespres, comme seroit celuy de saint François : « Qui suis je, Seigneur, et qui estes-vous ? » ou celuy de sainte Elizabeth : D'ou me vient ce bonheur que mon Seigneur vient a moy ? ou celuy de saint Jean l'Evangeliste : Ouy, venés Seigneur Jesus ! ou celuy de l'Espouse sacree : Que mon Espoux me bayse d'un bayser de sa bouche.

            6. Que si vous voulies par fois faire vostre meditation sur la Communion le jour precedent, vous pourres aysement y accommoder les misteres de la vie de Nostre Seigneur qui se rencontreroyent en la suitte de vostre orayson mentale, les appliquant comme a exercer en vostre endroit a l'heure de vostre Communion : car, qui vous empeschera de vous representer que Nostre Seigneur vous y presente les benefices qu'il a faitz, ou vous donne interieurement les enseignemens qu'il a donnés ? Et ainsy des autres ; et il y a peu de misteres qui ne soyent propres a cela.

             7. Pour la memoire, il est bon de donner ordre le plus qu'il se pourra, que sur tout despuis souper vous ne soyes occupee ni d'esprit ni de cors a aucune affaire esloignee du dessein de la Communion, mais que vous fassies une particuliere retraitte de vostre esprit et de tous vos sens en vostre interieur, pour attendre l'Espoux avec les lampes en main, et que l'huile n'y manque pas ; et pour cest effect, que la recreation de l'apres souper soit un peu plus devote et de propos de charité, et le souper plus sobre, sans tristesse neanmoins, ni trop d'austerité.

             8. J'appreuverois que pour ayder la compaignie a [217] se resouvenir des bienfaitz de Dieu au jour de la Communion, chaque Religieuse sceut le jour de sa reception et des autres graces plus signalees receues de Dieu ; et qu'autant que l'humilité et la simplicité chrestienne le peut permettre, le soir avant la Communion, elle en resouvint les Seurs en l'heure de la recreation, et sur la fin les priast d'en remercier Dieu avec elle. Cela s'entend du jour anniversaire ; cela ne se rencontreroit pas tous-jours, mais quelquefois.

            9. Quant a la purgation de la volonté, il la faut tenir nette en tout tems de toutes affections desreglees, mais sur tout allant a la Communion, et regarder a quoy et a qui nos affections tiennent en ce monde, et si c'est point trop tendrement, trop ardemment ; et si nous y voyons du trop, il faut peu a peu le retrancher pour pouvoir dire a Nostre Seigneur avec David : Qu'est ce qu'il y a au Ciel pour moy, ou que veux je en la terre sinon vous ? Vous estes le Dieu de mon cœur et mon partage eternel. Car a cette intention Nostre Seigneur vient a nous, affin que nous soyons tous en luy et a luy ; ce que nous ne sommes pas si nous nourrissons des affections desordonnees, voire es choses de soy bonnes et legitimes.

            Et quant au desir du saint Sacrement, il le faut exciter par l'amour de l'Espoux et par la consideration de l'honneur et du bien que nous recevons de sa venue : a quoy serviront les eslancemens spirituelz desquelz j'ay parlé ci dessus, et les considerations que je mettray ci dessous, avec les imaginations que j'y depeindray.

             10. Si la nuict on s'esveille, il faut remplir sa bouche de quelque bonn'aspiration, comme du nom de Jesus et Marie, qui sont propres a parfumer la bouche en laquelle Nostre Seigneur veut entrer ; ou bien les parolles de l'Espouse : Je dors, et mon cœur bienaymé veille, et semblables.

            11. Le mattili il se faut lever avec joÿe extraordinaire pour le bien qu'on doit recevoir ce jour-la ; et ainsy se præparer a la Communion.

            12. Il faut, s'approchant de la Communion, y aller les yeux baysés (sic) et en posture tres humble. Je n'appreuve pas que sur le point on die aucun'orayson vocale, sinon le : [218] Seigneur, je ne suis pas digne et le Confiteor. Je n'appreuve pas nomplus le souspir en cet instant, car il peut faire du scandale remuant les hosties qui sont dans la petene ou vase de Communion. Je n'appreuve pas aussi que l'on estende la langue hors des levres, ni que l'on ouvre si peu la bouche quil soit malaisé d'y mettre la sainte hostie, ni que l'on s'avance en quelle façon que ce soit pour la prendre, puisque celuy qui la presente ne se rencontrant pas avec la bouche de celuy qui s'avance, il se pourroit faire de l'irreverence. Il faut donques ouvrir la bouche et dresser la teste, et attendre que le prestre mette la sainte hostie dans la bouche, sans faire autre mouvement jusques a ce qu'elle soit logee. J'appreuve de tenir les mains sous la nappe et non dessus. La retraitte doit estre de mesme façon.

            13. Le jour qu'on a communié il faut autant qu'il se peut caresser le saint Hoste qu'on a receu chez soy, et partant se divertir des autres occupations ; car c'est en ce tems-la quil a accoustumé de parler plus souaifvement a nostre cœur et luy departir plus favorablement ses graces par la presence reelle de son Humanité. C'est pourquoy il faut l'entretenir de nos necessités, impuissances et imperfections ; il faut en ce tems-la traitter avec luy de nos desseins, intentions et prætentions que nous avons a son amour, de l'esperance que nous avons en luy, et bref, nous donner a luy comm'il s'est donné a nous. Or, tout cela se doit faire par eslancemens de cœur et de voix, par regars interieurs de Celuy que nous possedons et par l'orayson mentale, selon que nous aurons commodité d'en faire un peu apres la Communion.

            14. Je m'en vay maintenant proposer plusieurs points desquelz vous pourres vous servir tant pour aller a la Communion que pour rendre graces a Dieu apres icelle.

            Avant que d'y aller on peut exciter le desir par la comparaison du cerf lancé et malmené, comme fait David au Psalme 41 , qui est bon a lire puisque vous les aves en françois, et par l'exemple de Magdeleyne qui par tout le cherche avec ardeur : chez Simon le Lepreux, au sepulchre, au jardin, qui pleure en le cherchant, et qui dit a [219] luy mesme qu'il luy enseigne le lieu ou il s'est mis : Si tu l'as enlevé, dit elle, dis le moy et je l'iray reprendre. Tantost comme l'enfant prodigue, nous excitans a nous aller jetter entre les bras de nostre Pere et luy demander de rentrer en son service. Tantost comme la Cananee, nous excitans a courir apres luy et demander la guerison de nostr'ame. Tantost comme Rebecca, laquelle estant interrogee si ell'iroit treuver Isaac pour estre son espouse, elle respondit tout court : J'y iray. Nous aussi devons considarer qu'en ce cæleste banquet nous unissons nostr'ame par une liayson indissoluble avec Nostre Seigneur ; c'est pourquoy nous avons rayson de dire : Vadam, J'y iray. Et ainsy nous exciterons en nous le desir, l'amour et la confiance, avec une grande  [reverence],

            [Apres la Communion, nous devons semondre nostre ame a plusieurs affections,] comme par exemple : a la crainte de contrister et perdre ce saint Hoste, comme faysoit David, disant : Seigneur, ne vous departes point de moy ; ou comme les deux pelerins d'Emaüs qui luy disoyent : Demeures avec nous, car il se fait tard. A la confiance et force d'esprit, avec David : Je ne craindray nul mal, par ce, Seigneur, que vous estes avec moy. A la joye d'esprit, a l'exemple de la bonne Lia, laquelle voyant qu'ell'avoit conceu un enfant en son ventre, s'escrioit tout par tout de joye : Ce sera maintenant que mon mari m'aymera ; car ainsy, ayans en nous-mesme le Filz de Dieu, nous pouvons bien dire : C'est maintenant que Dieu le Pere m'ayme. Ou bien comme Sara, laquelle ayant Isaac disoit : Maintenant Dieu m'a fait une joye, et quicomque l'entendra s'en res-jouira avec moy. Et il est vray aussy que les Anges font feste autour de ce saint Sacrement et de ceux qui l'ont receu, comme dit saint Chrisostome. A l'amour, comme l'Espouse, laquelle en cette consideration disoit : Mon Bienaymé est a moy et moy je suis a luy ; il demeurera entre mes mammelles, c'est a dire, sur mon cœur. J'ay treuvé celuy que mon ame cherit, je le conserveray soigneusement. [220]

            A l'action de graces, par les paroles que Dieu mesme dit a Abraham quand il luy eut voüé le sacrifice de son filz ; car nous pouvons les addresser a Dieu le Pere qui nous donne son propre Filz en viande : O Seigneur, par ce que vous m'aves faitte cette grande grace, je vous beniray de benedictions immortelles et multiplieray vos louanges comme les estoiles du ciel.

            A la resolution de le servir, par les paroles de Jacob apres qu'il eüt veü la sainte eschelle : Dieu me sera mon Dieu, et la pierre de mon cœur, ci devant endurci, sera sa mayson. Et ainsy on peut tirer mill'affections de la sainte Communion.

            15. Encor se faut il servir de l'imagination pour nous ayder a bien festoyer nostre Hoste. Or, nous les pouvons faire diverses ; les plus [utiles]  sont de Nostre Dame et de saint Joseph. Combien de goustz et consolations pendant l'enfance de Nostre Seigneur, quand ilz le portoyent en leurs bras et sur leur poitrine, quand ilz le baysoyent et que de ses divins bras il les accoloit souaifvement ! et puis, considerer que nous sommes faitz semblables a eux par la Communion, en laquelle Nostre Seigneur s'unit bien plus a nous que sil nous baysoit et accoloit.

            Et quand a Nostre Dame, imaginons quelle fut son ardeur interieure, sa devotion, son humilité, sa confiance, son courage quand l'Ange luy dit : Le Saint Esprit surviendra en toy et la vertu du Tres Haut t'enombrera, et partant, ce qui naistra de toy sera nommé Filz de Dieu ; car il ni a rien qui soit impossible envers Dieu. Il ne faut point douter que son beni cœur ne s'espanoüit tout entierement aux rayons de ses paroles, quil ne s'aprofondit dessous tant de benedictions, et qu'a mesme quil entendoit [221] que Dieu luy donnoit son cœur propre, qui est son Filz, il ne se donnast reciproquement a Dieu ; et qu'alhors cette supersainte ame ne fondit en charité, et pouvoit dire : Mon ame s'est liquefiee ou fondue quand mon Bienaymé m'a parlé. Or, quant a nous, nous recevons une pareille grace en la Communion, [car] non un Ange, mais bien Jesus Christ mesme nous asseure qu'en icelle le Saint Esprit vient en nous et la vertu celeste nous enombre, et le Filz de Dieu vient reellement en nous, et, par maniere de dire, il naist en nous et y est conceu. O Dieu, que de suavités et douceurs ! Et partant, l'ame peut bien dire comme Nostre Dame, apres cette consideration : Voyci la servante du Seigneur, me soit fait selon sa parole. Et quelle parole ? Selon la parole quil a dite de sa sacree bouche, que  qui le mange, il demeure en luy, et luy demeure en celuy qui le mange ; qui le mange vivra pour luy, par luy et en luy, et ne mourra point eternellement. C'est pourquoy il est mesmement bon de dire, apres la Communion, le saint cantique de Nostre Dame, appellé le Magnificat, et le bien considerer et peser ; et pour ce faire, il est requis d'en sçavoir la signification en françois.

            Je n'ay rien dit du nettoyement de la conscience qui se fait par la confession, parce que chacun sçait qu'il le faut faire ou le soir devant, ou le matin, et ce avec un grand soin et humilité.

 

            Vous treuveres peut estre aussi bien longue cette instruction, mais il faut que vous sçachies deux choses : l'une, que vous ne deves pas faire tout ceci tout a coup, mays seulement vous en servir a mesure que vous connoistres en avoir besoin, et en prendre ce qui vous aydera ; l'autre, c'est que je vous ay couché cette preparation si au long, affin que vous en puissies ayder les autres qui en auront necessité.

            Au demeurant, parce que le plus grand moyen de prouffiter en la vie spirituelle c'est la devote Communion, je vous la recommande ; et ayés soin que nulle ne la fasse par maniere d'acquit ou de coustume, mais tous-jours pour glorifier Dieu en icelle et s'unir a luy, et prendre force a le [222] servir et supporter toutes afflictions et tentations. Ainsy soit il.

             Et s'il vous survient quelque doute et que vous n'entendies pas bien ce que j'ay dit, vostre Pere Confesseur extraordinaire vous esclarcira, ou moy, si vous me l'envoyes.

            J'avois oublié de vous resouvenir que ce Sacrement ne nous unit pas seulement avec Nostre Seigneur, mais avec nos prochains, avec lesquelz, participant a mesme viande, nous sommes rendus une mesme chose. Et l'un de ses principaux fruitz c'est la charité mutuelle et la douceur de cœur les uns envers les autres ;  car nous nous tenons tous a un mesme Seigneur, et en luy nous nous devons entretenir cœur a cœur les uns avec les autres. [223]

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X. Quelques avis pour combattre la tristesse et l'inquiétude intérieure, adressés a Mme Rose Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe, [mai] 1605. La tristesse et l'inquiétude s'engendrent l'une l'autre, et pourquoi. — L'âme peut chercher à être délivrée d'un mal ou pour l'amour de Dieu ou pour l'amour propre : effets contraires de ces deux amours. — Grand mal de l'inquiétude ; d'où elle vient. — Quand on tombe en quelque imperfection, rasseoir d'abord l'esprit et puis y mettre ordre. — La sentinelle de l'âme. — Notre « edification spirituelle » doit se faire dans une grande paix. — La tristesse peut être bonne ou mauvaise, mais elle est plus souvent mauvaise. — Ses productions. — Marques de la mauvaise tristesse et de la bonne. — D'où vient la différence qui existe entre elles : le Saint-Esprit est « l'unique Consolateur » ; le malin esprit, « un vray desolateur ». — Remèdes contre la mauvaise tristesse : avoir patience ; contrarier ses inclinations ; chanter des cantiques spirituels ; s'employer aux œuvres extérieures ; faire souvent des actes extérieurs de ferveur ; la discipline modérée ; la prière et s'adresser à Dieu avec des mots de confiance ; la sainte Communion ; l'ouverture de cœur.

 

            La tristesse engendre l'inquietude, et l'inquietude engendre aussi la tristesse. C'est pourquoy il faut traitter de l'une et de l'autre ensemble, et les remecies de l'une sont prouffitables pour  l'autre.

            Et affin que vous entendies comme la tristesse et l'inquietude s'engendrent l'une l'autre, sçaches que la tristesse [224] n'est autre chose que la douleur d'esprit que nous avons du mal qui est en nous contre nostre gré, soit que le mal soit interieur ou qu'il soit exterieur, comme pauvreté, maladie, infamie, mespris ; interieur, comme ignorance, secheresse, mauvaise inclination, peché, imperfection, repugnance au bien.

            Quand donq l'ame sent quelque mal en soy, elle se desplaist premierement de l'avoir, et voyla la tristesse. Secondement, elle voudroit et desire en estre quitte, cherchant les moyens de s'en desfaire ; et jusques la il n'y a point de mal, et ces deux actes sont louables. Mais, troisiesmement, l'ame cherchant les moyens d'estre delivree du mal qu'elle sent, peut les chercher pour l'amour de Dieu ou pour l'amour propre : si c'est pour l'amour de Dieu, elle les cherchera avec patience, humilité et douceur, attendant le bien non tant de soy mesme et de sa propre diligence, comme de la misericorde de Dieu ; mays si elle les cherche pour l'amour propre, elle s'empressera a la queste des moyens de sa delivrance, comme si ce bonheur dependoit d'elle plus que de Dieu. Je ne dis pas qu'elle pense cela, mais je dis qu'elle s'empresse comme si elle le pensoit, et cela provient de ce que, ne rencontrant pas de premier abord la delivrance de son mal, elle entre en de grandes inquietudes et impatiences. Voyla donques l'inquietude arrivee, et peu apres arrive, quatriesmement, une extreme tristesse, parce que l'inquietude n'ostant pas le mal, ains au contraire l'empirant, l'on tumbe en une angoisse desmesuree, avec une defaillance de force et troublement d'esprit si grand, [225] qu'il luy semble ne pouvoir jamais en estre quitte ; et de la elle passe a un abisme de tristesse qui luy fait abandonner l'esperance et le soin de mieux faire.

            Vous voyes donques que la tristesse, qui de soy n'est pas mauvaise en son commencement, engendre l'inquietude, et que, reciproquement, l'inquietude engendre une autre tristesse, qui de soy est tres dangereuse.

 

De l'inquietude

 

            Je ne diray que peu de chose de cette inquietude, pour ce que ses remedes sont presque pareilz a ceux que je donne pour la tristesse, et aussi parce que je vous renvoye aux 14, 15, 16 chapitres du Combat spirituel. Je diray seulement ces deux ou trois motz.

            L'inquietude, mere de la mauvaise tristesse, est le plus grand mal qui puisse arriver a l'ame, excepté le peché ; car il n'y a aucun defaut qui empesche plus le progres en la vertu et l'expulsion du vice que l'inquietude. Et comme les seditions en une republique la ruynent entierement et empeschent qu'on ne puisse combattre l'ennemy, ainsy nostre cœur estant troublé en soy mesme, perd la force d'acquerir les vertus et de se servir des moyens qu'il devroit employer contre ses ennemis, lesquelz ont, comme l'on dit, la commodité de pescher en eau trouble.

            2. L'inquietude provient d'un ardent et desreglé desir d'estre delivré du mal que l'on sent ou en l'esprit ou au cors ; et neanmoins, tant s'en faut que cette inquietude serve a la delivrance, qu'au contraire elle ne sert qu'a la retarder. Qu'est ce qui fait que les oyseaux ou autres animaux demeurent pris dans les filetz, sinon qu'y estans entrés, ilz se desbattent et remuent dereglément pour en vistement sortir, et ce faysant ilz s'embarrassent et empeschent tant plus. Ceux qui sont parmi les halliers et buissons, s'ilz veulent courir et s'empresser a cheminer, ilz se piquent et deschirent ; mais s'ilz vont tout bellement, destournant les espines de part et d'autre, ilz passent plus vistement et sans piqueure.

            3. Quand nous cherchons trop ardemment une chose, nous la passons souvent sans la voir, et jamais besoigne [226] que l'on fait a la haste ne fut bien faite. C'est pourquoy, estans tumbés clans les filetz de quelques imperfections, nous n'en sortirons pas par l'inquietude, au contraire nous nous embarrasserons tous-jours davantage. Il faut donq rasseoir nostre esprit et jugement, et puis tout bellement y mettre ordre ; je ne veux pas dire negligemment, mais sans empressement, trouble, ni inquietude. Et pour parvenir a cela, il faut lire et relire les 14, 15 et 16 chapitres du Combat spirituel. Il faut sur tout tenir la sentinelle de laquelle parle le Combat spirituel, laquelle nous advertira de tout ce qui voudra esmouvoir aucun trouble ou empressement en nostre cœur, sous quelque pretexte que ce soit . Cette sentinelle qui doit estre entree en l'ame, peut estre signifiee en ce que le mont de Sion estoit enclos en Hierusalem, qui veut dire Vision de paix ; et Sion, selon plusieurs, veut dire sentinelle et eschauguette. Or, cette sentinelle ne doit estre autre chose qu'un soin tres particulier de la conservation du repos interieur, lequel nous devons specialement renouveller au commencement de tous nos exercices, au soir, au matin, au midi.

            4. Nostre Seigneur ne voulut point que son Temple fust edifié par David, roy tressaint, mais belliqueux, ni qu'en l'edification fust ouy aucun marteau, ni aucun fer ; mais par Salomon, roy pacifique : signe qu'il ne veut pas que nostre edification spirituelle se fasse sinon en tres grande paix et tranquillité, laquelle il faut tous-jours demander a Dieu, comme enseigne le roy David : Demandes, dit il, ce qu'il faut pour la paix de Hierusalem. Aussi Nostre Seigneur renvoyoit tous-jours les penitens en paix : Alles en paix, disoit il.

 

De la tristesse

 

            La tristesse peut estre bonne ou mauvaise, selon le dire de saint Paul : La tristesse qui est selon Dieu opere la penitence pour le salut ; la tristesse du monde, la mort.

            2. L'ennemy se sert de la tristesse pour exercer ses tentations [227] a l'endroit des bons ; car, comme il tasche de faire res-jouir les mauvais au mal, aussi tasche il de faire attrister les bons au bien. Et comme il ne peut procurer le mal qu'en le faysant treuver aggreable, aussi ne peut il destourner du bien qu'en le faysant treuver desaggreable. Mays outre cela, le malin se plaist en la tristesse et melancholie, parce qu'il est luy mesme triste et melancholique, et le sera eternellement, dont il voudroit qu'un chacun fust comme luy.

            3. La tristesse est presque ordinairement mauvaise et rarement bonne ; car, selon les Docteurs, l'arbre de tristesse produit huit branches, sçavoir : misericorde, penitence, angoisse, paresse, indignation, jalousie, envie et impatience ; entre lesquelles, comme vous voyes, il n'y a que les deux premieres qui soyent purement bonnes. Ce qui a fait dire au Sage, en l'Ecclesiast., que la tristesse en tue beaucoup, et qu'il n'y a point de prouffit en elle ; parce que pour deux bons ruisseaux qui en proviennent, il y en a six tres mauvais.

 

Signes de la mauvaise tristesse

 

            La mauvaise tristesse trouble l'esprit, agite l'ame et la met en inquietude. Dont le roy David ne se plaint pas seulement de la tristesse, disant : Pourquoy es tu triste, o mon ame ? mais encores du troublement et inquietude, adjoustant : Et pourquoy me troubles-tu ? Mais la bonne tristesse laysse une grande paix et tranquillité en l'esprit ; c'est pourquoy Nostre Seigneur, apres avoir predit a ses Apostres : Vous seres tristes, il adjouste : Et que vostre cœur ne soit point troublé, et n'ayes point de crainte, etc. Voicy que ma tres amere amertume est en paix.

            La mauvaise tristesse vient comme une gresle, avec un changement inopiné et des terreurs et impetuosités bien grandes, et tout a coup, sans que l'on puisse dire d'ou elle vient, car elle n'a point de fondement ni de rayson ; ains, apres qu'elle est arrivee, elle en cherche de tous costés pour se parer. Mays la bonne tristesse vient doucement en l'ame, comme une pluye douce qui attrempe les chaleurs des consolations, et avec quelque rayson precedente. [228]

            La mauvaise tristesse perd cœur, s'endort, s'assoupit et rend inutile, faysant abandonner le soin et l'œuvre, comme dit le Psalmiste, et comme Agar, qui laissa son filz sous l'arbre pour pleurer. La bonne tristesse donne force et courage, et ne laisse point, ni n'abandonne un bon dessein ; comme fit la tristesse de Nostre Seigneur, laquelle, quoy que si grande qu'il n'en fust jamais de telle, ne l'empescha pas de prier et d'avoir soin de ses Apostres. Et Nostre Dame ayant perdu son Filz fut bien triste, mais elle ne laissa pas de le chercher diligemment ; comme fit aussi la Magdeleyne, sans s'arrester a lamenter et pleurer inutilement.

            La mauvaise tristesse obscurcit l'entendement, prive l'ame de conseil, de resolution et de jugement, comme elle fit ceux desquelz parlant le Psalmiste, il dit qu'ilz furent troublés et esbranslés comme un homme qui est ivre, et toute leur sagesse fut devoree ; on cherche les remedes ça et la confusement, sans dessein et comme a tastons. La bonne ouvre l'esprit, le rend clair et lumineux, et, comme dit le Psalmiste, sa vexation donne l'entendement.

            La mauvaise empesche la priere, degouste de l'orayson, et donne desfiance de la bonté de Dieu ; la bonne, au contraire, est de Dieu, asseure la personne, accroist la confiance en Dieu, fait prier et invoquer sa misericorde : La tribulation et l'angoisse m'ont troublé, mais vos commandemens ont esté ma meditation, disoit David.

            Bref, ceux qui sont occupés de la mauvaise tristesse ont une infinité d'horreurs, d'erreurs et de craintes inutiles, de peynes et de peurs d'estre abandonnés de Dieu, d'estre en sa disgrace, de ne devoir plus se presenter a luy pour luy demander pardon, que tout leur est contraire et a leur salut, et sont comme Caïn, qui pensoit que tous ceux qui le rencontreroyent le voudroyent tuer. Ilz pensent que Dieu soit inequitable en leur endroit, et severe jusqu'a l'eternité, et le tout pour leur particulier seulement, estimant tous les autres asses heureux au pris d'eux : ce qui provient d'une secrette superbe qui leur persuade qu'ilz devroyent estre plus fervens et meilleurs que les autres, plus parfaitz que nul autre. Bref, s'ilz y pensent bien, ilz [229] trouveront que ce qu'ilz pensent leur faute plus considerable, c'est parce qu'ilz se pensent eux mesmes plus considerables.

            Mais la bonne tristesse fait ce discours : Je suis miserable, vile et abjecte creature, et partant, Dieu exercera en moy sa misericorde ; car la vertu se parfait dans l'infirmité, et ne s'estonne point d'estre pauvre et miserable.

            Or, le fondement de ces differences qui sont entre la bonne et la mauvaise tristesse, c'est que le Saint Esprit est Autheur de la bonne tristesse ; et parce qu'il est l'unique Consolateur, ses operations ne peuvent estre separees de consolation ; parce qu'il est la vraye Lumiere, elles ne peuvent estre separees de clairté ; bref, parce qu'il est le vray Bien, ses operations ne peuvent estre separees du vray bien : si que les fruitz d'iceluy, dit saint Paul, sont charité, joye, paix, patience, benignité, longanimité. Au contraire, le malin esprit, autheur de la mauvaise tristesse (car je ne parle point de la tristesse naturelle, qui a plus besoin de medecins que de theologiens), c'est un vray desolateur, tenebreux et embarrasseur ; et ses fruitz ne peuvent estre que hayne, tristesse, inquietude, chagrin, malice, defaillance. Or, toutes les marques de la mauvaise tristesse sont les mesmes pour la mauvaise timidité.

 

Quelques remedes

 

            1. Il la faut recevoir avec patience, comme une juste punition de nos vaynes joyes et allegresses  ; car le malin, voyant que nous en ferons nostre prouffit, ne nous en pressera pas tant ; bien qu'il ne faille pas avoir cette patience pour en estre delivré, mais pour le bon playsir de Dieu, et la prenant pour le bon playsir de Dieu, elle ne layssera pas de servir de remede.

            2. Il faut contrevenir vivement aux inclinations de la tristesse et forcer ses suggestions ; et bien qu'il semble que tout ce qui se fait en ce tems-la se face tristement, il ne faut pas laisser de le faire, car l'ennemy, qui pretend de nous allentir aux bonnes œuvres par la tristesse, voyant [230] qu'il ne gaigne rien et qu'au contraire nos œuvres sont meilleures estans faites avec resistance, il cesse de nous plus affliger.

            3. Il n'est pas mauvais, quand il se peut, de chanter des cantiques spirituelz ; car le malin a souvent cessé son operation par ce moyen, pour quelque cause que ce soit : tesmoin l'esprit qui agitoit Saul, duquel la violence estoit attrempee par la psalmodie.

            4. Il est bon de s'employer a l'œuvre exterieure et la diversifier le plus que l'on peut, pour divertir la vehemente application de l'esprit de l'objet triste, purifier et eschauffer les espritz ; la tristesse estant une passion de [la] complexion froide et humide.

            5. Il est bon de faire souvent des actions exterieures de ferveur, quoy que sans goust : comme d'embrasser le Crucifix, le serrer sur son cœur et sur sa poitrine, luy bayser les pieds et les mains, lever les yeux au Ciel avec des propos d'esperance, comme : Mon Bienaymé est a moy, et moy a luy. Mon Bienaymé m'est un bouquet de mirrhe, il demeurera entre mes mammelles. Mes yeux se fondent sur vous, o mon Dieu, disant : Quand me consoleres-vous ? Si Dieu est pour moy, qui sera contre moy ? Jesus, soyes moy Jesus. Vive mon Dieu, et mon ame vivra. Qui me separera de la Croix de mon Dieu ? et semblables.

            6. La discipline moderee y est quelquefois bonne, parce que la volontaire affliction exterieure impetre la consolation interieure de l'ame, et s'appliquant au cors des douleurs exterieures, on sent moins l'effort des interieures ; dont le Psalmiste disoit : Mais quant a moy, quand ilz me molestoyent, je me revestois de haire. Et ailleurs, peut estre tout a propos : Ta verge et ton baston m'ont consolé.

            7. La priere y est souveraine, suivant l'advis de saint Jacques : Quelqu'un est il triste, qu'il prie. Je ne veux pas dire qu'il faille faire en ce tems-la de plus longues meditations, mais je veux dire qu'il faut faire de frequentes [231] demandes et repetitions a Dieu. Il faut tous-jours s'addresser en ce tems-la a sa divine bonté par des invocations pleines de confiance, ce que l'on ne fait pas quand on est dans le tems de la joye et hors de la tristesse, ou l'on peut croire que l'on a plus de besoin d'exciter en son cœur les sentimens de crainte ; par exemple, ceux ci : O Seigneur tres juste et terrible, o que vostre souveraine Majesté me fait trembler ! et semblables. Mais dans le tems de tristesse, il faut employer des paroles de douceur ; par exemple : O Dieu de misericorde, tres bon et tres benin, vous estes mon cœur, ma joye, mon esperance, le cher Espoux de mon ame ; et semblables. Et les faut employer bon gré mal gré la tristesse, a laquelle il ne faut point donner d'audience ni de credit, pour vous empescher de proferer et eslancer ces parolles de confiance et d'amour ; et bien qu'il semble que ce soit sans fruit, il ne faut pas laisser de continuer, et attendre le fruit qui ne laissera  pas de paroistre apres un peu de contention.

            8. La frequentation de la Communion a cette intention est excellente, car elle nous donne le Maistre des  consolations.

            9. L'un des plus asseurés remedes est de desployer et ouvrir son cœur, sans y rien cacher, a quelque personne spirituelle et prudente, et luy declairer tous les ressentimens, affections et suggestions qui arrivent de nostre tristesse, et les raysons avec lesquelles nous les nourrissons ; et cela il  le faut faire humblement et fidellement. [232]

            Et notes que la premiere condition que le malin met en l'ame qu'il veut affliger et seduire c'est le silence, comme font les seditieux dans les conspirations et fascheux evenemens ; car ilz demandent sur tout que leurs entreprinses et resolutions soyent secrettes. Dieu, au contraire, demande pour la premiere condition, la discretion ; ne voulant pas a la verité que l'on descouvre indiscrettement ses graces et faveurs, mais bien que l'on les descouvre avec prudence et selon les regles d'une humble discretion aux personnes de qualités requises.

 

            Ces regles sont grossieres, et seulement bonnes a combattre la tristesse et inquietude desmesuree. Ceux qui ont plus de discernement aux choses spirituelles se pourront guider par d'autres voyes que Nostre Seigneur leur suggerera ; ce pendant, si celles cy peuvent servir, employes-les soigneusement, et pries pour celuy qui vous les a marquees.

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XI. Première méthode pour réciter le Chapelet, écrite à Saint-Jean d'Aulps, 14 août 1606

 

            Vous prendres vostre chapelet par la croix, que vous bayseres apres vous en estre signee, et vous vous mettres en la presence de Dieu, disant le Credo tout entier.

            Sur le premier gros grain vous invoqueres Dieu, le priant d'aggreer le service que vous luy voules rendre et de vous assister de sa grace pour le bien dire.

            Sur les trois premiers petitz grains vous demanderes l'intercession de la sacree Vierge, la saluant, au premier, comme la plus chere Fille de Dieu le Pere ; au second, comme Mere de Dieu le Filz ; et au troysiesme, comme Espouse bienaymee de Dieu le Saint Esprit.

            Sur chaque dizaine vous penseres a un des misteres du Rosaire, selon le loysir que vous aures, vous resouvenant de celuy que vous vous proposeres, principalement en prononçant les tressaintz noms de MARIE et de JESUS, les passant par vostre bouche avec une grande reverence de cœur et de cors. S'il vous vient quelques autres sentimens, comme la douleur de vos pechés passés, ou le propos de vous amender, vous le pourres mediter tout le long du Chapelet, le mieux que vous pourres, vous resouvenant de ce sentiment, ou autre que Dieu vous inspirera, principalement lhors que vous prononces les deux tressaintz noms de JESUS et MARIE.

            Au gros grain qui est au bout de la derniere dizaine, vous remercieres Dieu de la grace qu'il vous a faitte de vous permettre de le dire. Et passant aux trois petitz grains qui suivent, vous salueres la sacree Vierge Marie, la suppliant, au premier, d'offrir vostre entendement au Pere eternel, affin que vous puissies a jamais considerer ses misericordes ; au second, vous la supplieres d'offrir vostre memoyre au Filz, pour avoir continuellement en vostre pensee sa Mort et Passion ; au troysiesme, vous la supplieres d'offrir vostre [234] volonté au Saint Esprit, affin que vous puissies a jamais estre enflammé de son amour sacré.

            Au gros grain qui est au bout, vous supplieres la divine Majesté d'aggreer le tout a sa gloire et pour le bien de son Eglise, au giron de laquelle vous la supplieres de vous conserver et d'y ramener tous ceux qui en sont desvoyés, et prierés Dieu pour tous vos amis ; finissant comme vous aves commencé, par la profession de la foy, disant le Credo et faisant le signe de la Croix.

            Vous porteres le chapelet a vostre ceinture ou en autre lieu evident, comme une sainte marque par laquelle vous voules protester que vous desires estre serviteur de Dieu nostre Sauveur, et de sa tres sacree Espouse, Vierge et Mere, et de vivre en vray enfant de la sainte Eglise Catholique, Apostolique et Romaine.

 

Revu sur le texte inséré dans un ancien Ms. de l'Année Sainte de la Visitation, conservé au Monastère d'Annecy.

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XII. Deux occupations pour la retraite spirituelle [1604-1608]. La sainte enfance de Notre-Seigneur. — Sa Passion.

 

            Pour vostre retraitte spirituelle, vous pourres vous servir des pointz icy marqués, lesquelz regardent la divine enfance de nostre Sauveur.

            Le Dimanche, consideres le aux entrailles tres pures de [235] sa tres chaste Mere, et admires comme cette grandeur immense s'est ainsy ravalee pour vostre amour. Le lundy, admires le dans la crescile en une extreme pauvreté. Le mardy, voyes le adoré des Anges et des pasteurs ; faites luy avec eux mille reverences interieures. Le mercredy, regardes que des-ja il respand son sang en la circoncision ; supplies le qu'il retranche toutes les superfluités de vostre ame. Le jeudy, occupes vous a mediter les misterieuses offrandes que luy presentent les Rois ; offres vous a luy, et adores le avec eux. Le vendredy, contemples le au Temple entre les bras de sa sainte Mere ; donnes luy vostre cœur pour estre sa demeure et son temple sacré. Le samedy, medités sa fuite en Egipte ; demandes luy la grace de bien fuir et eviter tout ce qui luy peut desplaire.

 

            Une autre semayne, vous pourres vous entretenir sur les douloureux misteres de la Passion de nostre Redempteur.

 

            Le Dimanche, voyes comme il lave les pieds a ses bienaymés Disciples ; pries-le qu'il vous lave et purifie de toute ordure de peché. Le lundy, regardes le au jardin des Olives, priant son Pere a chaudes larmes ; demandes luy humblement le don de l'orayson. Le mardy, medités avec quelle douceur et mansuetude il reçoit le bayser du traistre Judas ; demandes luy la charité et suavité envers vos ennemis. Le mercredy, consideres-le pris et lié par les Juifz ; demandes luy la patience aux tribulations. Le jeudy, admires comme sans resistance quelconque il se laisse vestir en fol chez Herode ; demandes luy l'humilité et le mespris de vous mesme. [236] Le vendredy, contemples comme volontairement et d'un grand courage il charge le pesant fardeau de la croix, et la porte ainsy sur ses espaules jusques au mont de Calvaire ; faites a force actes de compassion sur ses inestimables tourmens. Le samedy, levés les yeux en haut, voyes le estendu de son long, cloüé, eslevé en l'air sur l'arbre de la croix ; prestes soigneusement l'oreille a ses douces parolles, pries le qu'il vous fasse la grace de vivre tout a luy, puisqu'il est mort pour vous.

XIII. L'imitation de Notre-Seigneur, [1604-1609 ?] Comment Jésus a-t-il agi pendant sa vie ? — Exciter notre âme par ses exemples ; un seul regard suffit

 

            Vous pourres  excellemment tirer le motif du saint amour sur toutes les actions  que le tres aymable Jesus a prattiquees durant le cours de sa tres sainte vie, en cette sorte :

            Quand il se presente quelque sujet d'exercer la vertu  (il s'en presente a tous momens), voyes briefvement comme Nostre Seigneur l'a exercee tandis qu'il vivoit icy bas entre les hommes ; et puys, animant vostre cœur d'une amoureuse imitation : Or sus, dires vous, allons, suivons, imitons  le doux Jesus, nostre Maistre. Par exemple, s'il faut prier, donner aux pauvres, conseiller  quelqu'un, estre solitaire, entrer en conversation, souffrir quelque travail, souvenes vous  que Nostre Seigneur en diverses occasions fit tout cela ; et par apres , excitant vostre ame : Hé ! [237] ce dires vous, quand il n'y auroit point d'autre rayson pour prier, pour faire l'aumosne, pour consoler les affligés, pour demeurer en solitude, pour acquiescer a cette souffrance, pour m'arrester en cette conversation, ne me  suffit il pas que mon cher Maistre m'en ayt monstré le chemin ? Et cela se peut faire par un simple regard et unique souspir : Ouy, Seigneur, je suis avec vous.

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XIV. Deuxième méthode pour réciter le Chapelet, envoyée à Dijon le 29 septembre 1608

 

            Vous prendres vostre chapelet par la croix, que vous bayseres apres avoir fait le saint signe de nostre Redemption , et vous mettres en la presence de Dieu, disant le Credo tout entier .

            Vous invoqueres Dieu sur le premier grain, le priant [238] d'aggreer le service que vous luy voules rendre, et de vous assister  de sa grace pour le bien dire.

            Aux trois petitz grains vous demanderes l'intercession de la sacree Vierge : au premier,  vous la salueres comme la plus chere Fille du Pere eternel ; au second, comme Mere tres chere du Filz de Dieu  ; au troisiesme, comme Espouse bienaymee  du Saint Esprit.

            Apres cela, vous commenceres les mysteres du Rosaire, soit les glorieux, les joyeux ou les douloureux ; ou bien vous vous porteres a quelqu'autre devot sentiment  que Dieu vous inspirera.

            A la fin, vous reprendres le gros grain qui est au bout du chapelet et remercieres Dieu de la grace qu'il vous a fait de vous permettre de le dire . Et passant aux trois petitz grains suivans, vous salueres la sacree  Vierge, la suppliant, au premier, d'offrir vostre entendement au [239]  Pere eternel, affin que vous puissies a jamais considerer ses misericordes ; au second, vous la supplieres d'offrir vostre memoyre au Filz, pour avoir continuellement sa Mort et Passion en vostre pensee  ; au troysiesme, d'offrir vostre volonté au Saint Esprit, affin que vous puissies estre a jamais enflammé de son sacré  amour.

            Finissant au gros grain qui est au bout, vous dires le Pater, suppliant la divine Majesté qu'elle addresse le tout a sa  gloire et pour le bien de son Eglise, en la foy et union de laquelle vous prieres sa Bonté de vouloir ramener  tous les desvoyés, et prierés Dieu  pour tous vos amis ; finissant comme vous aves commencé, par la profession de foy,  disant le Credo, puys faisant le signe de la Croix. Et [porterez ] vostre chapelet  comme une sainte marque par laquelle vous voules protester que vous desires estre serviteur de Dieu, du Sauveur et de la sacree et tous-jours Vierge Mere . [240]

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XV. Avis a la Baronne de Chantal, Sales, 15-20 avril 1610. Ne pas faire de réflexions sur les choses qui arrivent. — Dans les sécheresses, s'humilier. — Comment reprendre le prochain. — Le voyageur dans un navire et le soin du pilote.

 

            Pour toutes les choses qui vous arriveront, n'alles point [en] rechercher la cause (il suffit que Dieu la sçait), mais simplement humilies vous devant Dieu, supportant la contradiction avec douceur, sans reflexions.

            Au tems des secheresses, humilies vous, et au tems des sentimens et veüe de vostre misere, jettes vous au plus profond des entrailles de la misericorde divine.

             Mortifies vous en ces petites saillies contre les imperfections du prochain, les reprenant avec l'esprit de douceur.

            N'ayes point soin de vous mesme, non plus qu'un voyageur qui s'est embarqué de bonne foy sur un navire, qui ne prend garde qu'a se tenir et vivre dans iceluy, laissant le soin de prendre le vent, tendre les voiles et faire voguer, au pilote sous la conduitte duquel il s'est mis.

 

Revu sur le texte inséré dans un ancien Manuscrit conservé à la Visitation d'Annecy. [241]

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XVI. Conseils a un ami, 1609-1610. Le secret pour avoir la paix extérieure et intérieure.

 

            Voules vous que rien ne traverse vostre vie ? Ne souhaites point de reputation ni de gloire du monde.

            Ne vous attaches point trop aux consolations et amitiés humaines.

            N'aymes point vostre vie, et mesprises tout ce qui sera sensible a vos inclinations naturelles.

            Supportes genereusement les douleurs du cors et les plus violentes maladies, avec acquiescement a la volonté de Dieu.

            Ne vous soucies point des jugemens humains.

            Taises vous de toutes choses, et vous aures la paix interieure ; car, pour vous et pour moy, il n'y a point d'autre secret pour acquerir cette paix que de souffrir a la rigueur les jugemens des hommes.

            Ne vous inquietes point de ce que le monde dira de vous ; attendes le jugement de Dieu, et vostre patience jugera alhors ceux qui vous auront jugé. Ceux qui courent la bague ne pensent pas a la compaignie qui les regarde, mais a bien courre pour l'emporter. Considerés pour qui vous travailles, et ceux qui vous voudront donner de la peyne ne vous travailleront gueres. [242]

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XVII. Le saint reçoit les vœux de religion de la Mère de Chantal, renouvelle son vœu de chasteté et fait celui de servir l'ame de la sainte, 22 août 1611

 

            Je, FRANÇOIS, EVESQUE DE GENEVE, accepte de la part de Dieu les vœux de chasteté, obeissance et pauvreté, presentement renouvellés par Jeanne Françoise Fremyot, ma tres chere Fille spirituelle. Et apres avoir moy mesme reiteré le vœu solemnel de perpetuelle chasteté par moy fait en la reception des Ordres, lequel je confirme de tout mon cœur, je proteste et prometz de conduire, ayder, servir et advancer laditte Jeanne Françoise Fremyot, ma Fille, le plus soigneusement, fidellement et saintement que je sçauray, en l'amour de Dieu et perfection de son ame, laquelle des-ormais je reçois et tiens comme mienne, pour en respondre devant nostre Sauveur. Et ainsy je le voue au Pere, Filz et Saint Esprit, un seul vray Dieu, auquel soit honneur, gloire et benediction es siecles des siecles. Amen.

            Fait en eslevant le tressaint et adorable Sacrement de [243] l'Autel en la sainte Messe, a la veüe de sa divine Majesté, de la tressainte Vierge Nostre Dame, de mon bon Ange et de celuy de laditte Jeanne Françoise Fremyot, ma tres chere Fille, et de toute la Cour celeste, le XXII jour d'aoust, octave de l'Assomption de la mesme tres glorieuse Vierge, a la protection de laquelle je recommande de tout mon cœur ce mien vœu, affin quil soit a jamais ferme, stable et inviolable.

            VIVE JESUS ! Amen.

                                                                                  FRANÇOIS, Evesque de Geneve.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin.

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XVIII. Mémorial pour bien faire la confession, adressé au Duc de Bellegarde, le 24 août 1613 (Minute). Faire sa confession devant Jésus crucifié qui, » avec une douceur de misericorde incomparable », nous prépare son pardon. — Il faut s'accuser non seulement du genre de péché, mais de l'espèce, du nombre, des divers degrés du péché. — Entre ces degrés, celui qui multiplie la malice du péché en une seule action doit être déclaré. — Le désir et la résolution de pécher est de fait un péché, ainsi que les mauvaises pensées volontairement entretenues. — Certaines actions comprennent en elles plusieurs espèces de péché : on doit s'en accuser. — Détail des péchés contre les commandements de Dieu. — Examen sur les sept péchés capitaux. — Les péchés contre les commandements de l'Eglise. — Comment discerner le péché mortel du véniel. — Moyens suggérés pour détourner du péché les grands de ce monde. — Prière avant la confession.

 

            Estant a genoux devant vostre confesseur en la contenance la plus humble quil vous sera possible, vous vous representeres que vous faictes ceste action devant Nostre Seigneur crucifié, lequel vous prepare le pardon et l'absoulution [244] avec une douceur de misericorde incomparable. Et partant, avec une sainte confusion accompagnee neantmoins d'une confiance tres grande, vous vous accuserés selon les advis suyvantz.

 

            Il se faut accuser non seulement du genre du peché que l'on a commis, mais aussy de l'espece : donc, il ne suffit pas de dire que l'on a esté homicide, luxurieux ou larron, mais il faut encore nommer l'espece de l'homicide, de la luxure et du larcin que l'on a commis. Par exemple : si l'homicide a esté commis en la personne du pere ou de la mere, il le faut exprimer, car cela s'appelle parricide ; si l'homicide a esté commis en lieu sacré, c'est sacrilege ; si on a tué une personne sacree, c'est un parricide spirituel. De mesme au genre du peché de luxure, il y a bien de la difference entre les especes d'iceluy : car desfleurer une vierge, c'est un stupre ; cognoistre une femme mariee, c'est adultere ; et ainsy des autres pechés.

 

2e Advis

 

            Non seulement on se doit accuser des especes des pechés que l'on a commis, mais aussy du nombre d'iceux, disant combien de foys on a commis tel ou tel peché, au plus pres que l'on peut, selon la souvenance que l'on a ; et si l'on n'a pas souvenance de la quantité des pechés, il suffit de dire combien plus ou moins environ ; que si mesme on ne peut bonnement se resoudre de l'environ, il suffit de dire [245] combien de temps on a perseveré au peché et si on y est fort addonné.

            Or, la necessité de dire au plus pres que l'on peut la quantité des pechés mortelz est essentiellement requise pour faire une bonne confession, d'autant que pour absoudre le pecheur de ses pechés, il faut avoir cognoissance de l'estat de sa conscience ; mais on ne peut cognoistre l'estat d'une ame si on ne sçait a peu pres la quantité des pechés qu'elle a commis : car, quelle apparence y auroit il d'avoir en esgale consideration une femme, par exemple, qui n'auroit offencé de son corps qu'une seule foys, comme la sainte penitente Aglaë, et celle qui auroit offencé peut estre dix mille fois, comme on peut croire de sainte Pelagienne, de sainte Marie Ægytiaque et de sainte Magdelaine ?

 

3e Advis

 

            Il se faut encor accuser de la diversité des degrés qui se retreuve en chasque espece de peché ; car tout ainsy quil y a divers degrés en chasque vertu par lesquels passant de l'un a l'autre on arrive a la vertu heroique ou angelique, aussy [y] a il divers degrés au peché par lesquelz on descend jusques au peché diabolique. Par exemple, il y a bien de la difference entre le corroux et injurier, frapper du poing, ou avec un baston, ou avec l'espee et tuer, qui sont des divers degrés du peché de collere ; de mesme, il y a bien a dire entre le regard charnel, l'attouchement deshonneste et la conjunction luxurieuse, qui sont divers degrés d'un mesme peché. Il est vray que celuy qui a confessé une action mauvaise n'a pas besoing de dire les autres actions qui sont ordinairement requises pour faire celle la : ainsy, celuy qui s'est accusé d'avoir commis adultere une fois n'est point obligé de dire les baisers et attouchemens quil a faict parmy cela, car cela s'entend asses sans qu'on le die, et l'accusation de telle chose est comprise en la confession de l'acte principal duquel les autres ne sont que les accessoires.

 

4e Advis

 

            Or, entre les degrés du peché, il faut prendre garde a [246] celle (sic) qui multiplie ou redouble la malice  du peché en une seule action : comme, par exemple, celuy qui derobe un escu fait un peché ; celuy qui en derobe deux tout a la fois ne fait aussy qu'un peché, mais toutesfois la malice de ce second peché est deux fois aussy grande comme celle du premier. De mesme il se peut faire qu'avec un mauvais exemple on scandalisera une seule personne, et qu'avec un autre mauvais exemple de mesme espece on scandalisera trente ou quarante personnes : et qui ne void que la malice de ce second peché est beaucoup plus grande que celle du premier ? Ainsy, sy l'un tue une fille et l'autre tue une femme enceinte, ilz n'ont chacun fait qu'un seul coup ; mays l'un neammoins, en un seul peché, a fait deux homicides, et par consequent son peché, quoy qu'il ne soit qu'un quant a l'acte, a neammoins double malice. C'est pourquoy il faut particulariser, tant qu'il se peut bonnement faire, la qualité de l'objet ou de la matiere par le moyen delaquelle la malice du peché peut croistre ou descroistre ; car il ne suffiroit pas a celuy qui auroit empoisonné un flaccon de vin, de dire qu'il a empoisonné du vin pour faire mourir des personnes, mais faudrait dire combien de personnes ; car encor que l'empoisonnement se fist par une seule action, neammoins il se termineroit a la mort de plusieurs personnes, et bien que l'action fust unique, la nuysance neammoins seroit de grande quantité.

 

5e Advis

 

            Le desir est un degré du peché, et la resolution d'exequuter en est un autre dont il se faut confesser, bien que par appres on ne vienne point a l'exequution ; car qui desire et beaucoup plus qui se resoult de pecher, il a formé le peché dans son cœur, suyvant le dire de Nostre Seigneur : Qui regardera la femme pour la convoiter, il a desja adulteré en son cœur, et s'il n'a pas peché par effet, il a peché par affection. Mais cela s'entend des desirs qui sont formés, et non pas de certaine sorte de mouvemens interieurs qui, de sursaut, a l'improuveüe et sans nostre consentement, [247] passent par nostre cœur, pendant lesquelz mesmement, qui nous interrogeroit sy nous voudrions les choses ausquelles ces mouvemens semblent nous porter, nous dirions indubitablement que non ; car par la on void bien que  ces desirs sont des actions de nostre nature et non pas de nostre franc arbitre.

 

6e Advis

 

            Il se faut encor accuser des mauvaises pensées quand, avec une volontaire complaisance au peché, nous nous y arrestons, car elles sont un degré du peché, encor bien qu'elles n'ayent esté suyvies ny du desir, ny de la resolution. Par exemple, celuy qui prend plaisir a penser en soy mesme a tuer, ruiner et  maltraitter son ennemy, encor qu'il ne desire point d'en venir aux effetz, neammoins, sil a volontairement et a son escient pris delectation et res-jouissance en telles imaginations et pensées, il s'en doit accuser rigoureusement ; comm'aussy celuy qui, pour prendre plaisir, s'amuse a penser, imaginer et se representer les voluptés charnelles, car il peche interieurement contre la chasteté, d'autant qu'encor qu'il n'ait pas voulu appliquer son cors au peché, il y a neammoins appliqué son cœur et son ame. Or, le peché consiste plus a l'application du cœur qu'a celle du cors, et il n'est nullement loisible de prendre a son escient plaisir et contentement au peché ny par les actions du cors, ny par celles du cœur.

 

7e Advis

 

            Encor faut il prendre garde, pour se bien confesser, a certaines actions qui comprennent en elles plusieurs especes de pechés enveloppés l'un dans l'autre : comme, par exemple, celuy qui feroit tuer le mary pour jouïr de la femme, comme David, feroit trois sortes de peché tout ensemble, car il commettroit scandale, homicide et adultaire ; ainsy, celuy qui battroit un valet, et en le battant se representeroit par imagination le plaisir quil prendroit a [248] battre le maistre, feroit ensemblement deux pechés, l'un de cœur et l'autre de cors ; et celuy qui ayant accointance a une fille s'imagineroit, pour prendre plaisir, une femme mariee quil auroit desiré, feroit du cors un stupre, et du cœur un adultaire. Il y a mesme certaines actions lesquelles semblent estre meslées de peché mortel et de veniel, esquelles quelquefois on est grandement trompé : comme, par exemple, une personne grandement en cholere aura voulu donner un grand coup a quelqu'un qui, gauchissant, se sera eschappé ; et par ce que l'effect de sa mauvaise volonté ne sera pas ensuivy, il tiendra l'offence pour petite, bien que reellement son intention de frapper rudement la fasse fort grande. Ainsy, celuy là ne se confesseroit pas bien, qui ayant derobé une bourse en laquelle il n'y avoit  que demy douzaine de jettons lesquels il pensoit estre  des escus, ne s'accuseroit que d'avoir derobé des jettons ; car encor qu'en effet il n'ayt derobé que des jettons, en affection neammoins il a derobé des escus.

 

8e Advis. Du tems que l'on a demeuré en chaque action du peché

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Des pechés contre le premier commandement du decalogue

 

            En ce premier commandement il nous est ordonné de servir, honnorer et aymer Dieu selon les reigles de la vraye relligion ; les especes de peché qui se commettent contre ce commandement sont :

            Premierement : le blaspheme, qui n'est autre chose qu'une mesdisance de la divine Majesté faite par mauvaise affection ; comme quand on dit que Dieu n'est pas bon, qu'il n'est pas juste, qu'on le renie, qu'on le maugrée, qu'on le despite et, enfin finale, toutes fois et quantes que volontairement et a nostre escient  nous parlons de Dieu [249] incivilement,  ainsy que l'on fait quand on dit : Aussy vray comme Dieu est ; un tel est vilain comme Dieu est noble ; Dieu ne se soucie pas de ce que nous faisons ; laissons Dieu en Paradis et demeurons icy ; et semblables impertinences.

            C'est aussy un'espece de blaspheme de mesdire des Saintz ou parler incivilement d'eux et des choses sacrées : comme, par exemple, emprunter les paroles de l'Escriture par gausserie, risée et deshonnesteté.

             La seconde espece des pechés contre ce commandement, c'est l'impieté, qui consiste és actions par lesquelles nous voulons deshonnorer Dieu ou les choses sacrées : comme font ceux qui employent les Sacremens, le saint Cresme, les paroles sacrées pour des charmes, ou qui les foulent par desdain, rompent les images, ruinent les autelz, les reliques et semblables choses.

             La troysiesme espece, c'est la superstition, comm'est idolatrer, c'est a dire adorer comme Dieu ce qui n'est point Dieu ; user de magie, c'est a dire emploier le diable pour quelqu'operation, soit qu'on l'employe ouvertement, comme font ceux qui ont fait convention avec luy et les sorciers, soit qu'on l'employe tacitement par paroles et caracteres inconneus, ou paroles et caracteres connus, mais appliqués faussement et vainement ; item, aller aux devins, et, en somme, faire ou dire quelque chose pour obtenir quoy que ce soit du malin esprit ou de ceux qui dependent de luy .

            4. Violer les vœux que l'on a fait, ou bien faire des mauvais vœux : comme par exemple, de tuer quelcun, ou de ne faire pas quelque bien.

            5. Tenter Dieu, c'est a dire vouloir espreuver et essaier si Dieu est bon, juste ou puissant, soit expressément, comme faisoient les Juifz demandant des miracles a Nostre Seigneur sans necessité ny raison quelconque, soit tacitement, [250] comme font ceux qui, sans necessité ny occasion, mesprisent les moyens ordinaires que Dieu nous a donné pour faire les choses, pretendantz que Dieu en fournira d'extraordinaires, et ceux qui, sans necessité, se mettent en des dangers eminentz, presumans que Dieu les en doive delivrer.

 

             Les pechés suivans sont aussi contre ce commandement :

            Douter de la foy. Se desfier de son salut ou de son amendement et remission des pechés ; ou bien, au contraire, præsumer d'obtenir le salut sans s'amender, ou penser avoir l'amendement sans penitence, ou la penitence sans prier, s'humilier et se disposer a l'avoir. Mettre son cœur és choses creés en telle sorte qu'on oublie le Createur.

             Dire des mauvaises parolles contre Dieu, les Saintz et l'Esglise ; disputer curieusement et temerairement des choses de la foy ; disputer ou faire des persuasions que les commandemens de Dieu n'obligent pas les personnes, qu'il ne faut pas craindre de les rompre, et semblables choses que des jeunes gens font quelquefois, ou pour pervertir l'esprit des filles, ou pour faire les gallans en matiere du peché de la chair. Se plaindre de Dieu, blasphemer, invoquer le diable ou pour soy, ou contre soy, ou contre les autres, comme font ceux qui dient : Je voudrois que le diable me guerise d'une telle maladie, ou me rompist le col, ou me fist avoir telle chose ; le diable t'emporte ; le diable m'emporte ; et semblables choses.

             Emploier les enchanteurs et les assister. Ouïr les heretiques en leurs preches, prieres et assemblées ; avoir leurs livres et tous livres faitz pour deviner. Faire des irreverences dedans les esglises, comme muguetter, cajoller, pavonner, raïller, tenir des contenances inciviles et arrogantes, empescher les autres de prier, et semblables discourtoisies et messeances spirituelles. [251]

            Outre cela, on peche contre ce commandement : laissant de servir Dieu quand l'occasion le requiert, pour respect humain. Ne sçavoir pas les choses requises au bon chrestien, comme sa creance, le Patenostre, la Salutation angelique, les Commandementz de Dieu et de l'Esglise. Ne prier pas Dieu le soir et le mattin, ne faire point l'honneur et la reverence deüe aux choses sacrées, ne benir ou faire benir la table, ne dire ou faire dire Graces appres le repas.

 

Pechés contre le second commandement

 

             [1.]  Jurer sans discretion par le nom de Dieu, ou des Saintz et des autres creatures quelconques entant qu'elles dependent de Dieu et se rapportent a iceluy : comme font ceux qui jurent a tous propos, autant pour chose de peu d'importance comme pour chose de grande importance ; car ceux cy exposent le sacré nom de Dieu et prennent a tesmoin sa divine Majesté vaniement (sic), frivolement et contemptiblement, sans jugement ny discernement quelconque.

            2. Jurer contre la justice, c'est a dire contre la raison : comme font ceux qui jurent de faire le mal ou de ne faire pas le bien ; car c'est mespriser grandement Dieu que de l'appeller a tesmoin d'une action mauvaise, comme fit Herodes, jurant de faire trancher la teste a saint Jean Baptiste, auquel sont semblables ceux qui jurent de battre, de couper le nez, de ruiner, de tuer et autres.

            3. Jurer pour le mensonge ;  qui est parjurer.

            4. Procurer ou donner occasion aux autres de jurer sans necessité, contre raison, et de parjurer.

 

Pechés contre le 3. commandement

 

             1. Travailler les festes a quelqu'œuvre servile, ou estre cause que l'on travaille, sans evidente necessité et congé des Superieurs ecclesiastiques.

            2. Obmettre d'ouïr la sainte Messe les jours de festes et [252] Dimanches ; ou bien l'oüir, mais sans attention, avec irreverence et incivilité. Ne point avoir soin que les serviteurs et autres domestiques oyent la Messe esditz jours de festes. Frapper, battre, paillarder et faire telles dissolutions és lieux sacrés.

            Or, quant a la chasse ou tournois loisibles et autres exercices appertenentz principalement a la noblesse, ilz ne sont pas prohibés es jours de festes en qualité d'oeuvre servile, et partant, la Messe estant oüye, on peut loisiblement s'y appliquer esditz jours de festes ; mays ce seroit neammoins un'irreverence trop grande d'y vacquer és grands jours solennelz esquelz, tant qu'il est possible, un chacun doit assister non seulement a la Messe, mais aux autres services chrestiens. Et seroit aussy une chose messeante et abuser de l'institution des festes, de faire profession et mestier ordinaire d'emploier les tems sacrés en telles occupations.

 

Pechés contre le 4. commandement

 

            Desirer la mort ou quelque mal au pere et a la mere naturelle, aux superieurs civilz et politiques qui tiennent lieu de pere en la republique, et aux superieurs ecclesiastiques qui tiennent lieu de peres  en l'Eglise. Se resoudre de ne point leur obeir et d'user de mespris envers eux. Ne tenir comte d'eux en son cœur. Juger temerairement de leurs deportementz et de leurs intentions ; ou bien, au contraire, les affectionner tant les uns et les autres que, pour leur respect, on soit disposé d'offencer Dieu. Parler mal des peres, meres, superieurs, tant temporelz que spirituelz ; les contreroller, censurer et se plaindre d'eux mal a propos ; leur faire des repliques hautaines, fascheuses et piquantes ; les provoquer a ire volontairement et a son escient. Depiter contr'eux. Leur defaillir en leurs necessités, ne les consolant pas ny secourant selon son pouvoir.

            Item, les peres, meres et superieurs des maisons, villes et republiques offencent Dieu contre ce commandement, traittans indignement et outrageusement leurs femmes, enfans, sujetz et inferieurs ; n'aiant pas soin de les advancer [253] en la vertu ; ne les assistant pas és choses requises, selon leur pouvoir ; les scandalisant par mauvais exemple.

            Enfin, les enfans, heritiers et legataires qui n'accomplissent pas les volontés de leurs bienfacteurs, dont ilz sont chargés.

 

Pechés contre le 5. commandement

 

            Prendre plaisir és cogitations de vengeance et s'y entretenir volontairement pour  s'y complaire. Desirer la mort ou quelque mal notable au prochain ou a soy mesme, par hayne et malveillance. (Je dis par hayne, parce que de desirer la mort ou a soy ou au prochain pour la gloire de Dieu, pour son salut et pour autres telles bonnes occasions, quand la hayne de la personne ne s'y mesle point, il n'y a pas peché.) Haïr quelcun ; desirer de s'en venger ; se res-jouir du mal d'autruy ; se contrister de son bien ; se mutiner contre luy et ne luy vouloir point parler a cett'intention. Infamer et injurier le prochain ; le maudire, le mespriser, conseiller ou inciter a luy faire du mal.

            Tuer ou battre ; susciter des inimitiées ; provoquer aux querelles et notamment aux duelz. Se courroucer et entrer en grand'ire. Ne vouloir pardonner l'injure ny remettre l'offence a celuy qui est prest de faire satisfaction ; persequuter le prochain par menées, proces ou autre moyen. Prendre plaisir a faire battre les uns contre les autres, comm'on fait souventefois des laquais, gojatz et autres semblables sortes de gens. Donner ou faire donner la couverte aux pauvres gens et insensés ; piquer et harier les folz, user de cruauté envers eux. S'exposer temerairement aux dangers et inconveniens. Procurer la sterilité ou avortement des femmes. Estre dur et cruel envers les pauvres ; les laisser perir ou souffrir des grandes necessités, quand on les peut secourir. Laisser les innocens a la mercy de l'injustice, quand, par voye legitime et juste, on les peut garantir.

            C'est encor peché contre ce commandement de tuer l'ame du prochain, la provoquant a peché, ou bien de luy nuire spirituellement, la destournant des bonnes œuvres [254] ou l'empescher malicieusement de bien faire . C'est aussi peché de ne l'aider pas au bien, la conseillant, admonestant et corrigeant quand on le peut bonnement faire.

 

Pechés contre le 6. commandement

 

            Avoir des pensées deshonnestes et les entretenir volontairement pour se complaire en la delectation sensuelle qui en peut  naistre. Desirer les actions deshonnestes. Dire des parolles ou chanter des chansons lascives, principalement quand c'est a mauvaise intention. Se loüer, venter et glorifier du peché de la chair ; dire des parolles en faveur d'iceluy ; l'excuser et amoindrir son enormité. Avoir des livres et images lubriques. Regarder impudiquement les personnes. Envoyer des dons, faire des promesses, escrire des pouïetz, envoier des messages, prendre ou donner des assignations, et toutes autres sortes de poursuittes qui se font en intention d'impudicité. Muguetter, cajoller, donner de l'amour, et toutes sortes d'amourettes, bien que d'abord il ne semble pas que l'intention soit tout a fait charnelle. Faire des attouchemens des-honnestes sur soy ou sur autruy, avec intention de plaisir sensuel. Se provoquer, soy mesme ou autruy, a pollution ; faire la fornication, c'est a dire avoir compaignie des femmes non vierges, non mariées, non sacrées et non parentes. Faire l'adultaire, qui se commet lorsque l'une des parties ou toutes deux sont mariées. Faire le stupre, c'est a dire desfleurer une vierge consentante. Faire le violement, c'est a dire prendre une femme ou une fille par force. Faire l'inceste, c'est a dire avoir accointance avec une parente ou alliée, tant spirituellement que temporellement ; je dis spirituellement, a cause des comperes, commeres, parrains, marraines, fileulz et fileules. Faire le sacrilege, c'est a dire avoir connoissance des personnes sacrées a Dieu, comme prestres, Religieux et Religieuses, ou bien faire l'exces de paillardise en lieu sacré. Faire le vice execrable de Sodome, c'est a dire commettre l'acte charnel avec un autre de son propre sexe, ou bien [255] avec une personne de sexe different, mais usant des endroitz non dediés a la generation. Et enfin, employant ou les bestes ou le diable, qui sont les deux plus malheureux exces de tous.

            Ce commandement aussi s'estend a ce que les personnes mariées s'entrerendent fidellement l'un a l'autre le devoir  nuptial, usant de l'acte que Dieu a beny  en faveur du mariage et selon rayson, tant pour la generation que pour la conservation de l'amitiée et complaisance requise  entre les mariés ; se ressouvenans qu'ilz sont hommes raisonnables et chrestiens, et qu'ilz doivent posseder les cors l'un de l'autre en sanctification, avec honneur, amour et dilection, et tous-jours dans les bornes que la nature a prescrites.

 

Pechés contre le 7. commandement

 

            Derober le bien d'autruy ; le retenir contre rayson. Tromper en vendant et acheptant, voire mesme jouant. Prendre l'usure ; faire contratz injustes. Acheter ou vendre es benefices. Frauder l'Esglise des dismes et primices, ou les primices des tributz et peages justes. Poursuivre des proces injustement. Retenir les gages des serviteurs, mercenaires, artisans, ouvriers, soldatz. Imposer des daces, subsides, contributions, angaries, injustement et contre rayson. Ne payer point les debtes quand on le peut faire. Contracter des debtes démesurées pour lesquelles on est insolvable, ou que difficilement peuvent estre payées. Favoriser les injustes detenteurs du bien d'autruy contre les justes poursuites des vrays possesseurs et maistres. N'empescher pas les larcins, concussions et autres dommages du prochain. Et generalement, oster ou retenir sans rayson le bien, l'honneur et les commodités du prochain ; comm'aussy,  faire des prodigalités et despences excessives, pour lesquelles on fait des empruntz et on se prive des moyens d'assister le pauvre et met a souffrance sa famille. [256]

 

Peches contre le 8. commandement

 

             Juger mal et temerairement de la conscience et des actions du prochain ; or, on juge temerairement quand c'est sans legitime fondement. Disant mal du prochain, ou faisant mal parler d'autruy ; ce qui se fait en plusieurs façons :

             1. Par imposture, qui n'est autre chose que de jetter sur une personne un crime ou un vice qui n'est pas en luy ; par aggrandissement du vice ou du peché qui se treuve en quelcun ; par revelement d'un crime secret de quelqu'un ; par mauvaise interpretation de l'intention de quelcun, detournant en mauvais sens les bonnes actions d'autruy ;  niant le bien estre en une personne, lequel y est, ou  ravallant la juste estime que l'on doit avoir d'une personne ; se  taisant lorsque l'on peut justement deffendre de blasme une personne.

            Item : mentir en quelle façon que ce soit, particulierement quand le mensonge apporte le dommage au prochain. Faire lire, avoir, reciter des pasquins qui ne sont pas publiquement connus. Celer la verité ou dire le mensonge en jugement. Semer des noyses. User d'accusations, calomnies, exaggerations és proces et autres disputes d'importance. Prendre plaisir a oüir mesdire et calomnier.

 

Pechés contre le 9. commandement

 

            Desirer la femme du prochain, ou sa fille, ou les autres personnes qui luy appertiennent, pour les avoir et en user charnellement ; car, comme le sixiesme defend le peché de luxure quant a l'effet, le neuviesme le deffend quant a l'affection.

 

Contre le 10. commandement

 

            Desirer le bien d'autruy, de quelle sorte qu'il soit, pour l'avoir injustement et avec incommodité du prochain, car, [257] comme le septiesme commandement deffend le larcin quant a l'effet, le dixiesme le deffend quant a l'affection.

 

Examen touchant les pechés capitaux

 

Quant a l'orgueil

 

            L'orgueil n'est autre chose qu'une volonté desordonnée d'une grandeur disproportionnee a celuy qui la veut, et partant c'est peché d'orgueil de s'attribuer le bien que l'on a d'autruy comme sy on l'avoit de soy mesme ; penser meriter les biens et les graces que l'on a, encor qu'il n'en soit rien ; s'attribuer des biens et des graces que l'on n'a pas ; se preferer aux autres es choses esquelles on ne se doit pas preferer.  Or, l'orgueil est peché mortel quand on ne veut pas reconnoistre de Dieu ce que l'on a ; quand, pour maintenir sa vaine estime, on est prest a violer les commandemens de Dieu et quand, pour s'exalter, on deprime et mesprise on le prochain en chose notable.

            A l'orgueil est attachée la vaine gloire,  qui est se glorifier de ce que l'on n'a pas, ou de choses qui ne le meritent pas, ou de choses qui ne nous appertient (sic) pas, ou de choses mauvaises ; ou  vouloir avoir la gloire du bien que l'on a, sans reconnoissance de Dieu duquel il vient.

            A la vaine gloire est attachée la jactance, qui consiste a se venter de chose mauvaise, ou de chose bonne, mais plus qu'on ne doit, ou avec mespris du prochain, comme quand on se vente d'estre plus que les autres ; ou avec le dommage du prochain, comme quand on se vente de sçavoir guerir de telle et telle maladie, et que les personnes s'y amusent et sont trompées.

            L'ypocrisie est encor une branche de l'orgueil, laquelle consiste a faire semblant d'estre saint ou vertueux, pour amuser ou decevoir le prochain. La contention s'ensuit, qui n'est autre chose qu'un debat de paroles fait contre la verité. La discorde vient apres, qui n'est autre chose [258] qu'une contrarieté desreglee a la volonté du prochain , laquelle est en sa perfection quand l'opiniastreté survient, par laquelle on s'arreste fermement en son opinion , quoy que sans bon fondement.

            La curiosité appertient aussy a l'orgueil, qui n'est autre chose qu'un desir immoderé de sçavoir et connoistre les choses qui ne sont pas de nostre profession, ou qui sont dangereuses, ou qui sont deffendues.

            Appres cellecy suit la recherche des nouveautés en habitz, en discours et en opinions, et enfin la des-obeissance et mespris des loix et des superieurs.

            De tout cela naist la presomption, par laquelle on entreprend de faire, dire, paroistre et estre plus qu'il ne nous appartient : comme quand on veut parler de choses qu'on n'entend pas, ou faire un art que l'on ne sçait pas, ou paroistre plus que l'on n'est pas, ou qu'on veut estre plus que l'on ne peut pas. Et ce dernier porte proprement a l'ambition, qui n'est autre chose qu'un desir desordonné des honneurs et dignités.

 

De l'avarice

 

            L'avarice n'est autre chose qu'une volonté immoderée d'avoir des biens temporelz contre raison, et d'icelle naissent tous les pechés contraires au septiesme commandement ; comm'aussy la durté (sic) de cœur, qui n'est autre chose qu'un trop grand soin de garder le bien que l'on a, jusques mesmes a n'avoir point de pitié des souffreteux. Item, l'inquiétude que le soin et l'ardeur immoderée des choses temporelles excite en nos espritz. De la naissent bien souvent les tromperies, fraudes, perjures, violances et trahisons.

 

De la luxure

 

            La luxure n'est autre chose qu'un appetit desordonné du plaisir de la chair. Or, l'appetit est desordonné, ou parce qu'il veut prendre le plaisir sur un sujet qui n'est pas a [259] nous, comm'il advient en la fornication et en l'adultaire ; ou parce qu'il le veut prendre contre l'ordre estably par la nature ; ou parce quil le veut prendre contre la fin et l'intention pour laquelle ce plaisir est destiné. Or, de la luxure dependent tous les pechés contraires au sixiesme commandement, qui  rendent l'esprit distrait, obscur, inconsideré, inconstant, terrestre et brutal.

 

De l'ire

 

            L'ire n'est autre chose qu'un appetit de vengeance, et produit tous les pechés que nous avons marqué au cinquiesme commandement,  qui engendrent les pechés suivans :

            1. L'indignation, qui consiste a rejetter comm'indigne le prochain ;

            2. L'enfleure du cœur, qui n'est autre chose qu'un assemblage de pensées et de mouvemens qui portent le cœur a la vengeance ;

            3. Le desordre [de] la voix et de la parolle ; 4. les injures ; 5. les blasphemes ; 6.  les querelles et les noyses.

 

De la glotonie

 

            La  glotonnie n'est autre chose qu'un appetit desordonnée (sic) de boire et de manger. Or, le desordre consiste ou a desirer des viandes ou breuvages trop precieux, ou a les prendre en trop grande quantité, ou a les faire apprester trop curieusement, ou a s'y complaire trop delicieusement, ou a les prendre hors de tems et de saison.

             La gloutonnie a deux branches : la gormandise, qui regarde les viandes, et l'yvrongnerie qui regarde le breuvage. Ell'hebete l'entendement, engendre la dissolution, trouble les paroles, souille le cors et infame toute la vie. [260]

 

De l'envie

 

            L'envie n'est autre chose que la tristesse que nous avons du bien d'autruy en tant qu'il semble diminuer le nostre. J'ay dit, entant qu'il semble diminuer le nostre, parce qu'on peut estre marry du bien de quelcun non seulement sans pecher, mais aussy par charité : comme quand on est marry que les indignes soyent advancés, ou que les ennemis de la Republique prosperent.

            De l'envie naissent les jalousies, competances, haines, murmurations, detractions, resjouïssances du mal d'autruy et mille sortes de maux.

 

De la paresse

 

            La paresse n'est autre chose qu'une certaine tristesse que l'on a a pratiquer le bien spirituel. Elle procede d'une trop grande affection aux choses temporelles et des trop grandes delectations es choses  sensuelles, qu'il nous fascile de laisser pour suivre la vertu ; comm' aussi elle procede encor de l'apprehension du travail et de ia peine qu'il y a a pratiquer les bonnes œuvres.

            Elle produit le decouragement, par lequel on n'ose pas entreprendre le bien qui nous est conseillé ; l'engourdissement d'esprit, par lequel on est empesché de se mouvoir a bien faire ;  l'aigreur malicieuse, par laquelle on hait la perfection chrestienne ;  la rancune et desgoust contre les personnes spirituelles, parce qu'ilz nous provoquent au bien ;  l'inadvertance aux choses bonnes ; le  desespoir, comme sy c'estoit chose impossible de garder les commandemens de Dieu et de se sauver.

 

Des pechés qui se commettent contre les commandemens de l'esglise

 

            On peche contre le premier commandement de l'Esglise, [261] violant le Caresme, les vendredis, samedis, vigiles et Quattre Tems quant a l'usage des viandes prohibées, ou bien ne jeusnant pas  ; ce qui s'entend, sinon que quelque legitime occasion nous empesche.

            On peche contre le second commandement, n'oyant pas la Messe entiere és jours de Dimanche et de feste, sinon aussy que quelque legitime raison excuse. Or, celuy est estimé ouïr la Messe entiere qui oyt presque toute la Messe, encor qu'il ne l'oye pas exactement toute : ainsy, celuy qui arriveroit quand on dit l'Epistre, oyant tout le reste de la Messe, satisferoit au commandement, l'Esglise n'ayant pas intention d'obliger plus rigoureusement que cela.

                        On peche contre le troisiesme commandement, lors qu'on obmet de se confesser a Pasques, ou qu'on se confesse a quelqu'un qui n'a point d'authorité.

On peche contre le quatriesme, ne se communiant pas a Pasques. Or, celuy là est estimé communier a Pasques, qui communie dans les huict jours precedens ou dans les huict jours suivans la feste de Pasques.

            On peche contre le cinquiesme commandement, ne payant pas la disme et autres devoirs ordinaires qu'on est obligé de rendre a l'Esglise.

 

Moyen de discerner le peché mortel du veniel

 

            Toute la loy de Dieu consiste en ces deux commandemens : Tu aymeras Dieu sur toutes choses et ton prochain comme toy mesme. C'est pourquoy, tout ce qui est contraire a l'amour de Dieu et a l'amour du prochain, sy la contrarieté est parfaite, doit estre estimé peché mortel ; mais sy la contrarieté n'est pas parfaite ni accomplie, ains  imparfaite et non accomplie, il n'y a que peché veniel.

            Or, la contrarieté qui se fait a l'amour de Dieu et du prochain est reputée imparfaite en trois façons :

            Premierement : de la part de nostre volonté, lorsque nostre liberté n'est pas parfaite et que, par consequent, [262] nostre volonté n'agist pas avec pleine deliberation ny avec un total usage de son franc-arbitre : comm'il arrive quelque fois que nous dirons un'injure a quelqu'un par une si soudaine surprise de colere, que nous l'avons plus tost dite que pensée ; car alors, bien que d'injurier le prochain soit ordinairement un peché mortel, toutesfois, a raison de ce que l'acte de la volonté a esté fort imparfait et indeliberé, ce n'est qu'un peché veniel, parce que la contrarieté a l'amour de Dieu en cet acte de la volonté n'a pas esté une pleine et accomplie contrarieté, ains une contrarieté sortie par surprise et inadvertence et la volonté n'estant pas pleynement a soy mesme.

            Secondement : la contrarieté a l'amour de Dieu et du prochain est quelquefois imparfaite a raison de la petitesse de la matiere en laquelle ell'est commise : comme, par exemple, derober c'est un peché mortel, parce que le larcin contrarie a la charité du prochain ; mais pourtant, ce que l'on derobe peut estre sy peu de chose, que la nuysance qui s'en ensuit contre le prochain est si extremement legere qu'elle n'est point considerable, et par consequent la contrarieté de cette action là a l'amour du prochain n'est pas une parfaite contrarieté, mais plustost comm'un commencement de contrarieté. Ainsy, celuy qui derobe une pomme, une poire, un liard ne peche que veniellement, parce qu'il offence fort peu le prochain et par consequent ne contrarie pas parfaitement a l'amour qui luy est deu ; de mesme les coleres legeres, petitz chagrins, ou quelque legere et imparfaite caresse a l'endroit de la femme d'autruy ne seront pas estimés peché mortel.

            Tiercement : la contrarieté a l'amour de Dieu et du prochain est imparfaite a raison de la nature mesme de l'action que nous prattiquons, laquelle de soy n'est pas parfaitement mauvaise, mais seulement a quelque sorte de defaut en soy, lequel defaut ne la rend pas contraire a l'amour de Dieu et du prochain, ains seulement a la perfection de l'amour . Comme par exemple, un mensonge dit par joyeuseté ou pour excuser quelqu'un : c'est un'action laquelle [263] n'est point contraire a l'amour de Dieu et du prochain, ou sy ell'est contraire, c'est par une contrarieté fort imparfaite et qui regarde plustost la perfection de l'amour que l'amour mesme ; car bien que le prochain reçoive  les petitz mensonges pour la verité, sy est ce que cela ne luy apporte nulle sorte de nuysance. Or je dis neammoins que la perfection de la charité est violée, parce que la perfection de la charité ne requiert pas seulement que nous ne nuysions pas au prochain, mais aussy que nous ne le frustrions pas de ses justes desirs et que nous ne nous contrarions pas nous mesmes : or, chacun desire naturellement de sçavoir la verité des choses qui luy sont representées, et nous nous contrarions nous mesmes quand nous parlons contre nostre pensée. De mesme, joüer plus longuement qu'il ne faut par recreation c'est une chose qui n'est point louable, mais elle n'est pas de soy contraire a l'amour de Dieu et a l'amour du prochain ; car, comme il appert, en cela il ny a point de meschanceté, mais seulement de l'inutilité.

 

Moyens pour divertir les grands du peché de la chair

 

            Les grands ordinairement ne pratiquent point ce peché que par l'entremise de quelques confidens messagers et solliciteurs. Sy, donc, ilz entreprennent a bon escient de s'amender de ce peché là, il faut qu'ilz esloignent de leur suitte telles sortes de gens, car par ce moyen ilz perdront la facilité de retourner au malheur. Or, cet esloignement se peut faire  par beaucoup de bons pretextes.

            De plus, tant que la commodité des affaires le peut permettre, ilz doivent avoir avec eux leurs femmes ; le mariage estant ordonné, non seulement pour la generation des enfans, mais aussy pour le remede de la concupiscence.

            Chose grandement utile d'avoir tous-jours avec eux certaine sorte de gens, soit gentilzhommes ou autres, qui ayent beaucoup de la crainte de Dieu ; car, comme la presence [264] des meschans facilite  le consentement au mal, aussy la presence des bons facilite la resistence. C'estoit un des saintz artifices du glorieux saint Louys, qui avoit tous-jours pres de soy quelqu'homme de grande devotion duquel l'entretien le confortoit et consoloit au bien. Les grans donques ayans un de ces gens-là pres d'eux et luy parlant une fois ou deux le jour, c'est merveille comme ilz en sont divertis du mal et soulagés contre les tentations.

            Quand on s'est resoulu a bon escient de se retirer de ce vice, il est bon de s'en declairer parmy ceux qui sont le plus pres autour de nous, affin de nous brider par nostre propre parolle et declaration.

            Bon encores en la priere du mattin et du soir de faire une resolution particuliere contre ce peché et offrir cette resolution a Dieu, tantost a l'honneur de sa Passion, tantost a l'honneur de sa Nativité, tantost a l'honneur de sa sepulture ; quelquefois a l'honneur de la glorieuse Vierge Marie, sa Mere ;  d'autrefois a l'honneur de nostre Ange gardien ; et ainsy diversement a l'honneur des Saintz que nous honnorons le plus, protestant que pour l'amour d'eux nous observerons nostre resolution. Et qui, a l'oraison, adjousteroit quelqu'aumosne pour mesme fin, feroit mieux.

            Il est encore bon de s'imposer, voire par vœu, quelque penitence en cas que l'on retombe : comme seroit de dire tant de prieres a genoux, de jeusner, et semblables choses. Mais sur tout, l'excellent remede a ce mal c'est de se confesser et communier souvent. Or, bien quil y aye de la difficulté en ces remedes, si est ce que celuy la se resoulura (sic) aysement de les pratiquer qui se ressouviendra quil faut ou quitter ce peché par quel moyen que ce soit, ou quil faut quitter la grace de Dieu et perir eternellement. [265]

 

Oraison pour dire avant la confession

 

            O Seigneur, faictes moy voir la quantité et l'enormité de mes maux, afin que je les deteste et me confonde en la grandeur de ma misere ; mais faictes moy voir aussy l'infinité de vostre bonté, afin que je m'y confesse, et que, comme je confesse humblement devant vous et devant le Ciel que je suis mauvais, ains la meschanceté mesme de vous avoir tant offensé, je confesse aussy hautement que vous estes bon, ains la bonté mesme de me pardonner si misericordieusement. O souveraine Bonté, octroyes le pardon a ce chetif coulpable qui confesse et accuse son peché en ceste vie mortelle, en esperance de confesser et celebrer vostre misericorde en l'eternelle, par le merite de la Mort et Passion de vostre Filz qui, avec vous et le Saint Esprit, est un seul Dieu vivant et regnant es siecles des siecles.

AMEN.

 

Revu sur l'original conservé à la Visitation d'Annecy.

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XIX. Sur la Très Sainte Vierge, a la Mère de Chantal ? [1610-1613?]. Marie a passé par tous les états de vie pour attirer toutes les âmes à son divin Fils.

 

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            Voyes comme cette Mere universelle de tous les enfans de Dieu s'est faite toute a tous pour attirer et conduire toutes les ames a son Filz. Mais sur tout, regardes combien [266] doucement cette jeune Princesse a passé du couvent des vierges dans la congregation des mariees, par son chaste et tres pur mariage avec saint Joseph, auquel, selon la coustume du tems et selon le conseil divin, elle fut remise par ses parens. De la, elle passa fort humblement dans la societé des vefves apres la mort de saint Joseph ; et c'est l'opinion de plusieurs Peres, que cette sainte Mere de Dieu, apres l'Ascension de son adorable Filz au Ciel, vescut en terre plusieurs annees, comme les autres vefves et comme plusieurs fideles de la primitive Eglise, des aumosnes et de la communauté des biens des premiers chrestiens.

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Revu sur un ancien Ms. de l'Année Sainte de la Visitation, conservé au Monastère d'Annecy.

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XX. Prière composée pour la Baronne Marie-Aimée de Thorens, février 1615

 

            O Dieu eternel, Pere d'infinie bonté, qui aves ordonné le mariage pour en multiplier les hommes ici bas, repeupler la celeste cité la haut, et aves principalement destiné nostre sexe a cet office, voulant mesme que nostre fecondité fust une des marques de vostre benediction sur nous : hé, me voyci prosternee devant la face de vostre Majesté que j'adore, vous rendant graces de la conception de l'enfant auquel il vous a pleu donner estre dedans mon cors. Mais, Seigneur, puisque ainsy il vous a semblé bon, estendes donq le bras de vostre providence jusques a la perfection [267] de l'œuvre que vous aves commencee : favorises ma grossesse de vostre perfection, et portes avec moy, par vostre continuelle assistence, la creature que vous aves produite en moy, jusques a l'heure de sa sortie au monde ; et lhors, o Dieu de ma vie, soyes moy secourable, et de vostre sainte main supportes ma foiblesse et receves mon fruit, le conservant jusques a ce que, comme il est vostre par creation, il le soit aussi par redemption, lhors qu'estant receu au Baptesme il sera mis dans le sein de l'Eglise vostre Espouse.

            O Sauveur de mon ame, qui, vivant ici bas, aves tant aymé, si souvent pris entre vos bras les petitz enfans, hé, receves encor celuy ci et l'adoptes en vostre sacree filiation, affin que, vous ayant et invoquant pour Pere, vostre nom soit sanctifié en luy, et que vostre royaume luy advienne. Ainsy, o Redempteur du monde, je le voüe, dedie et consacre de tout mon cœur a l'obeyssance de vos commandemens, a l'amour de vostre service et au service de vostre amour.

            Et d'autant que vostre juste courroux rendit la premiere mere des humains, avec toute sa pecheresse posterité, sujette a beaucoup de peynes et douleurs es enfantemens, o Seigneur, j'accepte tous les travaux qu'il vous plaira permettre m'arriver pour cette occasion ; vous suppliant seulement, par le sacré et joyeux enfantement de vostre innocente Mere, de m'estre propice a l'heure du mien douloureux, de moy, pauvre et vile pecheresse ; me benissant, avec l'enfant qu'il vous plaira me donner, de la benediction de vostre amour eternel, qu'avec une parfaite confiance en vostre bonté je vous demande tres humblement.

            Et vous, Vierge Mere tres sainte, ma chere Dame et unique Maistresse, qui estes l'unique honneur des femmes, receves en protection et dans le giron maternel de vostre incomparable suavité, mes desirs et supplications, affin qu'il plaise a la misericorde de vostre Filz de les exaucer. Je le vous requiers, o la plus aymable de toutes les creatures, vous en conjurant par l'amour virginal que vous portastes a vostre cher espoux saint Joseph, par l'infini merite de la naissance de vostre Filz, par les tressaintes [268] entrailles qui l'ont porté et par les sacrees mammelles qui l'ont allaité.

            O saintz Anges de Dieu, deputés a ma garde et a celle de l'enfant que je porte, defendes nous, gouvernes nous, affin que par vostre assistence nous puissions en fin parvenir a la gloire delaquelle vous jouisses, pour, avec vous, louer et benir nostre commun Seigneur et Maistre, qui regne es siecles des siecles. Amen.

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XXI. Avis a la Mère de Chantal, [1613-1615 ?]. Confiance et abandon. — La Mère de Chantal doit tenir son âme ferme, sans « vouloir voir ce qu'elle fait ou si elle est satisfaitte ». — Bel exemple de simplicité des petits enfants. — De la trop grande activité d'esprit naît l'inquiétude. — Quitter tout ce qui déplaît à Dieu et ne pas « s'embesoigner » de notre avancement spirituel.

 

            Prosterné, ce me semble, en quelque petit recoin du mont de Calvaire ou Nostre Seigneur me voit, je vous escris ces lignes, ma tres chere Mere, pour vostre soulagement, comme un abbregé des resolutions plus convenables a vostre advancement devant Dieu.

            Je repete ce que si souvent je vous ay dit : que, non seulement en l'orayson, mays en la conduitte de vostre vie, vous deves marcher en l'esprit d'une tres parfaitte et tres simple confiance en Dieu, entierement remise et abandonnee a son bon playsir, comme un enfant innocent qui se laisse aller a la conduitte et direction de sa mere.

            Secondement : Et pour bien marcher ainsy a la mercy de l'amour et du soin de ce cher souverainement aimable [269] Pere, tenes souëfvement et paysiblement vostre ame ferme, sans permettre qu'elle se divertisse a se retourner sur elle mesme, ni a vouloir voir ce qu'elle fait ou si elle est satisfatte ; car, ma chere Mere, nos satisfactions ne sont point aymables devant les yeux de Dieu, ains seulement elles aggreent a nostre propre amour. Le Sauveur de nostre ame inculque si souvent la simplicité des petitz enfans, que nous la devons aymer tres particulierement. Or, ces petitz enfans innocens ayment leurs meres qui les portent, avec une extreme simplicité : ilz ne regardent nullement ce qu'elles font, ni ne font point de retours sur eux mesmes ni sur leurs satisfactions, ilz les prennent sans les regarder ; ilz tetent avec avidité et ne regardent point si ce lait est meilleur une fois que l'autre, car tandis qu'il y en a ilz le prennent tout de bon, sans autre curiosité. En cela donq nous devons ressembler aux petitz enfans. Comme encor en cette douce oysiveté par laquelle ilz ne se soucient point d'aller, ains ayment mieux estre portés ; et quand ilz commencent a vouloir aller, ilz commencent aussi a souvent tomber et trebuscher es choses qu'ilz rencontrent. Bienheureux sont ceux qui ne veulent pas tous-jours faire, voir, considerer, discourir !

            Ma tres chere Fille, il faut accoyser nostre activité d'esprit, puisque nous voyons manifestement que Dieu nous appelle a cette unique, tres simple attention de confiance. De cette activité d'esprit et du soin que nostre amour nous suggere d'avoir de nostre cœur et de ce qu'il fait, provient l'inquietude de nostre cœur lhors que nous appercevons soit de loin, soit de pres, quelques tentations ou de la foy ou de quelques autres vertus que nous cherissons fort, ou mesme quand nous craignons de perdre la douceur et consolation : c'est pourquoy il faut simplifier nostre esprit, et ayant abandonné et quitté tout ce qui desplaist a Dieu, demeurer en paix dans nostre barque, c'est a dire faire en paix les exercices de nostre vocation. Et ne nous empressons point de nostre advancement ; car, comme ceux qui sont en une barque ou il y a bon vent, sans remuer tirent au port, aussi ceux qui sont en une vocation bonne, sans s'embesoigner de leur prouffit, prouffitent et s'advancent perpetuellement. [270] Que s'ilz n'ont pas la satisfaction de voir leurs progres, ilz ne doivent pas pour cela s'alangourir, car ilz sont certains qu'ilz ne laissent pas de s'advancer.

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XXII. Fragments de conseils a la même, [1613-1616]. Les petites vertus. — Tout faire pour Dieu. — Garder la paix et reposer dans le sein de la Providence.

 

            Je desire que vous soyes extremement humble et petite a vos yeux, douce, condescendante et simple comme une colombe ; que vous aymies vostre abjection et la prattiquies fidellement, employant de bon cœur toutes les occasions qui vous arriveront pour cela.

            Dites beaucoup en vous taisant, par la modestie et esgalité.

            Supportés et excusés fort le prochain, et avec une grande douceur de cœur .

            Faites toutes choses pour Dieu, unissant ou continuant vostre union par de simples regards ou escoulemens de vostre cœur en luy.

            Ne vous empresses de rien, faites toutes choses tranquillement, en esprit de repos. Pour chose que ce soit, ne perdes vostre paix interieure, quand bien tout bouleverseroit ; car, qu'est ce que toutes les choses de cette vie en comparaison de la paix du cœur ? [271]

            Recommandes toutes choses du tout a Dieu, et vous tenes coye et en repos dans le sein de sa paternelle Providence.

            Prenés bon courage et vous tenes humble devant la divine Providence.

            Ne desires rien que le pur amour de Nostre Seigneur.

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XXIII. Avis a la même, sur la simplicité, l'abandon et l'amour du prochain, 31 mars 1616. Comment marcher en esprit de simplicité. — Ne pas faire des retours sur soi-même. — Exemple des petits enfants. — Les « amantes spirituelles » se « purifient et ornent » pour plaire à l'Epoux céleste. — Leur préparation n'est pas longue ni empressée, mais fidèle et amoureuse. — Avis de saint François d'Assise. — Imiter le Sauveur sur la croix. — Les inquiétudes de notre cœur et l'avancement dans la perfection. — Rien ne peut ébranler celui qui se remet au bon plaisir de Dieu. — Regarder le prochain dans la poitrine du Sauveur. — La présence ne peut rien ajouter « a un amour que Dieu a fait, soustient et maintient ». — Vivre et mourir comme il plaira au « cœur souverain » de Notre-Seigneur. — Arrêter l'inconstance de l'esprit humain par la force des anciennes résolutions.

 

            En ce saint jour anniversaire auquel nous celebrons la memoire de nostre Redemption, je vous escris ces lignes, ma tres chere Fille, comme un abbregé des resolutions plus convenables a vostre advancement au pur amour de Nostre Seigneur crucifié.

            Non seulement en l'orayson, mays encor en la conduitte [272] de vostre vie, marches invariablement en esprit de simplicité, abandonnant et remettant toute vostre ame, vos actions et vos succes au bon playsir de Dieu, par un amour de parfaitte et tres absolue confiance, vous delaissant au soin et a la mercy de l'amour eternel que la divine Providence a pour vous. Et pour cela, tenes vostre ame ferme en ce train, sans permettre qu'elle se divertisse a faire des retours sur elle mesme pour voir ce qu'elle fait ou si elle est satisfaite. Helas ! nos satisfactions et consolations ne satisfont pas aux yeux de Dieu, ains elles contentent seulement ce miserable amour et soin que nous avons de nous mesme, hors de Dieu et de sa consideration.

            Les enfans, certes, que Nostre Seigneur nous inculque devoir estre le modelle de nostre perfection, n'ont ordinairement aucun soin, sur tout en la presence de leurs pere et mere ; ilz se tiennent attachés a eux, sans se retourner a regarder ni leurs satisfactions ni leurs consolations, qu'ilz prennent a la bonne foy et en jouissent en simplicité, sans curiosité quelconque d'en considerer les causes ni les effectz, l'amour les occupant asses sans faire autre chose. Qui est bien attentif a plaire amoureusement a l'Amant celeste n'a ni le cœur ni le loysir de se retourner sur soy mesme, son esprit tendant continuellement du costé ou l'amour le porte.

            Cet exercice d'abandonnement continuel de soy mesme es mains de Dieu comprend excellemment toute la perfection des autres exercices, en sa tres parfaitte simplicité et [273] pureté, et tandis que Dieu nous en laisse l'usage, nous ne devons point le changer.

            Les amantes spirituelles, espouses du Roy celeste, se mirent voyrement de tems en tems comme des colombes qui sont aupres des eaux tres pures, pour voir si elles sont bien ageancees au gré de leur Amant ; et cela se fait es examens de conscience, par lesquelz elles se lavent, se purifient et ornent au mieux qu'elles peuvent, non pour se satisfaire, non pour desir de leur progres au bien, non pour estre parfaittes,  mais pour obeir a l'Espoux, pour la reverence qu'elles luy portent, pour l'extreme desir qu'elles ont de luy donner contentement, elles se lavent, se nettoyent purifient et ornent au mieux qu'elles peuvent. Mays n'est ce pas un amour bien pur, bien net et bien simple, puisque elles ne se purifient pas pour estre pures, elles ne se parent pas pour estre belles, ains seulement pour plaire a leur Amant, auquel si la laydeur estoit aussi aggreable, elles l'aymeroyent autant que la beauté. Et si, ces simples colombes n'employent pas un soin ni fort long, ni aucunement empressé a se laver et parer ; car la confiance que leur amour leur donne d'estre grandement aymees, quoy qu'indignes (je dis la confiance que leur amour leur donne en l'amour et en la bonté de leur Amant), leur oste tout empressement et desfiance de ne pas estre asses belles ; outre que le desir d'aymer, plustost que de se parer et præparer a l'amour, leur retranche toute curieuse sollicitude et les fait contenter d'une douce et fidele preparation faite amoureusement et de bon cœur.

            Et pour conclure ce premier point, saint François envoyant ses enfans aux chams, en voyage, leur donnoit cet advis en lieu d'argent et pour toute provision : Jettes vostre soin en Nostre Seigneur et il vous nourrira. Je vous en dis de mesme, ma tres chere Fille, ma Mere : Jettes bien tout vostre cœur, vos prætentions, vos sollicitudes et vos affections dans le sein paternel de Dieu, et il vous conduira, ains portera ou son amour vous veut.

            Oyons et imitons le divin Sauveur qui, comme tres parfait [274] Psalmiste, chante les souverains traitz de son amour sur l'arbre de [la] croix ; il les conclud tous : Mon Pere, je remetz et recommande mon esprit entre vos mains. Apres que nous aurons dit cela, ma tres chere Mere, que reste-il, sinon d'expirer et mourir de la mort de l'amour, ne vivant plus a nous mesme, mais Jesuschrist vivant en nous ?

            Alhors cesseront toutes les inquietudes de nostre cœur, provenantes du desir que l'amour propre nous suggere et des tendretés que nous avons en nous et pour nous, qui nous fait secrettement empresser a la queste des satisfactions et perfections de nous mesme ; et, embarqués dans les exercices de nostre vocation, sous le vent de cette simple amoureuse confiance, sans nous appercevoir de nostre progres nous le ferons grandement, et sans aller nous avancerons ; sans nous remuer de nostre place, nous tirerons païs, comme font ceux qui singlent en haute mer sous un vent propice.

            Alhors tous les evenemens et varietés d'accidens qui surviennent sont receuz doucement et souefvement : car, qui est entre les mains de Dieu et qui repose dans son sein, qui s'est abandonné a son amour et qui s'est remis a son bon playsir, qu'est ce qui le peut esbransler et mouvoir ? Certes, en toutes occurrences, sans s'amuser a philosopher sur les causes, raysons et motifz des evenemens, il prononce de cœur ce saint acquiescement du Sauveur : Ouy, mon Pere, car ainsy a il esté aggreé devant vous.

             Alhors nous serons tout destrempés en douceur, en suavité envers les Seurs et les autres prochains, car nous verrons ces ames la dans la poitrine du Sauveur. Helas ! qui regarde le prochain hors de la, il court fortune de ne l'aymer ni purement, ni constamment, ni esgalement ; mays la, qui ne l'aymeroit ? qui ne le supporteroit ? qui ne souffriroit ses imperfections ? qui le treuveroit de mauvaise grace ? qui le treuveroit ennuyeux ? Or, il y est ce cher prochain, ma tres chere Fille, dans le sein et dans la poitrine du Sauveur ; il y est comme tres aymé et tant aymable, que l'Amant meurt d'amour pour luy.

            Quand sera ce que cet amour naturel du sang, des contenances, [275] des bienseances, des correspondances, des sympathies, des graces, sera purifié et reduit a la parfaitte obeissance de l'amour tout pur du bon playsir de Dieu  ? Quand sera ce que cet amour de nous mesme ne desirera plus les presences, les tesmoignages et significations exterieures, ains demeurera pleinement assouvi de l'invariable et immuable asseurance que Dieu luy donne de sa perpetuité ? Que peut adjouster la presence a un amour que Dieu a fait, soustient et maintient ? Quelles marques peut on requerir de perseverance en une unité que Dieu a creé ? La distance et la presence n'apportera ni n'ostera jamais rien a la solidité d'un amour que Dieu a luy mesme formé.

            Sur ces fondemens, abandonnons et delaissons-nous nous mesmes dans le fond du cœur percé de Nostre Seigneur. Soit fait de nous et en nous selon le bon playsir royal de ce cœur souverain, auquel, par lequel et pour lequel nous voulons vivre et mourir ainsy et comme il luy plaira, sans reserve et sans exception quelcomque.

            Fait le Jeudi Saint, l'an 1616.

 

            VIVE JESUS qui est mort pour nostre cœur ! et qu'a jamais nostre cœur meure pour revivre eternellement de la mort de son amour.

             Il faut arrester l'inconstance de l'esprit humain en l'instabilité et changement de nos sentimens et imaginations par la force de nos premieres resolutions, puisque Dieu a establi une invariable et indissoluble fermeté.

 

Revu en partie sur le Manuscrit de Nancy et en partie sur l'Autographe conservé à Turin, Bibliothèque royale. [276]

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XXIV. Fragments de conseils a la même, [1615-1616]. Excellence du sommeil amoureux entre les bras du Sauveur. — La Mère de Chantal doit demeurer en la remise de tout elle-même à Notre-Seigneur et coopérer à sa grâce. — Que faire à l'oraison. — Délaisser sa vie et ses affaires au bon plaisir de Dieu.

 

            Cet amour simple de confiance et cet endormissement amoureux de vostre esprit entre les bras de ce Sauveur comprend excellemment tout ce que vous alles cherchant ça et la pour vostre goust.

            Demeures en la tranquille resignation et remise de vous mesme entre les mains de Nostre Seigneur, sans toutesfois laisser de cooperer courageusement et diligemment a sa sainte grace par l'exercice des vertus es occasions qui s'en presenteront. Demeures en cette simple et pure confiance filiale aupres de Nostre Seigneur, sans vous remuer nullement pour faire des actions sensibles ni de l'entendement, ni de la volonté.

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            Demeures la en repos, en esprit de tres simple et amoureuse confiance. Et ceci se doit prattiquer non seulement a l'orayson, ou il faut aller avec une grande douceur d'esprit, sans dessein d'y faire autre chose quelconque, ains seulement pour estre a la veuë de Dieu dans cette simple remise et repos en luy et comme il luy plaira ; se contenter d'estre en sa presence, encor que vous ne le voyies, ni senties, ni sçauries representer, et ne vous enqueres de luy de chose quelconque sinon a mesure qu'il vous excitera.

            Ne retournes nullement sur vous mesme, ains soyes la pres de luy ; non seulement, dis je, il faut prattiquer cette simplicité et abandonnement en l'orayson, mays en la conduite de toute la vie, rejettant et delaissant toute vostre [277] ame, vos actions, vos succes, vos affaires au bon playsir de Dieu et a la mercy de son soin. Il faut tenir l'ame ferme en ce train.

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XXV. Derniers avis a la même, Annecy, 6 juin 1616. Simplicité de l'amour, remise de soi-même en Dieu. — Tout recevoir de sa main et ne vouloir que lui.

 

            En ce jour de saint Claude, memorable a nostre Congregation , je ramasse ainsy tout ce que je vous ay dit, pour l'abbreger : Soyes fidelement invariable en cette resolution, de demeurer en une tres simple unité et unique simplicité de la presence de Dieu, par un entier abandonnement de vous mesme en sa tressainte volonté, et toutes les fois que vous treuveres vostre esprit hors de la, ramenes l'y doucement, sans faire pour cela des actes sensibles de l'entendement, ni de la volonté ; car cet amour simple de confiance et cette remise et repos de vostre esprit dans le sein paternel de Nostre Seigneur et de sa Providence, comprend excellemment tout ce que l'on peut desirer pour s'unir a Dieu. Demeures donq ainsy, sans vous en divertir pour regarder ce que vous faites ou feres, ou ce qui vous adviendra, en toute occurrence et en tout evenement.

            Ne philosophes point sur vos contradictions et afflictions, mais receves tout de la main de Dieu, sans exception, demeurant douce, patiente et acquiesçant en tout tres simplement a sa sainte volonté. Que toutes vos paroles et [278] actions soyent accompaignees de douceur et simplicité. Quand vous appercevres que quelque soin ou desir naistra en vous, remettes le en Dieu, ne voulant seulement que luy et l'accomplissement de sa sainte volonté, luy laissant le soin de tout le reste.

            Demeures en la tressainte solitude et nudité avec Nostre Seigneur Jesus Christ crucifié.

            Faites bien cecy, ma tres chere Mere, ma Fille. Mon ame, mon esprit vous benit de toute son affection, et Jesus soit Celuy qui face de vous, par vous et pour luy sa tres adorable volonté. Amen, amen .

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XXVI. Questions de la Mère de Chantal a saint François de Sales, et réponses de celui-ci, fin mai et août-novembre 1616. Renouveler chaque année l'abandon de soi-même entre les mains de Dieu. — Les paroles et pensées qu'il faut retrancher. — Petit examen conseillé. — Oublier tout. — Que la Mère de Chantal demeure ferme en l'oraison de simplicité et d'abandon ; commandement que le saint Directeur fait à son esprit. — Etre comme de petits enfants. — L'indifférence doit se pratiquer en toutes rencontres. — Que l'obéissance à la Règle domine les « menus attraitz ». — Ce que le Saint « desire bien fort ». — Parler peu de soi-même et pourquoi. — Le Traitté de l'Amour de Dieu est fait surtout pour la Sainte. — L'oraison et la contrition.

 

AU NOM DE † JESUS ET MARIE

 

            Premièrement tu dois demander à ton très cher Seigneur s'il trouvera à propos que tu renouvelles tous les ans, aux reconfirmations, entre ses mains, tes vœux, ton abandonnement general et remise de toi-même entre les mains de Dieu ; spécifie particulièrement [279] ce qu'il jugera qui te touche le plus, pour enfin faire cet abandonnement parfait et sans exception, en sorte que je puisse vraiment dire : Je vis, non pas moi, mais Jésus-Christ vit en moi. Que, pour parvenir là, ton bon Seigneur ne t'épargne point, et qu'il ne permette que tu fasses aucune réserve ni de peu ni de prou. Qu'il te marque les exercices et pratiques journalières requises pour cela, afin qu'en vérité et réellement l'abandonnement soit fait.

            Je respons au nom de Nostre Seigneur et de Nostre Dame : Quil sera bon, ma tres chere Fille, que toutes les annees vous facies le renouvellement proposé, et que vous rafraichissies le parfait abandonnement de vous mesme entre les mains de Dieu. Pour cela, je ne vous espargneray point, et vous vous retrancherés des paroles superflues qui regardent l'amour, quoy que juste, de toutes les creatures, notamment des parens, mayson, païs, et sur tout du Pere ; et, tant quil se pourra, des longues pensees de toutes ces choses-lâ, sinon es occasions esquelles le devoir oblige d'ordonner ou procurer les affaires requises ; affin de parfaitement prattiquer cette parole : Oy, ma Fille, et entens, et panche ton oreille ; oublie ton peuple et la mayson de ton pere. Devant disner, devant souper et le soir s'allant coucher, examines si, selon vos actions du tems precedent, vous pouves dire sincerement : Je vis moy, mays non pas moy, ains Jesuschrist vit en moy.

 

            Si l'âme étant ainsi remise, ne se doit pas, tant qu'il sera possible, oublier de toute chose pour le continuel souvenir de Dieu, et en lui seul se reposer par une vraie et entière confiance ?

            Ouy, vous deves tout oublier ce qui n'est pas de Dieu [280] et pour Dieu, et demeurer totalement en paix sous la conduite de Dieu.

 

             Si l'âme ne doit pas, spécialement en l'oraison, s'essayer d'arrêter toute sorte de discours, industrie, replique, curiosité et semblables, et au lieu de regarder ce qu'elle a fait, ce qu'elle fera ou qu'elle fait, regarder à Dieu ; et ainsi simplifier son esprit et le vider de tout et de tout soin de soi-même, demeurant en cette simple vue de Dieu et de son néant, tout abandonnée à la sainte volonté dans les effets de laquelle il faut demeurer contente et tranquille, sans se remuer nullement pour faire des actes de l'entendement, ni de la volonté. Je dis même qu'en la pratique des vertus et aux fautes et chutes il ne faut bouger de là, ce me semble, car Notre-Seigneur met en l'âme les sentiments qu'il faut et l'éclaire là parfaitement ; je dis pour tout, et mieux mille fois qu'elle ne pourrait être par tous ses discours et imaginations. Vous me direz : Pourquoi sortez-vous donc de là ? O Dieu, c'est mon malheur et malgré moi ; car l'expérience m'a appris que cela est fort nuisible. Mais je ne suis pas maîtresse de mon esprit, lequel, sans mon congé, veut tout voir et ménager. C'est pourquoi je demande à mon très cher Seigneur l'aide de la sainte obédience pour arrêter ce misérable coureur, car il m'est avis qu'il craindra le commandement absolu.

            Puysque Nostre Seigneur, des il y a si long tems, vous a tiree a cette sorte d'orayson, vous ayant fait gouster les fruitz tant desirables qui en proviennent et connoistre les nuysances de la methode contraire, demeures ferme et, avec la plus grande douceur que vous pourres, ramenes vostre esprit a cette unité et simplicité de presence et abandonnement en Dieu. Et dautant que vostre esprit desire que j'employe l'obeissance, je luy dis ainsy :

            Mon cher esprit, pourquoy voules vous prattiquer la partie de Marthe en l'orayson, puisque Dieu vous fait entendre quil veut que vous exercies celle de Marie ? Je vous commande donques, que simplement vous demeuries ou en Dieu ou pres de Dieu, sans vous essayer d'y rien faire et sans vous enquerir de luy de chose quelconque, sinon a mesure quil vous excitera. Ne retournes nullement sur vous mesme, ains soyes la pres de luy.

 

            Je retourne donc à demander à mon très cher Père si l'âme étant ainsi remise ne doit pas demeurer toute reposée en son Dieu, lui [281] laissant le soin de tout ce qui la regarde tant intérieurement qu'extérieurement, et demeurant, comme vous dites, dans sa providence et volonté, sans soin, sans attention, sans élection, sans désir quelconque, sinon que Notre-Seigneur fasse en elle, d'elle et par elle sa très sainte volonté, sans aucun empêchement ni résistance de sa part. O Dieu, qui me donnera cette grâce que seule je vous demande, sinon vous, bon Jésus, par les prières de votre Serviteur.

            Dieu vous soit propice, ma treschere Fille. L'enfant qui est entre les bras de sa mere n'a besoin que de laisser faire et de s'attacher a son col.

 

            Si Notre-Seigneur n'a pas un soin particulier d'ordonner tout ce qui est requis et nécessaire à cette âme ainsi remise ?

            Les personnes de cette condition luy sont cheres comme la prunelle de son œil.

 

            Si elle ne doit pas recevoir toute chose de sa main, je dis jusque aux moindres petites, et lui demander aussi conseil de tout, de tout ?

            Pour cela, Dieu veut que nous soyons comm'un petit enfant. Il faut seulement prendre garde de ne faire pas des attentions superflues, s'enquerant de la volonté de Dieu en toutes particularités des actions menues ordinaires et inconsiderables.

 

            Si ce ne sera pas un bon exercice de se rendre attentive, sans attention pénible, de demeurer tranquillement dans la volonté de Dieu en tant de petites occasions qui nous contrarient et voudraient fâcher (car pour les grosses on les voit de loin) : comme d'être détournée de cette consolation qui semble être utile ou nécessaire ; être empêchée de faire une bonne action, une mortification, ceci ou cela, quel qu'il soit, qui semble être bon, et, au lieu, être divertie par des choses inutiles et quelquefois dangereuses et mauvaises ?

            Ne consentant point aux choses mauvayses, l'indifference pour le reste doit estre prattiquee en toutes rencontres sous la conduite de la providence de Dieu.

 

            Se rendre fidèle et prompte à l'observance et obéissance des Règles quand le signe se fait. Il y a tant d'occasions de petites mortifications ! cela surprend au milieu d'un compte, de quelque action, on a peine de se déprendre ; il ne faut plus faire que trois points [282] pour achever l'ouvrage, une lettre à former, se chauffer un peu, que sais-je moi ?

            Ouy, il est bon de ne s'attacher a rien tant qu'aux Regles ; de sorte que sil ny a quelque signalee occasion, alles ou la Regie vous tire et la rendes plus forte que tous ces menus attraitz.

 

            Se laisser gouverner absolument pour ce qui est du corps, recevoir simplement tout ce qui nous est donné ou fait : bien, mal, incommodité, ce qui sera de trop selon notre jugement, sans en rien dire ni témoigner nulle sorte de désagrément ; prendre les soulagements du dormir, reposer, chauffer, de l'exemption de quelque exercice pénible ou de mortification ; dire à la bonne foi ce que l'on peut faire : que l'on s'insiste , céder sans rien dire. Ce point est grand et difficile pour moi.

            Il faut dire a la bonne foy ce que l'on sent, mais en telle sorte que cela n'oste pas le courage de repliquer a ceux qui soignent de nous. Au reste, de se rendre si parfaitement maniable, c'est ce que je desire bien fort de nostre cœur.

 

            Se porter avec grande douceur à la volonté des Soeurs et de tout autre si tôt que l'on la connaîtra, encore que l'on pût facilement s'en détourner et examiner . Ceci est un peu difficile, et pour ne rien laisser à soi-même ; car, combien de fois voudrait-on un peu de solitude, de repos, de temps pour soi ! cependant, l'on voit une Sœur qui côtoie, qui s'approche, qui désirerait ce quart d'heure pour elle, une parole, une caresse, une visite, que sais-je moi ?

            Il faut prendre le tems convenable pour soy et, cela fait, regaigner l'occasion de servir les desirs des Seurs.

 

            Voilà ce qui m'est venu en vue où il me semble que je pourrais m'exercer et mortifier. Mon très cher Seigneur l'approuvera, s'il le trouve à propos, et ordonnera ce qui lui plaira et, mon Dieu m'aidant, je l'obéirai.

            Faites le et vous vivres. Amen.

 

            Je demande pour l'honneur de Dieu de l'aide pour m'humilier. Je pense à me rendre exacte à ne jamais rien dire dont il me pût revenir quelque sorte de gloire ou d'estime.

            Sans doute, qui parle peu de soymesme fait extremement [283] bien ; car, soit que nous en parlions en nous accusant, soit en nous excusant, soit en nous louant, soyt en nous mesprisant, nous verrons que tous-jours nostre parole sert d'amorce a la vanité. Si donques quelque grande charité ne nous attire a parler de nous et de nos appartenances, nous nous en devons taire.

            Le livre de l'Amour de Dieu, ma chere Fille, est fait particulierement pour vous ; c'est pourquoy vous pouves, ains deves avec amour, prattiquer les enseignemens que vous y aves trouvé.

            La grace de Dieu soit avec nostre esprit a jamais. Amen, amen.

 

            Je ne veux oublier ceci, parce que souvent j'en ai été en peine. Tous les prédicateurs et bons livres enseignent qu'il faut considérer et méditer les bénéfices de Notre-Seigneur, sa grandeur, notre rédemption, et spécialement quand la sainte Eglise les nous représente. Cependant, l'âme qui est en l'état ci-dessus, voulant s'essayer de le faire, ne peut en façon quelconque, dont souvent elle se peine beaucoup. Mais il me semble néanmoins qu'elle le fait et en une manière fort excellente, qui est un simple ressouvenir ou représentation fort délicate du mystère, avec des affections fort douces et savoureuses. Monseigneur l'entendra mieux que je ne pourrais le dire. Mais aussi quelquefois l'on se trouve dur en la mémoire de ces benefices ou en quelque occasion où il serait requis de discourir : comme quand on veut faire des confessions ou renouvellements, qu'il faut avoir de la contrition ; et cependant l'âme demeure sans lumière, sèche et sans sentiment, ce qui donne grande peine.

            Que l'ame s'arreste aux misteres en la façon d'orayson que Nostre Seigneur luy a donnee ; car les prædicateurs et livres spirituelz ne l'entendent pas autrement. Et quant a la contrition, ell'est fort bonne seche et aride ; car c'est une action de la partie superieure, ains supreme de l'ame.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin. [284]

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XXVII. Avis a la Sœur Claude-Agnès de la Roche, Religieuse de la Visitation d'Annecy, [1612-1617]. Tenir son âme en paix, mais avec simplicité et amour. — Un seul désir : plaire à Dieu. — Pour se débarrasser des troubles de la partie inférieure, passer outre, sans les regarder. — Il faut du temps pour parvenir à la paix. — Pourquoi se défaire de la propre volonté. — Dieu veut détacher de toutes choses la destinataire pour la « mieux serrer a sa Bonté ». — Indifférence, confiance, humilité. — Plus on se sent pauvre, plus il faut avoir de grandes prétentions de bien faire. — Essayer d'aimer la correction. — L'égalité du maintien extérieur. — S'abîmer dans son néant devant Notre-Seigneur et la Sainte Vierge.

 

RECUEIL DES AVIS PARTICULIERS QUE MONSEIGNEUR M'A DONNES

POUR MON AMENDEMENT

 

            J'ay jugé qu'il vous seroit extremement utile de tascher de tenir vostre ame en paix et en tranquillité ; et pour cela, il faut que le matin en vous levant vous commencies cet exercice, faisant vos actions tout doucement, pensant a ce que vous aves a faire dans l'exercice du matin, prenant garde de ne point laisser espancher vostre esprit le long de la journee. Observes tous-jours si vous estes en cet estat de tranquillité, et si tost que vous vous en treuveres dehors, ayes un grand soin de vous y remettre, et cela sans discours ni effort.

            Je ne veux pas dire pourtant que vous vous bandies continuellement l'esprit pour vous tenir en cette paix ; car il faut que tout cecy se fasse avec une simplicité de cœur tout amoureuse, vous tenant aupres de Nostre Seigneur comme un petit enfant aupres de son pere. Et quand il vous arrivera de faire des fautes, quelles qu'elles soyent, demandes en pardon tout doucement a Nostre Seigneur, en luy disant que vous estes bien asseuree qu'il vous ayme bien et qu'il vous pardonnera ; et cela tous-jours simplement et doucement. [285]

            Cecy doit estre vostre exercice continuel ; car cette simplicité de cœur vous empeschera de penser distinctement (car nous ne sommes pas maistres de nos pensees, pour n'en avoir que celles que nous voulons) qu'a ce que vous aures a faire et a ce qui vous est marqué, sans espancher vostre ame ni a vouloir, ni a desirer autre chose ; et fera que toutes ces pretentions de plaire et ces craintes de desplaire a nostre Mere, s'esvanouiront, reservant le seul desir de plaire a Dieu, qui est et sera l'unique objet de nostre ame.

            Lhors qu'il vous arrivera de faire quelque chose qui pourroit fascher ou mal edifier les Seurs, si c'estoit chose d'une grande importance, excuses vous, en disant que vous n'aves pas eu mauvaise intention, s'il est vray ; mais si c'est chose legere et qui ne tire point de consequence, ne vous excuses point : observant tous-jours de faire cela avec douceur et tranquillité d'esprit, comme aussi de recevoir les advertissemens. Et si bien vostre partie inferieure s'esmeut et se trouble, ne vous en mettes pas en peyne, taschant a garder la paix emmi la guerre ; car peut estre ne sera-il jamais en vostre pouvoir de n'avoir pas du sentiment estant reprise. Mais vous sçaves tres bien que les sentimens, non plus que toute autre tentation, ne nous rendent pas moins aggreables a Dieu, pourveu que nous n'y consentions pas.

            Vous vous trompes en croyant que vous devries faire des actes vifz pour vous desfaire de ces sentimens et troubles de la partie inferieure ; c'est au contraire, il n'en faut faire nul estat, mais passer simplement chemin, sans les regarder seulement. Que s'ilz vous importunent trop, il faut se mocquer de tout cela, comme seroit de leur faire la moue, et cela par un simple regard de la partie superieure ; apres quoy il n'y faut plus penser, quoy qu'ilz veuillent dire.

            Et tout de mesme en est il des pensees de jalousie ou d'envie, et mesme de ces attendrissemens que vous aves sur vos commodités corporelles, et semblables tricheries qui vont ordinairement roulant autour de nos espritz, retranchant a vostre ame tout autre soin que celuy de se tenir en paix et en tranquillité. Je dis mesme celuy de vostre propre perfection ; car je remarque que ce trop grand soin [286] de vous perfectionner vous nuit beaucoup, d'autant que des qu'il vous arrive de faire des fautes, vous vous en inquietes, parce qu'il vous semble que c'est tous-jours contre la pretention que vous aves de vous amender. Tout de mesme, si l'on vous monstre quelque defaut en vous, vous entres en descouragement.       

            Et tout cecy, il ne le faut plus faire, ains vous affermir a cela, de ne point vous laisser troubler pour quoy que ce soit. Que si neanmoins il vous arrive de le faire, nonobstant vostre resolution, ne vous fasches pas pourtant, ains remettes vous en tranquillité tout aussi tost que vous vous en appercevres, et tous-jours de la mesme façon que je vous ay dit, tout simplement, sans effortz ni secousse d'esprit.

            Et ne penses pas que cecy soit un exercice de quelques jours ; oh ! non, car il y faut bien du tems et du soin pour parvenir a cette paix. Il est vray pourtant que, si vous vous y rendes fidele, Nostre Seigneur benira vostre travail. Sa Bonté vous attire a cet exercice, c'est une chose tout asseuree : c'est pourquoy vous estes grandement obligee a vous y rendre fidele, pour correspondre a sa volonté. Il vous sera difficile, d'autant que vous aves l'esprit vif, et qu'il s'arreste et s'amuse a chaque objet qu'il rencontre ; mais la difficulté ne vous doit pas faire entrer en descouragement, pensant de ne pouvoir parvenir au but de vostre pretention. Faites tout bonnement et tout simplement ce que vous pourres, sans vous mettre en peyne d'autre chose.

            Et tout de mesme, quand vous arrestes quelque chose qui ne sera bien pris selon vostre intention : passes outre, pensant a ce que vous aves a faire. Regardes Nostre Seigneur, et tasches d'aller au Dieu de toutes choses, multipliant le plus que vous pourres les oraysons jaculatoires, les veuës interieures, les retours, les eslans fervens de vostre esprit en Dieu, et je vous asseure que cecy vous sera fort utile.

            Dieu vous veut toute et sans aucune reserve, et toute fine nue et despouillee ; c'est pourquoy il faut que vous ayes grand soin de vous desfaire de vostre propre volonté, car il n'y a que cela seul qui vous nuise, d'autant que vous l'aves tous-jours extremement forte, et vous estes fort attachee a vouloir ce que vous voules. [287]

            Embrasses donq bien fidelement cet exercice, puisque je vous le dis avec la charité de Dieu et la connoissance que j'ay de vostre necessité, qui est que vous regardies la providence de Dieu aux contradictions qui vous seront faites, Dieu les permettant affin de vous destacher de toutes choses, pour vous mieux serrer a sa Bonté et unir a luy ; car je sçay qu'il veut que vous soyes sienne, mais d'une façon toute particuliere.

            Rendes vous donq bien indifferente, si on vous accordera ou non ce que vous demanderes, et ne laisses pas de demander tous-jours avec confiance ; et demeures en l'indifference d'avoir des biens spirituelz ou non. Et quand vous sentires que la confiance vous manque pour recourir a Nostre Seigneur, a cause de la multitude de vos imperfections, faites alhors joüer la partie superieure de vostre ame, disant des paroles de confiance et d'amour a Nostre Seigneur, avec le plus de ferveur et le plus frequemment qu'il se pourra.

            Ayes un grand soin de ne vous point troubler lhors que vous aures fait quelque faute, ni de vous laisser aller a des attendrissemens sur vous mesme, car tout cela ne vient que d'orgueil ; mais humilies-vous promptement devant Dieu, et que ce soit d'une humilité douce et amoureuse, qui vous porte a la confiance de recourir soudain a sa Bonté, vous asseurant qu'elle vous aydera pour vous amender.

            Je ne veux plus que vous soyes si tendre, ains que, comme une fille forte, vous servies Dieu avec un grand courage, ne regardant que luy seul ; et partant, quand ces pensees, si l'on vous ayme ou non, vous arrivent, ne les regardes pas seulement, vous asseurant que l'on vous aymera tous-jours autant que Dieu le voudra, et que cela vous suffise. Que la volonté de Dieu s'accomplisse en vous, qui estes obligee d'une obligation particuliere de vous perfectionner ; car Dieu veut se servir de vous. Faites le donq, et pour cela tasches a fort aymer vostre propre abjection, laquelle vous empeschera de vous troubler de vos defautz.

            Prenes soin de tenir vostre esprit en paix et occupé des choses hautes, le tirant fidelement de l'attention que vous faites sur vous mesme, principalement quand vous aves [288] du chagrin et que vous n'aves point de courage. Occupes-vous a dire a Nostre Seigneur que vous en voules avoir, et que vous ne consentires jamais a ce que le chagrin vous suggere. Vous feries encores mieux de vous divertir, faysant accroire a vostre esprit qu'il n'en a point, n'en faysant non plus d'estat que si vous ne senties point l'effort de cette passion.

            Plus vous vous sentes pauvre et destituee de toutes sortes de vertus, ayes de plus grandes pretentions de bien faire. Ne vous estonnes point des mauvais sentimens que vous aves, pour grans qu'ilz soyent ; mais ayes soin en ce tems-la de multiplier les oraysons jaculatoires et retours de vostre esprit en Dieu ; et comme vous aves une grande necessité de la douceur et de l'humilité, prenes soin de mettre fort souvent emmi la journee vostre cœur en la posture d'une humble douceur. Et quand vous seres reprise ou corrigee de quelque chose, essayes-vous tout doucement d'aymer la correction ; et ne vous fasches pas si la partie inferieure s'esmeut, mais faites regner la partie superieure, affin que vous fassies ce que l'on veut de vous en cette occasion.

            Ne soyes point tant amie de vostre paix que, quand on vous l'ostera par quelque commandement, ou correction, ou contradiction, vous en demeuries troublee ; car cette paix qui ne veut point estre agitee est recherchee par l'amour propre.

            Or, maintenant je vous dis que vous ayes un soin tres particulier de vous rendre esgale en vos humeurs, sans jamais laisser paroistre en vostre exterieur aucun changement. Quelle apparence y a il de monstrer ainsy vos imperfections, puisque cela empesche que Dieu ne soit servi de vous ainsy qu'il le desire ? Cette esgalité de vostre maintien exterieur manque a l'accomplissement des talens que Dieu vous a donnés. Consideres donq souvent quel desplaysir ce vous sera et ce vous doit estre, de voir que vous manques de correspondance a la volonté de Dieu, puisqu'il a laissé a vostre pouvoir d'acquerir cela, qui doit perfectionner et accomplir vostre talent.

            Travailles fidelement pour cela, bandes toutes les forces de vostre esprit pour l'acquerir, et prenes garde que la mortification [289] reluise en vostre exterieur ; en sorte que les seculiers treuvent plus de sujet de l'observer, que non pas de bonne mine, ni de bonne façon.

            Vous deves avoir un tres grand soin de vous pencher toute du coste de l'humilité, puisque vous aves une si grande inclination a l'orgueil et a la propre estime. Ne doutes point qu'ayant acquis cette vertu, vous n'ayes quant et quant toutes celles dont vous aves necessité. Approfondisses-vous fort souvent en l'abisme de vostre neant devant Nostre Seigneur et devant Nostre Dame. Mais ressouvenes vous de ce que j'ay dit en l'Entretien de l'Humilité ; et toutes fois et quantes qu'elle ne produit pas ce fruit, elle est suspecte et indubitablement fause. Aneantisses vous en la connoissance de vostre petitesse ; mais soudain apres, releves vostre esprit pour considerer ce que Dieu veut de vous.

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XXVIII. Dédicace d'un exemplaire du Traité de l'Amour de Dieu A M. Humbert Vibert, 13 avril 1617 (Inédit)

 

            Antiquæ, probatæ et nunquam perituræ amicitiæ domini Humberti Vibert, auctor hujus opusculi hoc signum amoris Dei magno amore misit.

            XIII Aprilis 1617.

                        FRANÇS, Eps. Gebennen.

 

Revu sur l'exemplaire du Traité de l'Amour de Dieu appartenant à M. le comte de Roussy de Sales, au château de Thorens-Sales (Annecy). [290]

 

 

 

            Avec une grande affection, l'auteur de ce petit ouvrage a envoyé à monsieur Humbert Vibert cette marque de l'amour de Dieu, en souvenir d'une ancienne, éprouvée et impérissable amitié.

            13 avril 1617.

                        FRANÇOIS, Evêque de Genève. [290]

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XXIX. Confidences a la Mère de Chantal, [1610-1618]. Pourquoi le Saint-Esprit nous donne le don d'intelligence. — Faveurs divines accordées à saint François de Sales.

 

            Le Saint Esprit nous donne le don d'entendement pour trois fins : premierement, pour nous faire croire et admirer les mysteres de la foy ; secondement, pour les nous faire honnorer et reverer ; troysiesmement, pour les nous faire aymer et cherir.

             J'advoue que la divine Bonté m'a favorisé d'une particuliere lumiere pour l'intelligence de ces sacrés mysteres-la, et si me semble que j'entens fort bien l'intention de l'Eglise en tout ce qu'elle propose a ses enfans. J'ay receu aussi de Dieu un tendre amour envers les maximes de l'Evangile, et je me persuade que c'est en suite de la connoissance qu'il m'a communiquee de leur eminente beauté. [291]

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XXX. Avis a la Sœur Marie-Adrienne Fichet, Religieuse de la Visitation d'Annecy, 1611-1618 (Inédit)

 

De l'obeyssance

 

            Soyes grandement prompte a l'obeyssance et simple a tout ce qu'on vous commandera, sans regarder a la personne, ni les choses, pour voir si elles sont a propos ou non.

            Si vous voules avancer au chemin de la vertu, ne regardes pas au visage de ceux qui vous commandent, parce que si vous les consideres il vous arrivera tous-jours de la difficulté a obeir et sousmettre plustost a cette Superieure qu'a une autre, si elle estoit en charge. Tandis que nous regardons aux creatures et non au Createur nous ne ferons jamais rien qui vaille, ni ne ferons aucuns progres en la vertu. Il faut donq obeir a celle que Dieu nous a donnee pour Superieure en regardant tous-jours Nostre Seigneur en elle, par l'ordonnance duquel elle nous commande et conseille ce qui est pour nostre bien et avancement spirituel. [292]

            Voyes l'obeissance d'Abraham. Nostre Seigneur luy commande de luy sacrifier son filz ; il luy dit qu'il sorte de sa terre, de son parentage et qu'il aille au lieu qu'il luy monstrera. Il ne luy dit point le chemin qu'il tiendra, ni Abraham ne luy dit point : Seigneur, de quel costé vous plaist il que je sorte ? Si vous ne me dites par quelle porte je dois sortir, je ne sçay pas ou aller. Il ne fit point tout ce discours, mais alla tout simplement la ou la volonté de Dieu l'appelloit pour executer son bon playsir. Il faut faire ainsy : obeir simplement a la voix de Dieu qui nous est signifiee par nos Superieures, ne faisant aucun discours ni pensee pour en juger selon nostre inclination.

            Quand vous auries la plus mauvaise Superieure du monde et qu'elle vous auroit craché au nez, il ne faudroit jamais entrer en descouragement ni en desfiance, mais luy ouvrir tout vostre cœur en simplicité ; je dis tous-jours selon la partie superieure. Et soyes bien ayse de n'avoir point de sensible satisfaction, car nous aymons tant ceux qui nous disent de belles choses !

            O je vous prie, ne vous attaches point tant aux Superieures. Je ne veux point que vous soyes attachee a moy, ni a nostre Mere, ni a chose du monde. Dittes avec la Mere Therese de Jesus : « Tout ce qui n'est point Dieu ne m'est rien. » Ne desires point d'estre aymee particulierement de vos Superieures. J'ay bien envie de vous arracher cela du cœur, car on vous aymera tous-jours autant que Dieu voudra, et Dieu le voudra tous-jours et ainsy vous seres aymee. Et puis, qu'est ce que dit le Point d'humilité ? Qu'il ne faut point vouloir estre aymé . C'est un grand moyen d'avancer en la vertu et en l'amour de Dieu quand nous avons des Superieures qui ne nous ayment pas et que nous n'aymons pas aussi. Il ne se faut pas descourager ni entrer en desfiance pour cela, bien que les Superieures n'en doivent [293] donner aucun sujet. Il ne faut pas estre tendre comme les petitz enfans.

            Dites avec l'Apostre : Seigneur, que vous plaist il que je face ? Mais saint Bernard dit qu'il y a des Religieux a qui il faut dire : Que vous plaist il de faire ? O ma chere Fille, ne soyes point ainsy enfant.

            En fin, le cœur obeyssant racontera les victoires ; les victoires nous les remportons quand nous sousmettons nostre volonté et jugement a celuy d'autruy, a l'imitation de Nostre Seigneur qui s'est rendu obeissant jusqu'a la mort, et a la mort de la croix, et a mieux aymé mourir que de perdre l'obeissance.

            Quand la cloche sonne et nous appelle pour quoy que ce soit, il faut estre prompte a partir et quitter tout. Il ne faut jamais rien faire contre l'obeyssance, specialement quand il nous vient en l'esprit que cela n'est pas bien, et que le scrupule nous prend ou que nous ne voudrions pas que nos Superieures le sceussent.

            Il faut demeurer la ou il y a plus de repugnance : c'est la ou il faut faire de plus grandes prattiques de vertu, obeissant avec respect, sousmission, amour, de bon cœur. Il faut avoir un grand courage pour obeir a la buandiere comme a la cuisiniere indifferemment, pour Dieu, et tous-jours parce qu'elles sont nos superieures. Il faut tous-jours penser que les Superieures considerent bien les choses avant que de les dire ; ainsy, laisses vous gouverner a elles comme un petit enfant.

            S'il vous arrive du proffit quand vous rendes conte, de dire que c'est moy qui vous ay enseigné cet exercice, dites le affin qu'on vous le laisse continuer ; mais si elles vous disent que vous facies autrement, quittes tout et faites simplement ce qu'elles vous diront, encor que vous ayes de la repugnance tant a quitter qu'a faire autrement que je vous ay dit. Il faut tous-jours faire la volonté des autres, sur tout des Superieures, plustost que de les attirer a faire la nostre.

            Saint Paul dit une bonne parole : Nous avons conneu Nostre Seigneur selon la chair, mais nous l'aymons maintenant selon l'esprit. Ainsy, ne nous aymons point par les [294] sentimens, mays selon l'esprit, pour nous perfectionner et nous unir davantage a l'amour de Dieu.

            Il faut bien prattiquer tous les moyens qui nous sont donnés pour arriver au Ciel et au salut, purement pour Dieu et pour luy plaire, parce qu'il le veut ainsy et qu'il est bon de le faire. Si on vous fait la mine, il ne la faut pas faire ; saint Paul dit qu'il faut rendre bien pour mal.

 

De l'humilité

 

            Nostre Seigneur qui se voyant Dieu, et partant ne voyant aucune chose en soy pour s'humilier, a voulu neanmoins s'humilier et a dit : Apprenes de moy que je suis doux et humble de cœur et vous treuveres le repos en vos ames. C'est le plus haut point de l'humilité de s'humilier pour Nostre Seigneur, parce qu'il s'est humilié pour nostre amour, pour nous donner exemple de faire comme luy.

            Il faut estre humble en toutes vos actions, faire vos retours a Dieu par abbaissement en vostre neant et en vostre propre vileté et bassesse. Vous deves estre bien humble, et vous le seres a cette heure que vostre Pere vous le commande ; oh ! je vous en prie. Mais je vous dis, d'une humilité vraye et solide, qui vous rende souple a la correction, maniable et prompte a l'obeyssance.

            Allés en paix, ma tres chere Fille, tenes vous humble devant Dieu. Que vos imperfections vous servent a cela et ne vous facent entrer en nul descouragement ; nous sommes en bon chemin, par la grace de Dieu. Craignons sans descouragement. Rien ne nous peut nuire que la propre volonté : or nous n'en devons point avoir, car nous l'avons toute consacree a Dieu ; donq encourageons-nous sans presomption.

            Quand les Saintz avoyent fait quelque bien, ilz ne se l'attribuoyent jamais en particulier, ouy bien le mal, et mettoyent tout le bien qu'ilz faisoyent en commun : marque d'humilité.

 

            Il faut avoir une gravité de princesse, par ce que nous sommes espouses du Filz de Dieu ; mais simple, sans affectation ; et l'humilité du publicain, pleine de confiance. [295]

            Pour avoir la grace de Dieu en nos cœurs il les faut avoir vuides de nostre propre gloire et dire : O mon Dieu, regardes cette chetifve creature si comblee de misere ; remplisses la de vostre misericorde.

            Quand vous aures fait des fautes contre la douceur, humilies vous ; et quand vous aures fait des fautes contre l'humilité, adoucisses vous et faites comme je vous ay dit : alles tous-jours de l'humilité a la douceur, et de la douceur a l'humilité.

            Pour recevoir le Saint Esprit il faut rendre son cœur fort profond en humilité, simplifier vostre esprit, aller en tout simplement, etc.

 

De la douceur

 

            Le premier sermon que Nostre Seigneur fit a ses disciples fut : Apprenes de moy que je suis doux et humble de cœur. Je vous en dis de mesme, ma tres chere Fille, soyes grandement douce et humble, ayes tous-jours ces cheres vertus en la bouche et au cœur. Aymes les bien, puisque Nostre Seigneur les a tant recommandees. L'humilité nous perfectionne envers Dieu, et la douceur envers le prochain. Que ces vertus reluisent en vous, en toutes vos actions, en toutes vos paroles, en vos yeux, en tout vostre maintien. Rendes vous amiable, puis aymable ; tasches d'estre gratieuse et affable, cordiale et communicative. C'est une injustice de vouloir sçavoir les affaires des autres et ne vouloir rien dire des siennes, par cordialité.

            Je vous recommande l'affabilité, que vous sçavés qui se prattique avec ceux a qui on parle ; se rendre joyeuse avec ceux qui le sont, pleine de compassion avec les affligés, s'accommodant a la façon des autres, a leurs humeurs, faire comme saint Paul : se rendre tout a tous pour les gaigner tous.

            Toutes les fois que vous treuveres vostre cœur hors de la douceur, ne faites que le prendre avec le bout du doigt, et non a plein poing, comme l'on dit, ni brusquement. Ne dittes jamais de paroles seches ni de correction.

            Tasches d'acquerir la sainte tranquillité exterieure et interieure en toutes vos actions et vous formés selon cela ; [296] et quand on ne sçait plus que faire a son esprit, qui est piqué et troublé, il se faut divertir. Si cela ne fait rien, il faut pourtant tous-jours essayer, affin que la negligence ne nous face accroire que le divertissement n'y fait rien ; alhors il faut avoir patience avec soy mesme. Il faut quelquefois flatter son cœur et le servir en ses maladies et l'encourager ; et quand il est bien piqué, il le faut prendre comme un cheval de bride et le mettre fermement en soy mesme, sans le laisser courir apres ses sentimens et passions. Presque tous-jours la douceur a cet effect.

            Dites souvent : Bienheureux sont les debonnaires, car le royaume des deux est a eux. Et avec le Psalmiste : Goustes et voyes combien le Seigneur est doux. Dites aussi souvent le verset Virgo singularis, et pries Nostre Dame qu'elle visite vostre cœur et le parfume de sa bonté et douceur.

            Soyes la plus suave qu'il vous sera possible, et plus que toutes les autres. Selon les occasions, retires vous en vous mesme, par des retours de vostre esprit en Dieu ; il ne faut pas que vous soyes trop retiree, car ce n'est point vostre humeur.

            Il faut prattiquer l'aneantissement de soy mesme en la douceur.

 

De la simplicité

 

            Il faut estre grandement simple et aller a la bonne foy. Ayes un grand soin de simplifier vostre esprit de toutes ses superfluités, et quand elles se presentent, ne faites que tout simplement les oster, retournant vostre cœur vers Nostre Seigneur sans les regarder ; et vous employes de bon cœur a ce travail pour l'amour de Dieu, pour en acquerir la couronne. Faites toutes choses pour Nostre Seigneur, avec une pure intention, sans regarder aux creatures. Si vous faites ainsy, vous aures un jour la simplicité, grace a Dieu.

            Il faut estre simple comme des petitz enfans pour entrer au royaume des Cieux. Alles ainsy simplement quand vous descouvres vostre cœur, sans reflexion. N'amuses point vostre esprit a ce qui se passe autour de vous. Il faut [297] estre une colombe, parce que Nostre Seigneur est colombin, et n'avoir rien a cœur que luy et l'affection de luy plaire, et estre tant simplifiee que vous puissies dire en verité : Je ne pense a rien, hors ce a quoy je suis obligee de penser. Retranches de vostre cœur toutes sortes de reflexions contraires a la simplicité. Que vostre esprit ne regarde point ses repugnances et difficultés, mais combattes les en les mesprisant.

            Tenes vostre cœur proche de Dieu. C'est le moyen d'estre simple, puisque Dieu est un Esprit simplificateur. Specialement a l'orayson, je veux que vous y soyes comme une statue dans sa niche, sans rien vouloir que plaire a vostre Espoux. — Pourquoy demeures vous en cette niche, o statue ? — Parce que mon Espoux m'y a mise ; je ne veux rien que cela.

            Donnes vous toute a luy, laisses luy tout faire en vous ; remettes luy vostre reputation et propre estime. S'il veut que l'on vous ayme et estime, il le permettra bien ; s'il veut que l'on vous humilie, de mesme. Laisses luy tout le soin de vous et n'ayes soin ni souci que de plaire a vostre Espoux, et demeures en la niche sans rien vouloir.

 

De la generosité

 

            Je vous donne pour cette annee la vertu de generosité pour prattique particuliere. Vous l'entreprendres courageusement et suavement, non point violemment ni rudement. Vous prattiqueres la douceur et humilité avec generosité, car il faut tous-jours ces deux vertus, sans jamais les quitter. La vraye generosité consiste a se rendre independante de toutes choses et des creatures, et ne point penser si elles nous ayment et pensent a nous ou non ; il ne faut point s'amuser a cela. Je veux bien que vous m'aymies et croyies que je vous ayme bien ; mais je veux que l'amitié que vous me portes ne nuise point a la perfection et union de vostre esprit avec Dieu, ains qu'elle vous serve pour vous y unir davantage. Je ne veux point que vous soyes attachee a moy ni a nostre Mere.

            Il faut mespriser toutes reflexions en se relevant courageusement ; aller la teste levee par dessus tout, et ne regarder [298] point aux actions du prochain, ce qu'il fait ou dit et comme il se comporte en nostre endroit. Nous n'aurions jamais fait si nous voulions tout considerer et peser les pensees et reflexions. La generosité passe par dessus tout cela, ne s'attachant qu'a Dieu seul, pour l'amour duquel elle fait tout, et mortifie ce qui est d'humain pour ne vivre plus que pour luy. Il faut encourager son ame, luy disant qu'elle est toute a Dieu et pour l'eternité. En effect, nous ne sommes plus a nous mesme, nous sommes consacrés a Dieu pour l'aymer et servir parfaitement. Il faut donq aller genereusement en son chemin, sans s'estonner de rien, et laisser aller chacune son chemin.

            Il nous suffit, ma chere Fille, que nous sachions Jesus Christ crucifié. Ne soyes point pointilleuse en l'exercice des vertus, mais alles rondement, franchement, naifvement, a la bonne foy. Certes, je crains l'esprit de contrainte. O ma, chere Fille, je desire que vous ayes un cœur large et grand au chemin de Nostre Seigneur, mais je veux aussi tous-jours qu'il soit doux.

            La vie interieure c'est de faire mourir la nature et vivre selon la grace et la rayson. Quand les mouches nous piquent, il ne faut que tout simplement les oster ; ainsy, quand il nous vient des contradictions, il ne faut que tout simplement les oster, c'est a dire s'en destourner et non pas s'en occuper. Je vous dis comme je voudrois faire et comme je veux que vous facies. Je n'attens pas de vous que vous n'ayes point de sentimens ; ouy bien que vous les combatties, vainquies et surmonties avec douceur et patience.

            Quand vous n'aures pas de croix, demeures tranquille ; Nostre Seigneur vous en envoyera bien quand il luy plaira.

 

Du parler

 

            Demandes conseil a Nostre Seigneur de ce que vous devres dire, avant de parler, et a vostre partie superieure aussi, affin de ne rien dire qui offense Dieu ni les creatures. Tasches de parler utilement, posement et humblement a chacun, specialement aux Seurs, comme si elles estoyent toutes vos Superieures. [299]

            Il se faut rendre gratieuse et affable a chacune, et satisfaire aussi les seculiers le plus doucement et courtement qu'il se peut ; si vous ne pouves courtement, escoutes les avec patience et cordialité, les divertissant de leurs propos inutiles le plus doucement qu'il sera possible, et les caressés affablement. Et pour vous oster la crainte que vous ne faites pas ce que vous leur dites, pensés que vous leur parles comme messagere et envoyee de la part de Dieu ; et quand il vous vient de prendre de la vanité de ce que vous leur dites, penses en vous mesme que ce que vous dites n'est pas de vous, mais de Dieu, et vous humilies.

            Quand vous aures fait quelque bien ou resiste a des tentations n'y faysant point de fautes, dites tous-jours : J'ay fait cela par la grace de Dieu. Ou si l'on vous commande quelque chose, adjoustes y ce mot : que vous le feres avec la grace de Dieu ; ou bien : s'il plaist a Dieu. Il faut tous-jours dire ainsy, car nous ne pouvons ni faire le bien, ni resister au mal sans la grace de Dieu.

            Quand vous envoyeres ou recevres des commissions de quelqu'un, il faut ainsy parler de Nostre Seigneur, et dire a ceux qui vous les font : Je vous prie de remercier N. de ma part, du souvenir qu'il a de moy ; asseures le ou asseures la (selon la personne) que je prieray Nostre Seigneur pour elle, affm qu'il luy continue tous-jours ses saintes graces ; et choses semblables.

            Pour la recreation, il la faut faire comme dit la Regie. Il vous faut mettre quelquefois derriere les autres par humilité ; mais pour l'ordinaire, il se faut tenir la ou vous vous treuveres, sans affecter les dernieres places. Il faut bien mortifier son bec. Mortifies fort la curiosité. Il ne faut point vouloir des particularités ; la Regie le dit, et que les premieres seront comme les dernieres.

            On vous parlera autant que vous en aures besoin, et qu'il plaira a Dieu nous inspirer. La perfection ne consiste pas a parler, mais a faire. Vous aves un esprit comme ces arbres qui ont tant de branches autour qui les empeschent de croistre : tant de menus desirs empeschent de croistre le plus grand, qui est de plaire a Dieu.

            Quand vous advertisses les autres de leurs defautz il se [300] faut premierement accuser soy mesme dans son cœur, et puis faire la charité pour l'amour de Dieu. Il faut quelquefois alleguer ce que disent les Constitutions en ses advertissemens, a l'imitation de Nostre Seigneur ; comme quand l'esprit malin le tenta au desert, il dit : Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu ; et aussi quand les pharisiens l'interrogeoyent, il leur alleguoit l'Escriture, disant : Il est escrit telle chose. Vous en pouves faire de mesme, disant : Les Constitutions disent telle chose. Il faut aussi quelquefois dire les defautz simplement, sans allegation. Il faut aller fort simplement en tout et laisser dire aux autres ce qu'elles veulent.

            Ma chere Fille, il est bon d'entendre les coulpes des autres pour recevoir la lumiere pour voir les vostres, et penser en soy mesme que cette Seur est bien humble de s'accuser ainsy. Mais quand vous les escouteres par curiosité, alhors il se faut mortifier et ne les pas ouyr. Et quand vous dites les vostres, il faut desirer que les autres pensent que vous estes telle que vous vous accuses, et encor pire, pour pratiquer l'humilité.

            Vous pourres escrire aux Seurs absentes, parce que cela les console et entretient l'amour les unes envers les autres ; quelquefois vous n'escrires point aussi, par humilité et vray mespris de vous mesme. Il faut cela sans contrainte et avec liberté.

            Retranches ces paroles interieures : Si on me dit ceci, je respondray cela ; car cela ne fait que s'aigrir le cœur et oster de la douceur. Ne vous estonnes point de ces bouleversemens de cœur et aversions au prochain ; pourveu que vous ne les nourrissies pas volontairement il n'y aura point de peché. — Mais vous ne leur parles pas de bon cœur. — Il n'y a pas moyen, ma chere Fille, de le faire comme si on les aymoit bien, sinon qu'on se fist une grande violence. Et de [se] la faire, c'est une grande prattique de vertu, et de ne la pas faire, c'est la perdre.

 

Comme il se faut relever quand on est tombee

 

            Quand on tombe en quelques defautz et imperfections, c'est un remede et moyen tres bon, et qui plaist fort a Dieu [301] et confond le diable, que de s'humilier tout aussi tost devant Dieu et eslever son esprit au Ciel, usant de ces paroles ou autres semblables : O Seigneur, vous voyes combien je suis fragile et miserable, et comme je tombe souvent ; pardonnes moy, Seigneur, et donnes moy la grace de ne plus tomber. Si vous aves failli devant les Seurs, il faut reparer le defaut ; et si c'est vers une particuliere que vous aves commis la faute, dites ainsy, si c'est un manquement de douceur, [une] replique, tesmoignage de repugnance : « Ma tres chere Seur, je vous demande pardon de ce que je vous ay tesmoigné de la repugnance et manqué de douceur ; je vous ay mal edifiee, je vous prie de prier Nostre Seigneur pour moy, affin qu'il me fasse misericorde et la grace de m'amender. » Et puis, ma chere Fille, ne penses plus a vostre faute. Ne faites pas comme les petitz enfans : quand ilz sont tombés, ilz s'amusent a regarder si quelqu'un les a veus. Ne vous estonnes pas de vos cheutes et imperfections ; qu'elles ne vous fassent entrer en aucun descouragement, car cela est contraire a la perfection que nous desirons.

            En toutes actions, tasches de vous mortifier et crucifier vos passions, inclinations, aversions, avec Nostre Seigneur au mont du Calvaire, affin que vous vivies avec luy en sa gloire. Cloues vostre cœur au pied de la Croix, et le laisses la reposer en son amour. Soyes bien ayse d'estre sauvee par la seule misericorde de Dieu, vostre Sauveur, sans aucune correspondance de vostre part que l'obeissance a ses inspirations.

            Qu'importe que vous soyes tous-jours imparfaitte, pourveu que vous ayes le soin de vous perfectionner en embrassant tous les moyens qui vous seront possibles pour cela, avec fidelité ? Laisses faire a Dieu, il vous aydera. N'ayes pas tant de soin de vous mesme et de ce que vous deviendres. Marches tous-jours vostre petit pas, apres les autres. Encor que je die le petit pas, ce n'est pas que je n'aye un grand desir de vostre avancement a la perfection. Je me prometz beaucoup de vostre bon cœur, ma chere Fille ; ne me trompes pas, car je veux que vous soyes la fille forte de ceans, la plus courageuse, douce et humble [302] de toutes, parce que vous estes nee entre mes bras . Vous sçaves combien mon cœur vous ayme et que, tout a fait et sans reserve, vous vous estes donnee a moy et que nous avons ensemble le cœur : le vostre est a moy et le mien est a vous, tout a fait, et quand vous entendres parler de vostre cœur ce sera du mien. Or sus, ma Fille, je vous prie de n'entrer jamais en desfiance de moy, pour me cacher quelque chose de ce qui se passe en vous.

            Sçachés que vous satisferes asses pour vos pechés quand vous feres tout ce que vous faites purement pour Dieu et pour luy plaire, sans autre intention ; et cela est plus parfait.

            Nostre Seigneur dit a ses Apostres : Receves le Saint Esprit et le Sanctificateur, mais parce qu'ilz estoyent sur la terre ilz ne pouvoyent pas s'empescher de crotter leurs piedz marchant dans la boue. Ainsy, tandis que nous serons en cette vie, nous aurons tous-jours des miseres. Il se faut fort humilier et prendre bon courage pour combattre nos imperfections, car tandis que nous serons en cette vie, nous aurons tous-jours a faire et a combattre : c'est l'exercice de nostre humilité. Il ne se faut pas estonner de se voir tous-jours faillir et tomber en des fautes ; et comme il faut avoir un grand courage pour se relever quand on a failli, il le faut encor plus grand pour se supporter se voyant tomber souvent dans les mesmes fautes. Et s'il faut avoir bon courage avec soy mesme, il le faut encor plus grand a supporter le prochain, avec amour, en ses defautz et retardement a la perfection par ses continuelles cheutes, sans se relever. Il faut supporter surtout les infirmes.

            Vous estes marrie, ma chere Fille, parce que vous faites des fautes : il se faut humilier et demeurer en paix. Nous ne pouvons rien de nous mesme sans la grace de Dieu. Il a dit que nous ne sçaurions changer un seul cheveu de nostre teste pour le faire blanc ou noir.

            Qu'on vous accuse a tort ? dites la verité ; nous devons cela. — C'est la Superieure, et elle vous fait la correction comme si on luy avoit celé quelque chose. — Il luy faut dire la verité, et apres souffrir en silence. Au reste, il ne faut pas [303] aller dire ses troubles sur le champ, quoy qu'ilz nous pressent bien ; il faut attendre qu'ilz soyent un peu passés.

 

Comme il faut vivre selon la partie superieure

 

            Retenes bien cet advis de vostre Pere, ma tres chere Fille, pour le mettre en prattique : c'est qu'il faut vivre de la vie de Nostre Seigneur, marcher tous-jours selon la partie superieure. Tenes cette regie, de ne point vivre selon vos sentimens, mais selon la rayson. C'est une chose qu'il faut tous-jours redire.

            Mais il vous semble que vous ne faites rien si vous ne sentes des consolations et satisfactions en ce que vous faites, car nous aymons tant cela ! — Oh ! je veux que vous soyes plus courageuse, ma chere Fille, et que vous ne soyes attachee a rien, ni aux consolations sensibles de Dieu, ni aux affections des creatures. Nostre Seigneur veut que nous facions quelque chose de plus que les payens qui ayment davantage ceux qui les ayment ; il veut que nous exercions nostre vertu a l'endroit de ceux que nous aymons moins, et il le faut faire. S'il y avoit une personne qui fust punaise et qu'il la fallust servir et qu'elle ne se contentast jamais de nos services, il ne faudroit pas pour cela laisser un brin du service qu'on luy doit. Chacun ayme mieux ceux qui sont a son gré ; c'en est de mesme des vertus. Il est bien facile d'estre doux quand rien ne fasche. Il faut tourner son esprit a toutes mains par une excellente mortification de nous mesme et de tout ce qui est du naturel, pour se ranger au bon playsir de Dieu.

            Hé, quand sera ce que vous pourrés dire avec l'Apostre : Ce n'est plus moy qui vis, mais c'est Jesus Christ qui vit en moy. Il faut que ce soit tout a cette heure que vous soyes superieure de vous mesme et que vous soyes la nouvelle fille de Nostre Seigneur. Vous prattiqueres l'aneantissement en la vie et mort de Nostre Seigneur.

            Il faut avoir un grand soin du salut des ames pour la gloire de Dieu, et joindre a cela l'humilité.

 

Comme il faut tous les jours renouveller ses bons propos

 

            Reunisses vous fortement a Nostre Seigneur par le renouvellement [304] de vos vœux, avec le plus de ferveur qu'il vous sera possible ; et vous jettes aux pieds de Nostre Dame et la tires par sa robbe, la priant qu'elle vous reçoive en sa protection comme une fille nouvelle, et qu'il luy playse visiter vostre cœur et le parfumer de sa tressainte humilité. Ayes une grande confiance en elle et a saint Joseph.

            Il faut commencer tous les jours a bien faire, comme si on n'avoit rien fait. Pour arrester l'activité de l'esprit et le pousser de sa negligence, il faut souvent demander a son cœur qu'est ce qu'il est venu faire en Religion, sans penser au lendemain ; chaque jour a bien asses de sa besoigne. Nostre Seigneur dit a ses Apostres : N'ayes point souci du lendemain. Il ne faut pas plus penser au lendemain pour l'esprit que pour le cors.

            Ce que le Combat spirituel veut dire, ma chere Fille, que ce n'est pas si grande vertu et perfection de se resoudre pour tout un jour comme pour toute sa vie ? — Sçachés, ma Fille, qu'il y a deux sortes de perfection : par exemple, une personne sera tentee de la tentation de la chair ; elle n'y fait point de faute, elle est parfaitte en cela. Une autre n'est point tentee, elle est plus parfaitte, parce que c'est un don de Dieu. Ainsy ceux qui commencent la perfection d'un jour a l'autre, ne laissent pas, en leur resolution, d'estre parfaitz aussi bien que les autres qui en font la resolution determinee tout en un coup, pour toute leur vie. Ressembles, si vous pouves, a la robbe de [Joseph], qui tenoit despuis la teste jusqu'aux pieds ; c'est a dire, qu'il se faut exercer toute sa vie a la prattique des vertus.

            N'ayes point de desirs avant le tems. Il faut lier nos passions avec des chaisnes d'or, qui sont des chaisnes d'amour, sans oublier les inclinations et aversions, affin de les ranger en toutes choses selon le bon playsir de Dieu.

            Ayant fait vostre reveuë, rejetté et detesté vos imperfections, il reste a faire la fin, qui est de bien mettre en prattique vos resolutions et vouloir des-ormais vivre toute a Dieu et vous appliquer a son amour. Rendes vous toute abjecte a vos propres yeux : nous en avons bien sujet. Il faut grandement aymer son abjection, mais tout doucement. [305] Il ne faut pas estre tant rude a soy mesme. L'amour de nous mesme ne meurt jamais qu'avec nous ; on le mortifie bien, mais il revient tous-jours. Quand nous voyons que nous ne sommes pas si parfaitte que nous voudrions, il se faut humilier devant Dieu et luy dire : Seigneur, vous voyes ce que je suis ; je voudrois bien estre plus parfaitte pour mieux vous plaire et aymer.

            Ma chere Fille, de la racine amere procede fruit doux et savoureux : c'est la mortification. Vous estes en la plus heureuse vocation du monde et en la grace de Dieu ; si vous fussies demeuree au monde, vous eussies plus pati en un jour que vous ne feres icy en toute vostre vie. O Dieu, plustost mourir que s'en repentir.

            Pour nous, c'est le chemin du Ciel que nos Regles et Constitutions. Il faut estre bien exacte a les observer. Leur esprit, c'est l'humilité et la douceur interieure et exterieure. Unisses vous fort a Dieu, et ne luy demandes rien que son amour et l'union de vostre volonté a la sienne, et dites souventesfois : Vostre volonté soit faite, vostre Nom soit sanctifié, vostre royaume nous advienne. Pries Nostre Dame qu'elle offre vostre cœur a son Filz et le rende aggreable a sa divine Majesté. Jettes vous a ses pieds et en son giron, demandes luy souvent sa benediction.

            Il faut aymer Dieu de tout son cœur. En fin, nous sommes espouse d'un Espoux crucifié ; il est raysonnable que nous le soyons aussi avec trois clous comme luy. Faites toutes vos actions pour vous rendre aggreable a Dieu ; vous n'estes ceans que pour cela et pour vous perfectionner. Il faut aymer et vouloir sentir en soy la Passion de Nostre Seigneur crucifié.

            Vous prattiqueres cette annee le mespris et rejet de toutes vos pensees inutiles. C'est une parole de Nostre Seigneur : qui marche droitement a luy ne regarde qu'a le suivre droitement, sans regarder les autres ; n'y penses point. Il ne s'ensuit pas que vous facies comme elles. Marches vostre voye courageusement.

            Sentir la Passion de Nostre Seigneur, c'est quand il se presente une occasion de colere : il se faut representer [306] comme Nostre Seigneur se comportoit en sa Passion. Quel acte de colere fit il ? Il faut imiter sa douceur. Je vous la donne cette annee pour prattique.

            Les Constitutions disent qu'il faut marcher droitement, « sagement ». Il faut faire comme ceux qui vont par un beau chemin, rempli de belles fleurs : [ils] ont beaucoup de sujetz de s'amuser par le chemin ; ilz ne s'amusent a rien, pas seulement a cueillir ni sentir ces belles fleurs, ilz font leur chemin droit. Il faut faire ainsy, aller droit a Dieu, le regardant tous-jours devant soy, sans s'amuser a rien. Ce n'est pas aller droit de penser beaucoup a ses fautes, et aussi si les Superieures nous ayment. Il ne faut pas estre marrie si elles ne nous ayment et ne tesmoignent point d'affection a nostre avancement ; il suffit qu'elles l'ayent devant Dieu. Si elles nous negligent et nostre avancement, il ne faut pas se negliger soy mesme, ni perdre courage a s'avancer. Il faut estre bien ayse si elles nous ayment, parce que cela donne courage a s'avancer ; mais ce n'est pas marcher droit de penser beaucoup a cela.

            Ne regardés qu'a Dieu, ma Fille, pour luy plaire en tout, et generalement alles en toutes choses simplement devant.

            Ne vous mettes point en peyne de ce que les autres diront de vous. Marches tous-jours vostre train en l'amour de Dieu, ma chere Fille, que j'ayme bien de tout mon cœur.

 

De l'amour de Dieu [et du prochain]

 

            Ma chere Fille, oyes saint François s'escrier : Nostre Seigneur est mort d'amour et personne ne l'ayme ! Taschés donq [de l'aimer] de tout vostre cœur, de toutes vos forces et puissances. Vous luy estes bien obligee pour tant de graces qu'il vous a faites et fait continuellement. Nostre Seigneur vous a aymee de toute eternité et il vous ayme bien, croyes le, je vous en prie.

            Comme il faut faire pour l'aymer ? — Il n'y a rien a faire qu'a l'aymer et mettre tout son amour en luy. Contentes vous en luy, et vous devries estre contente. Quand il n'y auroit que Dieu et vous au monde, seroit-ce pas asses, sans vouloir tant de creatures et vous amuser a tant de [307] tricheries qui passent par vostre esprit ? Resouvenes vous souvent de Dieu par des frequentes aspirations en luy.

            Il ne se faut fascher si on n'est pas tous-jours en la presence de Dieu. Il faut une habitude et prattique pour donner un bon maintien a vostre ame en ses actions interieures et exterieures. Faites les toutes comme si Nostre Seigneur vous les ordonnoit et qu'en la presence de son humanité vous les deussies executer. Je ne dis pas seulement cecy des actions pieuses d'elles mesmes, mais aussi des indifferentes, comme d'aller se coucher, se reposer, quand il le faut. Si Jesus Christ estoit present et qu'il voulust que nous allassions rire avec quelqu'un par charité et en sa presence, comme ferions nous cette action ?

            Nostre Seigneur a tant aymé ses creatures, qu'il a estimé qu'il ne pouvoit envoyer ni Anges ni Saintz pour nous monstrer l'amour qu'il nous portoit, s'il ne venoit luy mesme en personne prendre nostre humanité et donner son sang et sa vie pour nostre redemption. Cela nous doit bien encourager a l'aymer et servir de bon cœur et joyeusement.

            Essayons nous de n'avoir en l'entendement que Jesus, en la memoire que Jesus, en la volonté que Jesus et en l'imagination que Jesus. Prononçons souvent ce saint Nom, comme nous pourrons ; que si pour le present ce n'est qu'en begayant, a la fin nous apprendrons a le bien prononcer. Le seul amour divin peut seul exprimer ce saint Nom : JESUS. Prions le qu'il luy plaise l'imprimer au fond de nostre cœur en cette vie, affin de le voir en l'autre. Amen.

 

            De l'amour de Dieu derive celuy du prochain. Il faut bien aymer nos Seurs et les espouses de Nostre Seigneur. Ne vous estonnes pas si vostre amour n'est pas tendre, tant a l'endroit de Dieu comme a l'endroit des creatures ; pour estre fort, il en est meilleur. Il les faut aymer tendrement tant que l'on peut. La confiance, deference et sousmission attirent le Createur et les creatures a nous aymer et nous procurer le bien par inclination. Il ne faut pas seulement se disposer a ne pas negliger l'innocent, mais il se faut joindre avec luy pour la defence de sa cause. Nous devons a Dieu la bonne conscience, et au prochain le bon [308] exemple. L'ame du prochain, c'est l'arbre de vie du paradis terrestre ; il est defendu d'y toucher parce qu'il est a Dieu qui le doit juger, et nous aussi. Quand il nous vient envie de nous fascher avec quelqu'un, il faut tout aussitost regarder cette ame dans le sein de Dieu ; a cette heure nous n'aurons garde de nous fascher avec elle, et c'est le vray moyen de conserver la paix en nostre cœur et l'amour du prochain.

            Et pourquoy ne nous appartient il d'avoir des graces, desirs et sacrees inspirations ? Nostre Seigneur commande que nous soyons parfaitz comme son Pere celeste ; il faut tascher de se perfectionner et y employer toutes nos forces. Et pourquoy ne recevrons nous pas les sacrees inspirations de nostre divin Espoux, qu'il nous envoye avec tant d'amour ?

            Non seulement on est plus obligé a secourir les proches et voysins, mais il le faut faire.

            Quand nous sentons que nous n'avons point de confiance en Dieu, il en faut aller prendre dans son cœur, car Nostre Seigneur en est tout plein. Il ne nous oste jamais sa grace pour ces petites choses ; il n'est sujet a se fascher contre nous quand nous manquons, pourveu que nous retournions a luy en nous humiliant avec amour et confiance. Rendes vous autour de luy comme un petit enfant. Laisses vous gouverner de luy, a son gré ; encor qu'il ne soit pas selon le vostre, il sera tous-jours bien selon le sien. Il faut entreprendre de se perfectionner, non point pour nostre contentement, mais pour plaire a nostre Espoux qui le veut.

 

Des secheresses et sterilités

 

            Sçaches, ma tres chere Fille, qu'on fait plus de chemin quand le tems est couvert qu'au grand de la chaleur ; ainsy, quand on est en grande secheresse on avance plus au pur amour de Dieu, pourveu qu'on soit fidele et sans descouragement. L'amour propre n'est pas si satisfait, car nous voudrions tous-jours avoir des goustz, des satisfactions et consolations, ou autrement tout est perdu. Nous voudrions avoir les vertus sans qu'il nous en coustast rien. Oh ! il faut estre plus courageuse que cela, Il faut autant [309] aymer Nostre Seigneur, et plus, s'il est possible, au mont de Calvaire qu'en celuy de Thabor.

 

Des tentations : premierement de la vocation

 

            Puisque vous aves choisi cette sorte de vie, par la grace de Dieu, ne permettes point a vostre cœur de s'appliquer a d'autres desirs ; mais, en benissant Dieu des autres vocations, arrestes vous humblement a celle ci, puisque Dieu vous a fait la grace de vous y appeller. Demeures donq simplement en cette resolution, sans regarder ni a droitte ni a gauche, et quand l'ennemi vous mettra cette tentation au cœur, que vous ne persevereres pas, dites en vous mesme : Si ferons, s'il plaist a Dieu ; Celuy qui a commencé l'œuvre la parachevera. Addresses vous a Nostre Seigneur et luy dittes que vous le voules aymer et que vous estes toute sienne, et pour rien vous ne vous desmentires jamais de le vouloir servir le plus parfaittement qu'il vous sera possible en cette sorte de vie ou il vous a mise luy mesme par sa misericorde.

            Soyes bien fidelle a faire tous les exercices de Religion avec le plus de ferveur que vous pourres. Alles de bon cœur a l'Office, a l'orayson, a la recreation et autres lieux, nonobstant la secheresse et repugnance que vous y aves. Je dis tous-jours selon la partie superieure. Et ainsy pour la sainte Communion : quand il vous viendra des desgoustz, ne laisses pas de communier, mais alles tout simplement et amoureusement recevoir vostre Createur, vous imaginant de le recevoir avec la Sainte Vierge.

 

Des aversions

 

            Regardes d'ou vient cette aversion, et l'ayant reconneu combattes la ; et si cela accroist vostre peyne pour un tems, divertisses vous, parlant a Nostre Seigneur d'autre chose. Neanmoins il faut tascher de se vaincre et parler a cette Sœur le plus gratieusement qu'il est possible, prier Dieu pour elle, rechercher sa conversation, la caresser, estre bien ayse de luy rendre service. Ne faites rien qui puisse faire connoistre vostre aversion. En fin, ce sont des [310] mouches du monde qui nous piquent, mais il [ne] faut que tout simplement les oster.

            Pour bien faire, il se faut comporter en ses actions comme si on n'avoit point d'aversion. Et que vous doit il importer d'en avoir ou non, pourveu que vous ne les suivies et que vous ne les nourrissies pas volontairement ? Il n'est pas en nostre pouvoir de n'avoir point de tentations et sentimens, mais ouy bien de n'y point consentir et y faire des fautes en suite. Nostre Seigneur veut que vous porties sa Croix et permet que vous soyes tentee pour vous esprouver et faire meriter, parce qu'il vous ayme ; mais il veut aussi que vous soyes fidele a ne point suivre vos sentimens et inclinations.

            Je vous diray, ma tres chere Fille, une chose que vous diries bien a une autre : c'est que ou il y a plus de repugnance, Nostre Seigneur veut que nous prattiquions plus de grandes vertus, car la vertu ne s'acquiert que par son contraire. Jamais nous ne l'acquererions si nous n'avions des occasions de combattre, comme cette fille qui alla treuver saint Athanase affin qu'il luy baillast une femme qui l'exerçast a la patience, pour en acquerir la vertu. Si nous ne nous mettions point aupres de ceux qui nous piquent, nous n'acquerrions jamais la douceur et patience. Il y a un peché qu'il faut fuir, et ses objectz, pour en acquerir la vertu contraire ; mais pour la partie irascible il luy faut aller au devant et faire des actes positifs. De mesme a l'aversion, quand elle ne presse pas trop, soyes soigneuse de faire des actes positifs. Il faut faire son devoir en ces tentations ; Nostre Seigneur veut que nous les ayons et que nous rendions nostre devoir aux creatures ; puis, qu'elles pensent de nous ce qu'elles voudront.

            Ne penses pas, ma Fille, que je voulusse trahir vostre ame ; o non, car elle m'est aussi pretieuse que la mienne mesme. Je vous dis ce que je dois et que vous estes obligee de faire pour parvenir a la perfection, comme toutes les Filles de Sainte Marie pretendent, et faire tout pour cela. Je vous dis, ma chere Fille, j'ay un desir tout particulier pour vostre avancement, parce que Dieu le veut, et vous a donné beaucoup de moyens pour cela. Employes-les bien. Et ne feres vous pas bien ce que je vous diray ? [311]

            Ma chere Fille et partiale, je vous prie, ne faites rien a cette Seur qui puisse luy faire connoistre que vous luy aves de l'aversion ; au contraire, soyes ayse de luy rendre des services. Il faut beaucoup aymer le prochain avec tendresse, specialement celles [envers] qui vous aves plus de repugnances. C'est un grand moyen d'avancer a la perfection et d'acquerir des vertus heroïques. Ne perdes pas ces occasions que vous aves de vous avancer en l'amour de Dieu.

            Il y a de la difference de l'envie aux aversions. L'envie c'est que l'on est marri du bien du prochain ; l'aversion est une passion qui vient sans que nous voulions, et pour la vaincre quand elle est forte il se faut divertir et n'y point penser que le moins que l'on peut. Quand elle n'est pas si forte, il se faut surmonter. Je veux que les autres connoissent que vous vous surmontes. N'avertisses point les Seurs quand vous leur aves de l'aversion.

 

De la melancolie

 

            Quand vous seres assaillie de la melancolie, divertisses vous tant que vous pourres ; parles, chantes, recrees vous avec les autres. — Mais vous ne dites rien qui vaille, ce vous semble. — Il vaut bien mieux ne rien dire qui vaille, pour aymer son abjection, que suivre son humeur, car c'est ce que nostre ennemi pretend : nous abattre le courage, pour aucunes choses qui nous puissent arriver. Quand bien nous aurions fait un grand peché, il ne faudroit se descourager ni entrer en aucune sorte de desfiance de la misericorde de Dieu. Ne sçaves vous pas que le throsne de sa misericorde c'est nostre misere ?

            Dites des paroles d'amour a Nostre Seigneur, quoy que sans goust. Ne laisses pas un brin de vos exercices, pour tout ce que la tentation vous dira de contraire : il les faut redoubler, j'entens au moins les oraysons jaculatoires, et les faire avec ferveur, et tout le reste des exercices autant qu'il vous sera possible, en despit de vostre degoust. Sainte Gertrude dit que Nostre Seigneur ayme mieux qu'on luy bayse les pieds avec de la repugnance que quand on y a bien du goust, parce qu'on fait plus pour son amour. [312] Saint François demeura trois ans en melancolie et secheresse, et saint Bernard, et tant d'autres. Mais sur tout, ma chere Fille, ne vous estonnes point de tout ceci et parles a Nostre Seigneur d'autre chose que de ce que vous sentes en vostre cœur ; car cela aggrandiroit vostre mal. Vous luy en parleres une autre foys, quand le mal sera passé. Parles luy d'amour, jettes vous entre ses bras comme un petit enfant entre les bras de sa mere ; dites luy que vous voules estre toute sienne, car il est tous-jours en nostre pouvoir de dire cela, et VTVE JESUS, et chose semblable. — Il vous semble que vous ne pouves pas. — Si fait, mais c'est que vous ne le voules pas, parce que vous y aves de la peyne et que vous n'y aves point de satisfaction. En ce tems la, parles a Nostre Seigneur d'autres choses, le plus doucement, gratieusement et humblement que vous pourres.

            Supportes vostre mal avec patience, fuyes les choses qui croissent ou font naistre vostre mal, comme : prendre playsir a vostre pleur, fuir les conversations, faire tout ce que l'on fait avec regret, et choses semblables. En fin, souffres vostre mal pour Nostre Seigneur.

            Pour vos tentations, c'est vostre chemin, ne vous en mettes point en peyne ; tasches seulement de ne point faire de fautes en leur faveur. Il se faut divertir en des choses exterieures. En fin, bienheureux, en toutes tentations, qui croit et peut dire : Credo in Deum ; il ressent mille suavités au cœur. Et ne sçaves vous pas Jesus Christ crucifié ? vous sçaves bien cela, c'est asses ; vous sçaves plus que vous ne faites. Nostre Seigneur a laissé escrit en sa loy que nous aurions tous-jours des ennemis a combattre jusqu'a la mort. Nous voudrions estre saintz et qu'il ne nous coustast qu'un Ave Maria !

            Vous aves plus de peyne a vaincre vos passions parce qu'elles sont fortes, mais la vertu en sera plus excellente et Nostre Seigneur vous en sçaura plus de gré. Ce n'est rien que les sentimens de la partie inferieure, pourveu que la superieure tienne ferme. Saint Paul qui dit : Je ne vis plus, mais c'est Jesus Christ qui vit en moy, se plaint et dit : Je sens une loy en mes membres qui repugne a celle [313] de mon esprit. La loy de l'homme exterieur c'est de frapper des pieds et mains, dire des paroles ; mais l'interieur ne fait rien de cela, encor qu'il ayt le sentiment. Nos saintz Peres ont eu des sentimens ; vous n'estes pas plus qu'eux.

 

De l'office

 

            Pour l'Office, prepares vous avant que d'y aller, ou bien en y allant, et dites : Je psalmodieray les louanges de Dieu en la face des Anges ; ou bien [pensez] que vous alles avec Nostre Dame chanter les louanges de Nostre Seigneur. Et tous-jours, quand vous treuveres vostre esprit distrait, remettes vous doucement en une sainte attention que vous dites les louanges de Dieu avec Nostre Dame, et penses a elle, joignant vos prieres aux siennes pour les presenter a son Filz.

            Tenes vous en reverence devant Dieu, faites des retours de vostre cœur a Nostre Seigneur quand l'autre chœur respond, et dites du vostre avec attention. Ne vous laisses aller a rire et faire des impertinences. Faites tout ce que vous pourres pour vous empescher de dormir, pour la reverence du Tres Saint Sacrement, des reliques de l'autel et de l'office que vous faites a Nostre Seigneur avec les Anges. Il faut estre grandement fidele a ne se point arrester a des inutilités ; si tost qu'on s'en apperçoit, il faut promptement en destourner son esprit. Pour moy je n'y suis point distrait, pour affaires que j'aye. Quand je suis a l'Office, je m'imagine que je suis au Ciel avec les Anges, et que je chante avec eux les louanges de Nostre Seigneur ; et au partir de la, je treuve qu'en un moment toutes ces affaires se font, qui auparavant que d'aller a l'Office me donnoyent tant de peyne. Nostre Seigneur fait cela. Il ne faut point penser a ses charges ni a ce que nous ferons apres, quand l'Office sera dit ; vous y penseres quand vous seres sortie du chœur. Conserves bien les affections que Dieu vous donnera pour les mettre en prattique.

            Quand la cloche sonne, penses que Nostre Seigneur vous dit : Ma fille, viens chanter mes louanges.

            Ne laisses pas de dire vos pensees a la Superieure ; encor qu'elle vous mortifiera et fera la mine, il faut croire qu'elle [314] dit la verité et que vous vous trompes. Divertisses vostre esprit, et le tenes aupres de Dieu.

            Le don d'entendement est un don que Dieu respand dans l'ame juste des lumieres de la foy et de la ferme creance d'icelles, de leurs clartés et beauté. Il se prattique ainsy : en la fermeté des considerations que l'on fait a l'oraison, aux affections et resolutions que l'on y fait pour la prattique.

            Nostre Seigneur dit : Si quelqu'un me leve de terre, je tireray tout apres moy. Il vouloit dire : Si quelqu'un me crucifie, je tireray toutes les creatures apres moy au Ciel, au moins celles qui voudront faire prouffit de ma Passion. Nostre Seigneur a dit que quicomque perdra son ame, c'est a dire sa vie, la gaignera, et que qui la gaignera la perdra. En la primitive Eglise tous les Chrestiens qui estoyent martyrs perdoyent leurs ames et vies temporellement pour les gaigner eternellement. Nostre Seigneur dit a saint Pierre : Je mettray ma vie pour la tienne ; et saint Pierre dit le mesme a Nostre Seigneur. Les mondains qui vivent selon la chair et les vices gaignent leurs ames en ce monde pour les perdre eternellement en l'autre. Les Seurs perdent leurs ames venant icy, parce qu'elles n'ont plus a faire de la vie qu'elles menoyent au monde ; il faut qu'elles vivent selon Nostre Seigneur crucifié, et le suivant, elles gaigneront leurs ames pour le Ciel. On perd aussi sa vie quand on mortifie ses inclinations et passions pour vivre selon la rayson.

            Vous estes obligee de vous perfectionner.

            Il y a difference des murmures a la mesdisance : le murmure est en des choses de peu, la mesdisance s'entend en des choses grandes.

 

De l'orayson

 

            Il faut fonder toutes nos oraysons sur celle de Nostre Seigneur au Jardin des Olives, nous despouillant de nous mesme et de tout propre interest, nous resignant a la volonté de Dieu ; puis luy demander nos necessités et de toutes les creatures, et que son Nom soit sanctifié. Tasches de faire ainsy. Prenes soigneusement un point et vous mettes [315] en la presence de Dieu avec le plus d'humilité qu'il vous sera possible ; tasches de faire vos considerations, si vous pouves, et si Nostre Seigneur vous tire et empesche par son attrait et inspiration de faire des considerations pour vostre amendement, ne les faites pas, vous les feres apres l'orayson si vous pouves ; mais laisses aller vostre ame aux affections ou Dieu l'attire, sans vous rechercher ni regarder ce qui se passe en vous, mais soyes fidele a suivre l'attrait de Dieu.

            Il faut estre grandement pure ; puisque Nostre Seigneur vous fait ce don, il ne vous le donne pas pour vos beaux yeux, mais affin que vous le servies mieux et le prochain aussi. Exerces-vous fidelement a l'orayson et Dieu vous y fera beaucoup de graces. Il semble qu'il conduit luy mesme vostre ame par le chemin de l'orayson.

            Quand on ne peut pas faire des considerations par secheresse, il faut faire ses resolutions et affections selon la partie superieure, sans se desgouster ni quitter l'orayson ; mais quand il vient des pesanteurs, sur tout aux oraysons extraordinaires, vous vous pouves bien un peu divertir, comme pendant la lecture et autres qui ne sont pas d'obligation. Ne laissés pourtant de la faire quand vous pourres et en aures la devotion, car l'ennemi pourroit bien donner ces pesanteurs affin de vous divertir de cet exercice. Il se faut surmonter pour Nostre Seigneur et ne se pas laisser emporter a la negligence de combattre le sommeil et les distractions. Il s'y faut bien preparer, puis, si Nostre Seigneur prend nostre cœur, il le faut laisser faire et suivre son attrait, sans nous destourner pour regarder ce que nous faysons ou sentons, car c'est une des plus fines tentations et distractions que celle la ; il [s'en] faut bien garder.

            Alles tout doucement avec Nostre Seigneur, et pendant qu'il vous fait la grace de jouir de sa sainte presence et vous donner de ses consolations et lumieres, il se faut bien garder de s'en divertir par une fause humilité. Ne faites pas cela ; gardés vous de le plus faire, car c'est resister au Saint Esprit et luy faire la loy et vouloir se gouverner soy mesme. Nostre Seigneur nous attire a luy, nous voulant donner ses graces, et nous resistons ! Il est bien employé [316] qu'il nous laisse la tout imparfaitz, puisque nous ne voulons pas recevoir la grace et l'honneur qu'il nous fait avec tant d'amour, sans que nous l'ayons merité. Nous sommes bien coupables. C'est comme si un seigneur vous appelloit pour vous parler, et que vous n'y voulussies pas aller et que vous dissies : J'ayme mieux parler a ses valetz. C'en est de mesme resistant aux inspirations et au don de Dieu.

            Que vostre principal exercice soit de vous tenir tous-jours aupres de Nostre Seigneur, mais tranquillement ; et ne laisses pas plus dissiper vostre esprit hors de l'orayson qu'en l'orayson, et soyes telle hors d'icelle comme vous voudries estre en la faysant. Ne vous en desgoustes jamais, pour secheresse que vous y ayes. Quand on n'a pas bien fait l'orayson, il le faut reparer par des oraysons jaculatoires. Soyes fidele a faire des frequens et continuelz retours de vostre esprit en Dieu.

            En fin, qui n'a l'esprit d'orayson et de recollection, il est impossible quasi qu'il arrive a une parfaitte victoire de soy mesme et a un grand degré de mortification, comme l'experience le monstre. Toute l'immortification qu'ont aucunes fois les Religieux provient de ce qu'ilz ne s'addonnent pas a la meditation, laquelle est le chemin raccourci de la perfection. Il n'est pas possible que l'ame qui au tems de la meditation est occupee de quelqu'autre affection ou desir, puisse estre attentive a ce qu'elle medite, pour bien recevoir en soy mesme l'image de Dieu auquel elle cherche de se transformer par l'orayson. C'est comme une eau qui est tant agitee des vens qu'elle ne represente pas l'image de l'homme, d'autant qu'elle est troublee ; et bien qu'elle soit claire, les parties du cors y paroissent comme desunies les unes des autres. Tout de mesme l'ame qui est agitee des vens contraires des passions n'est pas propre pour recevoir en soy l'image de Dieu.

            Il faut estre bien fidele a employer l'heure d'orayson, parce qu'elle est toute a Nostre Seigneur, sans se laisser emporter aux distractions volontairement. Je sçay bien, ma Fille, que la perfection ne consiste pas a l'orayson, mais a l'humilité. [317]

            Un des preceptes de la vie spirituelle est de prendre deux ou trois Saintz et les prier qu'ilz intercedent pour nous vers Nostre Seigneur ; mais s'ilz ne nous impetrent pas ce que nous voulons et desirons d'eux, il ne les faut pas quitter. Nostre Seigneur nous donnera d'autres choses qui sont meilleures pour nous. Il ne faut pas servir Dieu ni les saintz Protecteurs par fantaisie, ni se gouverner soy mesme. Il faut tous-jours avoir Nostre Seigneur crucifié devant les yeux ; il nous regardera, pour respandre sur nous la suavité de ses parfums.

 

            Pour s'habituer a la presence de Dieu, il faut prendre le sujet de l'orayson, comme par exemple, de la Nativité de Nostre Seigneur. Les Anges chanterent : Gloire au Ciel et paix en la terre aux hommes de bonne volonté. Il faut dire tous les jours : Mon petit Dieu de faix . Et de celle de la Passion ; de celle icy tires en tous-jours le fruit de la douceur et humilité.

            Il faut suivre les mysteres de l'Eglise pour l'orayson ; ce peut estre une tentation de la faire sur la Nativité au tems de Pasques. Ainsy des autres.

 

Revu sur deux anciens Manuscrits conservés à la Visitation de Pignerol et à celle de Caen.

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XXXI. Avis a une Religieuse de la Visitation sur les vertus qu'elle doit surtout pratiquer, [1612-1618] (Inédit)

 

            Aux peynes d'esprit et de cors que vous endures, consoles vous, considerant cinq choses : [318]

            Premierement, que cela arrive par la volonté de Dieu, ou permission, qui la juge estre a sa plus grande gloire et vostre plus grand bien que cela se fist ainsy.

            La seconde, que vos pechés meritent bien cela et davantage.

            La troisiesme, que Dieu est la present qui contemple si en l'occasion qu'il vous donne de prattiquer la vertu, vous prattiqueres la bonne resolution qu'aves prise de ne le jamais quitter ni offenser.

            La quatriesme, que la sainte humanité du Filz de Dieu a bien plus enduré, plus innocemment et plus injustement que vous ; encourages vous donq par son exemple a patir, et vous res-jouisses d'avoir ce moyen de l'imiter en cela.

            La cinquiesme, que tous les maux que l'on vous fait sont autant de couronnes au Ciel, si vous les supportes ; si bien que ceux qui sont vos malfaicteurs soyent vos bienfacteurs.

 

Prattique de l'humilité

 

            Faire toute chose, tant exterieure qu'interieure, avec desir de s'humilier et rendre abjecte.

            Se tenir pour la moindre de toutes et vous res-jouir quand l'on vous tient pour telle. Rabaisser souvent vostre cœur devant Dieu ; aymer que l'on connoisse vos fautes et lourdises, ou infirmités, et ne rien faire pour les couvrir. Aymer cherement vostre abjection et la tirer de toute chose.

            Ne nous troublons point pour nos fautes, ni pour nostre peu d'advancement, ni pour rien qui soit en nous, ni que nous puissions faire.

            Ne se point excuser, ni interieurement, ni par paroles et actions.

            Parfumer son cœur des pensees d'abjection qui viennent.

            Se rendre grandement sousmise en toute chose, pour petite qu'elle soit ; estre facile a condescendre a toutes ; en toutes choses ne rien faire pour estre loüee ni estimee.

            Ne point desirer ni aymer que l'on appreuve ou estime ce que nous disons ou faisons.

            Nous res-jouir de voir et entendre parler de la vertu [319] de nos Seurs ; porter un grand respect a nos Seurs, les regardant toutes comme nos Superieures, et mesme oyant en toutes les sacrees paroles de Nostre Seigneur.

            Aymer a faire les choses humbles et abjectes. Aymer a estre reprise et humiliee devant toutes.

            Parler bassement et humblement ; ne point parler de soy, de ses parens, ni d'aucune chose qui puisse estre a son advantage.

            Estre toute courageuse et preste de faire et entreprendre tout ce que l'obeissance nous ordonne.

            Avoir une grande confiance en Dieu et au secours de la Sainte Vierge parmi les sentimens de nos foiblesses et infirmités.

            Ne jamais laisser de dire ou de faire aucunes choses pour crainte d'en recevoir de l'abjection.

 

Prattique de la douceur

 

            S'accoustumer a parler, et faire toutes ses actions petites et grandes, en la plus douce façon qu'il est possible.

            Au premier sentiment de colere, d'impatience et souslevement de cœur, c'est de ramasser promptement et doucement ses forces aupres de Nostre Seigneur. Quand on sent quelque trouble ou ressentiment, recourir a Dieu, invoquant son secours par un simple divertissement.

            Quand on a fait quelque acte de colere ou d'impatience, reparer la faute par un acte de douceur exercee promptement a l'endroit de la personne mesme ; tenir son visage doux, respondant et faysant gratieusement tout ce que l'on nous ordonne.

            Se rendre douce, affable et cordiale en nostre conversation.

            Accueillir un chacun doucement, l'ayder et contenter, tant par nos façons que par nos responses.

            Ne tesmoigner jamais aucun mescontentement, pour chose qu'on fasse ou dise de nous.

            Ne nous despiter jamais contre nous mesme, ni contre nos imperfections.

            Ne se point troubler ni inquieter pour nous voir imparfaitte et mal mortifiee. Avoir un desplaysir de nos fautes [320] qui soit paisible, rassis et ferme, et non point aigre, empressé ni inquiete. Reprendre et corriger son cœur doucement et par voye de compassion, disant : Oh ! mon pauvre cœur, nous voyla tombé ; or sus, relevons nous et quittons pour jamais nos imperfections.

            Bailler du courage a son cœur quand on a failli, et de l'esperance que Dieu l'aydera et qu'avec son [secours] l'on fera prou. Faire ferme resolution de ne plus tomber en sa faute. Ne se point estonner de nos cheutes, puisque ce n'est pas chose admirable que l'infirmité soit infirme et la foiblesse foible ; et en fin nous humilier de toutes nos fautes generalement, soyent elles grandes ou petites ; mettre cela devant Dieu par une humble reconnoissance de nostre misere, puis nous relever tout doucement.

 

Prattique de la simplicité

 

            D'avoir une tres unique pretention en toutes ses œuvres et actions, qui est de plaire a Dieu ; de voir et aymer la volonté de Dieu en tout ce qui nous arrive, tant du bien que du mal.

            Demeurer tous-jours tranquille de tout, mesme du retardement de nostre perfection, travaillant neanmoins fidellement pour l'acquerir.

            Estre naifve et sincere a descouvrir ses defautz sans les ombrager.

            Estre veritable et ronde en nos paroles, sans les multiplier, sur tout pour s'excuser et couvrir. Estre sans fard, artifice ni reflexions sur nos actions, sur nos fautes et paroles.

            Regarder plustost ce que dira Dieu et ses Anges sur ce que nous faisons et disons, que non point que diront ceux qui nous voyent et entendent.

            Vivre au jour la journee, sans tant de prevoyance ni de soin de nous mesmes, ni de tout ce qui doit arriver.

            Faire ce qui nous est present selon nostre vocation, et nous confiant entierement en la divine Providence.

            Faire les choses ainsy qu'elles se presentent, tout a la bonne foy, sans regarder tant [de] choses. [321]

 

Prattique de la modestie

 

            N'estre point legere en ses paroles et actions.

            Avoir le visage et les yeux sereins, sans fronce ni mine froide et melancholique ; porter la veuë basse et marcher avec un maintien humblement rabaissé ; estre cordiale et franche entre les Seurs.

            Se porter et parler avec un grand respect.

            Ne point trop familiariser, principalement avec celles a qui nous avons de l'inclination.

            Se saluer par l'inclination de la teste, avec application d'esprit et un grand respect.

            Ne point contester, ni parler avec empressement ; ne pas rire ni parler trop haut, ni faire des gestes en parlant, des mains ni de la teste, ni des autres membres du cors.

            Respondre ou dire ce que l'on dit posement, sans [faire] la honteuse ni la craintifve.

            Faire ses [actions] avec tranquillité et sans empressement ni interieur, ni exterieur.

            Retrancher la curiosité es choses esquelles on sent de se contenter.

            Avoir la volonté de plaire en toutes choses a Dieu.

            Ne point tant chercher de moyens pour bien aymer et servir Dieu, mais se tenir aux pieds de Nostre Seigneur, demandant sa grace et son amour, sans rechercher autres moyens pour y parvenir que ceux qui nous sont marqués dans nos Constitutions.

            Se contenter de marcher en simplicité en l'observance de nos Regles, sans desirer de sçavoir autres choses.

 

Prattique de la charité fraternelle

 

            Ne murmurer ni dire aucune faute d'autruy, quoy qu'elle soit legere. Dire du bien de tous et ne se plaindre de personne.

            Ne jamais rapporter aux autres ce que nous aurons ouy dire d'elles, [si c'est] chose qui puisse mortifier ou mescontenter ; ne jamais dire aucune chose qui puisse tant soit peu mortifier les Seurs. [322]

            Ne rien dire qui rabbatte ou desappreuve ce que les autres disent.

            Ne tesmoigner aucune singularité a aucune, qui puisse tant soit peu donner du soupçon aux autres.

            Traitter avec tous, avec amour et charité ; ne juger personne, ains les excuser, tant a part soy qu'a l'endroit des autres.

            Ne reprendre personne sans en avoir charge.

            Fuir toute aversion, mais sur tout de les faire paroistre.

            Ne laisser de parler, regarder et se mettre aupres de celles qui nous auront donné quelque mescontentement.

 

Prattique de la mortification

 

            Se mortifier en toutes les choses et occasions qui se presentent.

            Bien faire son prouffit de toutes les mortifications qui nous arrivent de la part de Dieu, de la Superieure et des Seurs.

            Se mortifier et vaincre en tout ce qui empesche d'observer la Regie.

            Bien faire les choses ordinaires que nous faisons tous les jours, tant interieures qu'exterieures.

            Se mortifier de ne point sortir de la celle quand on en a bien envie.

            Ne regarder chose aucune qui soit curieuse.

            Ne point desirer sçavoir ni demander ce qui ne nous touche point.

            Ne point dire ce que l'on sent grande envie de dire.

            Se mortifier es choses que l'on doit faire par obligation, comme de manger, se recreer et tel autre exercice auquel on prend playsir, disant avant que de les faire : Je ne veux pas faire cela pour mon playsir, ains parce que mon Dieu le veut.

 

Prattique de la patience

 

            Ne donner aucun signe d'impatience quand il (le prochain) ne prend pas bien ce que nous faisons ou avons en charge. [323]

            Ne permettre qu'aucune tristesse ni ressentiment s'empare de nostre cœur.

            Ne se point ennuyer des advertissemens ni que l'on nous reprenne de nos defautz.

            Souffrir avec patience la peyne que nous avons que l'on nous monstre et redise souvent une mesme chose.

            Ne point s'impatienter quand on a de la peyne de retenir et comprendre ce que l'on nous monstre.

            Recevoir tout ce qui repugne a nostre goust, volonté et affection, avec allegresse et promptitude, parce que tel est le bon playsir de Dieu.

 

Prattique de l'obeyssance

 

            Obeyr soigneusement, sans rien oublier ; promptement, sans delay ni remise ; simplement, sans discours ni raysons ; fidellement, rien prendre pour vous en vos obeyssances ; franchement, sans contrainte ni chagrin ; amoureusement et non point pesamment, maussadement et a contre cœur.

            Obeyr de cœur et de volonté, ayant mesme vouloir et non vouloir avec nos Superieurs.

            Obeyr d'entendement et jugement, sans recevoir aucun advis ni opinion contraire a celuy de nos Superieurs.

            Obeyr a toutes Superieures, quelles qu'elles soyent, comme a Nostre Seigneur Jesus Christ.

            Obeyr a l'aveugle, sans s'enquerir, examiner ou demander pourquoy, comment, ains n'avoir autre rayson pour se contenter que celle de sçavoir que c'est l'obeyssance, et dire en soy mesme : Je fais ceci parce que telle est la volonté de Dieu, et en icelle est tout mon contentement.

 

Prattique de la pauvreté

 

            Ne prester ni recevoir aucune chose, pour petite qu'elle soit, sans congé ; aymer et nous res-jouir quand quelque chose qui nous est necessaire nous manque. Aymer et nous res-jouir quand le moindre de la Mayson nous est donné.

            Avoir souvent la pauvreté de Nostre Seigneur, de la Sainte Vierge et des Apostres devant les yeux.

            Une abnegation des choses dont on se sert tesmoigne un grand contentement. [324]

            Bayser et caresser tendrement ce qui repugne a nostre goust et sensualité.

            Ne point manger avidement, ni desirer d'avoir autre viande que celle que l'on nous donne.

            Quand on est sec et aride, et sans goust ni consolation, aymer cette pauvreté devant Dieu.

            Estre bien ayse que l'on ayme plus les autres que nous et que l'on se playse plus a leur conversation qu'a la nostre.

            Se res-jouir quand on ne tient conte de nos raysons et que l'on tesmoigne que l'on ne prend gueres de playsir de nous entendre.

 

Prattique de la chasteté

 

            Faire toutes ses actions avec une grande honnesteté et bienseance.

            Estre bien soigneuse de se bien occuper en Dieu, nous divertissant promptement et soigneusement de toute sorte de pensees et souvenir des choses que nous avons autrefois veuës et ouÿes.

            Aspirer et respirer souvent en Dieu comme nostre unique Espoux.

            N'aymer rien que pour luy, en luy et pour l'amour de luy.

            Parler pour l'ordinaire des choses bonnes et utiles.

            Avoir grand soin de porter la veuë basse et de mortifier tous ses sens.

 

Prattique de la generosité

 

            Ne se jamais estonner pour les difficultés, repugnances et aversions.

            Ne faire non plus d'estat de tous nos sentimens, pour grans qu'ilz soyent, que nous ferions des abbayemens des chiens.

            Aggrandir son cœur et son courage parmi les peynes et difficultés, car c'est pour cela que Dieu les envoye et permet.

            Pretendre au plus haut point de la perfection parmi la veuë et sentiment de nos miseres, foiblesses et infirmités, appuyees sur la misericorde de Dieu ; ne se point estonner, encor que nous nous voyions comme engluees dans nos imperfections, attendant avec une douce et tranquille [325] patience nostre delivrance de Nostre Seigneur, et quand nous l'avons, la tenir bien chere comme un don pretieux de sa bonté.

            Ne cesser « jamais de crier a Dieu : Tires moy» a vous ! ni « d'esperer et de se promettre de courir » apres luy, nonobstant les sentimens de nos imbecillités.

            Ne laisser point a nos cœurs aucune pensee de descouragement.

            Ne se point fascher si d'abord nous ne marchons pas si fermement et fidellement comme nous voudrions, ains nous contenter de marcher le petit pas a nos commencemens, pour puis apres courir et marcher a grande course.

            Ne point vous inquieter ni troubler pour voir l'advancement des autres. Ne point vouloir attirer les autres a nostre train, ni les mesestimer si elles ne font pas ce que les autres font, ains estimer tout ce qu'elles font.

            Regarder les mieux faisantes avec une douce cordialité et sainte reverence. Tirer de l'humilité de nos imbecillités, particulierement quand nous voyons l'advancement des autres.

 

Prattique de la devotion forte et intime

 

            Avoir la volonté conforme aux bonnes actions, petites et grandes.

            Ne rien faire « par coustume, mais » avec « application de volonté. »

            Que l'action exterieure soit prevenue de l'affection interieure, ou « qu'au moins l'affection la suive de pres. »

            Faire « naistre l'exterieur de l'interieur. »

            Il faut estre « forte a supporter les tentations ; forte a supporter la varieté des espritz ; forte a supporter ses propres » inclinations et « imperfections, pour ne se point inquieter de s'y voir sujette ; forte pour combattre ses imperfections et entreprendre la correction et amendement parfait. »

            « Se tenir independante des consolations des creatures. »

 

Prattique de la conformité à la volonté de Dieu

 

            Prendre toutes les occasions qui nous arrivent, grandes et petites, comme venant de la main de Dieu. [326]

            Se resigner en tout a la volonté de Dieu ; se conformer a la volonté de Dieu, soit en maladie, secheresse, aridités, distractions, tentations et frequentes cheutes.

 

Revu sur le texte inséré dans un ancien Manuscrit conservé à la Bibliothèque publique de Bourges, A, n° 113.

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XXXII. Autres avis a une Religieuse de la Visitation, sur l'obeissance et l'examen qui doit suivre l'oraison, [1612-1618] (Inédit)

 

De l'obeyssance

 

            Ier Point de l'obeyssance est que nous devons croire et tenir pour asseuré que Dieu a establi toute sorte de Superieures et que ce ne sont pas les hommes qui les eslisent, c'est Dieu mesme.

            2. C'est que Dieu a establi les Superieures comme ses lieutenantes en terre, affin que nous leur obeyssions comme a luy mesme, et tient estre fait a luy ce qui est fait aux Superieures, comme il le tesmoigne par ces parolles : Celuy qui vous obeit m'obeit, et celuy qui vous mesprise me mesprise.

            3. C'est que Dieu ne permettra jamais que vous perissies tandis que vous obeyres fidellement vous confiant en luy ; car si Dieu vous a mise sous une Superieure affin que vous luy obeyssies, croyes qu'il vous protegera de sa providence divine pour parvenir a vostre derniere fin, qui est vostre perfection.

            4. C'est qu'il ne faut jamais regarder au visage des Superieurs ni dire : Sont ilz propres pour nous ? commanderont ilz bien ? ains obeyr a l'aveugle en tout ce qu'ilz nous commandent, car ce ne seront pas les Superieures qui nous rendront parfaittes, mais la sousmission et obeyssance que [327] nous leur rendrons. Et l'on voit beaucoup d'inferieurs qui sont saintz sous des Superieurs fort imparfaitz, et des inferieurs imparfaitz sous des Superieurs qui sont saintz, tellement qu'il n'y a point d'excuse en l'obeyssance sinon la grande, qui est d'offenser Dieu. Toutes les autres sont suspectes et ne viennent que d'une vayne recherche de nous mesmes. Nostre Seigneur priant au Jardin des Olives dit a son Pere : Que vostre volonté soit faite et non la mienne ; Qu'il soit fait ce que vous voules et non ce que je veux ; comme [vous] voules et non comme je veux. Amen.

 

Examen sur l'orayson, qui se doit faire apres icelle, se pourmenant ou faysant son ouvrage

 

            Si vous aves esté bien preparee ; si vous aves donné entree a quelque pensee impertinente ou infructueuse.

            Si vous vous estes laissé aller au sommeil ou a la pesanteur de cors et d'esprit.

            Si vous vous estes trop laissé aller aux speculations de l'entendement et considerations.

            Si vous aves esté lasche ; si vous n'aves tasche de mouvoir l'affection et la volonté.

            Si vous aves eu autre intention que de chercher le bon playsir de Dieu.

            Si vous aves eu de la curiosité en l'intelligence ; si vous aves eu de la propre volonté en l'affection ; si vous aves eu de la propre complaysance en la consideration.

            Si vous aves eu de la negligence a correspondre a la grace.

            De plus, remarques les illustrations que Dieu donne en l'orayson, nous faisant voir  …

 

Revu sur le texte inséré dans un ancien Manuscrit conservé à la Bibliothèque publique de Bourges, A, n° 113. [328]

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XXXIII. Avis a la Sœur Anne-Marie Rosset lors de son départ d'Annecy pour la fondation du Monastère de la Visitation de Bourges, vers le 15 octobre 1618. Etre couverte d'humilité. — Moins on sent de capacité en soi, plus il faut s'appuyer avec confiance sur Notre-Seigneur. — La Mère Rosset doit être « Depenciere » des dons de Dieu. — Vertus qu'elle devra pratiquer envers les âmes appelées à la Visitation.

 

            Monseigneur m'a dit que les armes quil faut enporté pour aler en quelque fondation ne sont autre que la saincte humilité, de laquelle vertu il m'a dit quil me faloit estre toute couverte ; car l'humilité est toute genereuse, et nous fait entreprendre avec un courage invincible tous ce qui regarde le service de Dieu et l'agrandissement de sa gloire. Et moins nous sentons de capacité en nous pour ce faire, dautant plus nous nous devons serrés et ataché a Nostre Seigneur, nous confiant et apuyant toutalement en luy seul, en son assistance et en sa grace, laquelle sa Bonté ne manquera de nous donné pour nous acquiter de nostre devoir selon sa sainte volonté, si nous sommes remplie d'humilité et defiance de nous mesme ; car il est tout assurer que nous ne pouvons chose quelconque de nous mesme, mais c'est la verité qu'en Dieu toutes choses nous seront possible.

            Nous ne sommes pas Econnome ni Superieure des talans et dons que Dieu a mis en nous, mais seulement Depenciere, pour les distribuer aux autres, pourtant l'esprit de la Visitation par tout afin de le repandre au prochain ; [329] tachant de polir, purifier et formé les esprits de celles que Nostre Seigneur nous commettra, qui se treuveront fort divers, esquels il faudra que nous exercions une grande douceur, simplicité, suport et patience pour les voir cheminer le petit pas et tousjours commettre des imperfections ; inculquant en ces ames là la vraye humilité, generosite, douceur et charité, qui est le vray esprit de nos Regles, afin que par ce moyen elles parviennent a la perfection de l'amour sacré et a l'union de leurs ames avec sa divine Majesté, qui est la fin pour laquelle elle les a apellé a la Religion.

 

Revu sur une copie faite par la Sœur Rosset, conservée à la Visitation d'Annecy.

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XXXIV. Exercice envoyé a Madame de Villesavin, juillet-août 1619

 

EXERCICE DU MATIN

QUI, POUR ESTRE BRIEF, SIMPLE ET TENDANT IMMEDIATEMENT A L'UNION AMOUREUSE DE NOSTRE VOLONTE AVEC CELLE DE DIEU, POURRA ESTRE PRATIQUE PAR LES PERSONNES QUI SONT EN SEICHERESSE, STERILITE, TRISTESSE,  FOIBLESSE CORPORELLE OU ACCABLEES D'OCCUPATIONS.

 

            1.  Prosterné a genoux et profondement humilié devant Dieu, vous adorerés sa souveraine et infinie bonté.

            2. Vous jetteres attentivement la pensee sur la tres douce [330] volonté de Dieu,  laquelle, de toutte eternité, vous nomma par vostre nom et fit dessein de vous sauver, vous destinant entre autres choses ce jour present, affin qu'en icelluy vous fissiés les euvres de vie et de salut, croyant ce quil  dit par le Prophete : Je t'ay aymé d'une charité æternelle ; a cette cause  je t'ay attiré, ayant pitié de toy. Et sur  cette veritable pensee, vous unirés vostre volonté a celle de ce tres doux et  misericordieux Pere celeste, par telles ou semblables parolles cordiales  : O tres douce volonté de mon Dieu, qu'a jamais soyés vous faitte ! O dessein æternel de la volonté de mon Dieu, je vous adore, et vous  consacre et dedie ma volonté pour vouloir a jamais æternellement ce que æternellement vous aves voulu ! Que je fasse donc aujourdhuy et tousjours et en toutes choses vostre divine volonté, o mon doux Createur ! Ouy, Pere celeste, car tel fust vostre bon plaisir de toutte seternité, ainsy soit il. O Bonté divine,  comme vous l'aves voulu. O volonté æternelle, vives et regnes en toutte ma volonté et sur toutte ma volonté , maintenant et a jamais. Amen. [331]

            3. On invoque le secours celeste par quelques devotes exclamations exterieures et interieures, comme : O Dieu, soyes moy en ayde ! Je suis vostre, sauves moy . Que vostre main secourable soit sur ce pauvre et foible courage. Ou bien, on pourra, en ce 3. point, user de la petitte orayson qui est en l'Exercice du mattin de Philothee .

            Vous feres  donc ainsi une vive et puissante union amoureuse de vostre volonté a celle de Dieu ; puis, parmi toutes les actions de la journee, soit spirituelles, soit corporelles, vous feres de frequentes reunions, c'est a dire, vous renouvellerés et confirmeres  l'union faitte le matin, jettant un simple regard interieur sur la divine Bonté et disant par maniere d'acquiescement :

            Ouy, Seigneur, je le veux ; o mon Dieu, a jamais, a jamais, o volonté divine ! Ou bien vous ne dirés sinon simplement : Ouy, Seigneur ; tousjours, Seigneur, mon Pere ; je confirme, o mon Dieu, æternellement. Ou bien, sans dire autre chose, vous feres le signe de la Croix, ou baiserés celle que vous portés ou quelque image ; car tout cela voudra dire que vous voulés souverainement la providence de Dieu, que vous l'adores et aymés, que vous l'acceptés et embrassés  de tout vostre cœur, et que vous unisses inseparablement vostre volonté a cette volonté supreme.

             Mais ces traits de cœur, ces parolles interieures doivent [332] estre prononcés doucement et tranquilement, fermement mays paisiblement et, par maniere de dire, elles doivent estre distilées et filees tout bellement en la pointe de l'esprit, comme on prononce a  l'oreille d'un ami une parolle qu'on luy veut jetter bien avant dans le cœur, sans que personne s'en aperçoive. Car ainsi ces sacrees parolles, filees, coulees et distilees par la pointe de nostre esprit en la mesme pointe de nostre esprit, la  penetreront et detremperont plus intimement et fortement qu'elles ne feroyent pas si  elles estoyent dittes par maniere d'eslans, d'orayson jaculatoyre et de saillie d'esprit. L'experience vous le fera voir, moyennant que vous soyes humble et simple .

 

Revu sur une copie faite par M. Michel Favre, conservée à Issy (Paris), dans la chambre du Supérieur général de la Compagnie de Saint-Sulpice.

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XXXV. Aux Religieuses de la Visitation d'Annecy 1612-1620] (Fragment). Une leçon de Marie à propos de la fête de la Transfiguration.

 

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            Voyes, mes tres cheres Filles, que la sacree Vierge, nostre sainte Abbesse, ne se treuva point au Thabor, ouy bien a l'estable de Bethlehem pour voir les yeux de son divin Enfant pleins de larmes ; au Temple pour le racheter ; au [333] Calvaire pour le voir souffrir et mourir. Que nous apprend cette conduitte, sinon qu'il se faut resoudre, a l'exemple de cette Vierge sacree, de passer nos jours dans la privation des graces sensibles et extraordinaires, pour vivre dans les tourmens, les peynes et la mort, quand il plaira a nostre Bienaymé ………………………………………….

 

Revu sur un ancien Manuscrit de l'Année Sainte de la Visitation, conservé au Monastère d'Annecy.

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XXXVI. Avis pour la charge de Supérieure, a la Mère Claude-Agnès de la Roche, juin ou commencement de juillet 1620. Chaque jour, au réveil, dire la parole de saint Bernard : « Qu'es tu venu faire ceans ? » — Ne pas subtiliser, mais avoir une intention droite de tout faire pour Dieu. — Supporter les imparfaites et les aider. — Le maintien extérieur. — Importance de la charge. — La nouvelle Supérieure doit demander à la Sainte Vierge de l'offrir à son divin Fils, et renouveler son âme. — Après cet acte de parfait abandon, Marie la gardera tout le temps de sa vie.

 

            Dieu veut que vous le servies en la conduite des ames, puisqu'il a arrangé les choses comme elles le sont et qu'il vous a donné la capacité de gouverner les autres.

            Faites une tres grande estime du ministere a quoy vous estes appellee ; et pour le bien faire, tous les jours en vous resveillant, ne manques jamais de dire cette parole que saint Bernard disoit si souvent : « Qu'es tu venu faire ceans ? » Qu'est ce que Dieu veut de toy ? Puis, soudain apres, abandonnes vous totalement a sa divine volonté, [334] affin quil fasse de vous et en vous tout ce qu'il luy plaira, sans aucune reserve.

            Ayes une devotion particuliere a Nostre Dame et vostre bon Ange ; puis, ma Fille, souvenes vous qu'il faut avoir plus d'humilité pour commander que non pas pour obeir. Mais prenes garde aussi de ne pas tant subtiliser sur tout ce que vous feres. Ayes une droitte intention de faire tout pour Dieu et pour son honneur et gloire, et vous destournes de tout ce que la partie inferieure de vostre ame voudra faire ; laisses-la tracasser tant qu'elle voudra autour de vostre esprit, sans combattre nullement tous ses assautz, ni mesme regarder ce qu'elle fait ou ce qu'elle veut dire, ains tenes-vous ferme en la partie superieure de vostre ame et en cette resolution de ne vouloir rien faire que pour Dieu et qui luy soit aggreable.

            De plus, il faut que vous fassies grande attention sur cette parole que j'ay mise dans les Constitutions, sçavoir, que la Superieure n'est pas tant pour les fortes que pour les foibles, bien qu'il faille avoir soin de toutes, affin que les plus avancees ne retournent point en arriere. Ayes a cœur le support des filles imparfaittes qui seront en vostre charge : ne faites jamais de l'estonnee, quelque sorte de tentation ou d'imperfection qu'elles vous descouvrent, ains tasches a leur donner confiance a vous bien dire tout ce qui les exercera.

            Soyes grandement tendre a l'esgard des plus imparfaittes, pour les ayder a faire grand prouffit de leur imperfection. Resouvenes vous qu'une ame grandement impure peut parvenir a une parfaitte pureté, estant bien aydee. Dieu vous en ayant donné la charge et le moyen, par sa grace, de le pouvoir faire, appliques-vous soigneusement a le faire pour son honneur et gloire. Remarques que celles qui ont le plus de mauvaises inclinations, sont celles qui peuvent parvenir a une plus grande perfection. Gardes vous de faire des affections particulieres.

            Ne vous estonnes nullement de voir en vous beaucoup de fort mauvaises inclinations, puisque, par la bonté de Dieu, vous aves une volonté superieure qui peut estre regente au dessus de tout cela. [335]

            Prenes un grand soin de maintenir vostre exterieur en une sainte esgalité. Que si vous aves quelque peyne dans l'esprit, qu'elle ne paroisse point au dehors. Maintenes vous dans une contenance grave, mais douce et humble, sans jamais estre legere, principalement avec des jeunes gens. Voyla, ce me semble, ce a quoy il faut que vous prenies garde, pour rendre a Dieu le service qu'il a desiré de vous.

            Mais je desire grandement que vous fassies attention fort souvent sur l'importance de la charge que vous aures, non seulement d'estre Superieure, mais d'estre au lieu que vous seres. La gloire de Dieu est jointe a ceci et la connoissance de vostre Institut ; c'est pourquoy il faut que vous relevies fort vostre courage, en luy faysant entendre l'importance de ce a quoy vous estes appellee.

            Aneantisses vous fort profondement en vous mesme de voir que Dieu veuille se servir de vostre petitesse pour luy faire un service de si grande importance. Reconnoisses vous fort honnoree de cet honneur, et vous en alles courageusement supplier Nostre Dame qu'il luy plaise vous offrir a son Filz comme une creature tout absolument abandonnee a sa divine volonté, vous resolvant que, moyennant sa grace, vous vivres des-ormais d'une vie toute nouvelle, faysant maintenant un renouvellement parfait de toute vostre ame, detestant pour jamais vostre vie passee avec toutes vos vielles habitudes.

            Alles donq, ma chere Fille, pleyne de confiance qu'apres avoir fait cet acte parfait du saint abandonnement de vous mesme entre les bras de la tres sainte Vierge, pour vous consacrer et sacrifier derechef au service de l'amour de son Filz, elle vous gardera tout le tems de vostre vie en sa protection, et vous presentera derechef a sa Bonté a l'heure de vostre mort. [336]

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XXXVII. Adieux a la Mère Claude-Agnès de la Roche, première Supérieure de la Visitation d'Orléans, vers le 10 juillet 1620. Trois vertus spécialement recommandées.

 

            Alles, ma tres chere Fille, Dieu vous sera propice. Trois vertus vous sont cherement recommandees : la debonnaireté tres humble, l'humilité tres courageuse, la parfaitte confiance a la providence de Dieu ; car quant a l'esgalité de l'esprit et mesme du maintien exterieur, ce n'est pas une vertu particuliere, mais l'ornement interieur et exterieur de l'espouse du Sauveur. Vives donq ainsy toute en Dieu et pour Dieu, et que sa Bonté soit a jamais vostre repos. Amen.

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XXXVIII. Lettre d'obédience a la Sœur Paule-Jéronyme de Monthoux, pour être Supérieure au Monastère de la Visitation de Nevers, 27 juillet 1620

 

            Par ces presentes Nous avons donné la sainte benediction de l'obeissance a Nostre tres chere Fille et Seur en Jesus Christ Paule Hieronyme de Monthoux, Religieuse professe du monastere de Sainte Marie de la Visitation de Nostre cité d'Annessi, pour aller demeurer en la ville de Nevers, y estre Superieure au monastere nouvellement establi en icelle [337] du mesme Institut, pour le tems qu'il sera jugé a propos, sans que par le sejour qu'a cet effect elle pourra faire hors le monastere de Nostre cité elle laisse d'estre tenue et censee veritablement pour Religieuse de la Mayson d'Annessi, a laquelle, en tems et lieu, selon qu'il plaira a Dieu en disposer, elle devra et pourra estre receuë avec toute sorte de charité et pour toutes sortes d'offices ; priant Dieu qu'il la tienne en sa sainte main allant, demeurant et revenant, et qu'il rende toutes ses actions et tous ses travaux utiles a la vie eternelle.

            Donné a Annessi, en Nostre hostel episcopal, le 27 jullet 1620.

                        FRANÇS, E. de Geneve.

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XXXIX. Ecrit dans un volume de l'Introduction a la Vie Devote, donné a la sœur Marie-Philiberte Christin, Tourière de la Visitation d'Annecy, 8 mars 1621 (Inédit)

 

            Donné de la main et du cœur de la... a ma Seur Marie Philiberte, de la Visitation, a laquelle Dieu veuille donner [338] l'esprit de la vraye devotion, qui consiste en l'humilité, douceur et simplicité. Amen.

            Le VIII mars 1621.

                        FRANCS, E. de Geneve.

 

            JESUS, Sauveur du monde, si nous aymons bien vostre Croix, que nous serons humbles, doux, gratieux, patiens ! L'amour de la Mort et Passion de Nostre Seigneur donne la mort a toutes nos passions, et en la mort de nos passions consiste la vie de nostre cœur.

            VIVE JESUS. Amen.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin.

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XL. Avis a la Mère Paule-Jeronyme de Monthoux, Supérieure de la Visitation de Nevers, décembre 1620-1621 (Inédit). La prise d'habit doit se faire à la grille du chœur. — Vanité et discrétion. — Les mères et les filles s'appellent « Seurs ». — Conduite à tenir à l'égard des malades. — On peut admettre des Novices d'un autre Ordre ; pour les Professes, il faut une dispense de Rome. — N'appeler le médecin que pour la vraie nécessité. — Avis touchant les Pères spirituels. — Raisons qui peuvent dispenser du jeûne. — Demander ce dont on a besoin est plus parfait que de se laisser à « la providence des Superieurs ». — Murmures contre la Supérieure. — Ce que la destinataire doit faire au début de sa charge, soit pour les séculiers, soit pour les Sœurs. — Ne pas s'exempter facilement de l'Office. — Attitude au parloir. — Les prétendantes opiniâtres et négligentes ne doivent pas être reçues. — Confiance aux Pères Jésuites. — Exercer les veuves. — Attirer doucement les Sœurs qui sont dans la peine. — Quelques autres points d'observance.

 

            Tenes vostre courage en Dieu, vives saintement en sa Providence, res-jouisses vous d'avoir quelque chose a meriter [339] pour luy, car en cela consiste le vray estat des enfans de sa Bonté.

            Quand les filles n'ont que 14 ans, il y a peu a dire pour les recevoir, si d'ailleurs elles sont bien conditionnees ; et quand les filles ont fait leur essay dans la Maison on ne les fait pas sortir pour leur donner l'habit, ains tout cela se fait a la grille, parce qu'il a esté treuvé plus a propos pour eviter la presse et se conformer aux autres.

Pour celles qui ont la voix bonne et en tirent trop de complaysance il sera tres bon de les priver parfois de tenir les premiers rangs en telles charges, si ce sont filles qui ayent l'esprit fort a supporter la mortification ; mais neanmoins il y en a auxquelles il est besoin de donner quelque complaysance au chant des Offices pour les y encourager, en les portant tous-jours de referer tout a Dieu en mortifiant la vanité. On ne peut donner une regle absolue sur ce sujet ; le tout depend de la prudence de la Superieure.

            Quant a celles qui desirent les premiers rangs et charges parce qu'elles sont anciennes, en cela la Superieure doit faire selon qu'elle le jugera pour le mieux, sans avoir esgard a telles foiblesses ; car c'est en cela ou il faut rompre et mortifier la volonté et propre estime, sans faire semblant de rien. Faire le tout prudemment et suavement ; la Constitution n'est-elle pas pour cela, affin de rompre les affections et attachemens aux charges ?

            Pour les meres et filles qui sont Religieuses, je vous respons en un mot qu'elles se doivent appeller Seurs tout ainsy comme les autres ; mais je ne treuve pas bon qu'on en reçoive facilement ensemble, si ce n'estoyent filles ou femmes extraordinaires et de grande consideration.

            Pour les malades qui semblent ne prendre playsir a parler des choses bonnes, il faut en cela suivre la discretion, car il ne les faut pas importuner, mais suavement leur dire de tems en tems quelque chose de bon, sans faire des longs discours. Et faut qu'en l'infirmerie l'ordre soit de lire au tems de la lecture au moins un quart d'heure ; non pas que les malades le facent, si cela les incommode, mais quelqu'autre en leur presence. Et pour leur traittement, il faut user de prudence pour leur faire recevoir les viandes, [340] sans toutesfois tesmoigner d'appreuver leur douilletterie, car il faut les gouverner comme malades, et neanmoins, imperceptiblement, les tenir en sousmission et obeissance. Il y en a qui tesmoignent la foiblesse du sexe, car si on les veut un peu tenir en devoir au tems de leurs maladies, elles se mettent au descouragement, s'imaginant d'estre abandonnees de Dieu et des creatures ; que s'il leur semble que la Superieure n'ayt essayé que c'est d'estre malade, elles prendront plus mal ce qui viendra d'elle : et neanmoins le support ne procede que de la grace de Dieu, quoy que l'experience y serve en quelque façon pour la connoissance de cette infirmité.

            Suit maintenant vostre demande, ma Seur, si on peut recevoir des Religieuses d'un autre Ordre ? Il est certain qu'on le peut, pourveu qu'elles ne soyent pas Professes ; si elles le sont, on ne le peut sans dispense de Rome. Pour les recevoir, il leur faut faire poser leur habit et les faire habiller honnestement et modestement selon leur qualité ; on n'y doit point faire de difference, voire mesme il les faut mieux espreuver que pas un'autre.

            Il ne faut pas appeller le medecin que pour la vraye necessité et tous-jours avec dispense pour chaque malade, si ce n'est que l'on fust bien pressé ; l'on ne leur doit parler des filles que fort discrettement et en sorte que la modestie y soit observee.

            Touchant les Peres spirituelz, il est malaysé d'en donner une regie ; les difficultés que vous aves sceu estre arrivees ailleurs vous ont fait faire cette demande. La prudence est icy grandement necessaire pour traitter avec eux comme il faut, mais tous-jours avec humilité et douceur, en tenant neanmoins la regie droitte et ferme pour ce qui est de l'observance des Regles et de l'esprit de la Visitation.

            Du jeusne, j'appreuve grandement que personne ne s'en dispense de soy mesme ; mays si l'on en a besoin, il en faut laisser le soin a ceux qui ont charge de nous. Et si l'on vous remet a vostre choix, prenés le jeusne, car il est mieux de ne flatter pas le cors que de l'attendrir, si ce n'est pour les raysons suivantes : si le jeusne vous rend chagrine ou donne des estourdissemens de teste, ou bien si l'on est [341] travaillé de quelque douleur, il n'y a point de doute que l'on ne doit pas jeusner si cela accroist la douleur ; car l'Eglise ordonne le jeusne pour macerer' un peu ceux qui sont sensuelz et pour faire pœnitence ; mais ceux qui en reçoivent de l'incommodité qui empesche l'esprit de ses fonctions, l'on en peut dispenser, mais non pas de soy mesme. Si en prenant quelque petite chose l'on peut mieux porter le jeusne, l'on le doit faire sans scrupule ; mais si une fille ne peut supporter du fruit ou de la resinee, l'on peut luy donner un œuf au tems qu'il est permis d'en manger. Mais de manger autant pesant que feroit une poire, il ne seroit pas a propos, d'autant qu'un œuf est fort leger ; si ce n'est que l'on ne se peust pas passer a si peu, car alhors l'on peut manger davantage : la discretion doit gouverner le tout. Il y a plus de perfection a demander ses necessités que de se laisser a la providence des Superieurs, qui ne doivent pas se lasser a observer celle ci et celle la. La Superieure doit donner rondement et franchement les soulagemens aux Seurs, mais elle les doit rendre simples a les demander. Pour celles qui sont tendres, il faut mespriser leur mal et se moquer d'elles mesmes ; mais neanmoins, si l'on connoist qu'elles en ayent necessité, il les faut soulager gracieusement.

            Si une Seur murmuroit contre la Superieure, treuvant a redire a ses actions, il ne faudroit en façon quelconque luy en rien tesmoigner ; mais si le murmure estoit d'importance, il faudroit prier une de celles qui les auroit ouy, d'advertir celle qui auroit murmuré, en particulier, sans luy donner a connoistre que la Superieure en sçache rien.

            Quand les seculiers parlent a la Superieure de sa charge, il ne faut pas qu'elle dise beaucoup de paroles d'humilité, mais seulement qu'elle seroit bien ayse qu'on luy enseignast et que l'on ne l'y a mise que pour apprendre.

            Il faut, au commencement de sa superiorité, qu'elle soit condescendante a contenter la curiosité des espritz, en leur respondant asses familierement selon les demandes que luy feront les seculiers, et mesme aux Seurs de dedans, ayant un grand soin de les contenter ; et en cet abord il faut qu'elle donne une grande estime des Constitutions et [342] qu'elle aye un grand soin de tenir les Seurs dans l'estroitte observance des menues choses, comme de lever ses habitz, fermer les portes apres soy, en leur faysant concevoir la sincerité des Constitutions qui n'obligent point a peché quand il n'y a point de negligence.

            Il faut que la Superieure ayt une grande discretion pour ne pas s'exempter des Offices, estant au parloir, si ce n'est qu'elle soit avec des personnes de respect, ou affligees, ou quelque affaire de la Mayson ; alhors il faudroit patienter ; mais les autres, il leur faut dire humblement que c'est l'heure de l'Office ; hors de ce tems la, il s'y faut assujettir autant que l'on le requerra. Elle pourra lever le voyle devant les seigneurs de l'Eglise, devant les Evesques, devant les Princes et grans seigneurs. Il faut entrer au parloir tous-jours le voyle baissé, mesme devant les femmes, et s'il n'y a point d'homme on le peut lever. Il ne faut point donner a manger au parloir et ne toucher que rarement la main des seculiers.

            L'on doit prendre garde de ne point rejetter des filles pour des choses legeres ; mais il faut prendre garde aussi de n'en point recevoir de celles qui sont opiniastres et negligentes a se corriger de leurs defautz et tout ensemble malicieuses ; mais si l'on voit qu'elles eussent [assez] de force a se surmonter, il faut alhors user de patience, en leur donnant du tems a se surmonter et corriger. Il ne faut pas que la Superieure s'informe des pechés particuliers lhors que les pretendantes luy rendent conte de l'histoire de leur vie ; la Directrice leur doit apprendre de le rendre ainsy : J'ay esté autrefois adonnee a la vanité, ayant beaucoup perdu de temps a cela ; j'ay esté sujette a la cholere ou a l'humeur melancholique. La Maistresse doit tout dire a la Superieure, quoy que la pretendante ne voulust pas ; mays la Superieure ne doit en façon quelconque en donner rien a connoistre a la Novice de le sçavoir.

            L'on peut parler librement aux Peres Jesuites et leur faut donner une grande confiance, mais avec beaucoup de respect. L'on leur peut mesme parler en particulier, quand quelque Seur en a necessité.

            Il faut exercer les vefves, pour spirituelles qu'elles soyent, [343] a la simplicité de la Communauté, mesme des exercices interieurs.

            La Superieure doit escouter les peynes abjectes des Seurs comme celle qui n'y pense pas, et pour les Seurs qui en sont en peyne et celles qui ne les disent pas, il faut charitablement leur aller au devant ; tout de mesme a celles qui sont trop tardifves a rendre conte, les attirer doucement.

            L'on ne doit laisser lire des livres ou sont des autres Regles, affin que cela ne serve de tentation ; mesme il y en a qui ne permettent pas de lire les Chroniques de saint François a cause de cela.

            La Superieure peut donner, s'il y a des commodités a la Mayson. Il faut eviter deux extremités : d'estre trop liberale et aussi trop retenue. Il sera, bon de s'informer s'il y a des pauvres, affin de les assister de quelque chose.

            C'est a son choix de rendre conte ou a un Pere, ou au Confesseur, ou a son Ayde, et rien du tout si elle ne veut.

            Si le Confesseur demandoit souvent de parler a une Seur, il la faudroit mettre en quelque office qui l'occupast, affin d'avoir dequoy s'excuser.

            La Superieure, en visitant les layettes des Seurs, ne doit point lire les lettres du Pere spirituel ni de nostre Mere de Chantal ; mais pour les autres, elle les peut lire si elle veut.

 

Revu sur un ancien Manuscrit conservé à la Visitation

de Bourg-en-Bresse. [344]

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XLI. Fragments d'avis aux Supérieures de la Visitation, [1615-1622]. Grand honneur d'être appelées à la conduite des âmes ; comment faut-il s'en acquitter ? — Les Supérieures doivent suivre les voies de Dieu et non les leurs. — Qualités de l'homme intérieur. — Comment agir avec les inférieures revêches et orgueilleuses. — Suivre l'esprit de douceur et cultiver surtout les âmes. — Souhaits du Saint aux Supérieures.

 

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            Puisque c'est le haut point de la perfection chrestienne de conduire les ames a Dieu, l'aymant qui a attiré Jesus Christ du Ciel en terre pour y travailler et consommer son œuvre dans la mort et par la Croix, il est aysé de juger que celles qu'il employe a cette fonction se doivent tenir bien honnorees, s'en acquittant avec un soin digne des espouses de Celuy qui a esté crucifié et est mort comme un Roy d'amour, couronné d'espines, parmi la trouppe de ses esleus, les encourageant a la guerre spirituelle qu'il faut soustenir icy bas pour arriver a la celeste Patrie promise a ses enfans.

            Ainsy, mes cheres Filles, celles que Dieu appelle a la conduite des ames se doivent tenir dans leurs ruches mystiques ou sont assemblees les abeilles celestes pour mesnager le miel des saintes vertus, et la Superieure, qui est entre elles comme leur roy, doit estre soigneuse de s'y rendre [345] presente, pour leur apprendre la façon de le former et conserver. Mais il faut travailler cette œuvre et cette sainte besoigne avec une entiere sousmission a la sainte Providence, puisant dans le sein du Pere celeste les moyens convenables a cet employ.

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            Puisque vous tenes, mes cheres Filles, la place de Dieu dans la conduite des ames, vous deves estre fort jalouses de vous y conformer. Observes ses voyes et non les vostres, soustenant fortement son attrait dans chacune, en leur aydant a le suivre avec humilité et sousmission, non a leur façon, mais a celle de Dieu que vous connoistres mieux qu'elles tant que l'amour propre ne sera pas aneanti, car il fait souvent prendre le change, et tourner l'attrait divin a nos manieres et suites de nos inclinations.

            Portes tous-jours a cet effect sur vos levres et par vos langues le feu que vostre ardent Espoux a apporté en terre dans les cœurs, a ce qu'il consomme tout l'homme exterieur, et en reforme un interieur, tout pur, tout amoureux, tout simple et tout fort a bien soustenir les espreuves et exercices que son amour luy suggerera en leur faveur, pour les purifier, perfectionner et sanctifier.

            Mais si quelques unes se rendoyent contraires a cette conduite, vous pourries, prenant sujet de les y exercer, leur faire voir leur ignorance, leur peu de rayson et de jugement de s'amuser aux presomptions et fauses imaginations que produit la nature depravee ; combien l'esprit humain est opposé a Dieu, dont les secretz ne sont revelés qu'aux humbles ; qu'il n'est pas question, en la Religion, de philosophes et de beaux espritz, mays de graces et de vertus, non pour en discourir, mais pour les prattiquer humblement ; leur faysant faire et ordonnant des choses difficiles a faire et comprendre et qui soyent humiliantes, pour les destacher insensiblement d'elles mesmes et les engager a une humble et parfaitte sousmission a l'ordre des Superieures, lesquelles aussi doivent avoir une grande discretion a bien observer le tems, les circonstances et les personnes. [346]

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            Serves vous volontier des conseilz, lhors qu'ilz ne seront point contraires au projet que nous avons resolu, de suivre en tout l'esprit d'une suave douceur et de penser plus a l'interieur des ames qu'a l'exterieur ; car en fin, la beauté des filles du Roy est au dedans, qu'il faut que les Superieures cultivent, si elles n'ont elles mesmes ce soin, crainte qu'elles ne s'endorment dans leur chemin et ne laissent esteindre leurs lampes par negligence ; car il leur seroit dit indubitablement comme aux vierges folles se presentant pour entrer au festin nuptial : Je ne vous connois point.

            Je vous recommande a Dieu pour obtenir ses saintes graces dans vos conduites, affin que, tout a son gré et par vos mains, il façonne les ames, ou par le marteau, ou par le ciseau, ou par le pinceau, pour les former toutes selon son bon playsir, vous donnant a ce dessein des cœurs de peres, solides, fermes et constans, sans omettre les tendresses de meres qui font desirer les douceurs aux enfans, suivant l'ordre divin qui gouverne tout avec une force toute suave et une suavité toute forte. [347]

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XLII. Avis spirituels a une personne vivant dans le monde, novembre 1619-1622 (Inédit). Les satisfactions de l'amour-propre et l'exercice de l'amour de Dieu. — Craindre la tentation, c'est ouvrir la porte à l'ennemi ; la confiance en Dieu lui fait peur. — Mépriser les tentations et recourir à la prière. — Pourquoi le démon donne quelqu'apparence de vertu à ceux qui le servent. — « Celuy qui nous a donné la fleur du desir nous donnera aussi le fruit de l'accomplissement. » — Le Sauveur est père par sa providence et mère par son amour. — Un effet de la dévotion qui est selon Dieu. — Exemple du bienheureux Amédée de Savoie et de sainte Paule. — L'amour de Dieu ne trouve jamais qu'on fait trop pour lui.

 

            C'est es choses difficiles, malaysees et desaggreables que nous devons prattiquer la fidelité envers Dieu, laquelle sera d'autant plus excellente que nous aurons moins de choix a ce qui nous sert d'exercice. L'amour propre se contente aucunement entre les souffrances, quand elles sont de son eslection ; l'amour de Dieu s'exerce plus heureusement es sujetz que la Providence divine permet ou ordonne sans nous, mais sur nous et pour nous.

            La divine Escriture dit : Celuy qui n'est point esprouvé que sçait il  ? Bienheureux est l'homme qui endure l'essay de la tentation, car apres avoir esté esprouvé [348] par l'Esprit, il recevra la couronne de gloire que Dieu a promise a ceux qui l'ayment. Si vostre cœur craint plus la tentation qu'il ne faut, il donne l'ouverture a son ennemy ; comme au contraire, si nous avons une confiance filiale en Dieu et que nous nous retournions de son costé prenant asseurance en sa bonté, l'ennemy craindra de nous tenter, voyant que sa tentation nous donne sujet de nous jetter entre les bras de Nostre Seigneur. Et pour l'ordinaire, la meilleure methode de resister a la tentation, c'est de ne point disputer avec elle, ni mesme s'amuser a regarder les sujetz ; ains il faut, aussi tost qu'on la sent, parler d'autre chose avec Nostre Seigneur ou avec sa sainte Mere, ou avec les Anges et les Saintz, ou avec son ame mesme. Bref, si la tentation est d'une rose, il faut parler d'une violette, et ne point s'estonner de la varieté des pensees, puisqu'il n'est pas requis de les combattre l'une apres [l'autre], ains seulement de les maistriser et desdaigner toutes par un simple retour du cœur a Dieu, a la Majesté duquel on recourt par prieres ; par exemple, de luy dire, en se retournant vers luy : Je suis vostre, mon Dieu ; hé, que vous estes aymable ! Jesus est bon ; VIVE JESUS ! et semblables paroles. En somme, c'est un bon moyen de vaincre que de ne point regarder l'ennemy, mais tous-jours se retourner devers le bienaymé Amy celeste ; et quoy que nostre ennemy crie et tempeste, il suffit pour le rejetter de ne point respondre, ne point s'amuser a luy et ne point faire semblant de luy. Tandis que l'on dit : Non, on n'est jamais vaincu.

            N'estimer rien de soy mesme, sinon seulement parce que nous appartenons a Dieu et sommes a luy, et s'aneantir soy mesme. Helas ! tandis que les ames servent au peché, l'ennemy leur donne quelque apparence de vertu pour quelque particulier sujet, affin de nourrir en elles quelque sorte de presomption et une vayne complaysance en elles mesmes, sans laquelle on ne pourroit gueres demeurer en peché ; car, comme l'on ne peut gueres ressentir de perfection sans humilité, aussi ne peut on long tems demeurer en peché sans la vanité, c'est a dire sans presomption... , nous confians en ce grand Salutaire, esperans qu'en sa sayson [349] elle le rendra multiplié. Confions nos bons desirs a Dieu et ne soyons point en anxieté s'ilz fructifieront, car Celuy qui nous a donné la fleur du desir nous donnera aussi le fruit de l'accomplissement pour sa gloire, si nous avons une fidelle et amoureuse confiance en luy.

            Soyes toute a Dieu, ma tres chere Fille, penses en luy et il pensera en vous. Il vous a tiree a soy affin que vous fussies sienne, et il aura soin de vous. Ne craignes rien, car si les petitz poussins se tiennent asseurés quand ilz sont sous les aisles de leur mere, combien doivent estre asseurés les enfans de Dieu sous sa paternelle protection ! Demeures donq en paix, ma Fille, puisque vous estes de ces enfans ; et reposes vostre cœur et toutes les lassitudes et langueurs qui vous arriveront, sur la sacree et tres aymable poitrine de ce Sauveur, qui sert a ses enfans de pere par sa providence et de mere par son doux et tendre et cordial amour.

            La devotion nous aydera beaucoup et nous servira grandement a la vraye perfection. Tout ainsy comme nous aydons aux malades, quand nous les allons visiter, a supporter leur mal en le regrettant et lamentant, de mesme aussi la devotion nous ayde, quand elle est simple et selon Dieu, a supporter plus patiemment les afflictions et tribulations quand elles nous arrivent.

            Nous lisons en la Vie du bienheureux Amedee, que ceux qui le voyoyent en devotion [disaient qu'il] falloit qu'ilz n'eussent point de cœur ou bien [qu'] ilz l'avoyent de roche s'ilz ne l'amollissoyent, a l'heure particulierement que l'on le voyoit a la Messe ou aux Offices divins, « ou jamais il ne parloit a personne [qu'] a Dieu. La douceur de ses yeux, et ses larmes coulant si doucement sur sa face angelique, » les « ardens souspirs » qui entrecoupoyent « ses innocentes prieres, sa modestie en toute sa personne donnoyent de la devotion a tous ceux qui avoyent l'honneur de le voir en ce saint exercice. » Le monde disoit qu'« il pleuroit trop. Ouy certes, mais je vous diray de luy ce que disoit saint Hierosme de sainte Paule : elle pleuroit trop pour une grande dame, » il est « vray, mais les pechés de sainte Paule eussent esté de bien grandes vertus » a d'aucune. « Ainsy le bienheureux Amedee pleuroit trop, donnoit trop aux pauvres, s'humilioit [350] trop, aymoit la solitude trop : soit ainsy, puisque vous le voulés ; mais trois fois et trois fois heureux trop ! et o sacrés excès ! ces pechés mortelz eussent esté de grandes vertus aux autres princes. »

            L'« homme qui ayme Dieu et qui a le cœur vivement frappé » de l'amour de Dieu « ne treuve rien de trop, hormis » le peché, et « luy semble de faire tous-jours trop peu pour Dieu qui a fait tant d'exces d'amour et de souffrance pour nous ; » mais nous autres, pour peu que nous fassions, nous pensons encor « avoir fait trop et que Dieu » nous en « doit de reste. » Miserables que nous sommes ! Oh, a Dieu ne playse que cette presomption si vayne nous entre dans la cervelle. Il faut tous-jours bien faire de mieux en mieux, car quand [nous] vivrions les siecles entiers en souffrance et peyne, nous ne pourrions trop faire pour un si bon Dieu qui nous a fait tant de graces et tant de biens. Servons le donq de bon cœur, avec amour ; courons a luy, affin qu'il nous donne sa gloire et la consolation de son Saint Esprit, laquelle soit a jamais au milieu de nos cœurs. Amen. [351]

 

Revu sur un ancien Manuscrit conservé à la Bibliothèque publique de Bourges, A, n° 113.

XLIII. Autres avis spirituels a une personne vivant dans le monde, novembre 1619-1622, (Inédit). En quoi consiste la simplicité. — Qui ne cherche que Dieu le trouve toujours. — Il faut le chercher par le chemin qu'il nous a marqué. — Ce n'est pas « nostre mal qui nous fait mal », c'est l'amour-propre. — L'homme simple ne se trouble point. — Exercice d'union à la volonté de Dieu pour le matin, et « acte de reunion » à multiplier dans la journée. — Ne faire aucun acte de piété par manière d'acquit. — Mieux vaut n'entendre qu'une Messe, mais avec attention, que plusieurs avec irrévérence. — Conseil de saint François de Sales aux personnes très occupées. — L'égalité d'esprit est l'un des plus beaux ornements de la vie chrétienne. — Tâcher de l'acquérir en demandant le secours du Saint-Esprit et en se tenant en garde contre la langue

 

            Nostre Seigneur desire de vous, ma tres chere Fille, une grande simplicité spirituelle et une grande prudence : la simplicité de la colombe et la prudence du serpent. Or, la simplicité de la colombe consiste a ne vouloir qu'une seule chose, comme fit cette corneille changee en blanche colombe, je veux dire Magdeleine convertie, qui pour tout ne cherche que son Maistre. Tout ce qui n'est pas Dieu ne luy est rien ; son cœur n'est point sujet au change, car elle rencontre les Anges, elle les quitte sans s'arrester avec eux, pour chercher son Bienaymé crucifié. Helas, mais helas ! que faites vous, ma chere Magdeleine ? vous laisses des Anges glorieux pour chercher un mort crucifié. En somme, elle ne cherche que son Maistre.

            Ma tres chere Fille, le premier point de la simplicité de l'ame amante gist a ne chercher, a ne vouloir que Dieu. O si nous ne cherchions que cela, que nous serions heureux, car nous le treuverions tous-jours en le cherchant et le chercherions en le treuvant ; nous croistrions d'heure en heure au desir de le treuver, et le treuverions en la perseverance de le desirer.

            Mais, ce me dires vous, que desiray je sinon luy ? — Escoutes, ma Fille, et consideres le premier point de la simplicité celeste, qui consiste a ne chercher Dieu que par le [352] chemin qu'il nous a marqué ; car qui ne veut pas aller par ou Dieu le conduit ne le treuvera jamais, d'autant qu'il ne le cherche pas simplement. — Et quel est le chemin qu'il vous a marqué, ma tres chere Fille ? Celuy auquel vous estes ; et croyes moy, Dieu conduisit les enfans d'Israel par la voye du desert. pierreux, espineux et raboteux. O qu'heureux furent ceux qui ne murmurerent point, car jamais rien ne leur manqua ! O que malheureux furent ceux qui murmurerent, car ilz furent piqués du serpent et eurent mille angoisses.

            Ne gromellons point dans nos cœurs, disant que nostre condition est insupportable. O combien de gens changeroyent volontier la leur a la nostre ! Ce n'est pas tant nostre mal qui nous fait mal, comme c'est nostre amour propre qui s'aigrit et inquiete a tout ce qu'il a a contre cœur. Le saint homme Job est moins inquiet entre les incomparables travaux sur son fumier, que le roy Achab sur son lit au milieu de son palais, et que les mauvais Israelites entre les delices de la manne. L'hiver nous nous plaignons du froid et l'esté du chaud ; les mouches nous mettent en peyne sur le chemin ; en fin il n'y a que l'homme simple qui ne se trouble point, car il ne cherche que Dieu par le chemin auquel il est. Nous avons passé plusieurs jours d'extreme ennuy du tems que nous n'estions pas tant a Dieu que nous devions estre, mays nous y remedierons, moyennant son ayde, et commencerons ainsy :

            Premierement, le matin, prosternee devant sa face et l'adorant profondement, vous jetteres vostre pensee a luy et considereres l'eternelle volonté qu'il a d'estre aymé de vous et d'estre uni par charité a vostre cœur, lequel donq vous eslanceres en cette souveraine Bonté et entre les bras aymables de cette sainte volonté. Vous unires la vostre avec icelle de toutes vos forces, par telles ou semblables protestations interieures : Ouy, mon Dieu, mon ame se sousmet a vostre volonté et veut a jamais demeurer inseparablement unie et sujette a vostre intention. O Seigneur, que je sois donq sauvee, puisque telle est vostre volonté. Que je face a jamais vostre volonté et non la mienne. Vous estes le Dieu de mon cœur : qu'a jamais [353] mon cœur soit dedié a l'obeissance du vostre, mon Dieu !

            Secondement. Cet acte d'union a la volonté de Dieu estant fait au commencement de la journee, il faut souvent faire l'acte de reunion. Je dis de tems en tems, ou plustost de moment en moment, par des frequentes eslevations de cœur en Dieu et par maniere de repetitions et confirmations de l'union des-ja faitte, comme disant interieurement : Ouy, Seigneur, je demeureray a jamais jointe et unie a vostre sainte volonté. O Seigneur, de grace, que ma volonté soit eternellement et inseparablement vostre. Mesme on peut repeter cet acte de reunion sans rien dire, faysant le signe de la Croix sur le cœur, ou levant les yeux au ciel, ou bien prononçant le sacré nom de JESUS. Et semble bon encores de faire cet acte de reunion au commencement de toutes les prieres qui se prattiquent parmy la journee, comme oyant la sainte Messe, au Benedicite et Graces de table, aux Ave de midi et du soir, apres l'examen, et particulierement avant la confession, parce qu'il faut prendre soigneusement garde de ne faire aucun acte de pieté par maniere d'acquit, ains avec une serieuse et veritable affection.

            Et en suite de cela, il est a noter que nous ne sommes pas obligés sous peyne de peché mortel ni mesme veniel d'ouyr la Messe, si ce n'est les jours de festes et Dimanche, non plus que d'ouyr les prieres extraordinaires du soir ; * nous ne sommes point obligés d'ouyr Vespres ni de dire le Benedicite entrant a table, ni Graces en sortant, sous peyne de peché ; et pourtant, quand nous faysons ces actes de religion et de devotion, nous sommes obligés de les faire serieusement et avec reverence. Il vaudroit mieux n'ouyr qu'une Messe et l'ouyr reveremment, que d'en ouyr plusieurs ayant l'esprit distrait, sans attention ni reverence, n'estant pas loysible d'omettre le respect es exercices de religion, pour petitz qu'ilz soyent. C'est pourquoy, ceux qui sont sujetz a beaucoup d'occupations, je leur conseille de faire leurs exercices spirituelz courtement, affin qu'ilz les puissent faire plus attentivement, s'y adonnant avec l'esgalité de l'esprit, qui est un des plus illustres ornemens de la vie chrestienne et un des plus aymables moyens pour acquerir [354] et conserver la grace de Dieu, et mesme de bien edifier le prochain ; n'y ayant rien aussi qui detraque tant le bon estat du cœur, ni qui rende plus malaysee la conversation humaine que la bigearrerie de l'ame.

            C'est une des plus blasmables conditions des creatures que d'estre immortifiees, c'est a dire d'estre sujettes a estre de differente humeur : tantost chagrine, melancholique, tantost colere, tantost rieux, tantost serieux, tantost censeur ; comme au contraire, c'est une inestimable perfection que d'avoir une humeur douce, esgale et qui face bon rencontre a quelqu'heure et a quelque tems que ce soit. Bien qu'il soit vray qu'il est presque impossible de conserver tous-jours si exactement cet advis parmy l'embarras de cette vie mortelle ; mais du moins il faut tascher d'acquerir ce bien nompareil de l'esgalité, et quand on s'apperçoit d'estre hors du train de la tranquillité, il faut avant toutes choses se mettre en devoir de corriger l'humeur et action contraire, s'humiliant devant le Saint Esprit et demandant son secours, empeschant du moins que, pendant le trouble, la passion ne s'evapore par la langue, ni par les assautz exterieurs.

            L'esprit de paix et de tranquillité, suavité et d'esgalité, c'est l'esprit de Dieu et d'edification que je vous souhaite de tout mon cœur, et qu'il demeure a jamais avec vous. Ainsy soit il.

 

Revu sur un ancien Manuscrit conservé à la Bibliothèque publique de Bourges, A, n° 113. [355]

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XLIV. Avis a la Mère Claude-Agnès de la Roche, Supérieure de la Visitation d'Orléans, [juin 1620-1622]. Parler très peu de soi-même. — L'affabilité ne doit pas empêcher l'exercice de l'autorité. — La gravité avec les séculiers. — Ne pas cacher le bien qui se fait à la Visitation. — Rapports avec les Carmélites, les Jésuites et les Minimes. — Ce qu'il faut faire au parloir. — La Vie, Passion et Mort de Notre-Seigneur sont les meilleurs sujets d'oraison. — Certaines âmes sont attirées à une plus grande simplicité. — Marque d'une bonne oraison. — Ce que la Supérieure peut permettre. — Discrétion qu'elle doit observer. — Ne rien faire de plus que la Communauté. — La sainte Communion et la reddition de compte. — La charité. — Regarder Dieu.

 

            Maintenant je vous dis : Ne parles que le moins qu'il se pourra de vous mesme ; mays ceci, je le dis tout de bon, retenes le bien et faites y attention. Si vous estes imparfaitte, humilies vous au fond de vostre cœur et n'en parles point ; car cela n'est que l'orgueil, qui fait que vous penses en dire beaucoup, affin que l'on n'en treuve pas tant que vous en dites. Parles peu de vous, mais je dis peu.

            Ayes un grand soin de maintenir vostre exterieur parmi vos filles en telle mediocrité entre la gravité et la douceur et l'humilité, que l'on reconnoisse que si bien vous les aymes tendrement, que vous estes aussi la Superieure ; car il ne faut pas que l'affabilité empesche l'exercice de l'authorité. J'appreuve fort que les Superieures soyent Superieures, se faysant obeir, pourveu que la modestie et le support soyent observés.

            Ayes envers les seculiers une sainte gravité ; car tandis que vous estes jeune, il faut observer soigneusement cela. Que vostre rire soit moderé, et mesme envers les femmes, avec lesquelles on peut avoir un peu plus d'affabilité et de cordialité. Il ne faut pas entendre par cette gravité qu'il faille estre severe ou renfrognee ; car il faut conserver tous-jours une gracieuse serenité. Devant, les jeunes gens, quoy que de profession ecclesiastique, ayes pour l'ordinaire vos [356] yeux rabaissés, et soyes courte en paroles avec telles gens, observant tous-jours de profiter a leurs ames, en faysant voir la perfection de vostre Institut. Je ne dis pas la vostre, ains celle de vostre Institut, non en paroles, que fort simplement, ne le louant que comme on parle un chacun de soy mesme, ou de ses parens, c'est a dire courtement et simplement.

            Loües grandement les autres Ordres et Religions, et le vostre au dessous des autres choses, bien que vous ne devies pas cacher que vous vives paisiblement, et disant, quand l'occasion s'en presente, le bien qui se fait, simplement.

            Faites tous-jours grand cas des Seurs Carmelites, et vous entretenes en leur amitié par tout ou vous seres, tesmoignant tous-jours que vous en faites grande estime et que vous les aymes cherement.

            Entretenes vous fort avec les Peres Jesuites et communiques volontier avec eux, comme aussi les Peres de l'Oratoire et les Peres Minimes ; prenes conseil d'eux tous ou vous en aures besoin, et particulierement des Peres Jesuites.

            Ne soyes pas du tout tant retenue a relever le voile comme les Seurs Carmelites, mais pourtant uses de discretion pour cela, faysant voir, quand vous le leveres, que c'est pour gratifier ceux qui vous parlent ; observant de ne gueres vous avancer des treilles, ni moins d'y passer les mains que pour certaines personnes de qualité qui le desirent.

            Pour ce qui est de l'orayson, il faut que vous observies de faire que les sujetz sur quoy on la fera soyent sur la Mort, Vie et Passion de Nostre Seigneur ; car c'est une chose fort rare que l'on ne puisse proffiter sur la consideration de ce que Nostre Seigneur a fait. En fin, c'est le Maistre souverain que le Pere eternel a envoyé au monde, pour nous enseigner ce que nous devons faire : et partant, outre l'obligation que nous avons de nous former sur ce divin Modele pour ce sujet, nous devons grandement estre excités a considerer ses œuvres pour les imiter, parce que c'est une des plus excellentes intentions que nous puissions avoir pour tout ce que nous avons a faire et que nous faysons, que de [357] les faire parce que Nostre Seigneur les a faites, c'est a dire prattiquer les vertus parce que Nostre Seigneur les a prattiquees et comme il les a prattiquees. Ce que pour bien comprendre, il faut fidellement peser, voir et considerer dans ce : « Parce que nostre Pere l'a fait en telle façon je le veux faire, » en enclosant l'amour envers nostre divin Sauveur et Pere tres aymable ; car l'enfant qui ayme bien son bon pere a une grande affection de se rendre fort conforme a ses humeurs et de l'imiter en tout ce qu'il fait.

            Il se peut faire pourtant qu'il y ayt certaines ames exceptees lesquelles ne peuvent s'arrester ni occuper leur esprit sur aucun mistere ; elles sont attirees a une certaine simplicité devant Dieu, toute douce, qui les tient en cette simplicité, sans autre consideration que de sçavoir qu'elles sont devant Dieu et qu'il est tout leur Bien, demeurant ainsy utilement. Cela est bon ; mais il me semble qu'il est asses clairement dit dans le livre de l'Amour de Dieu, ou vous pourres avoir recours, si vous en aves besoin, et aux autres qui traittent de l'orayson.

            Mais, generalement parlant, il faut faire que toutes les filles, tant qu'il se peut, se tiennent en l'estat et methode d'orayson qui est la plus seure, qui est celle qui tend a la reformation de vie et changement de mœurs, qui est celle que nous disions premierement, qui se fait autour des mysteres de la Vie et de la Mort de Nostre Seigneur. Et il ne faut pas tous-jours croire les jeunes filles qui ne font que d'entrer en Religion, quand elles disent qu'elles ont de si grandes choses ; car bien souvent ce n'est que tromperie et amusement. C'est pourquoy il faut les mettre au train et aux mesmes exercices que les autres ; car si elles ont une bonne orayson, elles seront bien ayses d'estre humiliees et de se sousmettre a la conduitte de ceux qui ont du pouvoir sur elles. Il y a tout a craindre en ces manieres d'oraysons relevees ; mais l'on peut marcher en asseurance dans la plus commune, qui est de s'appliquer tout a la bonne foy autour de nostre Maistre pour apprendre ce qu'il veut que nous fassions.

            La Superieure peut, en quelque grande et signalee occasion, faire faire deux ou trois jours de jeusne a la Communauté, [358] ou bien seulement aux filles qui sont plus robustes ; faire quelque discipline, plus librement que de jeusner, car c'est une mortification qui ne nuit point a la santé, et partant, toutes la peuvent faire en la sorte qu'on la fait ceans. Mais il faut tous-jours observer de n'introduire point les austerités en vos Maysons ; car ce seroit changer vostre Institut, qui est principalement pour les infirmes.

            La Superieure doit sans doute de tems en tems visiter les cellules des Seurs pour empescher qu'elles n'ayent rien en propre ; mais pourtant il faut faire cela si discrettement, que les Seurs ne puissent point avoir de juste rayson de penser que la Superieure ayt quelque desfiance de leur fidelité, soit en cela, soit en autre chose. Car il le faut tous-jours observer discrettement, ne les tenant ni trop resserrees ni trop en liberté ; car vous ne sçauries croire combien c'est une chose necessaire de se tenir en cet entredeux.

            Pour moy, j'appreuverois fort que vous ne fissies rien que de suivre simplement la Communauté en toutes choses, soit aux mortifications, ou en quoy que ce soit. Il me semble que ce devroit estre la prattique principale d'une Superieure que d'aller devant ses filles en cette simplicité, que de ne rien faire ni de plus ni de moins qu'elles font ; car cela fait qu'elle est grandement aymee, et qu'elle tient merveilleusement l'esprit de ses filles en paix. J'ay grandement envie que l'histoire de Jacob soit tous-jours devant vos yeux, affin de faire comme luy, qui ne vouloit pas seulement s'accommoder au pas de ses enfans, mais encor a ceux-la mesme de ses aigneletz.

            Et quant a ce qui est de la Communion, je voudrois que l'on suivist l'advis des confesseurs ; quand vous aves envie de communier quelquefois extraordinairement, que vous prissies leurs advis. Pour communier une fois toutes les semaines de plus que la Communauté, vous le pouves bien faire, et a vostre tour comme les autres ; et mesme pour communier plus souvent extraordinairement. Vous feres ce que ceux qui auront soin de vous treuveront bon, car il leur faut laisser conduire cela.

            Il sera bon, ma chere Fille, que vous vous assujettissies a rendre conte tous les mois, ou les deux ou trois mois, si [359] vous voules, au confesseur extraordinaire, ou mesme au confesseur ordinaire, s'il est capable, ou tel autre que vous jugeres ; car c'est un grand bien que de ne rien faire que par l'advis d'autruy.

            Il ne me semble pas que vous devies maintenant faire plus d'attention sur aucune autre prattique que sur celle de la tres sainte charité a l'endroit du prochain, en le supportant doucement et le servant amoureusement ; mais en sorte que vous observies tous-jours de conserver l'authorité et gravité de Superieure, accompagnee d'une sainte humilité.

            Quand vous aures jugé que quelque chose se doit faire, marches seurement et sans rien craindre, regardant Dieu le plus souvent que vous pourres. Je ne dis pas que vous soyes tous-jours attentive a la presence de Dieu, mais que vous multipliies le plus qu'il se pourra les retours de vostre esprit en Dieu.

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XLV. Avis spirituels a une Religieuse de la Visitation (Inédit). Marcher dans la vertu sinon toujours avec joie, du moins avec courage. — La statue dans sa niche. — Ne soyons pas des anges, mais de petits poussins. — Nous n'avons pas à craindre le jugement du monde. — Nos misères ne nous doivent pas accabler ni étonner. — Quel est, parmi les pauvres, « le plus advantagé » ? — Parlons à Dieu de nos misères. — Ne pas insulter notre cœur et ne pas trop le presser. — Dieu seul doit y régner. — Le réjouir et le consoler. — La couche de l'Epoux, et l'agneau de l'holocauste. — Recevoir Jésus-Christ : le plus grand moyen d'arriver à la perfection. — Ne pas quitter la sainte Communion pour les distractions et aridités. — Le divin Maître est Roi, soleil, fournaise, baume, trésor, gage de la gloire. — Aspirer à l'éternité qui approche.

 

            Ma Fille, demeures en paix devant Nostre Seigneur, ne [360] vous embarrasses pas. Pourveu que vous marchies dans le chemin de la vertu, quoy que lentement, vous ne laisseres pas d'arriver a vostre but. Alles donq avec joye ; mais si vous ne pouves marcher dans la carriere tous-jours avec joye, faites le au moins avec courage, et confies vous en Dieu. Faites comme ces enfans qui veulent marcher ; mais des aussi tost qu'ilz font quelque faux pas, ilz courent a leurs meres, ilz se jettent entre leurs bras et sur leur sein et s'y tiennent attachés.

            Travailles a l'acquisition des vertus de bonne foy, sans vous embarrasser ; laisses vous gouverner a Dieu, serves le selon son goust et non selon le vostre, regardes que c'est luy qui vous a placee ou vous estes. Tenes vous donq comme une statue dans sa niche ; vous estes la pour luy plaire, cela vous doit suffire. Nostre divin Maistre, de tems en tems, vous regardera et jettera les yeux sur vous. Ne desires point estre autre que vous estes, car si vostre soleil semble s'ecclipser, il reviendra bien tost et vous esclairera de nouveau.

            Tasches d'acquerir la perfection qui est propre a cette vie. Ne veuillons pas estre trop tost des anges ; soyons de petitz poussins sous l'aisle de nostre mere, car nous ne sçaurions pas encores voler. Prattiquons les petites vertus qui nous sont propres et qui n'ont pas tant d'esclat ; resjouissons nous de nostre propre abjection. Il faut treuver bon que nostre parfum sente mauvais au nez du monde ; ne craignons point le jugement qu'il fait de nous, ne nous abbattons point, car tant que Dieu nous voudra bien faire la grace de nous tenir de sa main en nous conservant le desir que nous avons de l'aymer, nous n'avons rien a craindre.

            Il ne faut pas aymer nos imperfections, ouy bien l'humiliation qu'elles nous causent. Il ne faut pas se laisser troubler et accabler dans nos miseres, il faut tascher d'en sortir avec paix. Cher mespris, que mes imperfections et defautz m'apportent, je vous ayme ; je deteste le mal, et me resjouis de la honte. Il faut, en cette vie, se porter, et avec tranquillité. Mais qu'est ce que nous portons quand nous nous portons nous mesme ? C'est rien qui vaille ; il ne faut pas que cela nous estonne. [361]

            Dieu ayme les miserables, il regarde ceux qui ne sont rien ; les chetifz et personnes abjectes deviennent le throsne de Dieu ; il establit son siege sur une ame qui est vile. Confessons donq nostre pauvreté. Res-jouisses vous, ma Fille, de n'estre rien, monstres luy vos playes, exposes luy vostre indigence. Parmi les pauvres du monde, celuy qui n'a que des haillons a faire paroistre et des playes a monstrer s'estime le plus advantagé, esperant que, par la descouverte de sa pauvreté, il recevra de plus grandes aumosnes. Tenons nous dans cette disposition devant Dieu ; ne luy parlons que de nos miseres, allons a son temple sacré luy exposer ce que nous sommes, mais ne nous abbattons pas.

            Releves vostre pauvre cœur quand il tombe, gardes vous d'insulter en son endroit ; prenes nouveau courage, car si vous tombes souvent, vous vous releves aussi souvent sans vous en appercevoir. Ne presses pas vostre cœur, tenes le au large, puisqu'il aymeroit mieux mourir que d'offenser son Dieu. Il faut aussi plustost perdre toutes choses que la paix. Marches donq simplement, et vous marcheres avec joye et confiance ; tenes vostre cœur au large, et ne le presses pas trop. Soyes juste envers vostre ame, pour ne la pas accuser ni excuser trop legerement : l'un pourroit la rendre orgueilleuse, et l'autre la faire devenir pusillanime.

Tant que nous serons ferme dans nostre resolution que Dieu regne dans nostre cœur, ne craignons         point. Ouy, ma Fille, ou la mort ou l'amour ; il faut aymer ou mourir : que Dieu seul y vive, ou rien du tout. Et tant que ce sentiment sera bien gravé dans nostre cœur, pourquoy nous tourmenter ? Ne voyes vous pas que c'est l'amour propre qui se mesle subtilement de nous donner la torture ? Je vous exhorte encor une fois de tenir vostre cœur au large ; Dieu mercy, il se porte bien, puisque l'amour l'anime et quil veut tous-jours aymer.

            Res-jouisses donq, ma Fille, vostre pauvre cœur ; consoles le dans ses tristesses, fortifies le dans ses travaux, recrees le dans ses ennuis, consoles le dans ses angoisses, affin que n'estant point abbattu, il ressente un nouveau courage pour servir Dieu. C'est en cette consideration que [362] je vous prie de le tenir le plus joyeux que vous pourres ; mesnages le, affin quil fasse de grans progres. Songes que l'Espoux a choysi ce cœur pour en faire son lit de repos ; il faut qu'il soit fleuri. Ce doit estre aussi l'aigneau que vous deves offrir en holocauste et que vous deves aussi immoler a Nostre Seigneur ; il faut qu'il soit gras et en bon point. Vous sçaves que Dieu reçoit avec playsir l'offrande qu'on luy fait d'une franche volonté.

            Alles librement, ma chere Fille, vous consacrer a nostre divin Sauveur ; donnes luy le sacré bayser de la charité, et continues tous-jours a vous humilier profondement, affin que vous l'approchies sans crainte ; car je croy que le plus grand moyen pour arriver a la perfection est de recevoir Jesuschrist, pourveu qu'on ayt soin de destruire tout ce qui peut luy desplaire. Croyes moy, ma Fille, rien ne me fortifie plus l'estomac que de ne manger que d'une viande qui soit excellente ; nourrisses vous donq de la viande des Anges. Il vous fera faire une bonne digestion de luy mesme, il se communiquera a toutes vos puissances, il agira en vous, il y operera ; ce sera luy qui esclairera vostre esprit, qui eschauffera vostre volonté, et ne sera plus vous qui vivres, ce sera Jesuschrist en vous. Et pour recevoir cette grace, il faut nous repaistre de Jesuschrist crucifié ; c'est luy qui eschauffera et fortifiera l'estomac de nostre ame, et qui nous preparera et rendra dignes de le recevoir souvent.

            Ne quittes donq pas vos Communions pour les peynes et foiblesses que vous sentes, quoy que vous soyes distraitte et que vous soyes en secheresse. Tout cela n'est que dans la partie inferieure, car je sçai que la superieure est unie a Dieu et ne souspire que pour luy. Et puisque vous cherches nostre divin Maistre, ou le pouves vous mieux treuver que dans le throsne de son amour ? Il veut estre nostre Roy : et ainsy il nous donnera la paix, il fera cesser la guerre, il mettra le calme dans nos puissances et nous fera recueillir.

            Ne vous esloignes pas de vostre Soleil si vous voules estre esclairee. C'est une fournaise d'amour ou nos tiedeurs seront consumees, c'est un bausme pretieux qui guerira nos blesseures, c'est en fin un thresor de toutes les graces qui vous enrichira. Si vous estes dure, vous seres amollie ; si [363] vous estes seche, vous seres arrousee ; si vous estes en tristesse, il sera vostre joye. Bref, Jesuschrist, dans ce divin Sacrement, vous veut estre toutes choses : c'est cette tablette cordiale que vous deves prendre, affin de vous conforter et de vous preserver de la corruption. En fin, ce divin Sauveur veut bien estre le gage de la gloire qu'il nous a promise.

            Hastons nous d'aspirer a cette bienheureuse eternité ; elle s'approche, le tems passe. Hé, quil importe peu, ma Fille, que les momens de cette vie soyent fascheux, pourveu qu'a jamais nous louions et benissions Nostre Seigneur.

            Tasches, ma chere Fille, de faire une bonne provision de sousmission a la sainte volonté de Dieu. Amen

 

Revu sur une copie conservée à la Visitation d'Annecy.

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XLVI. Autres avis spirituels a une Religieuse de la Visitation (Inédit). Trésor de l'abandon total à Dieu. — Bonheur d'une âme petite et humble. — Les emplois dans la maison du Seigneur. — Tout est indifférent au cœur qui ne veut que Dieu. — Dans les choses qui ne sont pas clairement manifestées, interroger nos Supérieurs et suivre leurs avis. — Suavité des inspirations divines ; trouble et inquiétude en celles qui viennent du démon. — L'humilité change en or le plomb de nos infirmités. — « Mesnager les petites rencontres ». — Bienheureuse est l'âme dépouillée de toutes choses. — Ce qui nous empêche de nous jeter à corps perdu entre les bras de la Providence. — Dieu n'est pas comme les hommes. — « Aymer sans mesure l'Amour eternel. »

 

            Ma chere Fille, si vous connoissies le thresor qui est enfermé dans l'abandon total que l'ame fait de tout elle mesme entre les mains de Dieu pour ne plus vouloir que ce qui luy plaist, vous souspireries apres cet estat, et vous ne souhaitteries rien que d'estre ce que Dieu veut que vous soyes. Que les autres soyent eslevés comme des Seraphins ; [364] mon partage est de me tenir petite et humble aux pieds de mon Sauveur ; hé bien, je veux m'y tenir contente. Laissés la tous les raysonnemens et tous les desirs que vostre pauvre cœur voudroit vous suggerer pour sortir de cet estat. Croyes moy, que dans la mayson du Seigneur les emplois les plus vilz ne sont pas les moins advantageux ; mais le cœur qui est indifferent dit mesme qu'il ne peut pas envisager les advantages qui s'y trouvent. Je sçay que c'est mon Dieu, qui m'ayme, qui m'a choysi cest employ et cette maniere de vie ; je ne veux plus envier l'excellence des autres, mais je veux me perfectionner sans empressement et sans inquietude. Si je tombe, je ne m'abattray pas, car le Tout Puyssant me peut relever ; si je suis dans l'obscurité, le Seigneur est ma lumiere, que craindray-je ? En fin, ni le ciel, ni la terre, ni mesme l'enfer ne me peuvent oster mon Dieu. Je ne souhaitte que luy : tout m'est indifferent ; je veux aymer toutes choses en Dieu et pour Dieu ; j'iray avec luy a la bonne foy, sans trop critiquer. Je veux luy obeir dans ce qu'il me demande, mais pour connoistre sa volonté dans une infinité de choses qui ne me sont pas clairement manifestees, je ne veux point donner la torture a mon pauvre cœur, ni les examiner avec scrupulosité ; je m'en tiendray a ce que me diront ceux que Dieu a establis pour me conduire et, en paix, je tascheray a suyvre ses inspirations.

            Remarqués que lhors qu'elles viennent du Seigneur, c'est avec douceur et suavité qu'elles nous portent au bien, et nous sommes indifferens du succes, parce que, pourveu que nous ayons fait de nostre costé ce qu'il demande de nous, nous demeurons en paix. Au contraire, le malin esprit nous suggere des desirs des vertus avec aspreté, inquietude, chagrin et empressement ; si nous treuvons quelqu'obstacle, tout a l'heure nous sommes troublés, nous nous empressons. Ne sçaves vous pas, ma Fille, que nostre Dieu est le veritable Salomon qui veut se reposer dans nostre cœur ? Il est bon ; si nous pouvons le placer dans le Ciel, nous ne nous troublerons pas des accidens de cette vie.

            Ne nous affligeons pas si nous sommes appesantis par le poids de nos mauvaises inclinations ; aymons l'abjection [365] qui nous en revient. Vous ne sçaves pas la force de l'humilité qui change en or tres pur le plomb de nos infirmités, laquelle sainte metamorphose opere dans l'ame cette vertu. Faites que ce bausme salutaire nage tous-jours dans vostre ame.

            Ayes tous-jours une grande douceur et affabilité ; vous sçaves que l'affabilité est la cresme de la charité. Ayes soin de mesnager les petites rencontres que Dieu vous presente, mettes en cela vostre vertu, et non pas a desirer de grans travaux ; car souvent on se laisse abbattre par un mouscheron quand on combat des monstres par imagination.

            Ne vous inquietes point dans la veuë des maux et des peynes qui vous peuvent arriver ; car le Seigneur ne permettra pas qu'ilz vous arrivent, ou il vous donnera la force de les porter, s'il vous les envoye. Laisses vostre ame et vostre cors entre ses benites mains, abandonnes vous a luy, perdes vous en luy, n'aymes que luy, ne veuilles que luy, et que toutes choses hors de luy vous soyent indifferentes ; et vous connoistres dans le Ciel que bienheureuse est l'ame qui a vescu dans ce monde despouillee de toutes choses, et qui a rendu hommage au grand despouillement et a la nudité de son Espoux attaché a la croix, et mourant, affin d'enrichir et de revestir ses espouses bienaymees.

            Pour affermir nostre amour pour nostre souverain Bien, resveillons nostre foy ; car la prudence de la chair et les raysonnemens de nostre esprit nous nuysent souvent et nous empeschent de nous jetter a cors perdu entre les bras de la divine Providence. Nous croyons, parce que nous ne valons rien, que le Seigneur n'aura point soin de nous : ne voyes vous pas la finesse de la prudence humaine qui nous trompe en nous faysant sortir de l'estat d'une parfaitte confiance ? Ne faysons point ce [tort] a sa divine Majesté de raysonner si bassement ; Dieu n'est pas comme les hommes, qui ne font cas que de ce qui peut leur estre utile. Je sçay, dira une ame fidele, que la foy m'enseigne que le Seigneur supporte et reçoit les foibles et les miserables qui se confient en luy : je veux donq m'y confier et abandonner.

            C'est dans la sainte dilection, ma chere Fille, quil faut bastir nostre demeure ou tabernacle, car il n'y a rien de bon [366] pour nous que d'aymer sans mesure l'Amour eternel. Presses fort, ma chere Fille, ce divin Sauveur sur vostre cœur : c'est luy qui l'a scellé et cachetté, affin qu'il soit tout sien. Amen.

 

Revu sur une copie conservée à la Visitation d'Annecy.

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XLVII. Fragments sur la pauvreté (Inédit). En quoi consiste la parfaite pauvreté intérieure. — Comment regarder les biens de la Communauté. — Accepter avec amour les disettes. — Trois degrés de la pauvreté spirituelle. — La grande et sainte pauvreté. — Quel en est le dernier degré. — Celui qui n'a aucune confiance en soi-même est vraiment fidèle.

 

            La parfaitte pauvreté interieure consiste a avoir le cœur destaché et disjoint de toutes les choses dont il se sert, ne les tenant que par emprunt, estant prest de les quitter sans fascherie, toutes fois et quantes que les Superieurs l'ordonneront. Ainsy, ceux qui ont le vray amour divin sont contens des choses necessaires ; et encor en sont ilz destachés non seulement d'affection, mais aussi en la façon d'en parler, n'usant point du mot de mien, mais nostre. [C'est] avec la mesme moderation qu'il faut aymer les biens de la Communauté, les regardant non avec une affection proprietaire qui nous oste la paix du cœur ou nous desregle en la pretention, conservation ou distribution d'iceux, ains avec un esprit religieux, comme choses consacrees a Dieu, lesquelles il ne faut aymer que selon le goust du Seigneur a qui elles sont consacrees.

            La pauvreté religieuse engendre pauvre table, pauvre lict, pauvres habitz et pauvre cellule. Cela doit sembler [367] necessaire, dont nous ne sçaurions nous passer commodement ; tout le reste doit estre retranché, autant que nous pourrons. Il se faut mesme retrancher quelquefois des choses mesme necessaires ; mays sur tout accepter avec amour tous les manquemens des choses necessaires qui nous arriveront, de quelque part qu'ilz viennent, recevant aussi de bon cœur les choses pauvres qui nous arriveront, en quoy que ce soit.

            Par dessus toute pauvreté, il nous faut avoir celle du cœur, qui nous rend humbles et petitz a nos yeux. La pauvreté spirituelle, c'est l'abandonnement de toutes choses, le mespris de soy mesme et la renonciation de toutes choses et de la propre volonté en toutes choses : ces trois degrés sont les enseignemens de la vraye Religion. Ne se vanter jamais de ce que l'on a esté au monde, n'en vouloir estre loüé ni estimé ; fuir cela tant qu'il se peut, craignant que nostre pauvreté n'en soit plus prisee, c'est imiter la souveraine humilité de Nostre Seigneur. Il faut fuir tout ce qui est d'honnorable.

            La grande et sainte pauvreté est de reconnoistre que nous n'avons rien [et] ne pouvons rien de nous mesme que misere. Je suis mendiant et pauvre : mon Dieu, aydes moy. Il est bon de regarder nostre bassesse en comparayson de la sainteté des Saintz, qui se tenoyent pour rien.

            Le dernier degré de la pauvreté c'est l'absolu renoncement de sa propre volonté, se conformant en toutes choses a celle du prochain, et ne vouloir chose quelconque sinon Dieu et l'accomplissement de son bon playsir.

            Bienheureux le pauvre, car il se reposera au sein de Dieu. Ayes fiance en Dieu, mettes vous en sa garde, dresses vers luy vostre pensee, et il vous nourrira. Affin qu'en fidelité vous puissies dire : Le Seigneur a soin de moy, mettes tout vostre soin vers luy, car il a soin de vous.

            Se fier en soy mesme n'est point le propre de la foy, mays de la perfidie. Celuy la est vrayement fidele qui ne se fie ni a aucune confiance en soy, qui s'est rendu comme un vaysseau corrompu et qui perd tellement son ame, qu'il la veut conserver pour la vie eternelle. La seule humilité de cœur est cause que l'ame ne se fie pas en elle mesme ; [368] mais, la tenant en abandon, se retire au desert, se reposant toute sur son Bienaymé.

 

Revu sur un ancien Manuscrit conservé à la Visitation de Nancy.

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XLVIII. Fragments sur l'obéissance, (Inédit). L'obéissance religieuse est un holocauste. — Devoir du Supérieur et de l'inférieur. — Qu'est-ce que le propre jugement ? — L'indifférence du parfait obéissant

 

            Saint Pierre dit : Sousmettes vous a toutes creatures humaines pour l'amour de Dieu. L'obeissance religieuse est un holocauste qu'on offre a Dieu, sans se rien reserver de sa propre volonté. L'obeissance est la supresme et unique vertu. Saint Bernard dit : « Que le Prelat ne commande a sa poste, ains selon la Regie ;... qu'il n'accroisse les vœux sans la volonté du sujet, qu'il ne les diminue aussi que par necessité ; » mais « que le sujet sçache que l'obeissance est imparfaite qui se renferme dans les bornes des vœux, car la parfaite s'estend a toutes choses auxquelles la charité se treuve. » Saint Bernard dit : « Celuy que nous avons pour Superieur au lieu de Dieu, nous le devons ouyr comme Dieu mesme, es choses qui ne sont apertement contre Dieu. »

            Il faut obeir par la sousmission du jugement. L'on appelle jugement propre celuy qui se separe du sens de l'Eglise, des Prelatz et Superieurs ; celuy qui se despart du sens de l'Eglise, des Prelatz, des Superieurs est en erreur.

            L'indifference consiste a n'incliner pas plus d'un costé que d'autre ; de sorte que le parfait obeissant, encor qu'il soit resolu d'accomplir tout ce qui sera de precepte, de Regie, d'ordonnance, il est indifferent a tout le reste, ayant tous-jours au cœur et en la bouche : Seigneur, que voules vous que je face ?

 

Revu sur un ancien Manuscrit conservé à la Visitation de Nancy. [369]

 

 

 

XLIX. Conseils a un religieux pour l'examen de conscience

 

            Mon Filz, si vous desires faire quelque progres en la perfection religieuse, consideres Dieu tous-jours present en toutes vos actions, et ne manques point de faire troys fois le jour l'examen de vostre conscience.

            Le matin, consideres comment est ce que vous aves passé la nuit ; prevoyes avec prudence comment est ce que vous employeres ce jour au service de Dieu.

            Sur le midy, faites une reflexion sur toutes vos actions, si vous aves mis en execution les bons propos qu'aves fait le matin, si vous aves surmonté vos passions, fait toutes vos œuvres avec une pureté d'intention et donné bon exemple a vos Freres.

            Le soir, ne manques point de faire encor une reveüe, pour voir si vous seres plus souvent tombé aux imperfections que vous aves remarqué en vous sur le midy, ou si vous aves esté plus prompt a l'exercice de la vertu. Conferes les actions d'un jour avec un autre, pour voir si vous proffites ou si vous retournes en arriere, taschant de reconnoistre l'imperfection principale, qui est comme la source et origine de tous vos manquemens, affin que vous la puissies peu a peu surmonter. [370]

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L. Méditation sur le choix d'un état de vie pour un aspirant a la vie religieuse. Bonté de Dieu qui se contente de nous obliger à garder ses Commandements. — Ce qu'il nous conseille. — Toujours nous aurons à combattre. — Consolations de la vie religieuse et de la « vie commune ». — Examiner ses dispositions et attendre.

 

            O que Dieu est bon a son Israël ! Qu'il est bon a ceux qui sont droitz de cœur !

            Consideres premierement, que Nostre Seigneur ayant peu obliger ses creatures a toutes sortes de services et obeissances envers luy, il ne l'a pas neanmoins voulu faire, ains s'est contenté de nous obliger a l'observation de ses Commandemens ; de maniere que s'il luy eust pleu d'ordonner que nous jeusnassions toute nostre vie, que nous fissions tous vie d'hermites, de Chartreux, de Capucins, encor ne seroit ce rien au respect du grand devoir que nous luy avons : et neanmoins, il s'est contenté que nous gardassions simplement ses Commandemens.

            Consideres secondement, qu'encor qu'il ne nous aye point obligé a plus grand service qu'a celuy que nous luy rendons en gardant ses Commandemens, si est ce qu'il nous a invités et conseillés a faire une vie tres parfaite, et observer l'entier renoncement des vanités et convoytises du monde.

            Consideres troysiesmement, que, soit que nous embrassions les conseilz de Nostre Seigneur nous rangeant a une vie plus estroitte, soit que nous demeurions en la vie commune et en l'observance seule des Commandemens, nous aurons en tout de la difficulté : car si nous nous retirons du monde, nous aurons de la peyne de tenir perpetuellement bridés et sujetz nos appetitz, renoncer a nous mesmes, resigner nostre propre volonté et vivre en une tres absolue [371] sujettion sous les loix de l'obeissance, chasteté et pauvreté ; si nous demeurons au chemin commun, nous aurons une peyne perpetuelle a combattre le monde qui nous environnera, a resister aux frequentes occasions de pecher qui nous arrivent, et a tenir nostre barque sauve parmi tant de tempestes.

            Consideres quatriesmement, qu'en l'une et en l'autre vie, servant bien Nostre Seigneur nous aurons mille consolations. Hors du monde, le seul contentement d'avoir tout quitté pour Dieu vaut mieux que mille mondes ; la douceur d'estre conduit par l'obeyssance, d'estre conservé par les loix, et d'estre comme a couvert des plus grandes embusches, sont de grandes suavités : layssant a part la paix et tranquillité qu'on y treuve, le playsir d'estre occupé nuit et jour a l'orayson et choses divines, et mille telles delices. Et quant a la vie commune, la liberté, la varieté du service qu'on peut rendre a Nostre Seigneur, l'aysance de n'avoir a observer que les Commandemens de Dieu, et cent autres telles considerations la rendent fort delectable.

            Sur tout cela : Helas ! dires vous a Dieu, Seigneur, en quelle condition vous serviray-je ? Ah ! mon ame, ou que ton Dieu t'appelle, tu luy seras fidele : mais de quel costé t'est il advis que tu ferois mieux ? Examinés un peu vostre esprit pour sçavoir s'il sent point aucune inclination plustost d'un costé que d'autre, et l'ayant descouvert, ne faites encor point de resolution, ains attendes jusques a ce qu'on vous le dise.

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LI. Autre méditation pour le même aspirant, sur la naissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ. L'arrivée de Marie et Joseph à Bethléem ; ils reçoivent le mépris avec une douceur incomparable. — Le moindre oubli excite notre arrogance. — L' « establerie » pour le Sauveur, et « les superbes edifices » pour les pécheurs. — Tout est pauvre dans cette naissance, et nous ne cherchons qu'à nous satisfaire

 

            Imagines vous de voir saint Joseph avec la Sainte Vierge, [372] sur le point de son accouchement, arriver en Bethleem et chercher par tout a loger, sans treuver aucun qui les veuille recevoir. O Dieu, quel mespris et rejet le monde fait des gens celestes et saintz, et comme ces deux saintes ames embrassent volontier cette abjection ! Ilz ne s'eslevent point, ilz ne font point de remonstrances de leur qualité, mais tout simplement reçoivent ces refus et aspretés avec une douceur nompareille. Ah ! miserable que je suis ! le moindre oubli que l'on fait de l'honneur pointilleux qui m'est deu, ou que je m'imagine m'estre deu, me trouble, m'inquiete, excite mon arrogance et ma fierté ; par tout je me pousse a vive force es premiers rangs. Helas ! quand auray je cette vertu, le mespris de moy mesme et des vanités ?

            Consideres comme saint Joseph et Nostre Dame entrent dans l'entree et porche qui servoit par fois d'establerie aux estrangers, pour y faire le glorieux enfantement du Sauveur. Ou sont les superbes edifices que l'ambition du monde esleve pour l'habitation des vilz et detestables pecheurs ? Ah ! quel mespris des grandeurs du monde nous a enseigné ce divin Sauveur ! Que bienheureux sont ceux qui sçavent aymer la sainte simplicité et moderation ! Miserable que je suis, il me faut des palais, encor n'est ce pas asses ; et voyla mon Sauveur sous un toit tout percé, et sur du foin, pauvrement et piteusement logé.

            Consideres ce divin petit Enfançon né nud, frileux, dans une cresche, enveloppé de bandelettes. Helas ! que tout est pauvre, que tout est vil et abject en cet accouchement, et que nous sommes doüilletz et sujetz a nos commodités, amoureux des sensualités ! Il faut grandement exciter en nous le mespris du monde et le desir de souffrir pour Nostre Seigneur les abjections, mesayses, pauvretés et manquemens. [373]

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LII. Troisième méthode pour réciter le Chapelet

 

            Ayant pris vostre chapelet par la croix et l'ayant baysee, vous feres avec icelle le signe de la Croix sur vous, et vous mettres en la presence de Dieu, luy offrant vostre ame avec toutes ses puissances, principalement vostre entendement et volonté, avec un grand desir de considerer avec attention les misteres de nostre foy et de tirer d'iceux quelque sainte affection d'imiter les vertus que nostre Redempteur nous a enseigné, et de faire d'autres actes d'amour de Dieu, d'admiration de ses perfections infinies, d'actions de graces pour ses benefices, de contrition de vos pechés, de saintz propos de vous amender, de surmonter vos passions, de prouffiter en la vertu. En apres, vous prieres Dieu, par les merites de la vie, mort et passion de nostre Sauveur, par l'intercession de la glorieuse Vierge et de vostre Ange tutelaire, d'accepter vos foibles prieres pour ceux ou celles des vivans et trespassés pour lesquelz vous aures prins resolution de prier.

            Cela fait, vous dires avec grande foy le Credo, et pour vous preparer a dire plus devotement le Chapelet, vous imploreres le secours divin en disant : Deus, in adjutorium meum intende : Domine, ad adjuvandum me festina ; et vous adjousteres : Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto, et ce, avec un grand desir d'adorer et glorifier la tres sainte [374] Trinité ; et en fin adjousteres le devot hymne : Memento, salutis auctor, avec le verset Dignare me laudare te, Virgo sacrata.

            Apres cette preparation vous commenceres le Chapelet, et aux trois petitz grains vous demanderes l'intercession de la glorieuse Vierge, affin que vous le puissies bien dire et en tirer quelque fruict spirituel. Et a cette intention, au premier grain des trois petitz, vous salueres Nostre Dame comme la Fille la plus chere du Pere eternel ; au second, vous la salueres comme Mere tres chere du Filz de Dieu, nostre Sauveur ; et au troysiesme, vous la salueres comme Espouse bienaymee du Saint Esprit.

            Cela fait, vous commenceres a mediter les misteres du Rosaire, prenant ou les joyeux, ou les douloureux, ou les glorieux, ou mesme quelque autre devot sujet, tel que Dieu vous inspirera, vous entretenant en la meditation d'iceluy pendant que vous dites la premiere dizaine ; et me semble encor estre plus utile de s'y entretenir quelque peu avant que de la commencer. Et apres, dires l'Orayson dominicale, par laquelle doivent commencer toutes vos oraysons, comme estant la plus excellente que nous puissions faire ; et ensuite vous dires les dix Ave Maria, continuant en cette maniere de dire les cinq dizaines d'une partie du Rosaire.

            A la fin, vous reprendres le gros grain qui est au commencement dudit Chapelet et remercieres Dieu de la grace qu'il vous a faitte de vous permettre de dire le Chapelet, luy demandant l'assistence de sa grace pour pouvoir mettre en execution les bons propos qu'il vous a donnés. Et passant aux trois petitz grains suivans, vous salueres la Sainte Vierge, la suppliant, au premier, d'offrir vostre entendement au Pere eternel, affin que vous puissies a jamais considerer ses misericordes ; au second, vous la supplieres d'offrir vostre memoire au Filz, a ce qu'a jamais vous ayes souvenance de sa Passion ; au troysiesme, vous la supplieres d'offrir vostre volonté au Saint Esprit, affin qu'a jamais vous puissies estre enflammé de son saint amour. Et en fin, au gros grain qui est au fin bout, vous feres un bouquet spirituel de recollection, renouvellant tous les bons propos [375] et saintes resolutions qu'aves faites en la meditation de ces cinq mysteres, suppliant la divine Majesté qu'elle accepte et addresse toutes vos oraysons a son honneur et gloire et pour le bien de son Eglise, en la foy et union de laquelle vous prieres sa Bonté de vouloir rappeller tous les desvoyés. Et prieres encor pour toutes vos necessités particulieres et de vos amis, finissant comme vous aves commencé, par la profession de foy, disant le Credo.

            Puys, vous signant et baysant la croix, mettes vostre chapelet a la ceinture, comme une sainte marque par laquelle vous voules protester que vous voules estre serviteur du tout dedié au service du Sauveur et de sa sainte Mere, disant devotement ces paroles de David : Servus tuus sum ego, et filius ancillæ tuæ . [376]

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LIII. Paraphrase de l'Oraison Dominicale adressée a une de ses filles spirituelles (Inédit)

 

PUNTI DA MEDITARE SOPRA L'ORAZIONE DEL PATER NOSTER

 

            Flexis genibus prius ad Patrem Domini nostri Jesu Christi con ogni humiltà, levi Vostra Eccellenza gl'occhi dell'anima al Cielo, e s'imagini veder quel gran Padre di lume, Iddio, che stà sedendo nel throno della sua gloria, circondato da miglioni d'Angeli e di Seraphini, e con gran fede, riverenza ed amore faccia quell'Orazione che Christo c'insegnò, e gli domandi quelle sette petizioni ch'in quella si contengono, e questo con amorosi ed ardenti colloqui con esso Padre, poichè tutta quest' Orazione non è altro cb'un dolcissimo colloquio dell'anima con Dio. [377]

            Et acciò questo negocio si renda più facile a Vostra Eccellenza, metterô qui alcuni punti da meditare sopra ogni parola del Pater noster, come Lei m'ha domandato per le sue lettere. Appresso metterô tutt'il Pater noster in prattica, più diffusamente di quel ch'altra volta a bocca communichai a Vostra Eccellenza.

 

Sopra la prima parola del Pater

 

            Primo : consideri Sua Eccellenza [ciò] ch'Idio gl'ha dato, facendolo suo figliolo adoptivo, e però vuole che lo chiami Padre. Quel Dio ch'il tutto da niente creò e che il tutto tiene nelle sue mani, al qual servono tutte le hierarchie de Cielo, è Padre nostro. Felice e bene aventurato si reputeria un povero pastorello che guarda le pecorelle ne'campi, se Vostra Eccellenza l'adoptasse per figliuolo e per herede ; [378] molto più, ecc. Ben potiamo dire quel che rispose Davide quand'il Re Saullo l'offerì per moglie la sua figliuola Michol  : Quis sum ego, aut quæ est vita mea, aut cognatio patris mei in Israel, ut fiam gener Regis ? E chi son io, o Dio del Cielo, che mi volete per vostro figliuolo et volete ch'io vi chiami Padre ?

            2°. Può eccitare la speranza a ottener ogni cosa che domandarà, quanto maggior grande sia, poichè il padre non niegha al figliolo ciò che gli domanda, se risulta in benefizio al figliolo.

            3°. Può eccitar l'amore verso di questo buon Padre, poichè questo nome di Padre è nome d'amor reciproco.

            4°. Consideri che questo buon Padre nostro [ha] verso di noi tutti gl'effetti di padre. Ci ama : Sic Deus dilexit mundum ; [379] Pater amat nos, dice Christo. Ci provede di tutte le cose necessarie et al corpo et all'anima : tutta questa gran machina di questo mondo, di quest'elementi e di questi cieli tiene occupata al servizio nostro, perinsino gl'Angioli ; provede all'anima del suo cibo, ch'è il precioso Corpo e Sangue del suo unigenito Figliolo. Ci drizza al Cielo con il suo Evangelio predicato, ci ajuta e difende dalli nemici, ci consiglia, ci onora, ci veste e ci castigha quando è bisogno.

            5°. Domandargli che già che lui così bene essercita con noi gl'effetti di buon padre, che noi anche verso d'esso essercitiam gl'atti di buoni figli, quali sono : amore, obedienza e riverenza ; che l'amiamo teneramente e ci rallegriamo d'havere un Padre cosi buono e così santo, cosi savio e cosi potente, ch'è l'istessa bontà, santità, sapienza e bellezza, et infinitamente potente ; che siamo obedienti alla sua legge e che li portiamo in ogni luogo riverenza, e cerchiamo che tutto l'mondo l'honori e riverisca. Finalmente, domandargli che già che noi ci rallegramo d'haver così buon Padre, ch'esso ci faccia tali che si rallegri d'haver noi per suoi figlioli.

 

Sopra la parola : Nostro

 

            Vostra Eccellenza consideri che questo gran Padre volle [380] communicare questa eccellentissima dignità a tutti, d'onde non dice ch'è Padre di ricchi e signori, ma nostro, id est di tutti, etiam poveri ; come il sole, che drizza i suoi raggi, la sua luce e il suo splendore sopra la minima pianta e sopra il minimo fiore che v'è in un gran monte, e sopra l'istesso monte. Così Iddio a tutti volse communicare il nome di Padre.

            2°. Nostro, per scuoprirci che tutti siamo fratelli, e che tutti ci dobbiamo amare, e per tutti far orazione, et osservare li doi comandamenti nelli quali si contiene tutta la Legge : il primo, d'amar Dio perchè è Padre ; il secondo, amar il prossimo perch'è nostro fratello.

            3°. Nostro, acciô noi siamo suoi ; è ben raggione, siamo tutti suoi, poich'esso è tutto nostro. Qui offerirò tutto me stesso a lui, supplicandolo che non sia più mio, ma tutto suo, poichè esso s'è degnato essere tutto mio.

 

Sopra : Qui es in Cælis

 

            1°. Sei ne' Cieli. Pregharò questo gran Padre che mi faccia cielo spirituale, acciò questa mia anima sia stanza [381] di sua alta Maestà. Il cielo è forte, mobile e pieno di stelle ; pregharò mi faccia forte nel suo santo servizio, che mi dia continuo moto d'amore verso d'esso ed orni la mia anima di tante virtù quante stelle sono nel cielo et metta li due gran luminarij : luminare majus, l'amor fervente di sua Maestà ; luminare minus, quel del prossimo.

            2°. Nei Cieli. Nell'Angioli : illuminandoli, acciò lo conoscano, perciò ch'Egli è luce eterna, omnia illuminans ; infiamandoli, acciò l'amino, perciò ch'Egli è fuoco ch'accende ; riempiendoli di beatitudine, acciô siano eternamente beati, perchè Egli è Ben infinito che riempie il tutto. Priegharò che sia in questa mia anima, per riempirla delli suoi doni e gratie.

            3°. Nei Cieli. Acciô ch'io intenda che l'anima mia non deve abbracciare la terra, ma il Cielo ; non deve più caminar con l'affetto delle cose basse e transitorie, ma levarsi alle cose del Cielo, ut sit nostra conversatio in Cælis, ubi Patrem habemus Deum. Questo domanderà.

 

Sopra la prima petitione : Sanctificetur Nomen tuum

 

            1°. Domandar primo, ch'il suo Nome santo sia santificato ; id est, ch'esso Dio, per tutto il mondo, sia conosciuto, [382] amato, adorato, honorificato, glorificato e esaltato come quello vero et eterno Dio immortale, omnipotente, solo buono, solo santo, solo giusto, solo admirabile e solo meritevole d'esser infinitamente amato ; pregandoli dia luce a tutto l'Oriente et Ponente, et a tutte l'altre parti del mondo dove regnano Turchi, Mori, Gentili, pagani e altre simili genti, acciò vengano in cognitione di questo Nome suo santissimo, et pieghino a lui et al suo Figliolo, con lo Spirito Santo, li suoi ginocchi, e tutti dicano : Pater noster qui es in Cælis, sanctificetur Nomen tuum.

            2°. Sanctificetur Nomen tuum. Prieghare il Signore mi faccia buono e santo, acciò ch'il mondo vedendo le mie buone opere, venghi a lodare, benedir e sanctificar sua alta e gloriosa Maestà.

            3°. Sanctificetur Nomen tuum. Prieghar dia a tutti cognitione, ut possimus comprehendere cum omnibus sanctis, quæ sit latitudo, longitudo, sublimitas et profundum : la larghezza delli suoi benefizii, la lunghezza e grandezza delle sue promesse, l'altezza della sua Maestà e la profondità de' suoi giudizii. [383]

 

Sopra la 2da petitione : Adveniat Regnum tuum

 

            1°. Domandar instantemente che venghi in noi il Regno celeste, quale ci meritò il suo benedetto Figliolo con la sua santissima Passione.

            2°. Che mentre siamo in questa valle di lagrime, esso regni per gratia nell'anima nostra e nel corpo, et l'uno e l'altro li dia obedienza come a suo Re.

            3°. Che venghi il giudicio nel quale Esso solo regnarà nelli suoi Santi.

 

Sopra la 3a petitione : Fiat voluntas tua sicut in Cælo et in terra

 

            1°. Domandar che sì come i cieli, che sono gl'Angioli e Santi, fanno sempre la sua volontà, così anco la terra, che siamo noi, la facciamo.

            2°. Fiat voluntas tua, qual è ch'amiamo Dio ex toto corde, ex tota mente, ex tota anima et ex omnibus viribus, et il prossimo sicut nos ipsos.

            3°. Fiat voluntas tua, ut imitemur Christum qui dixit : Non mea, sed tua fiat voluntas. [384]

 

Sopra la 4a petitione : Panem nostrum quotidianum da nobis hodie

 

            1°. Domandar il pane per noi, per tutto il mondo e massime per il povero.

            2°. Panem nostrum supersubstantialem, ch'è il suo santo Figliolo nel Sacramento, acciò habbiamo memoria et intelligentia dell'amor che ci portò e delle cose che per noi fece e pati, che furon infinite.

            3°. Pane della sua santa parola, quale ci ministra per mezzo delli suoi predicatori, e per se stesso quando facemo orazione.

 

Quinta petitione : Et dimitte nobis debita nostra sicut, ecc.

 

            1°. Considerar che vuole che ci humiliamo, confessando che siamo peccatori : Si dixerimus quod peccatum non habemus, ipsi nos seducimus.

            2°. Considerar che dice, debita, acciò ch'intendiamo quod in multis offendimus omnes ; come si scuopre nella parabola di quello che dovea decem milita talenta ; Matt. c. 18 . [385]

            3°. Sicut et nos dimittimus, quia eadem mensura qua mensi fuerimus, remetietur et nobis.

 

Sopra la 6a petitione : Et ne nos inducas in tentationem

 

            1° Mundi ; 2° carnis ; 3° diaboli.

 

Sopra la 7a petitione : Sed libera nos a malo

 

            1°. A malo, peccati, id est a culpa.

            2°. A pena æterna.

            3°. Ab omnibus adversitatibus, periculis et malis quæ ab extrinseco inferuntur.

 

IL PATER NOSTER IN PRATTICA

 

            O Padre eterno, Padre di Nostro Signore Giesù Christo, Padre di lumi, Padre santo, Padre dolce e amorevole, o Padre Creatore dell'universo : onde meritai io chiamarvi Padre, io terra, polvere e cenere, il minor di tutti vostri servi ? E qual bene havete voi scoperto in me o in altro degli figlioli d'Adamo, che havete voluto esser Padre nostro ? « Chi siete voi, Signore, et chi son io ? » Voi siete Dio [386] d'infinita maestà, Re de' re, Signore de' signori, Santo de Santi, gloria degl'Angioli et allegrezza per tutti i Beati. Inanzi al vostro conspetto i cieli e la terra e tutto quello che v'è dentro è meno d'un picciol granello d'arena, a tutt'il mondo ; io, dall'altro canto, sono vermicello della terra, peccatore e figliolo d'Adamo peccatore, che tante volte ho offeso la vostra eccelsa Maestà : e pure volete ch'io vi chiami Padre ! O ch'eccellenza, o che dignità è questa che mi date. Piacciavi, Signore, che questa mia anima la sappi conoscere e che vi renda debite grazie a tanti benefizii. Ma perch'io non basto, priegho li nostri Angeli mi aiutino a lodare e ringratiar continuamente vostra Maestà.

            Padre, due cose mi bisogna confessare : l'una, che questo dono e questo sì gran beneficio nasce dalla vostra infinita bontà e dall'amor infinito che mi portate ; l'altra, che questa parola Padre sta molto bene in bocca del vostro unigenito Figliolo e Signor mio Christo, il quale vi è Figliolo per eterna generazione consubstanziale, ma nella mia bocca, che sono sì gran peccatore, non stà bene, non li conviene, non merito, Signore, tanto bene. Pur, poichè così piace a vostra Maestà, dì qua inanzi ben al petto vi chiamerò Padre, e mi goderò di questo dolce nome di Padre. [387]

            Questa parola mi certifica l'amor grande che voi, Signore, mi portate ; e però il vostro Evangelista, stupito di questo, dice, 1 Ep. 3  : Videte qualem charitatem dedit nobis Pater, ut filii Dei nominemur et simus. M'insegna anche e m'ammonesta ch'io parimente v'ami con tutto il mio cuore : Diligam te, Domine, fortitudo mea, firmamentum meum, refugium meum, liberator meus et Pater. Qual figliolo al mondo si può trovar così ingrato, ch'avendo un Padre buono, santo, dolce, glorioso e amorevole come voi, che non l'ami ? O Padre, chi buono, chi santo, chi dolce e amorevole come voi ? Donque, Padre, dal mio cuore sia sbandito ogn'altro amore nostro, sia infiammato questo mio cuore, acciò tra voi, Padre, e me figliolo vi sia un continuo amor reciproco.

            Questa parola, Padre, m'eccita a domandarvi le cose che mi sono necessarie, poichè il padre non mai niegha al figliolo ciò che vede essergli necessario, potendoglielo dare. So, Padre, che voi potete e che volete : potete, perchè siete omnipotente ; volete, perchè siete tutto buono. A me non mancano bisogni, mi trovo ferito di molte ferite di peccati, ho bisogno di medicine ; voi, Padre, siete medico qui sanas omnes languores et curas omnes infirmitates. [388] Miserere mei ergo, Domine, quoniam infirmus sum ; sana me, Domine, quoniam conturbata sunt ossa mea, et sanabor. Signore, sanate quest'anima, vedetela che si presenta a voi tutta ferita. (Oui ripresenta tutte le sue ferite di superbia, avaritia, lussuria, ecc., et affettuosamente domanda la sanità.)

            Di più, Padre, mi trovo ignudo e spogliato delli vestimenti delle virtù. Vestitemi, Padre, poichè vestite li cieli di tanti luminarij e la terra di tanti fiori ; datemi la veste nuptiale della charità, acciò possi comparire alle vostre nozze ; la veste dell'obedienza, acciò obedisca alli vostri comandamenti e legge ; la veste della humiltà, acciò sia grato alli vostri occhi. Vestitemi con quelli vestimenti ricchi delle virtù infuse : datemi perfetta fede, salda speranza e ardente carità.

            Appresso vi domando, o buon Padre, ch'essercitate in me l'uffizii di padre. Il padre batte il figliuolo quand'erra, acciò s'emendi, perchè altrimente se non lo battesse farebbe peggio, e talvolta sarebbe appicato alla forca. Battetemi, Signore, con misericordia : peto, Domine, virgam cum misericordia ; hic ure, hic seca, ut in seternum parcas. Et se [389] non m'emenderò, aggravate, Padre, la vostra santa mano, e battetemi più forte con tribulationi, infìrmitadi, afflizioni e angustie. Ingrediatur putredo in ossibus meis et subter me scateat, ut requiescam in die tribulationis, et ascendant ad populum accinctum nostrum ; vi priego, buon Padre, ch'in questi miei ossi entri la putredine, id est, che com'un altro Giob sia questo mio corpo impiagato e flagellato, purchè quest'anima riposi nel giorno della tribulatione, ch'è il giorno della morte, e sia conumerata nel numero di vostri figlioli, ch'è quel populo celeste cinto di gloria e di beatitudine.

            Il padre, doppo che ha castigato e ben battuto il figliuolo, gli fa qualche carezza. Padre, doppochè m'havete battuto per le mie dementi con la vostra misericordia, visitatemi con qualche consolatione spirituale, accarezate quest'anima con la suavità interna, acciò più s'accenda nel vostro amore e non cessi dalla vostra lode.

            Oh ! quanta consolatione eccita nell'anima mia questa parola, Padre, e non solamente consolatione, ma allegrezza, gaudio e somma giocondità. Auditui meo dabis gaudium et lætitiam, et exultabunt ossa humiliata, diceva il santo Profeta ; e ancora non gl'era rivelato questo nome di Padre. [390] E che dirò io ? Padre, auditui meo dedisti gaudium et lætitiam ; o quant'è il gaudio, quanta mi è l'allegrezza che causa nelle mie orecchie questa dolce parola : Padre ! Quest'anima tutta humiliata, questi miei ossi habastatti  per la moltitudine di peccati, si ricreano e prendono vigore sentendo questa parola : Padre. E qual maggiore allegrezza posso haver'io, che ricordarmi che ho un Padre tanto buono, ch'è l'istessa bontà ; tanto santo, ch'è l'istessa santità ; tanto savio, ch'è l'istessa sapientia ; finalmente tanto potente, ch'ogni cosa può nel cielo, nella terra e negli abissi. Rallegrinosi i ricchi nelle loro ricchezze, i potenti nella loro potenza, li savij nella loro sapientia :  Ego autem in Domino meo gaudebo, quia Pater, quia Pater noster. Hi in curribus, et hi in equis ; nos autem in nomine Dei nostri exultabimus. Domine, exultet spiritus meus in te, Deo salutari nostro et Padre nostro.

            Questa parola, Padre, mi dimostra la cura e providenza grande che havete sopra di me e sopra di tutti. Ogni giorno, Padre, mettete la tavola et fate banchetto a tutt'il mondo, ed io sempre partecipo di questa mensa ; ogni giorno fate [391] questo sole al mondo illuminar noi, vostri figlioli, e la sera nascondete questa bella lampada et in certo modo par che smorzate questa bella luce, acciò noi, vostri figlioli, riposiamo e pigliamo il sonno. Li cieli e la terra occupate, Signore, in mio servitio, e perinsino [a] gl'istessi Angioli havete dato cura di me, e tutto acciò io conseguisca l'heredità che tocca agli figlioli, ch'è il Regno del Cielo : onde conosco quanto provido Padre siete sopra di noi, vostri figli.

            Finalmente, questa parola, Padre, mi conforta, acciò quand'io caderò, corra alle vostre braccia con penitenza, perchè sarò ricevuto molto più amorevolmente che quel figliolo prodigo ; e hora, ricordandomi delli falli passati, corro a voi, Padre, e dico : Pater, peccavi in cælum et coram te, jam non sum dignus vocari filius tuus ; fac me sicut unum ex mercenariis tuis. O pur, Padre, perchè conosco la vostra misericordia, l'amor che mi portate, uscitemi al incontro, aprite le braccia della vostra misericordia, abbracciate questo figliolo prodigo, datemi la stuola dell'innocenza, l'anello della viva fede, le scarpe dell'essempi di vostri Santi ch'io habbi a imitare. Datemi, Padre, il vitello sanguinato, che è il vostro benedetto Figliuolo [392] nel Santissimo Sacramento, acciò sia cibo dell'anima mia e quelle  ……... con la sua più abondante gratia.

            Concludo, Padre, che questa parola dolcissima è un verbo abbreviato che contiene ogni dolcezza, come quella manna che deste a mangiare al vostro popolo nel deserto ; et io mi contento che questa parola, Padre, sia cibo saporitissimo all'anima mia. All'Apostolo Paulo bastava solamente sapere et intendere esso crucifisso ; et a me mi basta sapere et intendere questa parola, Padre, perch'intendola, io intenderò che m'havete pigliato per vostro figliolo adoptivo, il che è la maggior dignità che vi è in Cielo et in terra, dopo d'esser vostro figliuolo naturale, il che solo è proprio del vostro unigenito Figliuolo e mio Signor Jesu Christo.

 

Sopra quella parola : Noster

 

            Padre nostro siete, o Signore : quanto è grande la vostra bontà ! Non vi contentate di comunicare questo precioso nome di Padre alli vostri Angioli e Santi che stanno nella vostra casa, ma ancora lo volete comunicare a quelli che siam' in questo mondo, e non solamente alli ricchi e potenti [393] del mondo, ma alli più poveri pastorelli, che sopra li ponti e selve dormono sopra la nuda terra. Mi par, Signore, che siete com'il sole che comunica la sua luce e spiega i suoi raggi al minimo fiore che sta sopra del monte, come a l'istesso monte ; così voi, mio Signore, ugualmente comunicate questo vostro dolce nome di Padre a grandi e piccoli, a ricchi e poveri, e però volete che vi chiamino nostro.

            Un altro gran misterio, Signore, mi scoprite in queste due parole : Padre nostro, et è che volete ch'io [ami] molto bene la vostra santa legge d'amor e carità, poichè l'avete ridotta tutt'all'amor vostro et all'amor del prossimo. Nella prima parola : Padre, mi domandate amor verso vostra alta Maestà ; nella seconda : nostro, mi domandate ch'io ami li miei prossimi, poichè me li date per fratelli et volete che per loro faccia oratione.

            Padre nostro siete, perchè ci havete creato : Manus tuæ, Domine, fecerunt me ; Opera manuum tuarum ne despicias. Padre nostro siete, perchè ci havete comprato col precioso sangue del vostro Figliuolo, Agnello immaculato, Christo Jesu nostro, con il quale siamo stati adoptati per vostri figli. Padre nostro siete, perchè ci consolate [394] in questa valle di lagrime molto dolcemente. Finalmente siete Padre nostro, perchè dopo questa vita di fatiche e penitenza, ci havete preparata una vita di riposo e d'eterna beatitudine.

            Finalmente siete Padre nostro perchè tutto v'impieghate in noi poverelli, e perchè tutto v'havete comunicato a noi qua in questo mondo nel Santissimo Sacramento ; e poi là nel Cielo vi comunicarete più chiaramente, scoprendo a noi la vostra superbeatissima essentia, i thesauri infiniti di vostra beatitudine e la gloria di vostra Maestà. Fate dunque, vi priegho, Padre, che poichè voi siete tutto nostro, ch'io sia figliuolo vostro ; voi, Padre, et io figliuolo. All'hora starà bene nella mia bocca questa parola : Pater noster, quando la mia anima e [il] mio corpo sarà tutto vostro, poichè voi siete tutto nostro.

 

Sopra : Qui es in Cælis

 

            Cognosco, Signore, che siete in ogni luogo e che i cieli e la terra sono pieni di vostra gloria ; anzi conosco, Padre, che l'universo tenete nel vostro pugno e lo conservate, perchè altrimente ogni cosa ritornerà a quel niente dal [395] quale fu da voi creata. State pure, Padre, ne' Cieli, glorificando quella gran compagnia d'Angioli e Santi che continovamente assistono manzi al trono di vostra gloria, adorandovi con ogni riverenza. Quando sia, Padre, che questa mia anima sia come un cielo, elevata dalla terra per forza d'amor ; ornata di tanti luminarli di virtù quanti luminarii et stelle tiene il cielo ; salda e forte nel vostro servitio, senza giamai cader, com'i cieli, che non cadono, acciò sia tutta bella e grata nel vostro conspetto, et acciò voi, Padre, vi degniate habitar in quella com'in un cielo tutto bello ? Vi domando anche, Padre, ch'accio questa mia anima sia cielo et habitatione di vostra alta Maestà, fate si muova com'i cieli ad motum primi mobilis. Voi siete il primo e supremo Motore ; al moto della vostra santissima voluntà si muova quest'anima, acciò in ogni cosa si renda conforme al vostro volere.

            Siete, Padre, ne' Cieli, id est negl'Angioli e Santi, illuminandoli acciò vi conoscano, perciochè voi siete eterno lume omnia illuminans. Siete, Padre, negl'Angioli e Santi, infiamandoli con fuoco d'ardentissimo amore, acciò perfettamente vi amino ; perchè voi siete fuoco che consuma ogni imperfettione, facis Angelos tuos, spiritus, et ministros [396] tuos, ignem urentem. Siete, Padre, nelli vostri Angeli e Santi, riempiendoli di beatitudine, acciò siano eternamente beati, perciochè voi siete beatitudine, gloria e riposo di tutta questa gloriosa compagnia. Fate, Padre, ch'io sia angelo e santo per gratia, acciò partecipi a cotanti beni, acciò questo mio intelletto sia illuminato nella cognition vostra. Al servo vostro Francesco donaste, Padre, quelli doi gran lumi : l'uno per cognoscer vostra alta Maestà, l'altro per cognoscer se stesso. Dattemi, Padre, un gran lume, acciò io conosca, come gl'Angeli e come il vostro servo Francesco, voi, Dio mio d'infinita virtù, d'infinita potenza, d'infinita sapienza e d'infinita bellezza. Datemi anche l'altro gran lume, col quale io conosca la mia bassezza e la mia vilezza.

            Domando ancora, Padre, ch'accendete questo mio affetto con il fuoco del Spirito Santo, com'accendete nel Cielo gl'Angioli e come accendeste nella terra gli cuori dell'Apostoli nel santo giorno della Pentecoste. O Padre beatissimo, di quel gran fiume e fuoco che procede dalla sedia vostra e dall'Agnello, ch'è il Spirito Santo, mandate alcune scintille in quest'anima mia, acciò abruggi nell'amor vostro. De [397] excelso mitte ignem in ossibus meis ; entri, Padre, questo fuoco insino la midolla dell'anima mia, acciò aquæ multæ tribulationis non possint extinguere charitatem. Con questo gran fuoco accendete il mio affetto, acciò non più vada mendicando le cose basse della terra, ma tirato dalla virtù sua, cerchi le cose eterne del Cielo.

            Padre santo, è ben raggionevole che già [che] voi, mio Dio, mio Padre e mia heredità siete nel Cielo, ch'io non cerchi più la terra ne m'impacci in quella ; che ho da fare io, Padre, con la terra, poichè tutt'il mio bene, tutt'il mio tesoro sta nel Cielo ? Se voi, mio Padre, siete nel Cielo, seguita ch'io, figliolo vostro, sono forestiero in questo mondo e camino di continuo alla mia patria, ch'è il Cielo. E se il peregrino quando camina, il corpo tiene alla strada e l'anima nella dolce patria, parendoli ogn'hora mill'anni per il desiderio che tiene d'arrivar a quella e veder il suo caro padre e li suoi dolci fratelli, perchè non sarà così di me ? Perchè, Padre nostro, [non] sta questa mia anima conversando con voi nei Cieli come l'anima di quel vostro santo Apostolo che diceva : Nostra autem conversatio in Cælis, e perchè non mi par mill'anni ogn'hora di quest'esilio ? perchè non bramo di veder li miei cari fratelli, che sono [398] gl'Angeli e Santi ? perchè, Padre, non reputo le cose tutte di questa vita vili, basse et indegne, ch'io metta a quelle il mio cuore, poichè sono creato per possedere li beni del Cielo ? E certo, Padre, che sarebbe gran dishonore ad un figliuolo di qualche gran Principe o Re strigliare con le sue mani cavalli, o colle medesime mani toglier via l'imondizie et il letame delle strade ; e molto maggior dishonor è a me, che sapendomi voi, Padre celeste, adoptato per vostro figliuolo e tenendomi apparecchiati beni infiniti, ricchezze inestimabili e lo stesso regno del Cielo, io mi abassi e avilisca a cercar le cose vili e basse di questo mondo. Dunque, Padre nostro che siete ne' Cieli, datemi amor delle cose celesti, acciò amando quelle, disprezzi le cose terrene, e tutto l'amor mio sia in voi, Padre nostro celeste.

            Finalmente vi domando, Padre, che siccome riempite quelli cieli, quali che sono gl'Angeli e Santi, di gloria, così riempite quest'anima quando, passando da questo mondo, si presentarà al vostro conspetto, acciò sia « Cielo pieno della gloria vostra ! »

 

Sopra : Sanctificetur Nomen tuum

 

            Deh ! Padre eterno, fate sì che questo Nome sì dolce e [399] soave sia manifestato per tutt'il mondo. Non tenete, o Padre, nascosto cosi ricco tesoro all'anime [cui] havete dato la vostra imagine e similitudine. Conosca l'oriente, il ponente e tutte l'altri parti del mondo che voi siete Padre, e che Jesu Christo è il vostro unigenito, coeterno e consubstantiale Figliuolo, e che tutti possono esser vostri figliuoli adoptivi. Scoprite, Padre, e comunicate a tutte le genti quest'amoroso Nome, acciò tutte s'accendano et infiammo nel vostro santo amore. O quant'allegrezza prenderia quest' anima mia se vedesse un giorno che tutt'il mondo piegasse li suoi ginocchi ad adorare vostra alta Maestà ! Padre del mio Signore Jesu Christo, se a questo fosse bisogno il mio sangue e la mia vita, il sangue, la vita e mille vite, se tante n'havessi, volentieri offerirei.

            Sanctificetur Nomen tuum. Fate Padre, che questa mia anima e parimente tutto il mondo habbia sempre più chiara cognitione di vostra Maestà. Conosciamo, Padre, cum omnibus sanctis, quæ sit latitudo, longitudo, sublimitas, profundum : conosciamo la larghezza de'vostri benefizij verso di noi, che è più del mare e della terra ; la lunghezza de' vostre promesse, quali sono infinite ; l'altezza di vostra [400] Maestà, qual'è immensa ; la profundità dei vostri giudicij, quali sono un abisso.

            Sanctificetur Nomen tuum. Padre santo, tutte le creature vostre m'eccitano a lodar il vostro santo Nome, a benedirvi di continuo : gl'Angioli, con la sua (sic) dolce musica, di continuo vi cantano dolci matutini, vi lodano e benedicono, e non cessano d'esclamare : Sanctus, Sanctus, Sanctus, Dominus Deus Sabaoth, et a me invitano a fargli compagnia ; i cieli, con li suoi continui movimenti, e le stelle con la loro chiara luce, e supra tutto quelli doi luminarij maggiori, il sole e la luna, con la grandezza del loro lume, m'eccitano ad adorar e benedir il vostro santo Nome ; tutti gl'elementi, il fuoco, l'aria, l'acqua, la terra, gl'uccelli che volano nell'aria, li pesci che notano nel mare, li fiumi, le fontane, li monti et valli, le piante della terra e finalmente tutti gl'animali che per quella scorrono, mi predicano ch'io v'adori e benedica. Eia ergo, Pater, sanctificetur Nomen tuum ; fatemi santo, acciò ch'io benedica di continuo vostra alta Maestà e acciò che vedendo il mondo ch'io attendo a lodarvi e benedirvi, glorificent te, Patrem nostrum, et sanctificent Nomen tuum quod est benedictum in sæcula sæculorum. [401]

 

Sopra : Adveniat regnum

Seconda Petitione

 

            Appresso, Padre, vi domando quel regno di Beati e quel regno di tutti secoli, quel regno tanto desiderato da un figliuolo e in quello che riposano le nostre anime, in quello goderanno. E voi, Padre santo, e del vostro benedetto Figliuolo et insieme del Spirito Santo, in questo regno santo vi loderemo sempre, vi amaremo e goderemo. O Padre santo, adveniat regnum tuum, venghi il vostro regno, poichè a questo fine creaste queste nostre anime ; adveniat regnum tuum, venghi il vostro regno, poichè per questo voleste che l'vostro Figliuolo morisse nel legno della croce ; adveniat regnum tuum, venghi il vostro regno, poichè ad confitendum nomini tuo, me expectant justi donec retribuas mihi : li vostri Angeli insieme con tutti li Santi desiderano questa giornata, perchè scuoprirà in voi, Padre, un pelago d'infinita bellezza, d'infinita virtù ; laonde bramano haver più compagni che l'aiutino a lodar et amar vostra alta Maestà.

            Benigne fac, Domine, in bona voluntate tua Sion, ut ædificentur muri Hierusalem. Mirate, Padre, che buona [402] parte delli muri di cotesta vostra celeste Hierusalem è andata per terra, al basso del'inferno ; raccogliete, o Padre santo, con la vostra benignità, e riponeteci in cotesta nostra gloriosa città, acciochè da voi siano finiti di fabricare cotesti santi e benedetti muri.

            Adveniat regnum tuum : Padre santo, siamo sbanditi dal vostro regno « in hac lacrimarum valle ; » fate, Padre, che [vi] ritorniamo. Come li pelegrini desiderano l'ultima giornata nella quale si terminerà la loro peregrinatione e si trovino dentro la loro città e case, così noi desideriamo che venghi il vostro regno, acciò si compisca questa nostra peregrinatione e ritorniamo nelle stanze ch'in cotesto vostro santo regno ci havete preparate.

            Adveniat regnum tuum : siamo nella battaglia ; fate, Signore, ch'abbiamo la vittoria, acciò conseguiamo il premio ch'è il vostro santo regno. Justus es, Domine, ut justificeris in sermonibus tuis. Ci havete promesso il vostro regno, e vi priegho humilmente che non guardiate alli nostri demeriti, ma al sangue prezioso del vostro santo e benedetto Figliuolo Jesu Christo, Signore nostro : Respice, Pater, in faciem Christi tui, et per Christum tuum adveniat regnum tuum.

            Adveniat regnum tuum. O felice giorno, o benedetta [403] hora ! o quando fia, Padre, che s'accosti questo giorno, che venghi quest'hora ? Quando veniam et apparebo ante faciem tuam ? Quando vedrò, Padre, li muri di questo vostro regno, lavorati di pietre preziose ? Quando batterò alle tue porte, o celeste Hierusalem ? quando vedrò li tuoi ricchi palazzi ? quando goderò li tuoi ameni giardini, vestiti d'eterni fiori ? quando gustarò di quelle fontane [di] vita ch'in te vi sono ? O Padre santo, quando vedrò in questo vostro regno tante schiere d'Angeli e Santi pieni di gloria ? tanti chori di vergini, quali con le palme cantando, seguitano il vostro Agnello ? quando sentiranno queste mie orecchie la dolce musica, l'armonia d'Angeli et il concerto de Santi, quali tutti cantano inanzi al vostro conspetto : Sanctus, Sanctus, Sanctus, Dominus Deus Sabaoth ? Quam dilecta tabernacula tua, Domine virtutum. O Dio degl'Angeli, quanto sono belli, quanto sono amabili cotesti vostri tabernacoli ! Concupiscit et deficit anima mea in atria Domini ; melior est enim dies una in atriis tuis super milita. Donque, Padre eterno che siete ne Cieli, acciò io possi goder della vostra gloriosa presenza et veder la gloria di vostra Maestà, e quella lodare, amare [404] e benedire, e finalmente alberghatevi vostri figliuoli , humilmente vi pregho, spogliato che sarò di questo vello mortale, adveniat regnum tuum.

            Adveniat regnum tuum. Ecco, Padre, il vostro regno : il corpo mio e l'anima mia. In questo regno volete voi regnare ; ecco, Padre, ve lo rendo, ve lo dono, sia vostro, poichè realmente è vostro ; non ve l'usurpi io, non lo dia più al demonio, nè al mondo, nè alla carne, che sono crudelissimi tiranni, ma a voi che siete il vero Signore. Dunque, Padre santo, adveniat regnum tuum. Regnate, Padre, da qua inanzi nella mia anima : nella mia memoria, acciò sempre mi ricordi di voi ; nel mio intelletto, acciò che sempre consideri la vostra infinita bontà e grandezza ; nella mia voluntà acciò che continuamente v'ami, lodi e benedica. Regnate, Padre, in questo mio corpo con tutti li suoi sentimenti, acciò s'impieghi tutto nel vostro santo servizio, et io sia un regno nel quale vostra Maestà pacificamente regni in sæcula sæculorum.

 

Sopra : Fiat voluntas tua sicut in Cælo et in terra

3a Petitione

 

            Vi priegho ancora, Padre, che la vostra santissima voluntà [405] sia fatta nella terra come si fa nel Cielo. Fate, Padre, che si come in quella terra de' viventi, ch'è il Cielo, tutti gl'Angioli e Santi fanno la vostra divina voluntà, cosi ancora in questa terra di morienti, ch'è questo mondo, questa mia anima faccia la vostra benedetta voluntà. La vostra voluntà, Padre, è santa, è buona ; la mia è mala, è sensuale : fiat ergo voluntas tua siccome nel Cielo, così in questa terra dell'anima mia. Benedett'all'hora sarà quest'anima mia, quando in tutto si renderà conforme alla vostra voluntà. Padre santo, vi priegho togliate da questa mia anima la propria voluntà, et in quella inestate la vostra, acciò non mai la mia, ma sempre faccia la vostra voluntà. Quando d'un albero si taglia un ramo et in quello s'inesta altro meglio, fa assai migliori frutti : togliete, Padre santo, di questo albero il ramicello della propria voluntà et inestate il ramo della vostra santa voluntà, et all'hora sono certo che farà bellissimi frutti. Tutti li miei difetti e peccati procedono da questa mia mala voluntà. Dunque, Signore mio, che spettate ? tagliate pur quel ch'è mio et inestate quel ch'è vostro. Dirò, Padre, col vostro benedetto Figliuolo e nostro Signore Jesu Christo : Pater, non mea, sed tua fiat voluntas ; Pater, non quod ego volo, sed quod tu vis ; Pater, fiat voluntas tua, sicut in Cælo et in terra. [406]

            Vi priegho anco, Padre, che sì come quelle menti angeliche, significate per li cieli, sempre fanno la vostra santissima voluntà, così ancora l'anime delli peccatori, significate per la terra, esse anco faccino quel ch'è il vostro volere, perch'in questo modo non v'offenderanno più.

            Padre, vi domando con istanza ch'in me e in tutti sia fatta la vostra voluntà, perchè sono certo che la vostra voluntà è che tutti siamo santi. Sancti estote, quia ego sanctus sum ; et, Hæc est voluntas mea, sanctificatio vestra. O Fontana d'ogni santità, fatteci santi, poichè quest'è vostra voluntà. E quale è quello tanto cieco d'intelletto che non desideri d'esser santo ? Padre santo, altro non cerco, altro non desidero ; queste siano le mie ricchezze, questi tutti li miei beni e thesori : esser santo. Fiat ergo in me voluntas tua, ut sim sanctus.

            Padre santo, fiat voluntas tua sicut in Cælo et in terra. « La vostra voluntà è ch'io sia saldo nella fede, humile nel conversare, vergognoso nelle parole, giusto nelle opere, misericordioso con li bisognosi, disciplinato nelli costumi ; che a niuno faccia ingiuria, che tutti sopporti, che con tutti conservi la pace ; che v'ami come Padre, che vi tema come [407] Padre. » Fiat voluntas tua. Questo, Padre, voglio, questo domando, questo con tutto mio cuore desidero, ch'in me sia fatta la vostra santa voluntà. Questo sia l'allegrezza, la contentezza et il gaudio dell' anima mia in ogni luogo et in ogni tempo, per compire la vostra voluntà, perchè so certo, Padre, che più utile è all'anima mia patir tutti li tormenti del mondo, essendo questo vostra voluntà, che haver tutti li spassi e piaceri delli figliuoli d'Adamo. L'allegrezza degl'Angioli, il desiderio dei Santi e la consolazione de'giusti, è [in] questo, che sia fatta la volontà vostra. Fiat voluntas tua sicut in Cælo et in terra ; prieghovi dunque, Padre, ch'in me sia fatta la volontà vostra.

            Finalmente, Padre, la vostra voluntà me la dichiaraste et anche il vostro benedetto Figliuolo quando disse : Diliges Dominum Deum tuum ex toto corde, ex tota anima tua, ex tota mente tua et ex totis viribus tuis, et proximum tuum sicut teipsum. O Padre, già che questa è tua voluntà ch'io vi ami di tutto il mio cuore, con tutta l'anima mia e con tutte le mie forze, da, jube, Pater, « quod jubes et quod vis. » Fontana di carità, datemi carità ; pelago d'amor infinito, datemi amore. Accendete, Padre, questa lucerna dell'anima mia con la luce del vostro amore. Comandasti [408] nos, Pater, che nel vostro altare sempre vi fusse del fuoco. Ecco, Padre, che v'offerisco quella mia anima per vostro altare ; fate sì ch'arda continuamente in quella il fuoco del vostro amore. O Luce eterna, « omne lumen illuminans et consumans in æterno splendore, mille millena lumina fulgurantia ante thronum Divinitatis tuæ a primo diluculo ! » O Luce eterna, ch'ogni lume illuminate e conservate nel vostro eterno splendore, migliaia de migliaia d'Angeli stanno inanzi al conspetto di vostra Maestà, come tante torcie accese dal fuoco di vostra carità, et ardono continuamente senza bruggiarsi nè consumarsi. Datemi licenza, Dio mio e Padre, ch'io accosti questa torcia dell'anima mia a voi, Fuoco d'amore, acciò accesa, arda continuamente, amando voi et il prossimo in voi, e così sarà fatta in me la vostra santa voluntà.

 

Sopra : Panem nostrum quotidianum da nobis hodie

4a Petitione

 

            Padre, sì, i figliuoli hanno bisogno di pane ; non cel neghate, acciò non muoiamo. Dateci, Padre, il Pane nostro supersubstantiale, ch'è il vostro unigenito Figliuolo Jesu [409] Christo, Signore nostro, nel Santissimo Sacramento, acciò con questo Pane siamo nudriti nella vita spirituale, cresciamo nelle virtù e siamo talmente fortificati che possiamo caminare questo viaggio per questa valle di lagrime, usque ad montem Dei, Oreb. Padre santo, questo Pane è pane che il vostro Figliuolo ci portò e le cose meravigliose ch'operò, predicò, patì ; fate, santo Padre, che mentre dura questa peregrinatione, non ci manchi questa manna celeste, e fate che gustiamo la sua immensa soavità.

            Oculi omnium in te sperant, Domine, et tu das escam illis in tempore opportuno ; gl'occhi di vostri figliuoli riguardano a voi, Padre, e domandano quel Pane di vita, perchè mediante quello si fa vita celeste. Io adonque, Padre, uno di vostri figliuoli, se ben d'ogni parte indegno, negl'anni grande, ne' meriti piccolo, famelico et bisognoso, vi domando pane ; et perch'in me si ritrovano due substantie, una corporale, altra spirituale, per ambedue vi domando pane. Per il corpo ch'è terra, vi domand'il pane della terra ; per l'anima che è spirito, domand'il Pane celeste, il Pane degl'Angeli. Hor, Padre pietoso, mirate che quando i figliuoli piccolini domandano a loro padre il pane, massime [410] [se] sono affamati, replicano ben al petto questa parola : Pane, pane ! e con questa, come con acute saette, feriscono i cuori di loro padri ; d'onde i padri sopra la terra cercano il pane per dar a loro figliuoli. Ecco, Padre nostro, che son affamato ben al petto ; sentite nelle vostre orecchie questa mia parola : Pane, Padre, pane, Padre ! Piacciavi donque, Padre santo, aprire le viscere della vostra misericordia, et poichè potete, soccorrete a me vostro figliuolo con il pane della vostra gratia e con il Pane supersubstantielle del Santissimo Sacramento.

            Di più, Padre, dateci il pane della vostra parola soave e dolce ; rompetecelo, pezzatecelo per mezzo di vostri ministri che sono li vostri predicatori ; fate che dentro delle anime nostre fruttifichi, come quel buon seme che cascò nella buona terra e rese frutto di cento.

            Finalmente, Padre, hora che mi trovo sotto la tavola di vostra alta Maestà, alla quale mangiano tanta moltitudine d'Angioli e Santi, inginochiato inanzi al vostro real conspetto, humiliato inanzi la vostra presenza, come li cagnoli che stanno sotto la mensa de loro padroni chettando le molliche che cascano di quella, onora me anche di quella soavità, di quella dolcezza che li Beati gustano alla vostra [411] tavola, acciò in questa mia oratione gusti alquanto di quel che gustano i vostri figlioli nel Cielo ; fate, Padre, che questa mia oratione non sia arida e secca, ma dolce e soave, con il pane delle vostre consolationi e visite.

 

Sopra : Et dimitte nobis debita nostra sicut et nos dimittimus debitoribus nostris

5a Petitione

 

            Padre, siamo poveri e debitori, voi siete ricco e creditore : conviene che l' ricco rimetta al povero ; dimitte ergo nobis debita nostra. Padre, misericordia con questo vostro figliuolo che tanti debiti ha fatto quanti peccati ha commesso. Qual padre vi è che non rimetta al figliuolo posto in gran povertà, qualsivoglia debito, quando humilmente gli domanda ? O Padre santo, e chi più povero figliuolo di me e chi più carico di debiti ? Ecco, com'un altro publicano, humilmente vi domando : perdonatemi tanti debiti di peccati con li quali io v'ho offeso ; « Deus, cui proprium est misereri semper et parcere, » habbiate misericordia di questo povero figliuolo et rilasciatemi ogni mio debito. Cognosco, Padre, che li debiti sono assai (decem millia talenta), [412] perchè contra tutta la vostra legge ho peccato ; però le ricchezze della vostra misericordia avanzano infinitamente. Reminiscere, Pater, misericordiarum tuarum quæ a sæculo sunt, e sì come con tanti servi havete usato misericordia, rimettete tutti li miei peccati.

            Mi ricordo, Padre, la misericordia che usaste al vostro populo antiquo, tante volte perdonando li suoi peccati. Mi ricordo, Padre, che vi ricordaste del vostro servo David e li perdonaste il suo gran fallo. Mi ricordo, Padre, che il vostro benedetto Figliuolo, in questo mondo riguardò con l'occhio della misericordia il suo Apostolo quando lo neghò e la Madalena quando si convertì, e finalmente riceveva tutti li peccatori a penitenza e mangiava con loro. Non siete mutato di quel Dio misericordiosissimo in altro meno misericordioso, siete l'istesso Iddio che sempre foste ; non è finita la vostra misericordia perchè è infinita, non s'è fermata perchè fermar non si può, più tosto si fermeriano i cieli ; non è cessata, perchè sì come il fuoco sempre opera essendovi materia di consumare, così la vostra misericordia, essendovi peccati d'abbruggiare e debiti da perdonare. Et misericordia ejus a progenie in progenies timentibus [413] eum ; canto de la Madre santissima del vostro benedetto Figliuolo e Signore nostro Gesù Christo, e che sapeva bene quanto gl'era immensa. Al mare, Signore, metteste termine ; però alla vostra misericordia havete lasciato senza termine, acciò sempre camini a cercar li peccatori carichi di debiti per perdonarli. Ecco, Padre, si scontra la vostra misericordia con il maggior peccatore fra tutti i peccatori, e con quello che tiene più debiti che niun altro de' figliuoli d'Adamo : scancelli li miei peccati e rimetta tanta somma e debiti, e passi manzi cercando li altri debitori. Abissus abissum invocat ; filius miseriæ invocat [Patrem misericordiarum]. Abissus abissum absorbeat ; abissus, infinite mie miserie, absorbeat abissum. Conosco, Padre, che tutti li miei peccati, per molti che sono, e tutti quelli del mondo insieme, inanzi la vostra misericordia sono come una paglia alla faccia d'un gran fuoco. Finalmente, Padre santo, vi priegho, per questa vostra infinita misericordia e per la virtù di quella Passione che'l vostro diletto Figliuolo sostenne su il duro legno della croce, e per li meriti et intercessione della Beatissima Vergine e di tutti i vostri eletti che sono stati dal principio del mondo, dimitte nobis debita nostra.

            Sicut et nos dimittimus debitori bus nostris. Vi prego [414] anche, Padre, che mi diate tanta virtù e gratia, ch'io anche perfettamente perdoni tutti quelli che m'avessero offeso ; e se pur trovate qualche imperfettione restata nel mio cuore circa quelli che m'hanno offeso, voi, Padre, col fuoco della vostra carità toglietela via, bruggiatela, fate sì che niun vestigio nè tenebra di rancore resti in questo mio cuore, acciò perfettamente possi dire : Dimitte nobis debita nostra sicut et nos dimittimus debitoribus nostris.

 

Et ne nos inducas in tentationem

 

            Siamo, Padre, in luogo di tentatione. Adversarius noster diabolus tanquam leo rugiens circuit, quærens quem devoret. Fer opem, fer auxilium, Pater ; li nemici sono molti come l'arena del mare, sono potenti et esperti nel combattere ; quest'anima è fiacca, debole et impotente se voi non l'aiutate. Apprehende ergo, Deus meus, arma et scutum, et exurge in adjutorium mihi. Effunde frameam, et conclude adversus eos qui persequuntur me ; dic animæ meæ : Salus tua ego sum. O Signore, quant'è grande la necessità che tiene questa poverella della vostra gratia, del vostro aiuto e favore per non soccombere alle tentationi ! [415] Una pecorella fra mille lupi, se l'pastor non la salva, si perde ; così, Padre, quest'anima fra tanti lupi che l'assaltano nel mondo che con mille occasioni di peccati la move, con la carne che continuamente la combatte, che farà se non havrà il vostro aiuto ?

            Padre santo, levabo oculos meos in Cælum, unde veniet auxilium mihi ; auxilium meum a Domino, qui fecit cælum et terram. O Pater misericordiarum et Deus totius consolationis, in adjutorium meum intende ; Domine ad adjuvandum me festina. Padre santo, quando facies de persequentibus me judicium ? Fate, Signore, giustitia di quelli che cercano la morte di questa mia anima ; datemi in questo mentre aiuto per non cadere, per non offendervi. Non domando, Padre, che mi togliate le tentationi, ma domando grafia e fortezza per resistere e per combattere fortemente. Mi contento per amor vostro d'esser tribulato et angustiato in questo mondo, pur che nelle tribulationi non manchi l'anima mia. Fate, Signore, che si come l'oro posto nella fornace diventa più bello, così quest'anima posta nella fornace delle tribulationi, diventi più chiara, lucida e risplendente. Non sia come la paglia, che per mancamento di virtù il fuoco l'abrugia e consuma. [416] Sia io simile alli vostri Santi, ch'in questo mondo, posti in mille fiamme di fuoco, stettero forti e saldi, e di quelle, come pietre preciose, uscirono, e con più splendore et luce. Ne ergo, Pater, inducas nos in tentationem, qua tantam Majestatem offendamus.

 

Sed libera nos a malo. Amen

 

            Padre santo, confesso le vostre misericordie sopra di me, perchè m'havete liberato da molti mali ch'io meritavo per li miei peccati ; quante volte peccai, tante volte meritai quel male infinito ch'è la dannatione eterna. O quanti, Padre, sono incorsi in questo male ! Havevano fatto meno peccati di me ; o quanti, per non essergli dato tanto spatio di penitenza quanto a me m'è stato dato, miserabilmente morirono nelli loro peccati e si persero !

            Vi priegho, Padre, di qua inanzi liberatemi d'ogni male di colpa, acciò scampi le pene dell'inferno ; fate, Signore, che non v'offenda più ; basta quel che v'offesi per il passato. Non si multiplichino, Signore, li miei peccati sopra l'arena del mare e sopra le stelle del cielo ; ne absorbeat me tartarus, et urgeat super me puteus os suum. [417]

            Mi liberaste, Padre, di molti mali che vi sono in questo mondo. Quanti ciechi, quanti sordi, quanti muti e quanti paralitichi vi sono del numero delli figliuoli d'Adamo, e voi, Signore, da tutti questi mali mi liberaste, essend'io, come loro, figliuolo d'Adamo e più peccatore di tutti loro ; però questo, poco o nulla mi giovarebbe, se non mi liberate dal male del peccato. Donque, dal peccato e dalla colpa et pena del peccato domando esser liberato : Sed libera nos a malo.

            M'havete, Padre, liberato dalle tenebre e cecità nelle quali si trovano Turchi, Mori, Giudei, Gentili e pagani, facendomi nascere nel grembo della santa Chiesa ; liberatemi, Padre, dalle tenebre e cecità del peccato, acciò io goda del sangue, di meriti del vostro benedetto Figliuolo Christo, mio Signore, e sia numerato tra li vostri figliuoli, che sono figliuoli della luce nel vostro Regno.

            Padre, mi ricordo che quella buona donna Thecuite, entrando dal re David, domandò perdono per Absalone suo figliuolo, et intendendo questo buon Re che questa petitione e domanda l'haveva ordinata quel suo diletto e favorito capitano Gioab, subito li concesse la gratia. Padre, il vostro santo e benedetto Figliolo Jesu Christo m'ha ordinato [418] questa petitione, e con quella m'ha mandato a voi, Signore mio, acciò vi domandi le gratie che in quella si contengono. E non riguardate, Padre, me, che sono il maggiore di tutti peccatori, ma riguardate esto vostro santo e benedetto Figliuolo, maggior di tutti Santi, anzi Santificatore di tutti quelli, e per l'amor che ad Egli portate, concedetemi quel tanto ch'Egli m'ha comandato ch'io vi domandi.

            Mi ricordo anco, Padre, che a' figliuoli di Giacob non era lecito comparire la seconda volta nella presenza di Gioseph se non menavano seco il loro fratello minore Benjamino ; et a noi non è lecito comparire alla vostra presenza senz'il nostro fratello maggiore, ch'è l' vostro unigenito Figliuolo Jesu Christo. Ecco donque, Padre, hora vengo avanti il vostro conspetto e porto meco il vostro santo Figliuolo e Signore mio Gesù. Ve lo presento, e priegho humilmente, che per li suoi meriti e per la sua Morte e Passione santissima, mi concediate quel tanto ch'esso in questa sua Orazione et in questo suo memoriale mi ha ordinato ch'io vi domandi, acciò che quest'anima sia tutta vostra, e vi lodi e benedica in sæcula saeculorum. Amen.

 

Revu sur une copie conservée à la Visitation d'Annecy. [419]

 

 

 

POINTS A MÉDITER SUR L'ORAISON : NOTRE PÈRE

 

            Ayant d'abord fléchi les genoux devant le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ en toute humilité, que Votre Excellence lève au Ciel les yeux de son âme et s'imagine voir ce grand Père des lumières, Dieu, assis sur le trône de sa gloire, entouré de millions d'Anges et de Séraphins ; puis, avec une grande foi, respect et amour, faites cette prière que Jésus-Christ nous a enseignée, et adressez-lui ces sept demandes qui y sont contenues. Faites cela avec des amoureux et ardents colloques avec le même Père, car toute cette prière n'est autre chose qu'un très doux entretien de l'âme avec Dieu. [377]

            Et afin que la chose soit rendue plus facile à Votre Excellence, je mettrai ici quelques points à méditer sur chaque parole du Notre Père, comme vous me l'avez demandé par vos lettres. Ensuite, je commenterai le Notre Père plus amplement que ce que je communiquai autrefois de bouche à Votre Excellence.

 

Sur la première parole du Pater

 

            Premièrement : que Votre Excellence considère ce que Dieu lui a donné, le faisant son fils adoptif, et il veut pour cela qu'elle le nomme Père. Ce Dieu qui créa toutes choses du néant et qui tient tout entre ses mains, à qui servent toutes les hiérarchies du Ciel, est notre Père. Un pauvre berger qui garde ses brebis dans les champs s'estimerait heureux et bien fortuné si Votre Excellence l'adoptait pour fils et pour son héritier ; bien plus, etc. Nous pouvons [378] dire à bon droit ce que David répondit au roi Saül quand il lui offrit pour épouse sa fille [Mérob] : Qui suis-je et qu'est-ce que ma vie, qu'est-ce que la famille de mon père en Israël, pour que je devienne le gendre du roi ? Et qui suis-je, ô Dieu du Ciel, pour que vous me vouliez pour votre enfant et que vous vouliez que je vous appelle Père ?

            2. Vous pouvez exciter l'espérance d'obtenir tout ce que vous demanderez, pour grand qu'il soit, car le père ne refuse rien à son fils de ce qu'il lui demande, si la chose demandée tourne à son avantage.

            3. Vous pouvez exciter l'amour envers ce bon Père, car ce nom de Père est un nom d'amour réciproque.

            4. Considérez en notre bon Père et vis-à-vis de nous tous, les effets de père. Il nous aime : Dieu a tellement aimé le monde ; Mon [379] Père nous aime, dit le Christ. Il nous pourvoit de tout ce qui nous est nécessaire pour le corps et pour l'âme ; il met à notre service toute cette grande machine du monde, ces éléments, ces cieux et même les Anges ; il pourvoit notre âme de sa nourriture, qui est le précieux Corps et le Sang de son Fils unique. Il nous dirige vers le Ciel par la prédication de son Evangile, nous aide et défend contre nos ennemis, nous conseille, nous honore, nous revêt et nous châtie aussi quand il en est besoin.

            5. Lui demander que puisqu'il exerce si bien vis-à-vis de nous les offices d'un bon père, nous exercions aussi à son égard les devoirs de bons fils, qui sont l'amour, l'obéissance, le respect ; que nous l'aimions tendrement et nous réjouissions d'avoir un Père si bon, si saint, si sage et si puissant, qu'il est la même bonté, sainteté, sagesse, beauté et infinie puissance ; que nous obéissions à sa loi, que nous lui portions en tout lieu le respect qui lui est dû et que nous cherchions que le monde entier l'honore et le révère. Enfin il faut lui demander que puisque nous nous réjouissons d'avoir un Père si bon, il nous rende tels qu'il puisse se réjouir de nous avoir pour enfants. [380]

 

Sur cette parole : Notre

 

            Que Votre Excellence considère que ce grand Père a voulu communiquer à tous cette très excellente dignité ; c'est pourquoi il ne dit pas qu'il est Père des riches et des seigneurs, mais nôtre, c'est-à-dire de tous, même des pauvres : comme le soleil, qui darde ses rayons, sa lumière et sa splendeur sur la plus petite plante, sur la plus petite fleur qui se trouve sur une grande montagne, et sur la montagne même. Ainsi Dieu a voulu communiquer à tous le nom de Père.

            2. Notre, pour nous révéler que nous sommes tous frères, que nous devons aimer tout le monde, prier pour tous et observer les deux commandements auxquels se rattache toute la Loi : le premier, d'aimer Dieu parce qu'il est Père ; le second, d'aimer le prochain parce qu'il est notre frère.

            3. Notre, afin que nous soyons siens. C'est bien la raison : nous sommes tout siens parce qu'il est tout nôtre. Ici je m'offrirai tout entier à lui, lui demandant de n'être plus à moi, mais tout à lui, puisqu'il daigne être tout mien.

 

Sur [cette parole] : Qui êtes aux Cieux

 

            1. Qui êtes aux Cieux. Je prierai ce grand Père de me rendre un ciel spirituel, afin que mon âme soit la demeure de sa très haute [381] Majesté. Le ciel est fort, mobile, rempli d'étoiles ; je le prierai de me rendre fort dans son saint service, de me donner un mouvement continuel d'amour envers lui, d'orner mon âme d'autant de vertus qu'il y a d'étoiles au ciel et d'y mettre les deux grands luminaires : le plus grand, l'amour fervent de sa Majesté ; le plus petit, celui du prochain.

            2. Aux Cieux. Dans les Anges : les éclairant, afin qu'ils le connaissent, lui, lumière éternelle qui éclaire tout ; les enflammant, afin qu'ils l'aiment, puisqu'il est un feu qui embrase ; les comblant de béatitude, afin qu'ils soient éternellement bien heureux, puisqu'il est le Bien infini qui remplit tout. Je le prierai de demeurer dans mon âme pour la remplir de ses grâces et de ses dons.

            3. Aux Cieux. Pour que je comprenne bien que mon âme ne doit pas embrasser la terre, mais le Ciel ; qu'elle ne doit plus cheminer ayant l'affection aux choses basses et transitoires, mais s'élever aux choses du Ciel, afin que notre conversation soit dans les Cieux, où nous avons pour Père Dieu lui-même. C'est ce que vous demanderez. [382]

 

Sur la première demande : Que voire Nom soit sanctifié

 

            1. Demander d'abord que son saint N'om soit sanctifié ; c'est-à-dire que Dieu lui-même soit connu, aimé, adoré, honoré, glorifié et exalté dans le monde entier comme le vrai Dieu, éternel, immortel, tout-puissant, seul bon, seul saint, seul juste, seul admirable, seul digne d'être infiniment aimé. Il faut ensuite le prier de répandre sa lumière sur tout l'orient et l'occident et sur les parties du monde où règnent les Turcs, les Maures, les Gentils, les payens et autres peuples semblables, afin qu'ils arrivent à la connaissance de son Nom très saint, qu'ils plient les genoux devant lui et devant son Fils et le Saint-Esprit, et qu'ils disent tous : Notre Père qui êtes aux Cieux, que votre Nom soit sanctifié.

            2. Que votre Nom soit sanctifié. Prier le Seigneur de me rendre bon et saint, afin le monde voyant mes bonnes œuvres, loue, bénisse et exalte sa très haute et glorieuse Majesté.

            3. Que votre Nom soit sanctifié. Le prier de donner à tous l'entendement, afin que nous puissions comprendre avec tous les saints, quelle est la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur : la largeur de ses bienfaits, la longueur et grandeur de ses promesses, la hauteur de sa Majesté et la profondeur de ses jugements. [383]

 

Sur la deuxième demande : Que votre Règne arrive

 

            1. Demander instamment qu'il vienne en nous ce céleste Royaume que son Fils béni nous a mérité par sa très sainte Passion.

            2. Que pendant que nous sommes en cette vallée de larmes, il règne par sa grâce en notre âme et sur notre corps, et qu'il donne à l'un et à l'autre de lui obéir comme à leur Roi.

            3. Que vienne le jugement, après lequel lui seul règnera dans ses Saints.

 

Sur la troisième demande : Que votre volonté soit faite en la terre comme au Ciel

 

            1. Demander que de même que les cieux, qui sont les Anges et les Saints, font toujours sa volonté, de même la terre, c'est-à-dire nous, la fassions aussi.

            2. Que votre volonté soit faite. Cette volonté est que nous aimions Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit et de toutes nos forces, et le prochain comme nous-mêmes.

            3. Que votre volonté soit faite, afin que nous imitions le Christ qui a dit : Non pas ma volonté, mais la vôtre soit faite. [384]

 

Sur la quatrième demande : Donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour

 

            1. Demander le pain pour nous, pour tout le monde et surtout pour le pauvre.

            2. Notre pain supersubstantiel, qui est son saint Fils dans le Saint Sacrement, afin que nous ayons le souvenir et l'intelligence de l'amour qu'il nous a porté et des choses qu'il a faites et souffertes pour nous, qui sont infinies.

            3. Pain de sa sainte parole qu'il nous distribue par ses prédicateurs, et par lui-même lorsque nous faisons oraison.

 

Cinquième demande : Pardonnez-nous nos offenses comme, etc.

 

            1. Considérer qu'il veut que nous nous humiliions, confessant que nous sommes pécheurs : Si nous disons que nous sommes sans peché, nous nous séduisons nous-mêmes.

            2. Considérer qu'il dit, debita, dettes, afin que nous comprenions que nous péchons tous en beaucoup de choses ; comme on le voit dans la parabole de celui qui devait dix mille talents. [385]

            3. Comme nous les pardonnons, car de la même mesure que nous [aurons] mesuré, on nous mesurera.

 

Sur la sixième demande : Et ne nous induisez point en tentation

 

            1. [Tentations] du monde ; 2. de la chair ; 3. du diable.

 

Sur la septième demande : Mais délivrez-nous du mal

 

            1. Du mal, du péché, c'est-à-dire de la faute.

            2. De la peine éternelle.

            3. De toutes les adversités, de tous les dangers, de tous les maux qui nous arrivent du dehors.

 

LE NOTRE PÈRE PARAPHRASÉ

 

            O Père éternel, Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Père des lumières, Père saint, Père très doux et aimant, Père Créateur de l'univers : quand méritai-je de vous appeler Père, moi terre, poussière et cendre, le dernier de tous vos serviteurs ? Et quel bien avez-vous découvert en moi ou en quelqu'autre enfant d'Adam, pour que vous ayez voulu être notre Père ? « Qui êtes-vous, Seigneur, et qui suis-je ? » Vous êtes le Dieu d'infinie majesté, Roi [386] des rois, Seigneur des seigneurs, Saint des Saints, gloire des Anges et allégresse de tous les Bienheureux. En votre présence, les cieux, la terre et tout ce qu'ils contiennent, sont moins qu'un petit grain de sable en face du monde entier ; moi, d'autre part, je suis un petit ver de terre, pécheur et enfant d'Adam pécheur, qui si souvent ai offensé votre souveraine Majesté : et cependant, vous voulez que je vous appelle Père ! Oh ! quelle excellence, quelle dignité me donnez-vous ! Qu'il vous plaise, Seigneur, que mon âme la sache reconnaître et qu'elle vous rende les dues actions de grâce pour tant de bienfaits. Mais parce que je ne suffis pas à cela, je prie les Anges de m'aider à louer et remercier continuellement votre Majesté.

            Père, je dois confesser deux choses : l'une, que ce don et ce grand bienfait vient de votre bonté infinie et de l'amour infini que vous avez pour moi ; l'autre, que ce mot de Père sied bien sur les lèvres de votre Fils unique mon Seigneur Jésus-Christ, qui est votre Fils par une étemelle et consubstantielle génération, mais sur les miennes, moi qui suis un si grand pécheur, il ne sied pas, il ne convient pas, je ne mérite pas, Seigneur, un si grand bien. Cependant, puisqu'il plaît ainsi à votre Majesté, de grand cœur désormais je vous appellerai Père et je jouirai de ce doux nom de Père. [387]

            Ce mot m'atteste l'amour immense que vous me portez, Seigneur ; c'est pourquoi votre Evangéliste, émerveillé, dit : Voyez quel amour le Père nous a témoigné, que nous soyons appelés enfants de Dieu, et que nous le soyons en effet. Il m'apprend aussi et m'avertit également que je dois vous aimer de tout mon cœur : Je vous aime, Seigneur, ma force, mon rocher, mon refuge, mon libérateur et mon Père. Quel fils ingrat peut-on trouver au monde, qui ayant un Père bon, saint, doux, glorieux et aimant comme vous l'êtes, il ne l'aime pas ? O Père, où trouverons-nous quelqu'un qui soit aussi bon, aussi saint, aussi doux et aimant que vous l'êtes ? Donc, Père, que de mon cœur soit chassé tout autre amour, qu'il soit enflammé, afin qu'entre vous, mon Père, et moi votre enfant il y ait un continuel amour réciproque.

            Ce mot de Père m'excite à vous demander les choses qui me sont nécessaires, car le père ne refuse jamais à son enfant ce qu'il voit lui être nécessaire, pourvu qu'il puisse le lui donner. Je sais, mon Père, que vous pouvez et que vous voulez ; vous pouvez, parce que vous êtes tout-puissant ; vous voulez, parce que vous êtes tout bon. Les besoins ne me manquent pas : je suis blessé par beaucoup de péchés, il me faut des remèdes ; vous, Père, vous êtes le médecin qui [388] guérit toute langueur et soigne toute infirmité. Ayez donc pitié de moi, Seigneur, car je suis faible ; guérissez-moi, Seigneur, car mes os sont tremblants, et je serai guéri. Seigneur, guérissez cette âme, voyez comme elle se présente devant vous toute blessée. (Ici elle montre toutes ses blessures d'orgueil, d'avarice, de luxure, etc., et affectueusement elle demande la santé.)

            En outre, ô Père, je suis nu et dépouillé des vêtements des vertus. Revêtez-moi, ô Père, vous qui revêtez le ciel de tant d'étoiles et la terre de tant de fleurs ; donnez-moi la robe nuptiale de la charité, afin que je puisse paraître à vos noces ; la robe de l'obéissance, afin que j'obéisse à vos commandements et à vos lois ; la robe de l'humilité, afin que je sois agréable à vos yeux. Revêtez-moi des riches vêtements des vertus infuses ; donnez-moi la parfaite foi, la ferme espérance, l'ardente charité.

            Je vous demande ensuite, ô bon Père, que vous daigniez exercer envers moi les offices de père. Le père frappe le fils quand il s'égare, afin qu'il se corrige, parce qu'autrement, s'il ne le frappait pas, il ferait pire, et parfois serait même pendu. Frappez-moi, Seigneur, avec miséricorde. Je vous demande, Seigneur, la verge avec votre miséricorde ; brûlez, tranchez ici-bas, afin que vous me pardonniez dans l'éternité. Et si je ne m'amende pas, appesantissez, [389] ô Père, votre sainte main et frappez-moi plus fort avec des tribulations, des maladies, des afflictions et des angoisses. Que la pourriture entre dans mes os et qu'elle me consume au-dedans de moi, afin que je sois en repos au jour de la tribulation et que je me joigne à notre peuple pour marcher avec lui ; je vous prie, ô bon Père, que dans ces os entre la pourriture, c'est-à-dire que, comme un autre Job, mon corps soit couvert de plaies et flagellé, pourvu que mon âme soit en repos au jour de la tribulation, qui est celui de la mort, et soit du nombre de vos enfants qui sont ce peuple céleste, ceint de gloire et de béatitude.

            Le père, après avoir châtié et frappé son enfant, lui fait quelques caresses. Père, après m'avoir frappé pour mes folies avec votre miséricorde, daignez me visiter par quelque consolation spirituelle, caressez cette âme par la suavité intérieure, afin qu'elle brûle de votre amour et ne cesse point de vous louer.

            Oh ! quelle consolation excite dans mon âme cette parole : Père, et non seulement consolation, mais allégresse, joie et souverain contentement. Vous ferez entendre à mon cœur des paroles de joie et d'allégresse, et mes os humiliés exulteront, disait le saint Prophète ; et cependant, ce nom de Père, ne lui était pas encore [390] révélé. Et moi, que dirai-je ? Père, vous m'avez fait entendre des paroles de joie et d'allégresse ; oh ! quelle est ma joie, quelle mon allégresse lorsque cette douce parole, Père, résonne à mes oreilles ! Mon âme humiliée, mes os anéantis à cause de la multitude de mes péchés, se récréent et prennent une nouvelle vigueur entendant cette parole : Père. Quelle plus grande joie puis-je avoir que de me ressouvenir que j'ai un Père si bon, qu'il est la bonté même ; si saint, qu'il est la sainteté même ; si sage, qu'il est la sagesse même, et enfin si puissant, qu'il peut toutes choses au Ciel, sur la terre et dans les abîmes. Que les riches se réjouissent de leurs richesses, les puissants de leur puissance, les sages de leur sagesse : pour moi, je me réjouirai dans mon Seigneur, parce qu'il est Père et notre Père. Ceux-ci mettent leur confiance dans leurs chars et ceux-là dans leurs chevaux ; nous, nous exulterons dans le nom de notre Dieu. Seigneur, que mon esprit tressaille en vous, ô Dieu notre Sauveur et notre Père.

            Ce mot de Père me montre votre soin et combien est grande votre providence à mon égard et à l'égard de tous. Chaque jour, ô Père, vous préparez la table et faites le festin pour le monde entier, et je participe toujours à ce festin ; chaque jour vous faites [391] que le soleil nous éclaire, nous vos enfants, et le soir vous cachez cette belle lampe et il semble en certaine façon que vous éteigniez cette belle lumière afin que nous, vos enfants, puissions reposer et prendre le sommeil ; vous occupez, Seigneur, le ciel et la terre à mon service, et vous m'avez même confié aux soins des Anges : tout cela afin que j'obtienne l'héritage réservé à vos enfants, qui est le Royaume des Cieux. Par là je reconnais quel Père prévoyant vous êtes pour nous, qui sommes vos fils.

            Enfin, ce mot de Père m'encourage, afin que lorsque je tomberai je coure me jeter dans vos bras avec contrition, car je serai reçu bien plus amoureusement que l'enfant prodigue. Et maintenant, me souvenant des fautes passées, je cours vers vous, Père, et je dis : Père, j'ai péché contre le ciel et contre vous, je ne suis pas digne d'être appelé votre fils ; traitez-moi comme l'un de vos mercenaires. Ou bien, Père, parce que je connais votre miséricorde et l'amour que vous me portez, venez à ma rencontre, ouvrez les bras de votre miséricorde, embrassez cet enfant prodigue, donnez-moi la robe d'innocence, l'anneau de la foi vive, les souliers des exemples de vos Saints que je dois imiter. Donnez-moi, ô Père, le veau gras, c'est-à-dire votre Fils béni dans le Très Saint Sacrement, [392] afin qu'il soit la nourriture de mon âme et par sa grâce la plus abondante.

            Pour conclusion, ô Père, cette parole très douce est un verbe abrégé qui contient, toute douceur, comme la manne que vous donnâtes jadis à manger à votre peuple dans le désert ; et moi, je suis heureux que ce mot, Père, soit une nourriture très savoureuse pour mon âme. Il suffisait à l'apôtre Paul de savoir seulement et de comprendre [Jésus-Christ] crucifié ; et à moi il suffit de savoir et de comprendre cette parole : Père, parce que la comprenant, je saurai que vous m'avez pris pour votre fils adoptif, qui est la plus grande dignité qui existe au Ciel et sur la terre après celle de fils naturel, qui appartient en propre à votre Fils unique et mon Seigneur Jésus-Christ.

 

Sur cette parole : Notre

 

            Vous êtes, Seigneur, notre Père : qu'elle est grande votre bonté ! Vous ne vous contentez pas de communiquer ce nom de Père à vos Anges et à vos Saints qui sont dans votre maison, mais vous voulez aussi le communiquer à ceux qui sont dans ce monde, et non seulement [393] aux riches et aux puissants, mais aux plus pauvres bergers qui, sur les ponts et dans les forêts, dorment sur la terre nue. Il me semble, Seigneur, que vous êtes comme le soleil qui communique sa lumière et envoie ses rayons à la plus petite fleur de la montagne comme à la montagne même ; ainsi vous, mon Seigneur, communiquez également votre nom si doux de Père aux grands et aux petits, aux riches et aux pauvres, et vous voulez que pour cela nous vous appelions nôtre.

            Dans ces deux mots : Notre Père, vous me découvrez, Seigneur, un autre grand mystère : c'est que vous voulez que j'aime beaucoup votre sainte loi d'amour et de charité, car vous l'avez toute ramenée à votre amour et à l'amour du prochain. Par la première parole, Père, vous me demandez l'amour pour votre très souveraine Majesté ; par la seconde, notre, vous me demandez d'aimer mon prochain, puisque vous me le donnez pour frère et vous voulez que je prie pour lui.

            Vous êtes notre Père, parce que vous nous avez créés : Vos mains Seigneur, m'ont formé ; N'abandonnez pas l'ouvrage de vos mains. Vous êtes notre Père parce que vous nous avez achetés avec le précieux sang de votre Fils, l'Agneau immaculé, notre Christ Jésus, avec qui nous avons été adoptés pour vos enfants. [394] Vous êtes notre Père parce que vous nous consolez très suavement dans cette vallée de larmes. Enfin vous êtes notre Père parce que, après cette vie de travaux et de pénitence, vous nous préparez une vie de repos et d'éternelle béatitude.

            Enfin vous êtes notre Père parce que vous vous employez tout entier pour nous, si pauvres, et parce que vous nous avez tout communiqué en ce monde dans le Très Saint Sacrement ; et puis, au Ciel, vous vous communiquerez plus manifestement, nous découvrant votre bienheureuse essence, les trésors infinis de votre béatitude et la gloire de votre Majesté. Faites donc, je vous en prie, ô Père, que puisque vous êtes tout nôtre, je sois aussi votre enfant ; vous, Père, et moi fils. Ces mots : Notre Père, siéront bien sur mes lèvres quand mon âme et mon corps seront tout vôtres, puisque vous êtes tout à nous.

 

Sur ces mots : Qui êtes aux Cieux

 

            Je sais, Seigneur, que vous êtes partout et que les cieux et la terre sont pleins de votre gloire ; et même je sais, Père, que vous tenez l'univers dans vos mains et que vous le conservez, car s'il en était autrement, toutes choses retourneraient dans le néant d'où [395] vous les avez tirées. Vous êtes aussi, ô Père, dans les Cieux, où vous glorifiez cette immense multitude d'Anges et de Saints qui sont continuellement présents devant le trône de votre gloire, vous adorant en toute révérence. Quand sera-ce, ô Père, que mon âme sera comme un ciel, élevée de la terre par la force de l'amour ; ornée d'autant de vertus que le ciel contient d'astres et d'étoiles ; ferme et forte en votre service, sans jamais tomber, ainsi que les cieux qui ne tombent pas, afin qu'elle soit toute belle et agréable devant votre face et que vous, Père, daigniez y habiter comme en un ciel très beau ? je vous demande encore, ô Père, qu'afin que mon âme soit un ciel et la demeure de votre très souveraine Majesté, elle puisse se mouvoir comme les cieux, selon le mouvement du premier moteur. Vous êtes le premier et souverain Moteur ; que mon âme n'ait de mouvement que par votre sainte volonté, afin qu'en toutes choses elle se rende conforme à votre vouloir.

            Vous êtes aux Cieux, ô Père, c'est-à-dire dans les Anges et dans les Saints ; vous les éclairez afin qu'ils vous connaissent, car vous êtes la lumière éternelle qui éclaire tout. Vous êtes, Père, dans les Anges et dans les Saintz, et vous les enflammez du feu d'un ardent amour, afin qu'ils vous aiment parfaitement, car vous êtes ce feu [396] qui consume toute imperfection : Vous rendez vos Anges aussi prompts que les vents et des flammes de feu vos serviteurs. Vous êtes, Père, dans vos Anges et dans vos Saints, les comblant de béatitude afin qu'ils soient éternellement heureux, car vous êtes la béatitude, la gloire, le repos de cette glorieuse assemblée. Faites, ô Père, que je sois un ange et un saint par grâce, afin que je devienne participant de si grands biens et que mon entendement soit éclairé pour vous connaître. Vous avez donné, ô Père, à votre serviteur François ces deux grandes lumières : la première pour connaître votre sublime Majesté, la seconde pour se connaître lui-même. Donnez-moi, ô Père, cette grande lumière, afin que je vous connaisse comme les Anges et votre serviteur François, vous, mon Dieu, d'infinie vertu, de puissance infinie, de sagesse infinie et de beauté infinie. Donnez-moi aussi l'autre grande lumière par laquelle je connaîtrai ma bassesse et ma misère.

            Je vous demande aussi, ô Père, que vous daigniez embraser mon cœur du feu du Saint-Esprit, comme vous embrasez les Anges au Ciel, et de même que vous embrasâtes sur la terre les cœurs des Apôtres le saint jour de la Pentecôte. O Père très heureux, envoyez quelques parcelles de ce grand fleuve et de ce grand feu qui procède de votre siège et de l'Agneau, c'est-à-dire du Saint-Esprit ; envoyez-les [397] à mon âme afin qu'elle brûle de votre amour. Lancez d'en haut le feu dans mes os ; que ce feu, Père, pénètre jusqu'à la moëlle de mon âme, afin que les grandes eaux de la tribulation ne puissent éteindre la charité. Avec ce grand feu, embrasez mes affections, afin que je n'aille plus mendier les choses viles de la terre, mais qu'entraîné par sa vertu je cherche les choses éternelles du Ciel.

            Père saint, il est bien juste que puisque vous, mon Dieu, mon Père et mon héritage êtes au Ciel, je ne cherche ni ne m'embarrasse plus de la terre ; qu'ai-je à faire de la terre, ô Père, puisque tout mon bien, tout mon trésor est au Ciel ? Si vous, mon Père, êtes au Ciel, il suit de là que moi, votre enfant, je suis étranger dans ce monde et que je marche toujours vers ma patrie, qui est le Ciel. Si le pèlerin, quand il marche, a le corps sur la route et l'âme en la douce patrie, chaque heure lui semblant mille ans pour le désir qu'il a de l'atteindre et de voir son cher père et ses très doux frères, pourquoi n'en sera-t-il pas ainsi de moi ? Pourquoi, notre Père, mon âme ne converse-t-elle pas dans les Cieux comme l'âme de votre saint Apôtre qui disait : Notre conversation est dans le Ciel, et pourquoi chaque heure de cet exil ne me semble-t-elle pas mille ans ? pourquoi ne désiré-je pas voir mes chers frères, qui sont [398] les Anges et les Saints ? pourquoi, Père, ne réputé-je pas toutes les choses de cette vie, basses, viles et indignes d'y attacher mon cœur, puisque je suis créé pour posséder les biens du Ciel ? Il est hors de doute, ô Père, que ce serait un grand déshonneur pour le fils d'un grand prince ou d'un roi d'étriller de ses mains les chevaux ou, avec les mêmes mains, ramasser les immondices et le fumier dans les rues ; mais c'est un bien plus grand déshonneur pour moi de ce que sachant, ô Père céleste, que vous m'avez adopté pour votre fils et que vous me préparez des biens infinis, des richesses inestimables et même le royaume du Ciel, je m'abaisse et me rende méprisable en recherchant les choses viles et basses de ce monde. Donc, notre Père qui êtes aux Cieux, donnez-moi l'amour des choses célestes, afin qu'aimant celles-là je méprise les choses de la terre et que tout mon amour soit en vous, notre Père du Ciel.

            Je vous demande enfin, ô Père, que de même que vous remplissez les deux, qui sont les Anges et les Saints, de gloire, de même vous daigniez remplir mon âme, lorsque, quittant ce monde, elle se présentera devant vous, afin qu'elle soit un « Ciel plein de votre gloire. » [399]

 

Sur ces mots : Que votre Nom soit sanctifié

 

            O Père éternel, faites, je vous en prie, que ce Nom si doux et suave soit connu dans le monde entier. Ne tenez pas caché, ô Père, un si riche trésor aux âmes auxquelles vous avez imprimé votre image et ressemblance. Que l'orient, l'occident et les autres parties du monde sachent que vous êtes Père, que Jésus-Christ est votre Fils unique, coéternel et consubstantiel, et que tous peuvent être vos enfants d'adoption. Découvrez, ô Père, et communiquez à toutes les nations cet aimable Nom, afin que toutes s'embrasent et s'enflamment de votre saint amour. Oh ! quelle joie serait pour mon âme de voir un jour le monde entier plier le genou pour adorer votre très souveraine Majesté ! Père de mon Seigneur Jésus-Christ, si mon sang et ma vie étaient nécessaires pour cela, j'offrirais volontiers mon sang, ma vie et mille vies, si je les avais.

            Que votre Nom soit sanctifié. Faites, ô Père, que mon âme et celles du monde entier aient toujours une plus claire connaissance de votre Majesté. Nous savons. Père, avec tous les saints, quelle est la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur : nous connaissons la largeur de vos bienfaits envers nous, qui est plus vaste que la mer et la terre ; la longueur de vos promesses, [400] qui sont infinies ; la hauteur de votre Majesté, qui est immense ; la profondeur de vos jugements, qui sont un abîme.

            Que votre Nom soit sanctifié. Père saint, toutes vos créatures m'excitent à louer votre saint Nom, à vous bénir incessamment : les Anges avec leur douce musique, vous chantent sans cesse de suaves matines, vous louent, vous bénissent et ne cessent de s'écrier : Saint, Saint, Saint, le Seigneur, Dieu des armées, et ils m'invitent à leur tenir compagnie. Les cieux, avec leurs continuels mouvements, les étoiles avec leur brillante lumière, et surtout ces deux plus grands luminaires, le soleil et la lune, par la splendeur de leur clarté, m'excitent à adorer et bénir votre saint Nom. Tous les éléments, le feu, l'air, l'eau, la terre, les oiseaux qui volent dans l'air, les poissons qui nagent dans la mer, les fleuves, les fontaines, les monts et les vallées, les plantes de la terre et enfin tous les animaux qui la parcourent, me prêchent l'adoration et me disent de vous bénir. Donc, ô Père, que votre Nom soit sanctifié ; daignez faire de moi un saint, afin que je ne cesse de bénir votre souveraine Majesté et que le monde, voyant que je suis occupé à vous louer et à vous bénir, vous glorifie, ô notre Père, et sanctifie votre Nom qui est béni dans les siècles des siècles. [401]

 

Sur ces paroles : Que votre règne arrive

Deuxième demande

 

            Je vous demande, ensuite, ô Père, le royaume des Bienheureux, ce royaume de tous les siècles, si ardemment désiré par un fils, celui où reposeront nos âmes et où elles jouiront. En ce saint royaume, nous vous louerons toujours, nous vous aimerons et nous jouirons de vous, ô Père saint, avec votre Fils béni et le Saint-Esprit. O Père saint, que votre règne arrive, parce que c'est dans ce but que vous avez créé nos âmes ; que votre règne arrive, parce que c'est pour cela que vous avez voulu que votre Fils mourût sur l'arbre de la croix ; que votre règne arrive, pour que je bénisse votre nom : les justes sont dans l'attente de la justice que vous me rendrez ; vos Anges et tous les Saints désirent ce jour, parce qu'il découvrira en vous, Père, un abîme d'infinie beauté, de puissance infinie ; c'est pourquoi ils désirent ardemment avoir de nombreux compagnons qui les aident à louer et à aimer votre souveraine Majesté.

            Dans votre bonté, Seigneur, répandez vos bienfaits sur Sion et que les murs de Jérusalem soient bâtis. Voyez, ô Père, une [402] bonne partie des murs de votre Jérusalem sont tombés jusqu'au profond de l'enfer ; recueillez-nous dans votre bonté, ô Père saint, et placez-nous dans cette glorieuse cité, afin que vous puissiez achever de bâtir ses saintes et bénites murailles.

            Que votre règne arrive : Père saint, bannis de votre royaume, nous sommes « dans cette vallée de larmes. » Faites, ô Père, que nous y revenions. Comme les pèlerins désirent la dernière journée qui terminera leur voyage et où ils retrouveront leur ville et leurs demeures, ainsi nous désirons que votre règne arrive, afin que s'achève notre pèlerinage et que nous entrions dans le séjour que vous nous avez préparé dans votre saint royaume.

            Que votre règne arrive : nous sommes en guerre ; faites, Seigneur, que nous remportions la victoire, afin que nous obtenions le prix qui est votre saint royaume. Vous êtes juste, Seigneur, vous serez trouvé juste dans votre sentence. Vous nous avez promis votre royaume ; je vous prie donc humblement de ne pas regarder nos démérites, mais le sang précieux de votre Fils bien aimé Jésus-Christ Notre-Seigneur : Regardez, Père, la face de votre Christ, et que par votre Christ votre règne arrive. [403]

            Que votre règne arrive. Oh ! jour heureux ! Oh ! heure bénie ! Quand sera-ce, ô Père, que ce jour s'approchera et que viendra cette heure ? Quand viendrai-je et apparaîtrai-je devant votre face ? Quand verrai-je, ô Père, les murs de votre royaume, travaillés avec des pierres précieuses ? Quand frapperai-je à tes portes, ô céleste Jérusalem ? Quand verrai-je tes riches palais ? quand jouirai-je de tes beaux jardins revêtus de fleurs éternelles ? quand m'abreuverai-je à tes sources de vie ? O Père saint, quand verrai-je dans votre royaume ces innombrables légions d'Anges et de Saints pleins de gloire, ces chœurs de vierges qui, les palmes à la main, chantent et suivent votre Agneau ? Quand donc mes oreilles entendront-elles la douce musique, l'harmonie des Anges et le concert des Saints qui tous chantent devant vous : Saint, Saint, Saint le Seigneur, Dieu des armées ? Que vos tabernacles sont aimables, ô Seigneur des armées ! O Dieu des Anges, qu'ils sont beaux, qu'ils sont aimables vos tabernacles ! Mon âme s'épuise en soupirant après les parvis du Seigneur ; mieux vaut un jour dans vos parvis que mille [loin de vous]. Donc, ô Père éternel qui êtes aux Cieux, afin que je puisse jouir de votre glorieuse présence et voir la gloire de votre Majesté, pour la louer, aimer et bénir [et [404] être enfin, logé parmi] vos fils, je vous prie humblement, qu'une fois dépouillé de mon enveloppe mortelle, votre règne arrive.

            Que votre règne arrive. Voici, Père, votre royaume : mon corps et mon âme. Dans ce royaume vous voulez régner ; je vous le rends, ô Père, je vous le donne, qu'il soit bien vôtre, puisqu'en réalité il est vôtre ; que je ne l'usurpe pas, que je ne le livre plus au démon, au monde ni à la chair, qui sont de très cruels tyrans, mais à vous qui en êtes le vrai Seigneur. Donc, ô Père, que votre règne arrive. Régnez dorénavant en mon âme : en ma mémoire, afin qu'elle se souvienne toujours de vous ; en mon intelligence, afin qu'elle considère toujours votre bonté infinie et votre grandeur ; en ma volonté, afin que sans cesse elle vous aime, vous loue et vous bénisse. Régnez, ô Père, en mon corps et en tous ses sens, afin qu'il s'emploie tout entier à votre saint service et que je sois un royaume où votre Majesté règne paisiblement dans les siècles des siècles.

 

Sur ces paroles : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au Ciel

Troisième demande

 

            Père, je vous prie aussi que votre très sainte volonté soit faite [405] sur la terre comme elle se fait au Ciel. Faites, ô Père, que de même qu'en cette terre des vivants, qui est le Ciel, tous les Anges et les Saints font votre divine volonté, ainsi sur cette terre des mourants, qui est ce monde, mon âme fasse votre sainte volonté. Votre volonté, ô Père, est sainte et bonne ; la mienne est mauvaise et sensuelle : que voire volonté, donc, soit faite sur cette terre de mon âme comme au Ciel. Mon âme sera bénie lorsqu'en tout elle se rendra conforme à votre volonté. Père saint, ôtez de mon âme, je vous prie, la volonté propre et greffez en elle la vôtre, afin que toujours votre volonté se fasse et jamais la mienne. Lorsqu'à un arbre on coupe une branche et qu'on y greffe une autre meilleure, bien meilleurs aussi sont ses fruits ; enlevez de cet arbre, ô Père, la petite branche de la volonté propre et greffez-y celle de votre volonté sainte ; alors je suis sûr qu'il portera de très beaux fruits. Tous mes défauts et péchés procèdent de cette volonté mauvaise. Donc, Seigneur, qu'attendez-vous ? Coupez seulement ce qui est mien et greffez ce qui est vôtre. Je dirai, ô Père, avec votre Fils bien aimé Notre-Seigneur Jésus-Christ : Père, non pas ma volonté, mais la vôtre soit faite ; Père, non ce que je veux, mais ce que vous voulez ; [406] Père, que votre volonté soit faite sur la terre comme au Ciel.

            Je vous prie aussi, Père, que de même que les esprits angéliques, signifiés par les cieux, font toujours votre très sainte volonté, de même l'âme des pécheurs, représentés par la terre, fasse aussi ce qui est de votre volonté, car de cette manière ils ne vous offenseront plus.

            Je vous demande avec instance, ô Père, que votre volonté soit faite en moi et en tous, parce que je suis sûr que votre volonté est que nous soyons tous des saints. Soyez saints, car je suis saint ; et : Ce que je veux, c'est votre sanctification. O Source de toute sainteté, faites-nous saints, car telle est votre volonté. Quel est donc l'homme si aveugle d'intelligence qu'il ne désire être saint ? Père saint, je ne cherche, je ne désire autre chose ; mes richesses, mes biens, mes trésors seront d'être saint. Que votre volonté soit donc faite en moi, afin que je sois saint.

            Père saint, que votre volonté soit faite sur la terre comme au Ciel. « Votre volonté est que je sois ferme dans la foi, humble dans la conversation, modeste dans mes paroles, juste dans mes actions, miséricordieux avec les nécessiteux, bien réglé dans mes mœurs ; que je ne lasse injure à personne, que je supporte tous les hommes, qu'avec tous je garde la paix, que je vous aime comme Père, que [407] je vous craigne comme Père. » Que votre volonté soit faite. Père, c'est cela que je veux, que je demande, que je désire de tout mon cœur, que votre volonté sainte soit faite en moi. Que l'accomplissement de votre volonté soit le plaisir, le contentement, la joie de mon âme en tout lieu et en tout temps ; car je sais, Père, qu'il est plus utile à mon âme de souffrir tous les tourments du monde, si telle est votre volonté, que de jouir de tous les divertissements et plaisirs des enfants d'Adam. La joie des Anges, le désir des Saints et la consolation des justes sont en cela : que votre volonté soit faite. Que votre volonté soit faite sur la terre comme au Ciel ; je vous prie donc, 6 Père, que votre volonté soit faite en moi.

            Enfin, ô Père, vous et votre Fils bien aimé m'avez déclaré votre volonté quand celui-ci a dit : Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme, de tout votre esprit et de toutes vos forces, et votre prochain comme vous-même. O Père, puisque votre volonté est que je vous aime de tout mon cœur, de toute mon âme et de toutes mes forces, donnez-moi, ô Père, de faire « ce que vous ordonnez et ce que vous voulez. » Source de charité, donnez-moi la charité ; abîme d'amour infini, donnez-moi l'amour. Allumez, Père, cette lampe de mon âme avec la lumière de votre [408] amour. Vous nous avez ordonné, Père, qu'il y eût toujours du feu sur votre autel. Je vous offre, ô Père, mon âme pour autel ; faites que le feu de votre amour brûle sans cesse en elle. O Lumière éternelle, « qui éclairez toute lumière et consumez dans l'éternelle splendeur des milliers et des milliers d'étincelants flambeaux devant le trône de votre Divinité dès le point du jour ! » O Lumière éternelle qui éclairez toute lumière et la conservez dans votre éternelle splendeur, des milliers et des milliers d'Anges sont devant votre Majesté comme autant de flambeaux allumés par le feu de votre charité et brûlent continuellement sans se brûler ni se consumer. Permettez-moi, mon Dieu et mon Père, d'approcher de vous, Feu d'amour, ce flambeau de mon âme, afin qu'étant allumé, il brûle sans cesse, vous aimant vous-même et le prochain en vous : ainsi sera faite en moi votre sainte volonté.

 

Sur ces paroles : Donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour

Quatrième demande

 

            Oui, Père, les enfants ont besoin de pain ; ne nous le refusez pas, de peur que nous ne mourions. Donnez-nous, ô Père, notre Pain supersubstantiel, votre Fils unique Jésus-Christ Notre-Seigneur [409] dans le Très Saint Sacrement, afin que par ce Pain nous soyons nourris dans la vie spirituelle, nous croissions dans la vertu et nous soyons tellement fortifiés, que nous puissions faire le voyage en cette vallée de larmes, jusqu'à la montagne de Dieu, à Horeb. Père saint, ce Pain est celui que votre Fils nous a apporté, ce sont les choses merveilleuses qu'il a opérées, prêchées, endurées ; faites, ô Père saint, que pendant la durée de ce pèlerinage, cette manne céleste ne vienne jamais à nous manquer et que nous goûtions son immense suavité.

            Les yeux de tous les êtres sont tournés vers vous dans l'attente, Seigneur, et vous leur donnes la nourriture en temps opportun ; les yeux de vos enfants vous regardent, ô Père, et demandent ce Pain de vie, parce que par lui on mène une vie céleste. Moi donc, Père, l'un de vos enfants, bien que d'ailleurs indigne, grand par les années, mais très petit en mérites, affamé et besogneux, je vous demande le pain. Et parce qu'en moi se trouvent deux substances, l'une corporelle, l'autre spirituelle, pour toutes deux je vous demande du pain. Pour le corps, qui est terre, je vous demande le pain de la terre ; pour l'âme, qui est esprit, je vous demande le Pain céleste, le Pain des Anges. Or, Père plein de pitié, souvenez-vous que lorsque les petits enfants demandent du pain à [410] leur père, surtout s'ils ont bien faim, ils crient de toutes leurs forces ce mot : Pain, pain ! et avec ce mot, comme avec autant de flèches, ils blessent le cœur de leurs pères qui, sur la terre, cherchent du pain pour le donner à leurs enfants. Me voici bien affamé, ô notre Père ; écoutez ce mot que je vous adresse : Du pain, Père, du pain ! Daignez donc, Père saint, ouvrir les entrailles de votre miséricorde, et puisque vous le pouvez, secourez-moi et donnez à votre enfant le pain de votre grâce et le Pain supersubstantiel du Très Saint Sacrement.

            Donnez-nous en outre, ô Père, le pain de votre suave et très douce parole ; rompez-le-nous, coupez-le en morceaux par le moyen de vos ministres qui sont vos prédicateurs ; faites qu'il fructifie dans nos âmes, comme ce bon grain qui tomba dans la bonne terre et qui rapporta le cent pour un.

            Enfin, Père, je suis maintenant sous la table de votre haute Majesté, où mangent une multitude d'Anges et de Saints ; agenouillé devant votre face royale, humilié en votre présence comme les petits chiens qui sont sous la table de leurs maîtres guettant les miettes qui en tombent, daignez m'honorer de cette suavité, de cette douceur que goûtent les Bienheureux à votre table, afin que [411] dans mon oraison je goûte quelque chose de ce que goûtent vos enfants au Ciel. Faites, ô Père, que mon oraison ne soit pas aride et sèche, mais douce et suave, avec le pain de vos consolations et de vos visites.

 

Sur ces paroles : Pardonnez-nous nos offenses comme nous les pardonnons à ceux qui nous ont offensés

Cinquième demande

 

            Père, nous sommes pauvres et pleins de dettes ; vous, vous êtes riche et notre créancier ; il faut que le riche remette au pauvre ses dettes : remettez-nous donc nos dettes. Père, faites miséricorde à votre enfant qui a contracté autant de dettes qu'il a commis de péchés. Quel est le père qui ne remettrait pas à son fils tombé en grande pauvreté n'importe quelle dette, si humblement il le lui demandait ? Et qui donc, ô Père saint, est un fils plus pauvre et plus chargé de dettes que moi ? Voici que, comme un autre publicain, humblement je vous prie : remettez-moi tant de dettes de péchés par lesquels je vous ai offensé ; « O Dieu, dont le propre est de faire toujours miséricorde et de pardonner, » ayez pitié de ce pauvre enfant et remettez-moi toutes mes dettes. Je reconnais, ô Père, que les dettes sont nombreuses (dix mille talents), parce [412] que j'ai péché contre toute votre loi ; mais les richesses de votre miséricorde les surpassent infiniment. Souvenez-vous, ô Père, de vos miséricordes qui sont éternelles, et de même que vous avez usé de miséricorde à l'égard de tant de vos serviteurs, daignez me remettre tous mes péchés.

            Je me souviens, ô Père, de votre miséricorde à l'égard de votre ancien peuple à qui tant de fois vous pardonnâtes ses péchés. Je me rappelle, ô Père, que vous vous êtes souvenu de votre serviteur David et que vous lui avez pardonné sa grande faute. Je me souviens, ô Père, que votre bien aimé Fils, étant en ce monde, regarda d'un œil de pitié son Apôtre quand il le renia et Madeleine quand elle se convertit, et enfin qu'il recevait tous les pécheurs à pénitence et mangeait avec eux. Vous n'êtes point changé ; vous étiez autrefois le Dieu très miséricordieux, vous ne l'êtes pas moins maintenant ; vous êtes le même Dieu que jadis, votre miséricorde n'est pas finie puisqu'elle est infinie ; elle ne s'est point arrêtée puisqu'elle n'a point d'arrêts et que, plutôt, on fermerait le Ciel ; elle n'a pas cessé, puisque de même que le feu opère toujours tant qu'il y a de la matière à consumer, ainsi votre miséricorde, tant qu'il y a des péchés à brûler et des dettes à remettre. Sa miséricorde s'étend d'âge en âge sur ceux qui le craignent : cantique de la très sainte [413] Mère de votre Fils béni, Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui savait bien qu'elle était immense. Vous avez mis, Seigneur, des bornes à la mer, mais vous avez laissé sans bornes votre miséricorde, afin que toujours elle aille chercher les pécheurs chargés de dettes pour leur pardonner. Voilà, ô Père, que votre miséricorde se rencontre avec le plus grand pécheur entre tous les pécheurs, avec celui qui a plus de dettes qu'aucun autre enfant d'Adam : effacez mes péchés, remettez-moi la grande somme de mes dettes et passez toujours plus avant pour chercher les autres débiteurs. Un abîme appelle un autre abîme ; le fils de la misère invoque [le Père des miséricordes.] Que l'abîme absorbe un autre abîme ; que l'abîme, mes misères infinies, soit absorbé par l'abîme. Je sais, ô Père, que tous mes péchés, pour nombreux qu'ils soient, et tous ceux du monde entier, sont devant votre miséricorde comme un brin de paille en présence d'un grand feu. Enfin je vous prie, Père saint, par votre miséricorde infinie, par la vertu de cette Passion que votre Fils bien aimé endura sur le bois de la croix et par les mérites et l'intercession de la Bienheureuse Vierge et de tous les élus qui existent depuis le commencement du monde, de daigner nous remettre nos dettes. [414]

            Comme nous les remettons à ceux qui nous ont offensés. Je vous prie aussi, ô Père, de me donner assez de vertu et votre grâce pour que je puisse parfaitement pardonner à ceux qui m'ont offensé ; et si vous trouvez dans mon cœur quelque reste d'imperfection contre ceux qui m'ont offensé, vous, Père, par le feu de votre charité, faites-le disparaître, brûlez-le, faites que nulle trace ni ombre de rancune demeure dans mon cœur, afin que je puisse dire en toute vérité : Pardonnez-nous nos offenses comme nous les pardonnons à ceux qui nous ont offensés.

 

Et ne nous induisez point en tentation

 

            Nous sommes, ô Père, en un lieu de tentation. Notre adversaire, le diable, rôde autour de nous, cherchant qui dévorer. Donnez les moyens, portez secours, 6 Père ; les ennemis sont aussi nombreux que le sable de la mer et expérimentés dans le combat ; mon âme est languissante, faible, impuissante si vous ne venez à son aide. Saisissez donc vos armes et votre bouclier, et levez-vous pour me secourir ; tirez la lance et barrez le passage à mes persécuteurs ; dites à mon âme : Je suis ton salut. O Seigneur, que cette pauvre âme a besoin de votre grâce, de votre secours, de votre assistance pour ne pas succomber aux tentations ! Une petite brebis [415] au milieu des loups se perd si le berger ne la sauve ; ainsi, Père, cette âme au milieu de tant de loups qui l'assaillent dans un monde où elle est sollicitée par mille occasions de péchés, avec la chair qui continuellement la combat, que fera-t-elle sans votre secours ?

            Père saint, je lèverai mes yeux au Ciel d'où me viendra le secours ; mon secours vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre. O Père des miséricordes et Dieu de toute consolation, venez à mon aide ; Seigneur, hâtez-vous de me secourir. Père saint, quand donc ferez-vous justice de ceux qui me persécutent ? Faites justice, Seigneur, de ceux qui cherchent la mort de mon âme, donnez-moi cependant votre aide pour ne point tomber, pour ne pas vous offenser. Je ne demande pas que vous me délivriez des tentations, ô Père, mais je vous demande la grâce et la force pour résister et combattre énergiquement. Par amour pour vous, je veux bien avoir des tribulations et des angoisses en ce monde, pourvu que dans les tribulations mon âme ne défaille pas. Faites, Seigneur, que, comme l'or dans la fournaise devient plus beau, ainsi mon âme jetée dans la fournaise des tribulations, devienne plus pure, lumineuse et resplendissante. Qu'elle ne soit pas comme la paille qui, par manque de force, se laisse brûler et consumer par [416] le feu. Que je sois plutôt comme vos Saints qui, en ce monde, jetés dans les flammes et le feu, restèrent forts et fermes, et ensuite, comme des pierres précieuses, en sortirent avec plus de splendeur et de lumière. Ne nous induisez donc pas en tentation, ô Père, afin que nous n'offensions pas une telle Majesté.

 

Mais délivrez-nous du mal. Ainsi soit-il

 

            Père saint, je reconnais vos miséricordes sur moi, car vous m'avez préservé de beaucoup de maux que j'avais mérités par mes péchés ; autant de fois que je péchai, autant de fois je méritai ce mal infini qui est la damnation éternelle. Qu'ils sont nombreux, Père, ceux qui ont encouru ce malheur ! Ils avaient commis moins de péchés que moi ; et combien, parce qu'il ne leur fut pas donné, comme à moi, le loisir de faire pénitence, moururent misérablement dans leurs péchés et se perdirent ! Je vous en prie, ô Père, délivrez-moi désormais de toute faute, afin que j'échappe aux peines de l'enfer ; faites, Seigneur, que je ne vous offense plus ; vous avoir offensé dans le passé est bien suffisant. Que mes péchés, Seigneur, ne se multiplient pas comme le sable de la mer et les étoiles du ciel ; que l'enfer ne m'engloutisse pas et que la fosse ne se ferme pas sur moi. [417]

            Vous m'avez délivré, ô Père, de beaucoup de maux qui sont en ce monde. Que d'aveugles, que de sourds, que de muets, que de paralytiques sont au nombre des enfants d'Adam ! et vous, Seigneur, m'avez préservé de tous ces maux, bien que je fusse comme eux enfant d'Adam, et pécheur plus qu'eux tous ; cependant, cela me servirait de peu de chose ou même de rien, si vous ne me délivriez du mal du péché. Donc, du péché, de la faute et de la peine due au péché, je demande d'être délivré : Mais délivrez-nous du mal.

            Vous m'avez délivré, 6 Père, des ténèbres et de l'aveuglement où se trouvent les Turcs, les Maures, les Juifs, les Gentils et payens, me faisant naître dans le sein de la sainte Eglise ; délivrez-moi, ô Père, des ténèbres et de l'aveuglement du péché, afin que je jouisse du sang et des mérites de votre Fils béni, Jésus-Christ mon Seigneur, et que je sois compté parmi vos enfants, qui sont les fils de la lumière dans votre Royaume.

            Père, je me rappelle cette bonne femme de Thécua qui, entrant chez le roi David, lui demanda pardon pour Absalon son fils ; et ce bon roi, entendant que la demande avait été ordonnée par le capitaine Joab, son bien aimé et son favori, aussitôt il lui accorda [418] la grâce qu'elle implorait. Père, votre saint et bien aimé Fils Jésus-Christ m'a ordonné de faire cette prière et m'a envoyé à vous afin que je vous demande les grâces qui y sont contenues. Ne me regardez pas, ô Père, moi qui suis le plus grand de tous les pécheurs, mais regardez votre Fils très saint et béni, le plus grand de tous les Saints, voire le Sanctificateur d'eux tous ; et par l'amour que vous lui portez, accordez-moi ce qu'il m'a ordonné de vous demander.

            Je me souviens aussi, Père, qu'il n'était pas permis aux fils de Jacob de paraître une seconde fois en présence de Joseph s'ils ne conduisaient avec eux leur frère cadet Benjamin ; et à nous il n'est pas permis de paraître en votre présence sans notre frère aîné, qui est votre Fils unique Jésus-Christ. Voilà donc, 6 Père, je viens maintenant devant vous avec votre saint Fils, mon Seigneur Jésus. Je vous le présente, et vous prie humblement que par ses mérites et par sa très sainte Mort et Passion vous daigniez m'accorder ce que lui-même, dans cette Oraison et cette requête qui sont siennes, m'a ordonné de vous demander, afin que mon âme soit toute vôtre et qu'elle vous loue et bénisse dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. [419]

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Appendice

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A. Dévotes méditations sur tous les mysteres du Saint Sacrifice de la Messe

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Petite preface

 

            On celebre la sainte Messe en memoire de la Passion de Nostre Seigneur Jesus Christ, comme il a commandé a ses Apostres leur donnant son corps et son sang, et leur disant : Hoc facite in meam commemorationem, c'est a dire : Faites cela en memoire de moy. Comme s'il vouloit dire : Souvenes vous de ce que j'ay enduré pour vostre salut, prattiques donq ce mesme mystere pour vous et pour les vostres.

 

L'entree du prestre a l'autel (Jesus entre au Jardin)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, Filz de Dieu vivant, qui aves voulu estre saisi de crainte et de tristesse a l'instant de vostre Passion, donnes moy la grace de vous consacrer tous mes ennuis. O Dieu [421] de mon cœur, aydes moy a les endurer dans l'union de vos souffrances et tristesses, affin que par le merite de vostre Passion ilz me soyent rendus salutaires. Amen.

 

Au commencement de la Messe (Les prieres de Jesus au Jardin)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, Fils de Dieu vivant, qui aves voulu estre conforté lhors que vous priies au Jardin des Olives, faites que par la vertu de vostre orayson, vostre saint Ange m'assiste tous-jours en mes prieres.

 

Au Confiteor (Jesus est courbé en terre)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves sué du sang par tous vos membres et dans l'exces de vostre douleur, lhors qu'estant reduit a l'agonie vous priies le Pere eternel au Jardin, faites que par le souvenir de vostre Passion, je puisse participer a vos douleurs divines, et qu'au lieu de sang je verse des larmes pour mes pechés.

 

Au bayser de l'autel (Jesus est trahi par le bayser de Judas)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves enduré le bayser du traistre Judas, faites moy la grace de ne vous trahir jamais, et de rendre a mes calomniateurs les offices d'une amitié chrestienne. Amen.

 

A l'Epistre(Jesus est mené prisonnier)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves bien voulu estre garrotté par les mains des meschans, rompes les chaisnes de mes pechés, et retenes moy tellement par les liens de la charité et de vos commandemens, que les puissances de mon ame et de mon cors ne s'eschappent point a commettre aucune chose qui soit contraire a vostre sainte volonté.

 

A l'Introit (Jesus est souffletté)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves voulu estre conduit comme un criminel a la maison d'Anne, faites moy la grace de ne pas estre [422] attiré au peché par l'esprit malin, ou par les hommes pervers, mais d'estre guidé par vostre Saint Esprit a tout ce qui est aggreable a vostre divine volonté. Amen.

 

Au Kyrie Eleison (Jesus est renié par Pierre)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves permis d'estre trois fois renié en la maison de Caïphe par le prince des Apostres, preserves moy des mauvaises compagnies, affin que le peché ne me separe jamais de vous. Amen.

 

Au Dominus Vobiscum (Jesus regarde Pierre et le convertit)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui par un regard de vostre amour aves tiré des yeux de saint Pierre les larmes d'une veritable penitence, faites par vostre misericorde, que je pleure amerement mes pechés, et que je ne vous renie jamais de fait ou de parole, vous qui estes mon Seigneur et mon Dieu. Amen.

 

A l'Epistre (Jesus est mené chez Pilate)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves voulu estre mené devant Pilate et accusé fausement en sa presence, apprenes moy le moyen d'eviter les tromperies des meschans et de professer vostre foy par la prattique des bonnes œuvres. Amen.

 

Au Munda Cor Meum (Jesus est mené chez Herode)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui estant en la presence d'Herode aves souffert les fauses accusations sans repliquer un seul mot, donnes moy la force d'endurer courageusement les injures des calomniateurs, et de ne pas publier aux indignes les sacrés mysteres. Amen.

 

A l'Evangile (Jesus est moqué et ramené devant Pilate)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves souffert d'estre renvoyé d'Herode a Pilate, qui devinrent amis par ce moyen, faites moy la grace de ne pas craindre les conspirations que les meschans font contre moy, mais d'en tirer du proffit, affin d'estre digne de vous estre conforme. Amen.

 

A l'ouverture du Calice (Jesus est despouillé)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves voulu estre despouillé de vos habitz et cruellement fouetté pour mon salut, faites moy la grace de me descharger des pechés par une bonne confession, affin de ne pas paroistre devant vos yeux despouillé des vertus chrestiennes. Amen.

 

A l'Offertoire (Jesus est fouetté)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves voulu estre lié a la colomne [423] et deschiré a coups de fouetz, donnes-moy la grace d'endurer patiemment les fleaux de vostre correction paternelle, et de ne vous point affliger doresnavant par mes pechés. Amen.

 

Lhors qu'on couvre le Calice (Jesus est couronné)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves voulu estre couronné d'espines pour moy, faites que je sois tellement piqué par les espines de la penitence en ce monde, que je merite d'estre couronné au Ciel. Amen.

 

Lhors que le prestre lave ses mains (Pilate lave ses mains)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, Filz de Dieu vivant, qui estant declaré innocent par la sentence du president Pilate, aves souffert les impostures et les reproches des Juifz, donnes moy la grace de vivre dans l'innocence et de ne me point inquieter de mes ennemis. Amen.

 

A l'Orate, fratres (Pilate dit aux Juifz : Ecce homo)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves voulu estre bafoué pour moy en presence des Juifz, portant les marques de leurs risees, faites que je ne ressente point le chatouillement de la vaine gloire, et que je comparoisse au jugement sous l'enseigne de ces marques mystiques.

 

A la Preface (Jesus est condamné a mort)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves voulu, quoy qu'innocent, estre condamné pour moy au supplice de la croix, donnes moy la force de soustenir la sentence d'une mort cruelle pour vostre amour, et de ne redouter pas les faux jugemens des hommes et de ne juger personne injustement. Amen.

 

Au Memento pour les vivans (Jesus porte sa Croix)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves porté la croix pour moy sur vos espaules, faites que j'embrasse volontairement la croix de la mortification et que je la porte journellement pour vostre amour. Amen.

 

A l'Action (Sainte Veronique essuye d'un linge la face de Nostre Seigneur)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui estant dans le chemin par lequel vous marchies au supplice de la croix, aves dit aux femmes qui pleuroyent pour l'amour de vous qu'elles devoyent pleurer pour elles mesmes, donnes moy la grace de bien pleurer mes pechés, donnes moy les larmes d'une sainte compassion et d'un saint amour, qui me rendent aggreable a vostre sainte Majesté.

 

A la benediction des offrandes (Jesus est attaché en croix)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves voulu estre attaché en croix [424] pour mon salut, y attachant avec vous l'obligation de nos pechés et de la mort, percés ma chair d'une sainte crainte, affin qu'embrassant fortement vos commandemens, je sois tous-jours attaché a vostre Croix. Amen.

 

A l'eslevation de l'Hostie (Jesus crucifié est eslevé)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves voulu estre eslevé en croix, et exalté de la terre pour moy, retires moy des affections terrestres, esleves mon esprit a la consideration des choses celestes. Amen.

 

A l'eslevation du Calice (Le sang de Jesus Christ coule de ses playes)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves fait couler de vos playes salutaires la fontaine de vos graces, faites que vostre sacré sang me fortifie contre les mauvais desirs et me soit un remede salutaire a tous mes pechés. Amen.

 

Au Memento pour les Trespasses (Jesus prie pour les hommes)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui estant attaché a la croix aves prié vostre Pere pour tous les hommes, mesme pour vos bourreaux, donnes moy l'esprit de douceur et de patience qui me fasse aymer mes ennemis, rendre le bien pour le mal, suivant vostre exemple et vos commandemens. Amen.

 

Au Nobis quoque peccatoribus (La conversion du larron)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves promis la gloire du Paradis au larron qui se repentoit de ses pechés, regardes moy des yeux de vostre misericorde, affin qu'a l'heure de ma mort vous disies a mon ame : Aujourd'huy tu seras avec moy en Paradis. Amen.

 

Au Pater (Les sept paroles de Jesus en croix)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui estant attaché a la croix aves recommandé vostre sainte Mere au Disciple bienaymé et le Disciple a vostre Mere, faites moy la grace de me recevoir sous vostre protection, affin que me preservant parmi les dangers de cette vie, je sois du nombre de vos amis. Amen.

 

A la division de l'Hostie (Jesus meurt en croix)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui mourant en la croix pour mon salut aves recommandé vostre ame au Pere eternel, faites que je meure avec vous spirituellement, affin qu'a l'heure de ma mort je rende mon ame entre vos mains. Amen.

 

Quand le prestre met une particule de l'Hostie au Calice (L'ame de Jesus descend aux enfers)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui, apres avoir terrassé les puissances [425] du diable, estes descendu aux enfers, et aves delivré les peres qui y estoyent detenus, faites, je vous prie, descendre en Purgatoire la vertu de vostre sang et de vostre Passion sur les ames des fidelles trespassés, affin qu'estant absoutes de leurs pechés, elles soyent receues dans vostre sein et jouissent de la paix eternelle. Amen.

 

A l'Agnus dei (La conversion de plusieurs a la mort de Nostre Seigneur)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, plusieurs ont deploré leurs pechés par la consideration de vos souffrances : faites moy la grace, par les merites de vostre Passion douloureuse et de vostre Mort, de concevoir une parfaite contrition de mes offenses, et que des-ormais je cesse de vous offenser. Amen.

 

A la Communion (Jesus est enseveli)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves voulu estre enseveli dans un nouveau monument, donnes moy un cœur nouveau, affin qu'estant enseveli avec vous, je parvienne a la gloire de vostre resurrection.

 

A l'Ablution (Jesus est embaumé)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves voulu mourir, estre embaumé, enveloppé d'un linge net par Joseph et Nicodeme, donnes moy la grace de recevoir dignement vostre saint corps au Sacrement de l'autel et dans mon ame embaumee des precieux unguens de vos vertus. Amen.

 

Apres la Communion (La resurrection de Jesus)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui estes sorti victorieux et triomphant du sepulchre fermé et cacheté, faites moy la grace que resuscitant du tombeau de mes vices, je marche dans une nouvelle vie, affin que, lhors que vous paroistres dans vostre gloire, j'y paroisse aussi avec vous. Amen.

 

Au Dominus Vobiscum (Jesus apparoist a ses Disciples)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves res-joui vostre chere Mere et vos Disciples apparoissant a eux apres vostre resurrection, donnes moy cette grace, que puisque je ne puis vous voir en cette vie mortelle, je vous contemple en l'autre en vostre gloire. Amen.

 

Aux dernieres collectes (Jesus converse avec ses Disciples pendant quarante jours)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui apres vostre resurrection aves daigné converser l'espace de quarante jours avec vos Disciples et leur aves enseigné les misteres de la foy, resuscites dans moy et m'affermisses dans la creance de vos divines verités. Amen. [426]

 

Au dernier Dominus Vobiscum (Jesus monte au Ciel)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui estes monté au Ciel en presence de vos disciples, apres avoir accompli le nombre de quarante jours, faites moy la grace que mon ame se degouste pour vostre amour de toutes les choses de la terre, qu'elle aspire a l'eternité et qu'elle vous desire comme le comble de la felicité. Amen.

 

A la Benediction (La descente du Saint Esprit)

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, qui aves donné le Saint Esprit a vos disciples perseverant unanimement en l'orayson, espures, je vous prie, l'interieur de mon cœur, affin que le Paraclet trouvant un sejour aggreable en mon ame, l'embellisse par ses dons, de ses graces et de sa consolation. Amen.

 

Actions de graces apres avoir ouy la Sainte Messe

 

            Mon Seigneur Jesus Christ, Fils de Dieu, mon Redempteur, je vous remercie de ce que vous m'aves fait la grace d'avoir entendu aujourd'huy la sainte Messe. Je vous prie, par les merites de ce divin Sacrifice, de me donner l'esprit et la force de resister tous-jours a toutes les mauvaises tentations, affin que, sortant de ce monde, je sois digne du Paradis. Ainsy soit il.

 

 

B. Prière a la Sainte Vierge, attribuée a saint François de Sales

 

            Je vous salue, tres douce Vierge Marie, Mere de Dieu. Vous estes ma Mere et ma Souveraine ; partant je vous supplie de m'accepter pour vostre filz et serviteur, parce que je ne veux plus avoir de Mere et de Maistresse que vous. Je vous prie donq, ma bonne, gracieuse et douce Mere, qu'il vous playse de me consoler en toutes mes angoisses et tribulations, tant spirituelles que corporelles.

            Ayes memoire et souvenance, tres douce Vierge, que vous estes [427] ma Mere et que je suis vostre filz, que vous estes tres puissante et que je suis une pauvre creature vile et foible. Partant je vous supplie, ma tres douce Mere, que vous me gouvernies et defendies en toutes mes voyes et actions, car helas ! je suis un pauvre disetteux et mendiant qui ay grand besoin de vostre sainte protection. Sus donq, ma tres sainte Vierge, ma douce Mere, preserves et delivres mon cors et mon ame de tous maux et dangers, et, de grace, faites moy participant de vos biens et de vos vertus, et principalement de vostre sainte humilité, excellente pureté et fervente charité.

            Ne me dites pas, gracieuse Vierge, que vous ne pouves, car vostre bienaymé Filz vous a donné toute puyssance, tant au Ciel comme en la terre. Ne me dites pas que vous ne deves, car vous estes la commune Mere de tous les pauvres humains, et singulierement la mienne. Si vous ne pouvies, je vous excuserois disant : Il est vray qu'elle est ma Mere et qu'elle me cherit comme son filz, mais la pauvrette manque d'avoir et de pouvoir. Si vous n'esties ma Mere, avec rayson je patienterais disant : Elle est bien asses riche pour m'assister, mais helas ! n'estant pas ma Mere elle ne m'a.yme pas.

            Puis donq, tres douce Vierge, que vous estes ma Mere et que vous estes puyssante, comment vous excuseray je si vous ne me soulages et ne me prestes vostre secours et assistance ? Voyes, ma Mere, que vous estes contrainte de m'accorder ce que je vous demande.

            Soyes donq exaltee sur les Cieux et sur la terre, glorieuse Vierge et ma tres haute Mere Marie, et pour l'honneur et la gloire de vostre Filz, acceptes moy pour vostre enfant, sans avoir esgard a mes miseres et pechés. Delivres mon ame et mon cors de tout mal, et donnes moy toutes vos vertus, sur tout l'humilité. Faites moy present de tous les dons, biens et graces qui playsent a la tres sainte Trinité, Pere, Filz et Saint Esprit. Ainsy soit il. [428]

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C. Autre prière a la Sainte Vierge, attribuée au même

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            O bienheureuse Vierge Marie, digne Mere de Dieu et fidele Dispensatrice de toutes les graces qu'il veut nous distribuer en cette vie, je vous supplie, par l'amour de vostre cher Filz, nostre Sauveur Jesus Christ, de m'obtenir de vostre divin Espoux, le Saint Esprit, une lumiere celeste et un bon conseil pour connoistre ce que je dois faire et comment je dois me conduire pour la gloire de Dieu et l'advancement de mon salut.

            J'espere, o Sainte Vierge, recevoir par vostre moyen cette faveur du Ciel, car apres Dieu, j 'ay mis en vous toute ma confiance.

 

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Note des editeurs

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            Toutes les éditions des Œuvres de saint François de Sales, à commencer par celle in-folio de 1637, p. 1033, donnent une pièce intitulée : Maniere devote pour celebrer avec fruict le tres-sainct Sacrifice de la Messe. On nous permettra de l'écarter de notre Edition, comme n'ayant aucune preuve d'authenticité ; on n'y retrouve ni les pensées du Saint, ni son style, mais un amas de considérations qui suffoquent l'esprit, au lieu de le recueillir ; plusieurs mots y sont employés qui ne se rencontrent pas dans ses écrits.

            De nombreux déposants au Procès de Béatification du Serviteur de Dieu parlent de différents documents de moindre étendue : tels, la Briefve Meditation sur le Symbole des Apostres, l'Advertissement aux Confesseurs, etc. ; aucun ne mentionne la Maniere devote pour celebrer... la Messe.

            Avant 1637, elle fut publiée à la suite de l'Advertissement aux Confesseurs, dans le petit volume imprimé à Lyon par Jean Charvet, 1620, ou 1615 ? (Voir notre tome XXIII, note (920), p. 279.) C'est de là, sans doute, que les éditeurs de 1637 l'auront tirée, sans trop examiner si elle était vraiment du saint Evêque de Genève. Mais M. de Ville, qui donna une Approbation à l'opuscule de Charvet le 24 août 1615, s'exprime ainsi : « Certifie avoir leu ces deux presents traictés, [429] dont le premier (l'Advertissement) marque la rare capacité de son Autheur, le second temoigne la ferveur et zele de la saincte Messe. » A noter qu'il ne dit pas « sa ferveur », mais « la ferveur ». Le « Permis » de Fr. Robert Berthelot, évêque de Damas, ne se rapporte qu'au second traité ; il nous paraît très sec, contrairement à son habitude, quand il s'agit des ouvrages de saint François de Sales. Qu'on en juge : « Ce devot, traicté, traictant d'un haut mystere, est digne de paroistre partout ; car, comme son Aucteur est orthodoxe, aussi l'est l'œuvre. »

            Pour ces raisons, qui nous semblent probantes, nous supprimons dans notre Edition authentique l'opuscule en question. [430]

 

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